« Les Reposoirs de la procession (1893)/Tome I » : différence entre les versions

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Croyant à des idées subtiles sinon avares qu’un déguisement protège, je vois le saisissable en miséricordieux et joli mensonge de la Beauté, vérité première.
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Cette formidable Isis, dont la soudaine intensité ferait mourir, s’édulcore par d’innocents reliefs et dégage d’enfantins phénomènes à l’usage de la poussive aperception et du malingre entendement de l’homme peureux, — et voici l’univers sensible : bénigne aumône de l’apocalypse latente (1).
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Vivre, c’est donc assister à la Comédie des Secrets représentée dans l’incommensurable décor de la Pitié.
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Spectacle acroanlatique dont il sied de hardiment rechercher les clefs, car ses personnages aux gestes de vent, de fleuve, de
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1. L’Univers est une catastrophe tranquille ; le poëte démêle, cherche ce qui respire à peine sous les décombres et le ramène à la surface de vie (Notes.)
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foule, jouent sous un masque épais comme la montagne ou menu comme le parfum de fleur, car il est ésotérique ce spectacle traité d’exotérique par la quiète ignorance des Simples.
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Sans taxer de paradoxe le quotidien spectacle et le défmir par l’inverse exclusivement, il sera sage de n’y voir qu’un prologue aussi bref qu’un appel de trompette.
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Partant de ce principe que la nature a l’intermédiaire mission d’uniquement nous mettre sur la voie d’entraînement, dès lors il nous faudra pour aboutir ne compter que sur nos personnelles ressources.
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Toutes les sciences incubant en nous à l’état potenéiel et divinatoire, nous pouvons savoir tout par nous-mème, — par l’élémentaire raison que le Trésor virtualise en l’hypothèse de l’homme et que
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c’est à l’homme de le reconnaître et de l’émanciper.
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Les commentateurs de l’hypostase disaient de Jésus (1) que sa personne contenait les natures humaine et divine, nous dirons du poëte que son âme a deux sexes : elle produira si elle se cultive.
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Se mirer : perpétuelle occupation de la Beauté.
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Ses miroirs : les hommes.
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La Beauté reste la même, mais les miroirs diffèrent.
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i. D’aucuns noua bernent de parfois citer Jésus. Ne fut-il par compagnon de sagesse et poëte de charme ? Il devrait être licite de le préférer à Rougcnmacquart.
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Aussi variée que ses miroirs inconscients ou conscients, l’une Beauté est conséquemment plusieurs, puisqu’une idée singulière d’elle hante chaque homme.
 
L’émotion du miroir est le vagissement de l’œuvre (1).
 
Plasticiser son reflet constitue 1 œuvre (2).
 
Le domaine de ces beautés individuelles, expressions diverses de l’originelle Beauté, a nom l’Art ; la supériorité de l’une d’elles s’appelle chef-d’œuvre (3).
 
N’imputons pas à l’inspiratrice Beauté les défauts d’une œuvre,mais au poète.
 
Il y a des miroirs plus ou moins purs.
 
La cigale au miroir vierge chante clair ; celle au miroir terni chante trouble ;
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d’autres ne chantent point, le mal ayant passé qui creva les miroirs. Ainsi des poètes.
 
On honore justement la victoire d’un génie, néanmoins conseiller la dictature de tel chef-d’œuvre et l’ériger en exemple obligatoire et dogmatique constituerait une erreur d’esclave, ce serait nieiThomme au profit d’un homme, ce serait glorifier Procuste, ce serait encore (car les miroirs se polissent de mieux en mieux et s’autorisent de plus en plus) entraver le Voyage vers le Mieux —qui doit durer toujours.
 
Maintenant, si nous considérons la Beauté comme le pseudonyme physique et jovial de Dieu, nous conclurons que croire en soi c’est croire en Dieu et réciproquement.
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L’homme et Dieu sont solidaires au point de se confondre (i).
 
La Beauté ne peut rien sans nous, nous ne pouvons rien sans elle.
 
Que si même tous nos miroirs se fanaient ou se cassaient à la fois, la Beauté mise dans l’impossibilité de se mirer qui est toute sa raison d’être cesserait d’exister : la vie divine est à la merci de la vie humaine.
 
L’Artnôtre,on le voit,est par-dessus tout l’Art de l’homme.
 
Art de l’avènement de toutes les intelligences ! art d’initiative et de spontanéité ! art ipséiste par excellence ! idéalanarchie ! religion prométhéenne !
 
Il suffit à l’esprit humain de secouer les
 
1. La ligue do l’homme et de Dieu produit le poête.
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chaînes de la crainte et d’avoir fermement conscience de sa valeur.
 
L’orgueil de l’homme est sans doute pour les pusillanimes traditionnaires la fin de la sagesse, mais pour nous il est à coup sûr le commencement du génie (1).
 
Les curieux regards de l’universelle Beauté convergeant vers tout miroir vivant, il résulte que chaque être est durant sa vie le centre de l’Eternité. Personnage auguste et grand que celui-là ! Simple réceptacle de la Beauté s’il est inconscient, l’homme devient, s’il est conscient, la Beauté elle-même, et nous devons alors considérer ce pèlerin d’ici-bas comme Dieu en personne voyageant incognito.
 
Ainsi donc approprions notre miroir et croyons en nous.
 
1. Avez-vous observé crue le moindre chapitre de l’Histoire prouve par hôpital + prison que le génie est une sorte d’abomination ?
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Au surplus, qu’est-ce que Dieu, sinon . l’homme levant éminemment le front, sinon la plus haute expression de l’humanité, sinon le meilleur de nous-mêmes, sinon l’homme des hommes (1) ?
 
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L’inconnu,ceconnaissable,varie suivant ses explorateurs. L’absolu se personnalise, l’universel s’individualise.
 
Un même problème se pose à tous les esprits, mais chaque esprit peut trouver une
 
i. Dieu, figure sublime de ses créatures !
Dieu, vigne de nos désirs !
Dieu, chêne de nos espérances !
Dieu, résultat de nos volontés !
Dieu, synthèse de nos idées !
Dieu, nom parfait de la science humaine !
 
(Rôle de Magnas : litanies de Dieu.)
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solution particulière en accord parfait avec les données générales.
 
L’entière fortune de l’Art tient dans cet élémentaire article de foi. Qui n’y croit pas restera citoyen de l’assimilation ; qui ne le pratique pas s’émascule d’originalité, ne sera jamais un créateur.
 
Jusqu’à l’objet et le phénomène, centres de départ, tous les hommes, à quelques détails près, sentent identiquement, mais ensuite des rayons divers les mènent vers le circonférentiel domaine qui s’étend à l’infini (1) : panorama régnant autour de chaque chose, et d’une virginité sans cesse renouvelée. Cet intégral panorama qui plonge dans l’éternité et dont il est un pétale intégrant, le poète, dès qu’il y pénètre, s’en institue le premier occupant, le législateur, le roi.
 
1. Tout chemin mène à Dieu.
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Ce panorama, c’est Dieu qui l’offre, mais c’est l’individualité qui le provoque et le transforme à son goût. Est-ce assez dire qu’il émane de l’Éternité que nous portons en nous, absorbée, et que, à franc parler, nous ne faisons qu’objectiver notre amour de savoir ?
 
Le panorama dépendant d’une chose est marqué aux transitoires armes de l’individu tout le temps qu’y passe celui-ci. Notre esprit peut le défricher, le féconder, le moissonner comme il l’entend (1).
 
Les hommes sont copropriétaires de l’empire immanent, chacun est à son tour l’époux de la Beauté, époux certain d’une légitime descendance.
 
Que l’un après l’autre et dans les délais naturels plusieurs mâles fécondent la même femelle, chaque mâle en obtiendra un rejeton à son image.
 
1. L’Inconnu, seul vrai domaine de la création.
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Mon vœu premier fut, écartant le relatif, de dévisager l’absolu (1).
 
1. « Imagiuation du relatif », « luxe de la nature », ainsi fut une fois défini par mon changeant esprit l’Absolu qu’en plus je disais ultérieur aux contingences. J’ai encore pensé que la métaphysique est le songe de la physique, et j’ai aussi considéré l’idéalisme comme l’extraordinaire floraison du la matière. L’homme primitif aurait imaginé cet Absolu à la lumière des astres neufs, dans son épouvanté besoin d’accorder une cause sage aux phénomènes vagabonds. Pris au piège de sa fantaisie (telle une femme s’englue à son mensonge) l’homme s’efforcerait ensuite d’analyser l’invention qu’il ne se rappellerait avoir édifiée en des temps d’enfance ; par l’art, dès la civilisation, et passées les Deuf époques d’imagination, il veut enfin voir et toucher ses idées, connaître les hôtes-fils de son cerveau, admirer son rêve sculpté, jouir de la végéta
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Mainte fois, hélas I succomba ma hardiesse qui s’acharnait à préciser l’imprécis, à définir l’infini narquois derrière les vitraux du fini.
 
S’il advint que mon « roseau pensant » se complut aux superficialités de l’idole, c’est que les bagatelles de la morphe (1) parurent suffisantes au roseau de telle heure oisive, c’est encore que la prudence
 
tion luxuriante de sa belle folie. A ce compte l’homme apparaîtrait son propre parasite. L’homme vierge ayant la prescience de ses vertus et de ses vices futurs et suspendant lui-même sur son avenir l’espérance et le remords, la récompense et le supplice, serait-ce pas un fait de sagace vision, une politique de haute sauvegarde ? O cet immense code du mystère menaçant notre conscience avertie ! Et puis c’est si bon de se domer l’illusion de n’être pas seulement l’éphémère pèlerin des routes humaines et qu’on transfugera quelque jour dans un monde chimérique — devenu vrai, qui sait ?par la force séculaire do notre foi. Au surplus que le Mystère sorte de nous ou que nous sortions de lui, peu importe ! Il existe, et cela seul intéresse.
 
i. La forme est fleur, le fond est fruit [Cœcilian).
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conseillait au pâle pensant de s’en tenir au seuil de tel monstre.
 
Non pas que je récuse le service des matériaux affranchis et purs (1) !
 
Il sied de les fuir à la saison du rêve, mais, pour valoir, l’œuvre éxige que l’explorateur au faix léger d’abstractions revienne au clocher natal des éléments pour y acclimater ses captives après les avoir (cristallisant leur être d’absence en être de présence) affublées de vraisemblable vie, pour enfin s’acquitter de sa tâche qui est d’humaniser le surhumain, de possibiliser le divin, — bref d’organiser et de définitiver ici-bas la larve ravie à la
 
I. Le monde, galimatias d’une palette ou d’un chantier de construction : reste à faire l’édifice ou le tableau.
 
Les objets, lettres d’alphabet servant à rendre notre mystère compréhensible.
 
Les choses sont au poëte ce que les notes de musique sont au musicien.
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chrysalide obscure de l’éternité, et d’ainsi résoudre le miracle de l’œuvre.
 
La règle première du poète est de dématérialiser le sensible pour pénétrer l’intelligible et percevoir l’idée ; la règle seconde est, cette essence une fois connue, d’en immatérialiser, au gré de son idiosyncrasie (1), les concepts. Ce renouvellement intégral ou partiel de la face du monde caractérise l’œuvre du poëte : par laforme il s’affirme démiurge et davantag e, car par la ciselure dont il revêt l’or sublime le poète corrige Dieu.
 
{{astérisme}}
 
Osons le reconnaître, le « fini » infériorise.
 
1. Sortir l’idée de sa gangue et l’élucider. iMais, si on ne la retenait, l’idée s’envolerait ! Il est donc pru
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En vérité la fée Métaphysique s’accommode mal d’une chaîne de lignes, et la draperie matérielle avec laquelle nous la valabilisons amoindrit son initiale nudité. L’œuvre, même excellente, n’est que le souvenir imparfait d’un instant parfait ; toute création s’avoue nécessairement inférieure à la conception, entre celle-ci et celle-là se plaçant une regrettable période d’usure et d’oubli (1).
 
D’où il appert que se confiner dans la jouissante contemplation, ne point réaliser, serait la meilleure conduite et la plus sûre manière : le supergénie.
 
dent de lui jeter notre chasuble d’art sur les épaules ou de l’enclore en le globe de vitrail de notre]culte, tant pour lui concilier la faveur de l’homme au moyen de ces intermédiaires de facture humaine que pour garantir sa nudité des crachais d’un public impénitent et sauver de toute alarme sa pudeur exposée. [De l’Art Magnifique.) 1. La création est un diminutif de la conception.
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Qu’il suffise au poète de faire acte de génie !
 
Or le génie (1) ne s’avère que par le témoignage, c’est pourquoi le Dieu des Bonnes Gens comme preuve de son existence offre l’Univers.
 
