« Monsieur Parent (recueil, Ollendorff 1886)/Petit Soldat » : différence entre les versions

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Chaque dimanche, sitôt qu’ils étaient libres, les deux petits soldats se mettaient en marche.
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Ils tournaient à droite en sortant de la caserne, traversaient Courbevoie à grands pas rapides, comme s’ils eussent fait une promenade militaire; puis, dès qu’ils avaient quitté les maisons, ils suivaient, d’une allure plus calme, la grand-route poussiéreuse et nue qui mène à Bezons.
 
Ils étaient petits, maigres, perdus dans
Ils étaient petits, maigres, perdus dans leur capote trop large, trop longue, dont les manches couvraient leurs mains, gênés par la culotte rouge, trop vaste, qui les forçait à écarter les jambes pour aller vite. Et sous le shako raide et haut, on ne voyait plus qu’un rien du tout de figure, deux pauvres figures creuses de Bretons, naïves, d’une naïveté presque animale, avec des yeux bleus doux et calmes.
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Ils étaient petits, maigres, perdus dans leur capote trop large, trop longue, dont les manches couvraient leurs mains, gênés par la culotte rouge, trop vaste, qui les forçait à écarter les jambes pour aller vite. Et sous le shako raide et haut, on ne voyait plus qu’un rien du tout de figure, deux pauvres figures creuses de Bretons, naïves, d’une naïveté presque animale, avec des yeux bleus doux et calmes.
 
Ils ne parlaient jamais durant le trajet, allant devant eux, avec la même idée en tête, qui leur tenait lieu de causerie, car ils avaient trouvé à l’entrée du petit bois des Champioux, un endroit leur rappelant leur pays, et ils ne se sentaient bien que là.
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Au croisement des routes de Colombes et de Chatou, comme on arrivait sous les arbres, ils ôtaient leur coiffure qui leur écrasait la tête, et ils s’essuyaient le front.
 
Ils s’arrêtaient toujours un peu sur le pont de Bezons pour regarder la Seine. Ils demeuraient là, deux ou trois minutes, courbés en deux, penchés sut le parapet; ou bien ils considéraientconsidé
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raient le grand bassin d’Argenteuil où couraient les voiles blanches et inclinées des clippers, qui, peut-être, leur remémoraient la mer bretonne, le port de Vannes dont ils étaient voisins, et les bateaux pêcheurs s’en allant à travers le Morbihan, vers le large.
 
Dès qu’ils avaient franchi la Seine, ils achetaient leurs provisions chez le charcutier, le boulanger et le marchand de vin du pays. Un morceau de boudin, quatre sous de pain et un litre de petit bleu constituaient leurs vivres emportés dans leurs mouchoirs. Mais, aussitôt sortis du village, ils n’avançaient plus qu’à pas très lents et ils se mettaient à parler.
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« C’est tout comme auprès de Plounivon.
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— Oui, c’est tout comme. »
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Jean Kerderen portait les provisions.
 
De temps en temps, Luc citait un nom, rappelait un fait de leur enfance, en quelques mots seulement qui leur donnaient longtemps à songer. Et le pays, le cher pays lointain les repossédait peu à peu, les envahissait, leur envoyait, à travers la distance, ses
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formes, ses bruits, ses horizons connus, ses odeurs, l’odeur de la lande verte où courait l’air marin.
 
Ils ne sentaient plus les exhalaisons du fumier parisien dont sont engraissées les terres de la banlieue, mais le parfum des ajoncs fleuris que cueille et qu’emporte la brise salée du large. Et les voiles des canotiers, apparues au-dessus des berges, leur semblaient les voiles des caboteurs, aperçues derrière la longue plaine qui s’en allait de chez eux jusqu’au bord des flots.
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Et quand Luc avait fini de dépouiller la mince baguette de son écorce, ils arrivaient au coin du bois où ils déjeunaient tous les dimanches.
 
Ils retrouvaient les deux briques cachées par eux dans un taillis, et ils allumaient un
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petit feu de branches pour cuire leur boudin sur la pointe de leur couteau.
 