Notre existence, poètes, est à lamerci de notre œuvre ; puisse-t-elle nous acquérir des siècles !
 
Par la forme elle a le privilège d’une durabilité profitable à tous (2).
 
(La charité condamne cette prétention de haut orgueil où l’égoïsme se complaît.’ A celui-ci de daigner le devoir d’ouvrier, nous réservai !t néanmoins le droit de
 
1. Certains nous font un grief de ce vocable employé couramment, je les renvoie sans plus à son étymologie.
 
2. La forme, la plastique, c’est l’œil, la joue, le sein, la cuisse, la chevelure, l’heure, l’âge, l’armoirie, le climat, la patrie, le cœur, l’âme, la vie de l’Idée. (De l’Art Magnifique.)
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narguer le monde des préjugés et d’engendrer selon notre conscience.)
 
Le poète continue Dieu, et la poésie n’est que le renouveau de l’archaïque pensée divine (1). Additionnées ces paroles aux déjà dites, on obtient : tout poète nouveau est une nouvelle édition corrigée et augmentée de Dieu. Les Renaissances sont les apothéoses de l’Idée parmi les contingences, ce sont les sources de jouvence où se retrempe la Beauté souillée par nos tares et nos apostasies. Je le répète : au poète de condescendre ! Si moindrement que soit réalisée la pensée, cette réalisation sera touiours supérieure à la réalité (2). Il aura donc fait mieux, en tout cas il aura fait soi : ce qui est le propre de îa divinité.
 
1. Les poètes, étalons de la race divine. {Lazare).
 
2. J’entinds la réalité vaine que conçoit la foule ; ne pas la confondre avec la réalité suprême de l’Idée.
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Et qu’à l’avenir soient reniés les avortons des conventionnaires dynasties du lâche panurgisme ! faisons des enfants avec la vérité, directement.
 
C’est de la vie nouvelle que produit le poète, chaque effort de son individualité vaut une jeune étincelle à la vieille terre qui se refroidit.
 
La poésie est, de par elle-même, l’action première, et tout le reste estcomptabilité. Bien plus, le poète signifie le véritable, l’unique vivant, — les autres ni sont que des cadavres grimés de vie.
 
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Je m’arrêterais si le scrupule d’avoir offensé les Choses ne m’obligeait à leur faire une amende honorable.
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N’ai-jepas du moins l’atténuant repentir anticipé de les avoir mieux traitées en d’autres occurrences ?
 
Et n’est-ce pas le mérite du poète de posséder une âme multiple, protéenne, d’envisager diversement, selon l’angle de l’occasion, de varier aussi fréquemment que la mer et que la femme, d’être le héros des sept couleurs de l’arc-en-ciel ?
 
Toutes les opinions éparses m’habitent tour à tour, auberge sur la route de la vie. Je m’avoue légion comme les religions et les hérésies, et volontiers je laisse à l’âne des Sorbonnes les têtus panonceaux de son immuable opinion. Convaincu de ma faillibilité, je me trahis le plus souvent possible : c’est encore le meilleur moyen d’effleurer une fois, et sans le savoir peutêtre, la matrice glorieuse de la Beauté.
 
Susceptible du faîte comme de l’abîme, passible de la palme et du billot, sorte de
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bouc émissaire sur qui sont allés toutes les vertus et tous les vices du monde, le poète figure Fentière humanité dans un seul homme : synthèse humaine que ce centre de l’éternité. (1)
 
Aussi bien, Choses, de la miséricorde !
 
O mes presque victimes d’aujourd’hui, rappelez-vous les fleurs passées de votre bourreau,,Choses qui, un matin de naïve foi, me parûtes des pensées tombées de l’Intelligence à l’aube originelle et solidifiées par les époques ?
 
Une autre fois je vous crus formées des reliques de tous les morts des âges révolus : fleurs-yeux, fruits-cœurs, terrescendres, pierres-crânes, montagnes-osselets…
 
Puis vous m’avez semblé des tout allu
 
1. Le Théâtre est l’entière manifestation d’art, — Protée,ce miroir prismatique, y pouvant agir sous toutes ses facettes.
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viens construits avec d’innombrables n’en apportés par une myriade de nécessités en gésine, — alors je songeais aux nids d’hirondelles si solides et pourtant accomplis avec des becquées.
 
Hier ne disais-je pas ?
 
— Chaque massivité sensible est l’agrégat d’un nombreux désir humain ou bien la cristallisation d’une intention de Dieu.
 
O Choses : corolles closes sur les essences,
 
O Choses : branches drapées sur les festins,
 
O Choses : agrafes de cil sur les lumières,
 
O Choses : murailles dressées devant les vestales d’harmonie,
 
O Choses : toiles baissées devant les gestes nus,
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O Choses : pierres tumulaires des fantômes d’éternité (1),
 
O Choses : éphémères palais des héros immanents
 
O Choses : étables hospitalières aux caravanes de mystère,
 
O Choses jeunes, vieilles, petites, grandes, minces, grosses, légères, lourdesr opaques, diaphanes, terrestres, aériennes, marines, mâles, femelles, saintes, profanes, laides, belles, douces, terribles,. — pardonnez au poète qui parmi vous passa ravi, ô Choses, et recevez l’encens, la myrrhe et l’or de sa reconnaissance !
 
Les Reposoirs De La Procession.
 
Les livres relevant de ce titre collectif
 
1. L’univers est la pierre tumulaire du fantôme de l’Eternité (Cœciliari).
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/50]]==
réunissent les tablettes où sont consignées les variées impressions de la route étrange (1).
 
Sorte de Mémoires des sens, du cœur et de l’esprit, ces miscellanées sans date où j’ai commenté l’intimité de Dieu, les mobiles des spectacles inertes et les drames de la chair et de l’àme.
 
J’espère, dores et déjà, qu’on pardonnera à certaines confessions leur sincérité.
 
La louable ambition du poète est defaire œuvre de dieu par le front mais on ne peut le mépriser de rester homme par le pied.
 
1. Le seul ordre donné à ces courtes exégèses est celui de la journée. Chaque tome commence avec l’aube, suit le cours du soleil et s’achève aux étoiles, que ce soleil et ces étoiles soient apparents ou suggérés par la couleur des pages : témoin ce tome I dont les Coqs (sages-femmes de la lumière) sont l’alpha et le Paon (firmament en miniature) l’oméga.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/51]]==
 
Ma récompense serait que cette orchestration de litanies et de lamentations, d’heurs et de tourments, d’humilités et d’orgueils, de réticences et d’aveux, mît en clair relief mon âme, — ma pauvre âme inquiète de meilleur.
 
S-P-R.
 
Juin 1893.
 
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/53]]==
 
Amitié : muraille qui s’écroule devant une fanfare de coqs ! girouette obéissant au moindre vent de deniers qui passe !
 
Les Saisons Humaines.
 
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/54]]==
 
COQS
 
Le val s’éclaire de reniements de saint Pierre.
 
Dans l’aube mauve, parmi ces coqs cambrés sur les brancards et les charrues des cours ainsi que des tambours-majors
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/55]]==
sur des affûts de forts, je songe à la victime que je fus de la Crèche à Jérusalem.
 
Le val s’éclaire de reniements de saint Pierre.
 
A ma bouche, sevrée des mamelles de Nazareth et des margelles de Galilée, revient le goût des éponges de fiel : l’âme perse de mes familiers, l’apostasie discipulaire, l’ingrate digestion de mes pains multipliés, la grimace des mains de qui j’avais sorti la ronce, et la fleur feinte que tant de fois mes dents cueillirent sur la joue peinte de l’amante à l’œil grand comme un judas.
 
Le val s’éclaire de reniements de saint Pierre.
 
Mais dans l’aube mauve, parmi ces coqs
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/56]]==
cambrés sur les brancards et les charrues des cours ainsi que des tambours-majors sur des affûts de forts, je songe encore au bourreau que je fus de la Crèche à Jérusalem.
 
Le val s’éclaire de reniements de saint Pierre.
 
En le musée d’horreurs de ma mémoire se réveillent alors mes matinées de miel fiancées à mes soirs d’aiguillon, les vipères nouées sous mon hôte rêvant de brebis et de poules, mes tiares de renégat, et l’épine que ma lèvre frivole tant de fois insinua dans la joue fidèle de l’amante aux yeux grands comme deux hirondelles.
 
Le val s’éclaire de reniements de saint Pierre.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/58]]==
 
LA
 
MÉSAVENTURE DES YEUX
 
A Charles Gillet.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/60]]==
 
LA
 
MÉSAVENTURE DES YEUX
 
Nos Yeux, tant riche était leur joie, rivalisaient de merveille avec les Joyaux de la Couronne.
 
— Je te vois bel et pur ! Gazouillaient les siens.
 
— Je te vois pure et belle !
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/61]]==
 
Roucoulaient les miens.
 
Chaque soir l’appréhension d’en être réduits au mouton-qui-aboie par le geste larron d’une intruse à nos menues paupières nous invitait à dessertir ces Yeux pour les confier,dans une aiguière de rosée, aux sept serrures d’un bahut semblable sur ses pieds au dragon des légendes.
 
Dès le réveil, tous les deux nous sautions vers leur délivrance, et l’aurore s’embellissait du feu d’artifice de nos premiers regards.
 
Hélas ! un matin la hâte de nous voir beaux et purs brouilla la vendange de nos doigts..
 
Elle prit mes Yeux.
 
Je pris ses Yeux.
 
A. peine nous fûmes-nous face à face aperçus qu’un invisible ressort jouant entre nos poitrines nous projeta contre les cloisons de la chambre.
 
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/62]]==
 
— Je te vois laide et impure !
 
— Je te vois impur et laid !
Balbutiàmes-nous, stupides.
 
Nos fronts s’inclinèrent comme des coquelicots sur qui s’abat un lourd papillon, ce lendemain de chenille en tenue de bal.
 
Le charme gisait entre nous, œuf d’or rompu, tandis que, déjà sur le tapis, le poussin de vérité venait picoter nos chevilles.
 
J’avais vu en elle par ses Yeux.
 
Par mes Yeux elle avait vu en moi.
 
Eventé, le mensonge prudent !
 
Un rire de tant pis nous essaya les coins de lèvre, mais pour la forme, car on était foncièrement marri d’une telle déconvenue !
 
L’ôter des Yeux d’emprunt nous fit un instant pareils à deux aveugles sur les mains desquels une amène princesse aurait laissé pleurer sa dynastie.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/63]]==
 
Nous nous tendîmes nos respectifs, non sans avoir eu la tentation grotesque de jeter ces traîtres dans ie vase.
 
Puis un salut de cérémonie nous courba l’échine, — et l’on se dispersa, elle vers l’Occident, moi vers l’Orient.
 
Ainsi finit le menuet de nos amours superficielles.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/64]]==
 
LEVER DE SOLEIL
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/66]]==
 
LEVER DE SOLEIL
 
La Joue splendide émerge des mousselines d’aubépine.
 
— Charitable Epanoui manifesté par uniment ceci de rose, teserai-je, au cours de ta ronde quotidienne, te serai-je par
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/67]]==
mon faire indigne ou par mon faire sage, te serai-je une caresse ou te serai-je le soufflet, Soleil, et t’attarderas-tu devant mon menu geste-à-baisers de Josué charmant ou bien acculerai-je ta pudeur derrière les immenses nénuphars du ciel jusqu’à l’heure de saigner sur les coquilles exileuses de la mer ?
 
La Joue splendide émerge des mousse lines d’aubépine.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/68]]==
 
LE PÈLERINAGE
 
DE SAINTE-ANNE
 
''A Mme Sarah Bernhardt.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/70]]==
 
LE PÈLERINAGE
 
DE SAINTE-ANNE
 
Les cinq Gars de faïence, à la peau de falaise, aux yeux couleur d’océan qui s’apaise, vont, bras dessus, vers la chapelle peinte où, vieillement jolie, sourit la bonne Sainte.
 
Mises dimanchement, emparfumées de
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/71]]==
marjolaine, bras dessous les accompagnent les cinq Promises de porcelaine mignonnes comme des joujoux et dont la joue rayonne ainsi qu’une pomme d’api, — car ils reviennent des baleines, des lugubres baleines aux vilaines bouches, les salubres marins destinés à leurs couches.
 
Donc la guirlande juvénile vers SainteAnne marche, à travers la lande puérile, les lins et les moulins, les ruches, le blé noir, les meules, les manoirs, les clochers de pain bis, les vaches, les brebis, et les chèvres bêlant à la manière des aïeules.
 
Et, l’âme vive, l’on arrive à la chapelle peinte où, vieillemment jolie, sourit la bonne Sainte.
 
Viennent offrir, les fils des vagues, leur offrande viennent offrir à la Marraine aux fins yeux d’algue, à la Marraine des marins, qui, les sauvant des loups gloutons du vent noroît, guida leurs grands
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/72]]==
moutons de bois vers le bercail de Cornouailles.
 
Et les voici cherchant au tréfonds de leurs poches, sous le bonjour des cloches, et les voici cherchant le Cœur d’or ou d’argent juré devant Fécueil qui peinturlure en deuil les femmes de futaine allant pleurer à la fontaine…
 
Et les voilà cherchant le Cœur d’or ou d’argent, cependant que sur l’herbe et la mousse, lassées par la route, elles s’étendent toutes, les douces fiancées aux longs cheveux de gerbe.
 
Mais ils ne trouvent dans leurs poches, sous le bonjour des cloches, ne trouvent que des sous, du corail, de l’amadou, puis des médailles ; les Cœurs d’or ou d’argent nullement.
 
Surpris, et pâles plus que des surplis, aussitôt ils comprennent qu’ils oublièrent au village l’ex-voto.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/73]]==
 
Lors pleurent les marins, dociles pèlerins, qui point ne veulent faire veuve des cadeaux la Sainte aux fins yeux d’algue envoyant des radeaux aux voyages fragiles, — tant on devient pieux d’aller par la mer bleue sous la superbe croix du mât et de la vergue !
 
Dans la brise, tout bas, déjà dorment les Promises de porcelaine emparfumées de marjolaine.
 
{{astérisme}}
 
Tout à coup, dressant le cou, les cinq Gars de faïence tirent de leur ceinture cinq couteaux plus brillants que cinq sardines de Lorient et se dirigent, sur l’orteil, vers les cinq vierges en sommeil.
 
Les oreilles d’icelles, emmi les tresses
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/74]]==
blondes, semblent des coquillages dans le sable de l’onde.
 
Comme pour faire des folies, les cinq Gars s’agenouillent devant les Jolies rêvant sur l’herbe verte ainsi qu’est verte une grenouille.
 
Lorsqu’à défait chaque jeune homme corsage et corselet où rient deux pommes de Quimperlé, voici qu’en les poitrines vives ils font d’un geste preste, avec des yeux de chandelier, font s’enfoncer les sardines d’acier.
 
Giclant soudain, du rose arrose la frimousse des anciens mousses. On dirait qu’un rosier de forge les pavoise d’un reflet, ou qu’ils mangèrent, jusqu’à la gorge et le gosier, des mûres et des framboises.
 
Leurs mains plongent enfin dans les poitrines belles et retirent cinq Cœurs, cinq Cœurs battant de l’aile.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/75]]==
 
Dans la brise, toujours dorment les Promises de porcelaine emparfumées de marjolaine.
 
Ensuite, ayant cousu les chairs — avec le fil du baiser cher en l’aiguille des dents — et refermé corsages corselets où rient deux pommes de Quimperlé, les cinq Gars de faïence entrent dans la chapelle peinte offrir les Cœurs, les Cœurs battant del’aile, à la Sainte aux fins yeux d’algue qui. les sauvant des loups gloutons du vent noroît, guida leurs grands moutons de bois vers le bercail de Cornouailles.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/76]]==
 
{{astérisme}}
 
Hélas ! quand ils sortirent devers la mousse et l’herbe, plus ne virent leurs Douces aux longs cheveux de gerbe.
 
Toutes là-bas partaient, partaient parmi la route qui, blanche, se déroule jusqu’au village où l’on roucoule. 4
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/77]]==
 
Eux les appellent par leurs noms : Yvonne, Marthe, Marion, Naïc et Madeleine !
 
Mais point ne se tournent les belles, Yvonne, Marthe, Marion, Naïc et Madeleine ; et les vilaines au loin s’en vont.
 
Si loin que leur coiflelette, d’abord aile de mouette, devient aile de papillon, puis flocon de neige fondu par l’horizon…
 
Tombent alors en défaillance les cinq Gars de faïence tandis que disparaissent ies cinq Promises de porcelaine emparfumécs de marjolaine.
 
De cœur n’ayant plus, elles n’aimaient plus : Yvonne, Marthe, Marion, Naïc et Madeleine.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/78]]==
 
L’AME SAISISSABLE
 
''A Henri de Régnier.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/79]]==
 
Le poëte abrite une Grande Dame : son Ame !
 
(Mercure de France.)
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/80]]==
 
L’AME SAISISSABLE
 
Sous les tuiles sanguinolentes du Marché de mon bourg— pyramidale carapace que supportent quatre piliers chamarrés d’oignons, d’ails et de foulards criards — un Saltimbanque érigea ses Tréteaux .
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/81]]==
 
Au fond, à gauche, à droite du haut sol de planches que fouleront les Bizarres bariolés comme des oiseaux précieux ou des batraciens magiques, une toile enfantinement peinte s’éploie, sur laquelle : une Princesse Naine épousant un Roi Géant ; un Explorateur en houppelande bleu barbeau, et sous le bras un jaune parapluie, englouti par un crocodile couleur d’herbe tendre ; un Peau-Rouge qui se débat dans la colique abominable d’un reptile aux écailles d’huîtres, et autres parodies d’épouvante.
 
Devant l’estrade, deux musiciens déments. L’un tape à coups redoublés sur un âne métamorphosé en tambour, l’autre, m’évoquant une dérisoire caricature de Saint Jean Chrysostôme, avance et ramène de grandes lèvres de cuivre : une sonore grêle de rayons de soleil méridional dégringole du métallique pavillon, et ce
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trombone qui brait complémentc le tambour.
 
Maintenant, sur les pierres réelles, un troupeau de Simples en blouse, figés dans l’extase, sans haleine, avec le cœur qui caprique à s’esquiver par l’ombreux losange de la bouche, contemple les bateleurs afficher leur fantastique besogne aux cabrioles éblouissantes…
 
Je me pris à penser que ces manifestations extraordinaires, les Simples les devaient [chérir comme étant sans doute l’estampe finie de l’infini, la géométrie visible de l’invisible, la pantomime perceptible du mystère, l’approvisionnement des hiéroglyphes, la démonstration présumable ou suggestive des théorèmes rebelles à leurs malingres cervelles, autrement dit le spectacle à prix facile des
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difficultés à acquérir, la dive Thulé du rêve superficiellement et vite mise à la merci du profane, l’impossible entrevu, l’au-delà cadastré, l’absolu monétisé ;’ j’en vins à inférer que la foule se délectait devant la fatigue évidemment douloureuse des jongleurs et des gymnasiarques devenue le repos final et la joie de son être n’ayant, pour sa propre et victorieuse satisfaction, qu’à regarder superficiellement. Puis :
 
— « Ces Simples, clos en le vallon du contingent parmi la même heure de leur banale vie, ronronnai-je, ces habitants du présent transitoire ne peuvent décemment goûter les fruits de ma raison point assez de leur âge puisqu’elle participe de toujours, vassale à la fois de l’avenir et du passé ; vigile et lendemain féconds du moment aride. Les yeux et les oreilles
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uniques de leurs corps frôlent béants, sans la voir ni l’entendre, mon énigme seulement accessible aux capables sens d’un esprit subtil, dévotieux et servi par cette fiancée du génie, la compréhension. Que si même je tentais de l’inviter à me connaître, certes la multitude éviterait ma lèpre divine. Il appert donc que la Charité, légitime clarté du poète, si douce au passant qui devine la désintéressée vertu de l’aumône,épouvante le philistin lâchement fier, l’oeil de la peur voyant rugir un sac de charbons où sourit un sac de diamants. L’annonciateur de bonne nouvelle inspire la défiance aux prisonniers des dogmes coutumiers, et ce sage paraît malin, hideux, illogique : un fantôme ! »
 
Sur l’estrade goguenardait un paillasse. Le clavecin de sa frimousse exprimait la gamme des grimaces ; l’histrionne bouche
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s’étoilait en cul de poule ou bien se cornait jusqu’aux oreilles, de telles mamanières que les Simples, maquillés par le graduel arc-en-ciel du rire, virevoltaient dans l’ouragan des singeries.
 
A part moi, je continuai :
 
— « L’incompris, somme toute, est l’ennemi. Raisons raisonnables un peu, vraiment, car nous sommes, eux l’immédiate patrie, moi l’exil. A chaque abord je leur figure celui qui revient d’une terre surnaturelle, masqué d’un idiome surhumain ; aussi ma bonne nouvelle se stérilise-t-elle sur leurs sables inhospitaliers : je suis la Voix, mais ils sont le Désert. »
 
Agilant à travers le vide, une danseuse de cordes à la mise de libellule faisait maintenant aboyer d’émerveillement les mains calleuses, — quand une lumière
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prompte me traversa, glaive inspirateur !
 
J’avais trouvé le terrain de traduction sur lequel on pourrait s’entendre.
 
M’allant réfugier sous les Tréteaux, dans une obscurité propice aux enchantements, j’enjoignis, avec l’impérieuse volonté d’un dieu, j’enjoignis à mon Ame d’apparaître, — d’être.
 
Soudain jaillit de ma tour d’argile une Fille fabuleuse !
 
Ma sagesse lui tenait lieu de Beauté, mes passions vivifiaient de Vérité sa forme ; et si parfaite était la statue vivante que je la crus chaussée d’écume amère.
 
Vite je l’entraînai derrière la toile enfantinement peinte. Un costume émanant, aurore de tulle, d’une malle entrouverte, j’en revêtis mon Ame. puis je jetai la psyché, comme une poignée de fortune, sur les planches libres.
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A son apparition, l’exclamation de la foule fut un silence formidable.
 
Alors mon Ame, par un jeu d’une séraphique prestesse, par des tours en quelque sorte résolus avec des membres de brise, se traduit, se définit, se révèle aux yeux des Simples pantelant devant l’adamantine saltation comme s’ils avaient été subitement penchés sur un puits de trésors.
 
C’est (de par l’héréditaire et commun trucheman, le Signe, à la portée des intelligences brèves) un kaléidoscope où, dans une interprétation fidèle, l’essence se formule, la transcendance s’accessibilise, l’abîme se praticabilise, les idées se figurativent. Chaque pirouette, chaque arabesque massive est l’équivalence exotérique de l’ésotérisme translaté ; chaque geste, ainsi que tracé par la blanche craie
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sur l’ardoise noire, est le relief adéquat et spontané d’une abstraction ; et cela fait songer à l’Idée Première que divulguera l’alphabet, tôt ou tard déchiffré, des étoiles intermédiaires. En un clin d’œil, mille aigles de vent métaphysique sont retenus, englués par le gel du formel dessin aux lignes miraculeuses.
 
Ainsi mon Ame difficile, à travers cette trame de phénomènes faciles, se vulgarise sous l’artifice d’une transposition familière aux Simples dont tout l’être ensorcelé se tient, attentif, au seuil des cils ; et, moyennant ce commentaire à l’usage de leur compréhension relative, voilà qu’ils déclarent axiome charitable et nécessaire ma nature auparavant négligeable et proscrite.
 
Tel est le succès que, cette Ame honnie de toute la brutalité de leur ignorance, les Simples à présent la désirent et pieusement
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la glorifient comme une Favorite Impériale qui serait aussi la Sainte Vierge ; de chaque spectateur essorent d’admiratives fleurs à tiges longues allant caresser et bénir la prestigieuse. Les mains rudes ont des louanges de cymbales tandis que, sur l’estrade, la psyché souple effeuille son algèbre révélatrice…
 
Enfin les Simples clamèrent, ivres de génuflexions :
 
— « Assez, de grâce, Fille rare !… Déjà nous titubons, et tant ardent est notre enthousiasme qu’il va nous consumer si ne cessent tes merveilles !… »
 
Exorable, mon Ame salua la multitude en délire et, munie d’une assiette de faïence, elle descendit faire l’ordinaire quête avec l’idée matérielle d’évaluer son apothéose.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/90]]==
 
Or, alin de suffisamment défrayer l’Icône, afin aussi de ne rien plus voir désormais, les Simples déscnchâssèrent leurs yeux et bellement les mirent dans l’assiette tendue.
 
Puis, à la merci des bâtons, les Simples s’éparpillèrent, — ma Vision dans leur mémoire.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/92]]==
 
SUR UN RUISSELET
 
QUI PASSE DANS LA LUZERNE
 
''A Francis Viele-Griffin.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/94]]==
 
SUR UN RUISSELET
 
QUI PASSE DANS LA LUZERNE
 
O l’Onde qui file et glisse, vive,
naive, lisse !
 