Et quand ils avaient déjeuné, mangé leur pain jusqu’à la dernière miette, et bu leur vin jusqu’à la dernière goutte, ils demeuraient assis dans l’herbe, côte à côte, sans rien dire, les yeux au loin, les paupières lourdes, les doigts croisés comme à la messe, leurs jambes rouges allongées à côté des coquelicots du champ; et le cuir de leurs shakos et le cuivre de leurs boutons luisaient sous le soleil ardent, faisaient s’arrêter les alouettes qui chantaient en planant sur leurs têtes.
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Elle passait devant eux tous les dimanches pour aller traire et remiser sa vache, la seule vache du pays qui fût à l’herbe, et qui pâturait une étroite prairie sur la lisière du bois, plus loin.
 
Ils
Ils apercevaient bientôt la servante, seul être humain marchant à travers la campagne, et ils se sentaient réjouis par les reflets brillants que jetait le seau de fer-blanc sous la flamme du soleil. Jamais ils ne parlaient d’elle. Ils étaient. seulement contents de la voir, sans comprendre pourquoi.
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Ils apercevaient bientôt la servante, seul être humain marchant à travers la campagne, et ils se sentaient réjouis par les reflets brillants que jetait le seau de fer-blanc sous la flamme du soleil. Jamais ils ne parlaient d’elle. Ils étaient. seulement contents de la voir, sans comprendre pourquoi.
 
C’était une grande fille vigoureuse, rousse et brûlée par l’ardeur des jours clairs, une grande fille hardie de la campagne parisienne.
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Elle reprit : « Hein ! Ça va pas vite. »
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Il répliqua, riant toujours : « Pour ça, non. »
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Puis elle s’en alla, en criant : « Allons, adieu; à dimanche ! »
 
Et ils suivirent des yeux, aussi longtemps
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qu’ils purent la voir, sa haute silhouette qui s’en allait, qui diminuait, qui semblait s’enfoncer dans la verdure des terres.
 
 
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Elle riait de loin en les voyant, elle cria : « Ça va-t-il comme vous voulez ? » Ils répondirent ensemble :
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« Et de vot’ part ? » Alors elle causa, elle parla de choses simples qui les intéressaient, du temps, de la récolte, de ses maîtres.
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Puis elle alla traire sa vache, et elle leur donna encore du lait en revenant.
 
Ils pensèrent à elle toute la semaine, et ils en parlèrent plusieurs fois. Le dimanche suivant, elle s’assit à côté d’eux pour deviser plus longtemps, et tous trois, côte à côte, les yeux perdus au loin, les genoux enfermés dans leurs mains croisées, ils racontèrent
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des menus faits et des menus détails des villages où ils étaient nés, tandis que la vache, là-bas, voyant arrêtée en route la servante, tendait vers elle sa lourde tête aux naseaux humides, et mugissait longuement pour l’appeler.
 
La fille accepta bientôt de manger un morceau avec eux et de boire un petit coup de vin. Souvent, elle leur apportait des prunes dans sa poche; car la saison des prunes était venue. Sa présence dégourdissait les deux petits soldats bretons qui bavardaient comme deux oiseaux.
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Le vendredi suivant, Luc, ayant emprunté dix sous à son voisin de lit, demanda encore et obtint l’autorisation de quitter pendant quelques heures.
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Et quand il se mit en route avec Jean pour la promenade du dimanche, il avait l’air tout drôle, tout remué, tout changé. Kerderen ne comprenait pas, mais il soupçonnait vaguement quelque chose, sans deviner ce que ça pouvait être.
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Et il demeurait éperdu, lui, le pauvre Jean, si éperdu qu’il ne comprenait pas, l’âme bouleversée, le coeur-crevé, sans se rendre compte encore.
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Puis, la fille s’assit à côté de Luc, et ils se mirent à bavarder.
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Jean ne voyait plus rien que le mur de feuilles où ils étaient entrés; et il se sentait si troublé que, s’il avait essayé de se lever, il serait tombé sur place assurément.
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Il demeurait immobile, abruti d’étonnement et de souffrance, d’une souffrance naïve et profonde. Il avait envie de pleurer, de se sauver, de se cacher, de ne plus voir personne jamais.
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A l’heure ordinaire, ils se levèrent pour revenir.
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Luc épluchait une baguette. Jean portait le litre vide. Il le déposa chez le marchand de vin de Bezons. Puis ils s’engagèrent sur le pont, et, comme chaque dimanche, ils s’arrêtèrent au milieu, afin de regarder couler l’eau quelques instants.
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Plus loin encore, il aperçut, de nouveau, une main, une seule main qui sortit de la rivière, et y replongea. Ce fut tout.
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Les mariniers accourus ne retrouvèrent point le corps ce jour-là.