Parmi les Prairies du Songe, des Filles se révèlent, parfois, la chevelure telle. Ce Ruisselet, parvule et frais, sans
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/95]]==
doute est un lézard de désirs purs… épanoui lézard qu’une étincelle d’œil ferait s’évanouir ?
 
Sur le silence des ongles inférieurs, noyé dans ce saule propice, admirons la Pèlerine de la langue et de la racine qui s’achemine en la luzerne.
 
Oh ! cela coule sur des cailloux, arrondis par l’obséquieuse politesse, suggérant les chauves jabotés sans leur perruque printanière.
 
L’azur inclus est, n’est-ce point ? la perceptible remembrance des prunelles nymphales qui s’y séduisirent.
 
Admirons sans s’y mirer, et de loinsourions, de peur d’effaroucher…
 
Combien joli de sourire à du rire qui glisse ainsi que des larmes divines de martyres fines !
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/96]]==
 
Je me pris à prier comme devant une Statue-de-Ia-Vierge en fusion :
 
— « Onde vraie,
Onde première,
Onde candide,
Onde lys et cygnes,
Onde sueur de l’ombre,
Onde baudrier de la prairie,
Onde innocence qui passe,
Onde lingot de firmament,
Onde litanies de matinée,
Onde choyée des vasques,
Onde chérie par l’aiguière,
Onde amante des jarres,
Onde en vue du baptême,
Onde pour les statues à socle,
Onde psyché des âmes diaphanes,
Onde pourles orteils des fées,
Onde pour les chevilles des mendiantes
Onde pour les plumes des anges,
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/97]]==
Onde pour l’exil des idées,
Onde bébé des pluies d’avril,
Onde petite fille à la poupée,
Onde fiancée perlant sa missive,
Onde carmélite aux pieds du crucifix,
Onde avarice à la confesse,
Onde superbe lance des croisades,
Onde émanée d’une cloche tacite,
Onde humilité de la cime,
Onde éloquence des mamelles de pierre,
Onde argenterie des tiroirs du vallon,
Onde banderole du vitrail rustique,
Onde écharpe que gagne la fatigue,
Onde, palme et rosaire des yeux,
Onde en vacances des ruches sans épines,
Onde versée par les charités simples,
Onde rosée des étoiles qui clignent,
Onde] pipi de la lune-aux-mousselines,
Onde jouissance du soleil-en-roue-de-paon,
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/98]]==
Onde analogue aux voix des aimées sous le marbre,
Onde qui bellement parais une brise solide,
Onde pareille à des baisers visibles se courant après,
Onde que l’on dirait du sang de Paradis-les-Ailes,
Je te salue de l’Elseneur de mes Péchés ! »
 
Ce Ruisselet, j’ai su depuis, était mon Souvenir-du-premier-àge.
 
O l’Onde qui file et glisse, vive, naïve, lisse !
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/100]]==
 
L’AUTOPSIE
 
DE LA VIEILLE FILLE
 
''A Emile Bergerat.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/102]]==
 
L’AUTOPSIE
 
DE LA VIEILLE FILLE
 
Sur le marbre gisait le corps vieil et de cire : on eût dit une âme solide, perceptible.
 
Autour goguenardaient trois Carabins, la pipe en la mâchoire, avec un air de tribunal décisif et final.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/103]]==
 
— O la voisine de l’église aux doigts jardiniers du missel !… ô la chèvrelille aux lins de nonne et coiffes de vallée !… ô la parleuse en feuilles mortes dans la brise !… ô la pucelle sans chemise !…
 
On allait voir : si c’était vrai !
 
Et les Impies écartent ainsi que les aiguilles d’un compas, voulant se rendre compte, écartent les deux jambes du corps vieil et de cire…
 
L’oiseau N’avait Pas Fait Son Nid.
 
Déçus, les Carabins jettent ce chant de coq :
 
— Cela ne prouve rien, sinon la peur de la bedaine puis du péché-qui-tette, ou que, prudente et sagace gourmande, la tartufe hantait le désir pers aux persiennes closes !… Mais nous allons savoir !
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/104]]==
 
Les voilà qui décident la subtile autopsie — des Sens, en quelque sorte.
 
Eparpillant un zézaiement d’insectes crépusculaires, d’invisibles aciers — fines langues d’aspics — aussitôt conjugent le cadavre.
 
D’incrédules valses essoraient, en caragol, des pipes : fumées narquoises à la façon des moustaches qu’on frise.
 
{{astérisme}}
 
Ses Pieds dévoilèrent des pèlerinages vers la naïve colline où la Firmamentale inspira, sous le sceau de son orteil fugitif, un bouquet d’eau consolatrice. La caresse fréquente et capricante d’un rosaire et divers touchers d’objets bénits émanèrent des Mains.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/105]]==
 
En ses Narines furent prises des senteurs d’encens, d’aubépines, de cierges, d’herbes sépulchrales, d’os précieux enfouis dans les cercueils de verre.
 
Derrière ses Dents pures, on trouva des saveurs d’hosties, de poissons à chair blanche, d’oeufs, ainsi que l’abstinence de vins et de friandises.
 
Les deux Yeux produisirent, sous forme de banderoles diaphanes, des regards exprimant les cérémonies aux chasubles arcencélestes, des processions aux bannières laudatives, et telles visions miséricordieuses où llorissent une Vierge avec des lys, un Saint Pierre avec des clefs, un Poupon grandiose emmailloté dans l’haleine primitive d’un âne.
 
Les Oreilles livrèrent maints sonores
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/106]]==
lingots d’angélus, de préceptes en chaire, d’orgues et de louanges. Mais aussi, lointainement, comme à peine écoutés, ces mots jà vieux de cinquante ans, meis las ! inutiles d’un fier pâtre qui passa, nubile, sous l’innocente et candide fenêtre, un matin : « Madelon-Madeleine, humblement je vous aime ; prenez le pâtre et ses moutons, si vous m’aimez comme je t’aime ! »
 
{{astérisme}}
 
Afin d’aller jusques au Cœur, fut déclose la poitrine tant grignotée par les quenottes du cilice.
 
Il en jaillit un parfum de presbytère.
 
Puis le Cœur apparut, transpercé, de sept glaives comme Celui de la Dolorosa.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/107]]==
 
Alors on s’agenouilla, révérencieusement, parmi les pipes tombées des mâchoires. — et trois signes de croix, faits par trois mains rouges sur les trois tabliers blancs des Carabins, ressuscitèrent vaguement trois Chevaliers de Malte…
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/108]]==
 
FRAPPEZ
 
ET L’ON VOUS OUVRIRA
 
''A François Coulon.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/111]]==
 
J’allais…
 
Je m’arrêtai devant une porte, la porte d’une chambre, dans un logis, en une ville, que je ne saurais retrouver, ni la ville, ni le logis, ni la chambre^ni la porte.
 
— La chambre est vide, et personne jamais n’y demeura.
 
M’avait dit, à la première marche de l’escalier, un nain si parvule que j’étais comme aveugle le bref instant de sa phrase.
 
Je frappe.
Toc…
Rien !
Toc toc…
Rien encore !
J’insiste.
 
Toujours le silence.
 
Elle doit être là pourtant, protestai-je,
puisque je suis venu.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/112]]==
 
Sinon serais-je venu, moi qui ne vais nulle part ?
 
Je suis certain qu’elle est derrière cette porte.
 
Qui donc ?
 
Elle, encore une fois ! Mon attente me paraît exorbitante à la fin.
 
Je m’acharne.
Toc toc toc…
 
Cela fait un vacarme à réveiller le néant.
Toc toc toc toc…
 
Impatient, je regarde par le nombril de fer de la porte.
 
Au milieu de la chambre, une petite fille…
 
Toute nue…
 
Lui fallut-il pas le temps de naître ?
J’eus tort de m’irriter.
J’espionne derechef.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/113]]==
 
D’un regard à l’autre la voici demoiselle déjà.
 
Lui fallait-il pas le temps de grandir ?
 
Toute nue toujours, et que jolie !
 
Si je n’appréhendais d’abuser, discrètement je frapperais.
 
Mais lui faut-il pas le temps de se vêtir ?
 
Attendons encore l’espace d’un coup d’oeil.
 
Une chemise, blanche comme un lange, à présent la couvre.
 
Risquons un appel timide.
Toc…
 
Eh laissons-lui le loisir de se blottir en la tulipe d’une robe ! Enfin !
 
Dieu, la belle dame !
 
Le moment est propice.
 
Toc toc…
 
La porte s’ouvre.
 
J’entre.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/114]]==
 
LA
 
RELIGION DU TOURNESOL
 
''A Antoine de la Rochefoucauld.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/115]]==
 
Soleil, roi de l’Obole !
(Paroles de Magnus.)
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/116]]==
 
LA
 
RELIGION DU TOURNESOL
 
Tout à virer d’après le soleil qu’ancillairementil admirait, jamais ce Tournesol, fervent comme un coup d’encensoir lige en l’air, n’avait daigné m’a’percevoir, malgré ma cour de chaque heure et de chaque sorte.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/117]]==
 
Œil du Gange en accordailles avec le nombril du Firmament, la fleur guèbre ne voulait se distraire de son absolue contemplation .
 
L’indifférence de cet héliotrope me rendit jaloux de l’astre.
 
Naine au début tant que superficielle fille de ma vanité, cette jalousie, foncière dès qu’adoptée par ma raison, prit désormais une envergure énorme.
 
Mes moindres appétits de rival convergèrent vers ce mystérieux pétale à conquérir : un regard de la fleur.
 
Pour une telle victoire je mis au vent, l’un après l’autre, tous les moyens de stratégie possibles.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/118]]==
 
{{astérisme}}
 
Vêtu d’étoffes somptueuses, comme taillées dans un songe de poète pauvre, une grappe adamantine à chaque oreille, les phalanges corselées de bagues, pontife de l’idée sous la tiare ou prince de la matière sous le diadème, j’allai promener autour
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/119]]==
de la fleur ma braverie de guêpe hu mai ne.
 
Le Tournesol ne me regarda mie.
 
Longtemps je m’appliquai à parfaire ma force ainsi que ma beauté, conjuguant la course, le bain, les poids, luttant avec la corne ou la crinière ou le chef-d’œuvre ; une fois très fort et très beau je vins, un essaim de vierges pâmées à mes flancs, produire à l’œil incorruptible de l’inexorable idole le verger de ma forme.
 
Le Tournesol ne me regarda mie.
 
Jugeant nécessaire de joindre à l’argument du corps celui de l’âme, je lavai dans mes vagues de repentir le corbeau prisonnier en ma personne puis on me vit parader
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/120]]==
devant la spéculative avec un roucoulement de colombe aux lèvres.
 
Le Tournesol ne me regarda mie.
 
Traversé de la baroque hypothèse que cet œil pouvait n’être qu’une extraordinaire oreille de curiosité, je m’environnai de harpes, de violes, de buccins, et, comme au mitan d’un harmonieux brasier, je m’avançai saluer d’une strophe divine l’inflexible.
 
Le Tournesol ne me regarda mie.
 
Sa rude margelle en guise de pupitre, je m’abreuvai si bien à tous les seaux jaillis de la Science que les pygmalions copièrent ma renommée et que les édiles votèrent d’épaisses semelles de granit à mes statues sollicitées par les forums.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/121]]==
 
Le Tournesol ne me regarda mie.
 
Espérant décisif le moyen de patrie, je fondis sur la multitude étrangère, saccageai ses lois, brisai ses symboles, brûlai ses bibliothèques, pour finalement m’asseoir sur le trône du roi vaincu dont la langue coutumière de l’ambroisie léchait mes orteils d’apothéose.
 
Le Tournesol ne me regarda mie.
 
Si la fleur était simplement quelque étrange malsaine ? complotai-jeun jour d’exaspérée lassitude, — et vite d’assassiner une très vieille femme en train d’éplucher des carottes.
 
Le Tournesol ne me regarda mie.
 
Découragé, rageusement j’imaginais des
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/122]]==
combinaisons, inutiles d’avance, — lorsque passèrent sur la route trois Mendiants…
 
Évangélique, je m’avance.
 
— Je suis la Semaille.
 
Dit le premier aux membres de terre et cheveux de fumier.
 
Je baisai ses cicatrices, desquelles soudainement vagit un avril d’arc-cn-ciel.
 
— Je suis le Chagrin.
 
Dit le second drapé de feuilles mortes.
 
Je l’enchantai d’espoir, à telles enseignes que sa bouche verdâtre s’ouvrit en grenade et montra des grains de rire.
 
— Je suis la Vieillesse.
 
Dit le troisième couleur de givre et de faiblesse.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/123]]==
 
Je jetai mon manteau sur ses épaules, lui cueillis un sceptre de houx dans la lande et lui remis les fruits jolis de ma besace avec le sang rose de ma gourde, si bien qu’il partit la jambe gaillarde et les pommettes riches.
 
Alors, me prenant sans doute pour le soieil, le Tournesol tourna vers moi son admiration, — et dans cet œil je m’aperçus tout en lumière et tout en gloire.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/124]]==
 
LE TRÉPAS DU PUITS
 
''A Remy de Gourmont.''
 
 
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/126]]==
 
LE TRÉPAS DU PUITS
 
Moulin ruineux qui serait dans le sol. Haillons de lichens ; margelle usée par les cruches qui s’y posèrent, poules d’argile ; un rien de corde pend à la poulie, tresse défaite…
 
Chérissant les puits — car ils doivent
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/127]]==
être, dans l’existence des Choses, les mères consolatrices—je me penchai pour interroger son âme. On l’avait bue.
 
Quelques gouttes à peine, très au fond, comme en un creux de main : constellation lointaine au bout d’une lunette d’astrologue, ou bien caresse au sein d’une mémoire.
 
J’eus pitié de cette carcasse où ne palpitait plus qu’un joyau frêle à vivre, et me pris à songer à ses oboles de fraîcheur.’
 
O l’eau : vif désir des blonds déserts ! Absolution de la soif, miniature de l’Enfer !
 
Vieillissant d’âge en âge le regard de ma pensée, je vis sourdre de l’atmosphère, peu à peu, des blés, des lys, des pommes, des framboises, des iris…
 
Puis ces fruits et ces fleurs aboutirent à
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/128]]==
des formes humaines, et ce furent desbras, des gorges, des épaules, des joues, des yeux, des chevelures : tout le jadis de femmes qui vinrent là, de l’enfance à l’agonie du puits.
 
Derechef, enfin, la vision se transforma.
 
Ces formes nombreuses, fusionnant sur la margelle, se synthétisèrent en une considérable flamme analogue à une vaste langue pendante.
 
— Je fus la Soif-de-ce-pays ! dit-elle par des étincelles en guise de paroles.
 
— Infâme, criai-je, qui pus tarir l’immense fleur miraculeuse et te fis rabats et baudriers de joie avec les perles de son supplice lent !…
 
— Sa vie n’était-elle pas de mourir perle à perle ? objecta la Soif-de-ce-pays.
 
— Rouge étendard de l’égoïsme !
 
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/129]]==
 
— Pas plus égoïste ne fus qu’il ne fut prodigue. Son orgueil était fait de gosiers éteints. Et si ce puits te semble chagrin, c’est des rares pistils laissés par mon respect final en son calice d’ombre.
 
Or, mon ire sainte et la proximité de l’Apparition (devant laquelle je suais comme un quartier de venaison) m’ayant altéré, je descendis innocemment au fond du puits — et j’y cueillis les gouttes dernières…
 
A l’orifice remonté, je ne vis plus la Soif-de-ce-pays, mais sur la margelle, à sa place, pétillait un héritage de rires sardoniques, — tandis qu’un crapaud, crachat énorme où se conservent des syllabes, coassait :
 
— Assassin !
 
Je compris !
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/130]]==
 
Follement je m’enfuis, n’osant me retourner vers le puits, grand œil aveugle désormais.
 
En la forêt sombre où j’allai m’effacer, un oiseau rare chanta :
 
— Le puits est mort joyeux de t’avoir fait plaisir, et je viens t’offrir sa gratitude intarissable.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/132]]==
 
PEUPLIERS
 
''A Bernard Lazare.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/134]]==
 
PEUPLIERS
 
Les blonds hallebardiers gardent les
ames du vailon.
 
— « Laissez-moi visiter les damoiselles, minces à l’infini, des donjons d’émeraude ! » ai-je dit
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/135]]==
 
aux blonds hallebardiers gardant les âmes du vallon.
 
Afin de pavoiser d’amples refus l’espace ils déhanchèrent leur superbe de l’orient à l’occident et puis de l’occident à l’orient,
 
les blonds hallebardiers gardant les âmes du vallon.
 
— « Mais je suis l’Elu qui vient dégrafer le mystère où sourit un retour éternel d’hirondelles ! » chantai-je
 
aux blonds hallebardiers gardant les âmes du vallon.
 
Narquoisement, ils m’uvenlèrent de fantômales révérences,
 
les blonds hallebardiers gardant les âmes du vallon.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/136]]==
 
Irrité, je criai : « Tous je vous couperai, jets suzerains, pour qu’aux époques d’eau sculptée vos squelettes rosissent les joues blêmes des mendiants qui vont, leur culotte restée dans la gueule des chiens,
 
ô blonds hallcbardiers gardant les âmes du vallon ! »
 
Alors chaque peuple de feuilles, comme une perruche ahurie,frissonna— sans que pourtant s’épanouissent les donjons d’émeraude, et point n’osais trancher la jambe ferme
 
des blonds hallcbardiers gardant les âmes du vallon.
 
Désolé je m’enfuis, à travers les papillons hagards qui s’épivardent loin des
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/137]]==
fleurs en cervelles tragiques, je m’enfuis
 
des blonds hallebardiers gardant les âmes du vallon.
 
Tandis que sous un if je pleurais, maints doigts plus frêles que regards d’aïeules vinrent illuminer mon front : mes prunelles avaient inconscientes versé l’ingénue monnaie qui seulement soudoye
 
les blonds hallebardiers gardant les âmes du vallon.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/138]]==
 
MOULINS
 
''A Gustave Geffroy.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/139]]==
 
Je viens du vert village où les moulins ont l’air de grands oiseaux de pierre aux longues ailes blanches.
 
L’amenoiredu Prieur Blanc.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/140]]==
 
MOULINS
 
La colline est pleine de géantes Foies à la file dont les caboches
virevirent.
 
Ces méninges extravagantes sur ces corps roides ainsi que des menhirs me firent songer à ces vieillardes qui pétrissent
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/141]]==
leur boule de mémoire entre leurs pouces devant les seuils enjolivés d’enfants, puis bizarrement j’imaginai des orgues de Barbarie jouant devant des sourds.
 
— Que je vous plains, pensai-je, géantes Folles à la file dont les caboches virevirent !
 
Cela tournait toujours quoique sans avancer, telles des roues au moyeu englué dans une ornière de brise.
 
Désireux de placer ma commisération, je m’approche et dis :
 
— Que je vous plains, géantes Folles à la file dont les caboches virevirent !
 
Cela tournait encore, comme les soleils éteints d’un vieux feu d’artifice, sans répondre.
 
Alors,visant les oreilles dures, j’y criai :
 
— Que je vous plains, géantes Folles à la file dont les caboebes virevirent !
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/142]]==
 
Cette fois, ensemble elles chantèrent :
 
— Hommes, ces Vierges Folles sont des Vierges Sages dont le pèlerinage qui demeure engendre le salut des pèlerins qui passent et qui sont les vrais Fous : la sagesse consistant à réaliser le pain dont rêve l’oisive folie. Galériennes asservies de votre rire en promenade, nous stagnons là depuis des temps et pour des temps encore ; mais que nous soyons de grosses oies sur le foie grandi desquelles vous comptiez ou bien des pélicans s eventrant pour vos repas, gardez-vous de narguer ces maternités obligatoires ou charitables^ veus qui cesseriez de vivresinous commencions à mourir ! enfin apprenez qu’ici-bas l’on voit tourner seule notre collerette et non point notre tête, car nous sommes les Décapitées dont la tête mûrit là-haut sur les épaules de Dieu.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/143]]==
 
Mes pieds ayant repris le rosaire des sentiers fleuris, je me demandais :
 
— Les moulins ont-ils une âme de poète, ou les poètes une âme de moulin ?
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/144]]==
 
LE MYSTÈRE DU VENT
 
''A Henri Mazel.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/145]]==
 
L’intelligence de nos yeux finissant oit commence le Vide, le Vide serait donc ce que nous ne pouvons ou nesavons voir.
 
Cœcilian.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/146]]==
 
LE MYSTÈRE DU VENT
 
Lorsque les désirs d’avenir ou les regrets de souvenir s’éveillent dans une partie quelconque de ce crâne géant, le Globe, — le vent se lève.
 
L’espace est composé d’âmes éparses,
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/147]]==
en expectative ou bien en irrémédiable exil de la matière, dont la motion diverse inspire brandies, voiles et nuées.
 
Théoriciennes soit du devenir soit du redevenir, ces âmes, passées ou gérondives, les unes à naître et les autres mortes terrestrement, attisent leur potentialité vers l’ancienne ou future joie de vivre, impersonnes en quête d’une valeur saisissable ; alors se ruent des chevauchées s’évertuant parmi des chocs où se déchire et se cassent les os et la peau de leur ambition, gravissant les monts, inondant les vallées dans une vertigineuse impatience d’être.
 
C’est le vent qui passe. .
 
Le spéculer fut toujours ma passion capitale.
 
Volontiers, si la nudité n’injuriait les sottes conventions, tout nu j’irais afin de
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/148]]==
laisser la subtile vague d’air mettre à la longue ssf paraphe sur ma vigilance ainsi que fait sur la falaise une obstinée vague de mer.
 
Néanmoins, comme dévêtu par un paroxysme d’attention (ou peut-être oublié-je l’étoile au point de lui valoir un instinct d’épiderme), me vient le soupçon que d’étranges clandestines sur moi déferlent.
 
Ces fantômes jaloux d’apparaître, je ne les vois pas à vrai dire, mais je les conjecture, pour bientôt les percevoir d’une perception qui, s’accentuant d’onde en onde, se traduit par une infinitésimale puis appréciable sensation de lignes et de contours.
 
Serait-ce que le sens s’acclimate sur la cime de l’idée ? serait-ce que l’idée s’acclimate dans la plaine du sens ? Toujours est-il que mon être, agglomération de
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/149]]==
résistance opposée par mon Toucher servi de ses frères, s’initie, aveugle du vide,aux hiéroglyphes de l’assaut : initiation de la figure par successivement le point, la ligne, l’angle, la courbe…
 
Méticuleux labeur de performance car, en sus d’une hâte obligatoire, il me faut maintefois analyser et marier les pièces confuses d une même àme écartelée.
 
Ainsi, moyennant la transcription de la substance par le miroir du mode, tel infini parvient à se définir en du fini, l’abstraction daignant se formuler par des linéaments, se préciser par un squelette, se presque idéoplasticiser : linéaments, squelette, argile dont l’hypothèse est dans mes sens et la réalité dans ma foi.
 
Certes l’entière morphe n’est aucunement organisée là, mais, indiqué l’air
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/150]]==
qu’icelle déplaçait ou déplacera, j’ai pu du moins, la circonscrivant, l’évaluer, l’individualiser — si bien ! que serait, un moindre davantage, superflu.
 
Cette intuition du déplacement d’air m’induit, mensuration faite des psychés absentes, à une relative sculpture de l’Absolu.
 
Une Absence pareille qu’est-ce autre chose en vérité que la preuve de la Présence ?
 
Sitôtsur la piste d’une forme intrigante, philosophe en un bal d’essences, je traque la métaphysique à travers la nature, bondissant après sa science, comme un lion des sables à la recherche d’une fraîche poche de chameau.
 
Passants qui ce soir me voyez le corps
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/151]]==
ivre de lassitude regagner mon logis, ne riez point !
 
J’ai tant couru depuis l’aurore !
 
A la première heure, parmi la prairie, j’avais cru ressentir en une lame de brise la silhouette de l’Infidèle —, morte depuis ! Sur ma gorge et mes bras nus n’étaient-ce pas, frôlante, la signature de son indéniable voisinage et l’insinuation de son poids en miniature des nuits d’amour ?
 
Dans la jungle de nos lignes familières dominent celles de l’Aimée.
 
J’allais étreindre Marcelle, mais la brise est perfide…
 
Aussi me fallut-il vagabonder, guidé par le seul Ange de la Miséricorde.
 
La nappe d’air à laquelle participait Marcelle s’étant engouffrée dans un val, heureusement, la désirée lame vint s’échouer sur un tas de cendres jetées là par quelque ménagère.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/152]]==
 
Encore que houspillée par les genêts du hasard, l’épave était reconnaissable. On eût dit que l’ancienne statue de vie, réalisée par l’effort d’être de l’âme en peine, s’était vautrée sur l’impressionnable écueil, y laissant comme les deux concavités de son moule. Je ne pouvais me tromper : voici les nids de sa tête, de ses cuisses, de ses mollets, de ses talons ; voilà les reliefs a rebours de ses orteils, de ses genoux, de son ventre, de ses seins, de son visage !
 
Mes jambes fléchirent.
 
Mon Cœurallaitbaiserle sceauduPassé, lorsque la brise, prise d’une soudaine panique, souleva les cendres en tourbillons…
 
Je fus vêtu de gris !
 
Un chasseur de papillons me prit pour un spectre et se signa.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/153]]==
 
Quelques heures après, Ion géant l’Étang de la Fatalité, j’ai vu les pouces du vent modeler une forme dans l’eau.
 
Comme je me penchais vers l’énigme, un Cygne moribond chanta :
 
— C’est l’Apparence à venir d’une femme qui naîtra demain.
 
Un Roseau siffla :
 
— Sera très belle cette femme et tu l’adoreras.
 
C’est pourquoi, passants, vous me voyez marcher les yeux en dedans : je songe à celle qui naîtra demain, à l’idole tardive qu’encensera ma vieillesse et qui ridiculisera mes cheveux blancs.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/154]]==
 
LA MONNAIE RARE
 
''A Aurélien Scholl.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/156]]==
 
LA MONNAIE RARE
 
Ayant de par sa pléthore perdu toute influence, la Chose Précieuse, synthèse de la matière et polaire de l’homme, allait de pair avec le gravier des chemins.
 
La chaumière était coiffée d’or vierge,
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/157]]==
le moindre sabot ferré d’argent ; désormais banales, l’émeraude et la turquoise des aïeules défuntes servaient à peine de billes à la marmaille ; les aveugles s’offrant la coquetterie facile de compenser avec deux diamants de la couronne leurs yeux morts, les lézards venaient boire aux rayons projetés par ces fronts de ténèbre ; les indigents de la contrée s’occupaient le geste à déverser leur superflu d’écus dans les grenouilles qui baillaient sur les solivaux des flaques ; l’haleine des passants roulait des paillettes ; Hippocrato trouvait des pépites dans la vessie d’Harpagon ;Crésus paraissait un mendiant des Temps Invraisemblables ; quant au Rêveur des Oliviers livré pour trente misérables pièces d’argent, quelque puérilité de la Mère l’Oie !
 
La Toute Splendeur triomphait sur la terre ; et le soleil, la lune les étoiles de
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/158]]==
crier leur jalousie vers le Veau de Rubis dont rutilait chaque carrefour d’icibas.
 
Devant l’annonce par les Mangeurs de Sauterelles que les cités succomberaient demain à cette congestion superbe, les Princes Régnants cherchèrent une valeur susceptible de ramener une utile misère et de baser l’échange et la considération.
 
Or il importait d’élire parmi les espèces la moins commune afin d’éviter un pendant prochain au fléau présent et de prévenir le tracas d’une convention monétaire nouvelle.
 
On ne trouva que l’idée.
 
L’idée ! chose en disette, d’habitude, tant prédomine le ventre ; mais alors sa
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/159]]==
rareté dépassait vraiment les limites ordinaires. La prérogative de l’ignorance avait été si exclusive que ces innombrables fruits d’or et d’argent semblaient provenir d’un immense potager d’oreilles ^d’âne.
 
On opta donc pour l’idée.
 
Le prestige de l’esprit date assurément de cet Age des Ages qui par bonheur, trop d’êtres mourant d’intellectuelle anémie, dura peu,non sans léguer à l’avenir quelques conseils d’ailleurs négligés ; car, si bref que fut ce règne où les cerveaux féconds tenaient lieu de banques ou de bureaux de bienfaisance, il permit du moins aux poètes de s’affirmer devant la main que les officiels à caboche vide tendaient à l’idée sur la route du pain et d’ainsi retarder la catastrophe humaine. Ajoutons ceci : les esclaves, auxquels une
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/160]]==
généreuse ironie avait jusque-là cédé la bagatelle de penser, évitèrent aux maîtres la honte d’aller pieds nus, besace aux flancs, — et l’on vit un Tyran, menacé dans sa liste civile, enchaîner un ver lai ne inapprivoisable et vivre fastueusement des brimborions échappés au sommeil épié du merveilleux captif.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/162]]==
 
LE
 
CALVAIRE IMMÉMORIAL
 
''A José Maria de Hérédia.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/163]]==
 
Mon àme est maternelle ainsi qu’une patrie Et je profère au lys un pleur de sacripant ; Les regrets sontlaclef bonne àma bergerie, Je fais une brebis du loup qui se repent.
 
La Magdelkine Aux Pakfums.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/164]]==
 
LE
 
CALVAIRE IMMÉMORIAL
 
La brise bonne de la rêverie me poussait à l’aventure, emmi les toits de chaume, sur le solide fleuve des routes qu’enrivage l’espérance tendre où pâturent les moutons, ces quenouilles vivantes.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/165]]==
 
Un peu partout, sous les coqs de métal, en les donjons divins, tintaient à rliythme égal les gros sous d’existence versés par l’aile des moulins et la nageoire des charrues.
 
Solitaire, j’allais ; m’effaçant une fois seule devant la naïve diligence vieille : guêpe au dard de fouet qui, de village en village, voltige et cueille l’animé butin qu’amassera tantôt la ruche de la Ville.
 
A certain coude du chemin, sans doute rendez-vous de l’adieu des conscrits, je vis un Calvaire soudain.
 
Le Christ était à deviner, tant il était usé !
 
Cela s’arborait près d’un if séculaire aux petits fruits pareils à des gouttes de sang.
 
Or j’eus beaucoup de peine, car Jésus semblait davantage pâtir en sa décrépitude.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/166]]==
Il n’était plus que quelque chose do pendu : comme un chiffon de pierre oublié là jadis, et plus jadis encore, par un gars d’avant l’Age des Lances et des Clous.
 
Alentour somnolaient les grandes Fleurs de Solitude.
 
Je dis :
 
— Que je te plains, Crucifié, d’être si dévasté !… Mais pourquoi telle misère maigre ?… T’avait-on pas appendu bel et grandiose au Sycomore de granit eù je te vois à peine avec les yeux de l’âme ? Réponds, ô père fraternel, la forme serait-ce des poussières superposées que lèverait en passant l’aile ménagère des Oiseaux du Temps ? Ou bien t’avait-on fait avec le sel des pleurs, et les larmes longues de la pluie t’auraient-elles fondu ? Parle, frère
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paternel !… Tu parlas bien, à l’époque de palme, à la Jolie de Satnarie.
 
Jésus me répondit…
 
Oh ! il ne parlait pas, n’ayant plus de lèvres, plus de langue, plus de bouche, oh ! il ne parlait pas… mais le chiffon de pierre prodiguait des abeilles, et chaque abeille était une voyelle avec deux ailes de consonnes.
 
Or ce miel j’entendis :
 
— Non, ce n’est pas la pluie, non ce n’est pas le temps ! bien que je sois là depuis des siècles, dressé par des femmes pies qui seraient très vieilles si elles vivaient encore, et qui sont, en Paradis, très jeunes d’être mortes. Non, ce n’est pas le temps, non ce n’est pas la pluie ! bien qu’il ait plu souventefois pour le plaisir des fleurs et pour la gloire des pommiers ! Non, ce n’est pas cela ! Mais, à ce carrefour, viennent depuis des ans et des années, viennent
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tous les moroses d’ici-bas. Depuis des ans et des années, pèlerinent vers moi les mendiants de l’âme et de la chair fanées ; et tous,gravissant les marches du Calvaire, baisent fébrilement mon image salubre.
 
— En vérité, Jésus, la présence des baisers se voit à l’absence de la pierre qui s’en alla parmi les lèvres qui passèrent.
 
— Sache davantage. Chaque baiser définit la douleur qui le pose. Ainsi le Fol baise mon front, l’Aveugle mes yeux, le Muet ma bouche, le Sourd mes oreilles, le Bancal mes jambes, le Manchot mes mains et mes bras, et mon cœur à le baiser des Madeleines-les-Caresses. Ces souffrants réunis signifient la Souffrance Humaine tout entière, et heurs baisers éparpillés concourent au même but en labourant ma pierre bénévole.
 
— Ce but, quel est-il, Verbe fait essaim d’abeilles ?
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— C’est mon Ame ! mon Ame Divine qui couve ingénument sous la forme terrestre. Elle est pour eux l’Espérance admirable, et s’ils savaient ne pas la récolter un jour sous la charrue de leurs baisers, ces pèlerins adoreraient l’ivraie blasphématrice et perdraient à jamais la foi du Paradis.
 
— O ton Ame Divine ! clamai-je éperdu comme un amant divin.
 
Alors, gravissant les marches du Calvaire, j’etreignis le rédempteur sycomore et j’y baisai avec ardence le chiffon de pierre à la place présumée des yeux, des mains, des pieds, du cœur, du front, — car le poëte est la Souffrance Humaine tout entière.
 
Si nombreux furent mes baisers que, l’image disparue de par la forme usée, jaillit l’Ame Divine enfin, l’Ame espérée depuis des ans puis des années par les
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mendiants de l’âme et de la chair fanées…
 
Mon cœur, soudain ravi par ce diamant premier de l’invisibilité, s’épanouit ainsi qu’un fanatique héliotrope vis-à-vis du soleil.
 
Et je dus rester là, vierge, immuable, séculaire ment.
 
Seules m’avaient vu les grandes Fleurs de Solitude.
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LA CARAFE D’EAU PURE
 
''A Jules Renard''
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LA CARAFE D’EAU PURE
 
Sur la table d’un bouge noir oh l’on
va boire du vin rouge.
 
Tout est sombre et turpidc entre ces quatre murs.
 
La mamelle de cristal, seule, affirme la merveille de son eau candide.
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A-t-elle absorbé la lumière plénière de céans qu’elle brille ainsi, comme tombée de l’annulaire d’un archange ?
 
Dès le seuil de la sentine sa vue m’a suggéré le sac d’argent sage que lègue à sa louche filleule une ingénue marraine ayant cousu toute la vie.
 
Voici que s’évoque une Phryné d’innocence, jaillie d’un puits afin d’aveugler les Buveurs de sa franchise.
 
En effet j’observe que la crapule appréhende la vierge…
 
Il se fait comme une crainte d’elle…
 
Les ronces des prunelles glissent en tangentes sournoises sur sa panse…
 
Le crabe des mains, soucieuses d’amender leur gêne, va cueillir les flacons couleur de sang…
 
Mais la Carafe, aucun ne la butine.
 
Qu’elle est donc sa farouche vertu ?
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Viendrait-elle, cette eau, des yeux de vos victimes, Buveurs, et redoutez-vous que s’y reflètent vos remords, ou bien ne voulez-vous que soient éteints les brasiers vils de vos tempes canailles ?
 
Et je crus voir leur Conscience sur la table du bouge noir où l’on va boire du vin rouge !
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SOIR DE BREBIS
 
''A Louis Denise.''
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SOIR DE BREBIS
 
La tache de sang dépoint à l’horizon de ci.
 
La goutte de lait point à l’horizon de
là.
 
Homme simple qui s’éparpille dans la
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flûte et dont la prudence a la forme d’un chien noir, le pâtre descend l’adolescence du coteau.
 
Le suivent ses brebis, avec deux pampres pour oreilles et deux grappes pour mamelles, le suivent ses brebis : ambulantes vignes.
 
Si pur le troupeau ! que, ce soir estival, il semble neiger vers la plaine enfantinement.
 
Ces menus écrins de vie ont, là-haut, brouté les cassolettes, et redescendent pleines.
 
Mes Désirs aussi, stimulés parla flûte de l’Espoir et le chien de la Foi, montèrent ce matin le coteau du Mystère ; et s’en furent plus haut que les brebis de mon hameau, les brebis de mon âme.
 
Mais, parmi la prairie de jacinthes, l’odorante étoile incendia les dents avides
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qui voulaient dégrafer son corsage fertile.
 
C’est pourquoi mon troupeau subtil, à l’heure d’angelus, rentre en moi-même, les (lancs désespérés.
 
Les brebis sont au bercail, et l’homme simple va dormir entre sa flûte et son chien noir.
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LE CARNAVAL
 
OU L’ON PLEURE
 
''A Lucien Muhlfeld.''
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Si Dieu n’avait’posé sur l’âme le masque du corps, vivre en commun serait impraticable.
Lazare.
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LE CARNAVAL
 
OU L’ON PLEURE
 
Il fut stipulé que, chacun abandon^^K^ nant pour une rare fois son originelle hypocrisie, on apporterait à ce mardigras une franchise d’exception et que, au lieu de déguiser leur personne avec tel ou tel emprunt de laideurs à d’imaginaires
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êtres, les gens affubleraient leur propre corps des arcanes profonds de son âme respective.
 
C’était, à franc dire, organiser un carnaval à rebours puisqu’il s’agissait d’apparaître en sa plénière vérité : permanente masquée de la Vie,— ce carnaval ?
 
— De nous montrer tels que foncièrement nous sommes, on rira davantage !
 
Avaient présumé les tisserands de ce projet.
 
Ce fut atroce !
 
Atroce comme la confession publique d’un bagne !
 
Atroce à ce point que l’ordinaire hypocrisie présidant au commerce des hommes me semble, depuis, le substratum indispensable de l’existence et que, pour ne pas la mettre en parallèle avec la charité
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des Pères de l’Eglise, je dois me faire violence.
 
Dans la coutumière mascarade des corps, caricatures du visage ainsi que gibbosités du buste et bizarreries des membres désopilent la [rate par l’absurdité de leur mensonge, cela sort des cadres du possible pour entrer dans l’inoffensive invraisemblance ; aussi, rassuré par cette incontagieuse fantaisie, l’on rit de la forme ridiculisée comme l’on rit de l’orthograpbe d’un troupier à sa payse. Mais ici le cas fut autre, cette extraordinaire mascarade des psychés nous ayant appris qu’on n’exagérerait jamais assez avec l’Ame humaine, spélonque insondable, et qu’il est impossible d’en dire : voici sa difformité dernière, voilà sa repoussance extrême. La plus téméraire imagination sera toujours battue par les sourdes fantas
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magories d’une âme quelconque ; aussi, l’œil privé de la soulageante farce d’outrance, nous perdons le bénéfice du rire, et c’est pourquoi la tragédie de nos monstres secrets provoque notre poche-àlarmes et la crève.
 
Car on pleura toute la durée de ce macabre mardi-gras.
 
Ils paraissaient bons pourtant les habitants de cette Ville : le prince avec ses moustaches de héros, la femme avec son diplôme de fidélité, l’homme avec son épée d’honneur à la hanche, la vierge avec ses joues de hameau. Ville de sélection, symbolisée sur la carte par un arc-en-ciel, nid présumable des vertus. Détail caractéristique : le Charlatan Noir n’avait pas encore arraché de tête sur la place du Palais.
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N’importe !
 
Ce fut atroce, vous dis-je !
 
Sous ce vitrail d’aigles et de mésanges grouillaient des hideurs pires ue le pélor à l’œil pareil à quelque moyeu de carriole et le ventre rouillé d’ulcères, la baudroie taureau deux fois par ses cornes et reptile par sa queue hérissée de poignards, la scorpéne à la tête de mort, le monocen dont la gueule évoque un soupirail de l’enfer : ignominies embusquées dans les glauques ravins des mers de l’Inde et du Japon.
 
Au début de ce sabbat d’aveux on se crut d’abord au milieu d’une cité d’Aostc inconcevable, mais il fallut se rendre vite à l’évidence : ces tripes étaient trop celles de la réalité ! ce turpide arc-en ciel d’érysi pèles, cet éventail d’immondices, cette gomorrhcressuscitée, cette géhenne apparente,
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c’était bien l’Ame de la Ville faisant lugubrement la roue !
 
Dès lors les yeux fondent en avalanches sous l’allégorie des écailles.
 
On pleura tant, parmi les cris de détresse vomis par les cuivres des estrades, qu’à bref délai la somme de larmes parvint aux genoux des Masques, — tandis que grossissait la terreur à la façon de la grenouille que gonfle, en lui soufflant au cul moyennant un chalumeau, le mioche des marécages.
 
Les langues dardent bientôt l’espace d apostrophes. Un abominable polichinelle ayant pour goitre une pieuvre géante et pour bosse une dame jeanne de fiel « pratique » sur le passage d’un pitre sinistre avec sa face ouraganée de grimaces fourbes et son toupet en nœud de vipères :
 
— Eh ! quoi, d’habitude je vis à côté de cet épouvantail !
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Mais le pitre de riposter :
 
— Songe à te regarder, triboulet de la poutre et de la paille !
 
Et le premier se mire en le second pour s’y trouver plus répugnant encore.
 
— Tous les étalons de vices participent donc à ce pandémonium ?
 
Roucoule ingénument certain Déguisé qui planait sur le sabbat grâce à ses ailes de séraphin prématuré.
 
Or celui-là, l’unique, avait été mis au bande l’opinion parce qu’il vivait selon sa conscience, et sa conscience était sainte.
 
Les larmes déjà parviennent au nombril effaré des Masques.
 
Dans le but d’anéantir le cauchemar du cancer voisin et de, surtout, débusquer la harpie cachée sous l’infâme carcan, les
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Masques se jettent enfin l’un sur l’autre, griffes en avant : sur-le-champ, des officiers, des magistrats, des prêtres, des amis, des frères, des fils, des pères, des mères, tous les représentants des vertus familiales, sociales, divines, se reconnaissent, — et le poète s’aperçoit que des bois de potence tiennent lieu de bras à sa fiancée.
 
Alors ce fut un tohubohu tétanique où tous cherchaient à s’arracher leur gangue récipreque afin de les noyer dans la synthèse de pleurs dont les lames déferlent maintenant sur les fronts rouges.
 
Et quand ils furent aussi propres que des limandes, les habitants regagnèrent à la nage leur fenêtre.
 
Le lendemain, le Prince aux abois décréta que, l’intérêt de ses sujets conseillant, serait plus que jamais obligatoire
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l’hypocrisie, qu’au surplus il l’élevait au rang de vertu, et que désormais serait jetée hors des remparts comme dangerpublic toute personne qui ne dissimulerait pas suffisamment ses vidanges intimes et sa peste latente.
 
O la Ville des Sépulchres Blanchis !
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LES SABLIERS
 
''A Georges Ancey.''
 
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Là-bas, le long des sables sans cesse grandissants du Toulinguet (il n’y a plus de moines pour remplir les sabliers !) je méditais… [Lettre à Catulle Mendès.)
 
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LES SABLIERS
 
Assis sur la plage solitaire du Toulinguet où viennent s’agenouiller les haquenées de l’Océan, je méditais, après la chute de l’empereur des Coupes de Thulé.
 
Devant, hérissée d’un dernier vol où se
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pêlemêlaient guilloux, moucltos, gaudes, hirondelles de mer et perroquets japonais sans queue, l’Ile ; à ma droite, derrière le fort, la Pointe Saint-Mathieu avec ses ruines ecclésiastiques ; à ma gauche, devinées, des pierres et des pierres donnant un frisson d’Eternité à poil, la Tribune, le Lord-Maire, le Dante, les Tas de Foin, le Château de Dinan, le Cap de la Chèvre, la Pointe du Raz, l’Ile de Sein…
 
Je comparais douze cormorans alignés sur unécucil àunc phrase de Pou traduite en alexandrin par Baudelaire ou Mallarmé, — lorsque des crissements singuliers venant de Camaret m’intriguèrent la nuque et me firent sursaillir.
 
Plusieurs théories d’êtres bizarres descendaient le versant : espèces de sauterelles aux membres de bois et corps de verre.
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Plus proches, je reconnus des Sabliers.
 
De toutes dimensions :
 
Sept, menus comme les fœtus de cinq mois,marquant l’heure ;
 
Sept, mignons comme les nourrissons, marquant le jour ;
 
Sept, petits comme les communiants, marquant la semaine ;
 
Sept, grands comme les adolescents, marquant le mois ;
 
Sept, hauts comme les titans, marquant l’année ;
 
Sept, colossaux comme les clochers de cathédrale, marquant le lustre ;
 
Un, enfin, le dernier, incommensurable comme le génie,marquant le siècle.
 
— « Hélas ! glapirent les Sabliers. Disgraciés déjà par l’invasion des damoiselles de chêne au nombril d’or,irrévocablement perdus depuis les décrets impies, nous
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pourrissions dans les moustiers branlants de l’angélique Pays des Coiffes ; inutiles désormais loin des reclus qui nous vinrent ici remplir, nous revenons, accomplie notre destinée, à cette plage si sabuleuse depuis le départ des sandales, et notre guide fut la soif de reposer au lieu natal. »
 
Je compris que nul ne rendrait à ces oubliés le pieux service si le poëte ne daignait.
 
Aussi, commençant par les moindres, je me mis en devoir de vider sur la grève les Sabliers l’un après l’autre.
 
A cet office nous restâmes des heures, des jours, des semaines, des mois, de ? anné es, des lustres…
 
J’avais entrepris le dernier Sablier, le
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séculaire, lorsque l’invisible faulx du Temps me détacha l’âme du corps.
 
Les pecheurs de Kerbonn trouvèrent mon cadavre sur lequel flottait une longue barbe blanche.
 
Et j’avais l’âge que j’aurais, ô mes Héritiers, le jour de mon décès.
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NOCTURNE
 
''A Joris Karl Huysmans.''
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NOCTURNE
 
La Ténèbre va communier.
 
Ce spectacle, on dirait tel fusain d’Appian que, potache, il fallait e’clairer moyennant la boulette de pain,
 
La frivole brise est partie, ayant remis
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en’chignon ses tresses imperceptibles qui tournent la tète aux moulins ; mais elle oublia sa fille, brisette à l’usage des poupées.
 
Une pie, réintégrant son marronnier, ferme et dé ferme sa lettre defaire part.
 
Le silence pose ses agrafes. Cependant un gravier d’insectes, maquillage bavard, persiste sur les formes du sol.
 
Se recueillent les vignes, comme si la dégringolade apoplectique du Soleil avait ôté l’envie de rire. Dans l’heure agenouillée, les arbres semblent des examens de conscience ; seuls, les rochers sacripantalement songent.
 
L’ombre n’est-elle pas la couleur du mystère ?
 
Passe une dernière escouade de corbeaux : cimetière qui a des ailes.
 
La chauve-souris éparpille ses coups d’éteignoir sur les premières lampes qui
 
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se déclarent, pareilles à de grandes soifs petitement chosifiées. Son vol hybride, construit d’hésitations entre l’aile et le museau, évoque, par ses angles obtus puis aigus, le mètre ouvert puis replié des charpentiers en velours côtelé.
 
Déjà, sur les chevalets d’herbe, les vers copient les étoiles fraîches ainsi que des caresses.
 
Ne se distinguent plus les fleurs ; mais le parfum — cette romance pour narines — les divulgue à la façon de la prière sur les tombes.
 
Ce vêpre égalitaire escamote ma teinte originale et me fait le noyé d’une atmosphère sans-culotte.
 
Puisque l’obscurité submerge l’apparence, vaudrait-il pas mieux, au crépuscule, ôter ses yeux, ses ongles et ses poils, son squelette et sa chair — comme après la bataille un soldat sa ferraille — et,
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les sens gardés, rester âme uniquement ?
 
Telles que des pudeurs alarmées, les maisons se sont closes ; le ver à soie des cheminées se tarit parmi les tuiles. Des ombres chinoises, sur les rideaux, trahissent que les gens s’alitent : certaines images, couchées dans le lointain Livre d’Heures, ressuscitent en la mémoire de ma main.
 
D’un logis où s’ingénie une dot, par fines pluies d’arpèges, la Prière d’une Vierge s’épivarde ; quelque demoiselle avec ses doigts fuselés apprivoisant la mâchoire cariée de bémols d’une tarasque moderne.
 
Là-bas, hargneuse breloque du portail, un dogue expectore son catarrhe contrôla charrette, flanquée d’une limousine blasphémante, qui se disloque en passant.
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{{astérisme}}
 
La Ténèbre communie.
 
C’est comme un jour d’été vu par des besicles noires.
 
Des obsèques où l’on se liancerait.
 
Si c’était qu’il neige des cheveux blancs d’on ne sait où ?
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Si c’étaient, en maraude, des cygnes invisibles ou bien des âmes visibles presque ?
 
Si c’était une immense robe de veuve sur laquelle deux seins, fraîchement décaressés,auraient pleuré un lait vain désormais ?
 
Si c’était que les morts font sécher les linceuls ? Ne pleut-il pas sur leur néant quand rarefois l’étang de nos regrets déborde ?
 
Ces hypothèses écarlèlent mon œil et mon crâne,
 
Un bal d’araignées a donc lieu sur ma peau que, toute, elle frissonne ?…
 
Sans doute cela vient de l’immobilité lugubre des peupliers encagoulés…
 
Oh ! là-haut — du moulin décapité : puis céleste — ces gestes orphelins qui s’élancent à la délivrance de leurs membres captifs en le donjon de mon Imagination !
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Une peur d’enfant m’envahit soudain, allumant le désir de me réfugier dans des jupes de nourrice. Si j’ouvrais la bouche, on verrait mon cœur flamber peut-être.
 
Ce taillis va-t-il pas dégobiller le salebougre muet d’avoir mis sa langue roide dans son poing ?
 
Voilà que, de par une course inconsciente, je me trouve à la lèvre d’un précipice. Suis-je donc un bonbon, qu’il’m’ait si goinfrement souhaité, cet abîme : appé~ tit en permanence ?…
 
Soudain les ecclésiastiques cyclopes de pierre,ài’œilhoraire,psalmodient l’alexandrin de bronze sur les choses dont l’ombre s’abandonne en manteau qui traîne.
 
Une naïve appréhension de mort laïque me tire la ficelle du bras qui fébrilement signedecroise ma personne.
 
Vite, par chance, se m’offre un grand verre d’espace : cognac du père Adam.
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Réquilibré, sonorement je ris ; — mais je médite : le courage n’est parfois que la cuirasse élincelante de la peur.
 
Et maintenant la nature m’a l’air d’une négresse en chemise, poudrée à frimas.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/214]]==
 
{{astérisme}}
 
La Ténèbre communie.
 
Cette façon d’aube les dupant, les coqs écorchent leur coqueluche laborieuse dans les granges diverses. Cela fait, sur la paille, grogner les palefreniers, préface de la besogne. Mais ils ont une très vieille
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/215]]==
montre de famille ; un clin rapide vers son minocturne mariage d’aiguilles les fait se r’inhumer en l’Imagerie qui ne se voit que les yeux clos.
 
J’ambule, l’œil au firmament.
 
Aussi mon pas empreint son poids dedans la merde chue de l’oméga des rustres qui sans gène ou pressés furent.
 
Au creux du val, entre les nichons de collines, stagne la Mare brouillée comme un œil d’androgyne. Sur ces bords-ci ( sourcil s en quelque sorte) des ifs singent Hamlet de l’Esplanade ; sur ces bords-là (cils alors) des joncs entre lesquels le savoir place en filigrane un guet-apens de faunes rigoleurs.
 
Un peu partout, au seuil de l’eau, feuilles de salade vivante, les Grenouilles bégueulent tandis que les Crapauds, chanoines gras, daignent laisser choir un rare avis de basse-taille.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/216]]==
 
Lorsque, inopinément, un Serpent gicle en lazzi d’un sureau creux et menace du courant d’air de son corridor les Bavardes Vertes.
 
Plie ! plac ! ploc !
 
Et le Serpent, devant les rides ironiques de la Mare et les pieds de nez des ifs, rentre au fourreau de la déconvenue.
 
Le chien s’est tu, le catarrhe guéri par le sommeilj le coq ne met plus son coquelicot sonore à la boutonnière de l’heure. Mais encore, très loin, se disloque la tardive charrette conduite par ce capucin du transport dont la discipline fouette le silence.
 
La Ténèbre a communié.
 
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/218]]==
 
L’ARROSOIR DE LARMES
 
''A Jean Lorrain.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/219]]==
 
L’obstacle s’évapore devant l’oeil semé dans l’abîme, les cercueils sont de verre pour les morts ; aussi ne viens que décemment grimée de chagrin sur ma tombe, — sinon je me lèverai pour te jeter ma carogne à la joue.
 
Les Vases D’argile.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/220]]==
 
L’ARROSOIR DE LARMES
 
A quelle fontaine as-tu rempli cet ^5^e2 arrosoir, ô Dame en deuil qui viens du saule ?
 
Le saule d’où je viens est ma très ample chevelure et j’ai rempli cet arrosoir à ma fontaine de douleur.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/221]]==
 
Cette pluie fine de tes yeux où la portestu donc, ô Dame en deuil qui marches légitime au mitan des cyprès ?
 
La porte tout là-bas sur le jardin maigre du brun Chevalier de la Veille qui mourut de m’avoir trop aimée.
 
Crois-tu que tout là-bas, en sa demeure de silence, il le saura celui brun qui mourut de t’avoir trop aimée ?
 
Certes ! goutte à goutte il écoutera cette pluie fine de mes yeux et puis me répondra des fleurs belles qui seront les plus vives du monde.
 
Que feras-tu de ces réponses belles qui seront les plus vives du monde ?
 
M’en parerai la joue, les doigts, la
L’arrosoir De Larmes
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/222]]==
ceinture, la gorge ; et deviendra, la Dame en deuil, étrange et précieuse infiniment.
 
Pourquoi t’ainsi parer la joue, les doigts, la ceinture, la gorge, et devenir, ô Dame en deuil, étrange et précieuse infiniment ?
 
Afin de plaire au Chevalier du Lendemain qui blond m’espère au seuil du cimetière, en habit de faisan !
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/224]]==
 
LE SILENCE
 
''A Charles-Henri Hirsch.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/226]]==
 
LE SILENCE
 
Timide fantôme en toile d’araignée, §o qui donc es-tu ?
 
Dut faire, le fantôme, un signe à quelque brise d’aventure, car je lus sur la nuque des luzernes :
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/227]]==
 
— Je suis le Refuge des corps étourdis par la besogne de la Vie.
 
{{astérisme}}
 
— Discret fantôme en toile d’araignée, qui donc es-tu ?
 
Dut faire, le fantôme, un signe à quelque rais de lune, car je lus sur la mare aux libellules :
 
— Je suis la Consolation des âmes frustrées par le salaire de la Vie.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/228]]==
 
{{astérisme}}
 
— Étrange fantôme en toile d’araignée, qui donc es-tu ?
 
Dut faire, le fantôme, un signe à quelque chauve-souris, car je lus sur la sublime ardoise du sommeil :
 
— Je suis l’Excuse de la Mort et je me nomme le Silence.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/230]]==
 
LE CIMETIÈRE
 
DES TOMBES DÉLAISSÉES
 
''A Elzéar Rougier''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/231]]==
 
Pour l’éventail de l’Ame de Laurent Tailhade.
 
La chair recèle une présente aux os d’absence
Eternelle ainsi qu’un pétale d’infini,
Colombe de la vieille barbe de l’Essence,
Ancille fantastique du limon puni.
 
Vers la solide amphore la bru du Mystère .
Avint, à l’aube vierge du bizarre hymen ;
Parmi les cinq bai-sers l’invisible et la terre
Engendrent les effets du carnaval humain.
 
Mais, les saule3 du vêpre éteignant le ménage,
Echoit la catastrophe du long badinage
Où le corbeau regagne le lavoir natal
 
Et l’argile revêt le sac en lin de leurre
Afin que l’Anguleuse-au-regard-de-métal
Y puise l’aliment du sablier de l’Heure.
 
(Nos banales annales.)
 
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/232]]==
 
LE CIMETIÈRE
 
DES TOMBES DÉLAISSÉES
 
J’errais, cette nuit, dans le cimetière des Tombes Délaissées. Les tlocons de lune descendirent m’analyser dans sa hargneuse disgrâce le domaine sans lleurs et sans larmes fraîches.
 
Imbroglio d’herbes folles, de lichens,
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/233]]==
de chardons, de ronces, de résilles d’araignées, de marbres rompus et de croix renversées par la foudre…
 
Il me vint au cerveau, parmi cette exorbitante coalition d’oublis, que le souvenir lui-même était défunt.
 
Traitant le souvenir en chose préhistorique, je m’efforçai de définir cette faculté du vieil âge des cultes ; mais, soit que l’égaràt dans les inextricables broussailles . du cimetière un gnome, soit que ces broussailles eussent élu domicile en mon crâne, soit que ce monde eût véritablement proscrit la mémoire, mon effort ne put aboutir.
 
Sec de ce que nul cœur n’avait depuis des dégénérations pleuré sur lui, un Squelette, misérable fagot d’os, pérégrina vers ma viande.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/234]]==
 
Je crus regarder une tarentule à la loupe.
 
Que tristes les reliefs d’un gala de vie !
 
Deux vers luisants blottis dans ses orbites semblaient les jadis de ses prunelles iinies.
 
Sous le nez à la Socrate — Sa Sagesse la Mort ! — la bouche aux dents rares avait l’air d’un traquenard.
 
Nulle crainte pourtant, l’aspect des indigents de la terre m’ayant appris à ne plus m’efîrayer du peu ou point de chair et de peau sur les os.
 
Pour corriger l’attitude gauche d’un vivant vis-à-vis d’un trépassé, je liai brusquement conversation :
 
— Qu’est-ce que le Souvenir ? Par signes, le Squelette m’édilia. Ramassant une couronne d’immortelles
 
usée jusqu’au fil :
 
— La Mort.
 
Puis, prenant un tibia :
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/235]]==
 
— La Vie. Exprima-t-il.
 
Enfin, plaçant le tibia devant la couronne à la façon d’un 1 devant un O, il ajouta d’un geste de conclusion vers cet assemblage :
 
— Le Souvenir.
 
Après un salut de mime menacé de la toile, le Squelette réintégra son mausolée, satisfait.
 
Dans la longue allée des Larmes Sculptées, un grand moine immobile auprès d’un cippe funéraire arrêta ma retraite.
 
De la cagoule émanèrent ces paroles :
 
— « Bras de sage-femme devant un ventre mûr, baguette de devin autour d’une abstraction, abeille butinant la fleur du passé pour le miel de l’avenir, le Souvenir acbève l’absence et peuple le vide, ltève, s’il avorte ; génie, s’il aboutit. Souvenir
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/236]]==
venu à terme et viable qu’un être. Existence levée d’un cercueil ou couchée dans un berceau, la vie est une évocation saisissable de l’immanente remembrance, et vous respirez, revenants que vous êtes ô les vivants, parce que la pensée d’un autre obligea votre moment. La persistance de l’univers, superficiellement reneuf, mais foncièrement immuable, relève, à n’en pas douter, de la formidable mémoire de Dieu, ce grand mouvement où se règlent tous les souvenirs. N’as-tu pas vu jouer quantité de pièces par les mêmes acteurs différemment affublés ? Ainsi de la vie. Mille faits sont agis par les mêmes êtres reproduits. Sache le nombre des vivants relativement restreint, mais ils vivent à diverses reprises (songe à ces figurants qui rejaillissent de la coulisse, une cuirasse vite jetée sur leur blouse antérieure) jusqu’à ce que, le Souvenir
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/237]]==
s’émoussant, ils s’épuisent avec lui et pour toujours s’évaporent. Le présent n’est que la seconde incarnation du passé comme l’avenir en sera la troisième. Remplissez donc avec sagesse votre office codivin, mortels, et charitablement souvenez-vous. La mission de l’homme est de placer son amour devant le miroir de sa race et d’en moissonner les reflets. Il vous sied de réveiller les endormis et de repeser à leur place. La mort lasse autant que la vie ; revivre c’est aussi se reposer. Gardez-vous de l’indifférence, ce verrou des cimetières guérissez-vous de l’égoïsme qui vous use trop longtemps les membres et vous ôte le don de créateur. Hélas, ici les vivants s’affirment de plus en plus Avares du Présent. Ah ! si les fils d’alentour ne redoutaient d’avoir à rendre l’héritage, leur mémoire serait la survie des pères en allés, et l’on verrait ces fils à leur tour mener
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/238]]==
ces pères à l’école par la main. C’est à peine si les vieillards s’amusent encore à faire des bulles d’enfance ! La suffisance voisine, accroupie sur le festin de l’heure immédiate et tendue vers le parfum des lendemains, ne daigne plus aider à l’effort universel, aussi bien la cité proche est- elle près de sombrer tout entière, sans espoir de revenir, sous l’avalanche de sa propre indifférence. De grâce exaltez au nom de l’immortalité, exaltez le Souvenir qui ressuscite, et de votre généreux front surgiront des êtres du front reconnaissant desquels vous surgirez en retour, ô vivants, pour votre perpétuité propre et pour l’utile ordonnance de la Mort ! »
 
Ayant voulu baiser [la mainjj’du moine mystérieux, je m’aperçus que la voix était sortie d’un cyprès.
 
Persuadé que le Squelette avait dû faire
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/239]]==
 
d’inouis efforts pour se mouvoir vers la médiation possible du poëte, je courus aux portes de la cité d’ingratitude et suppliai ses habitants de se rappeler (s’ils désiraient vivre encore plus tard, après un laps de mort) qu’ils avaient existé jadis et d’aller pleurer sur les tombes une fois au moins tous les sept ans — avec licence, au cas d’un rire insurséable, de se faire représenter par un scrupuleux fondé de pouvoirs .
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/240]]==
 
LES DEUX SERPENTS
 
QUI BURENT TROP DE LAIT
 
''A Stuart Merrill.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/241]]==
 
<poem>
Partageons ta honte comme une assiette de cerises.
:Crépusculaire inspirateur de ton péché,
:N’ai-jc pas fécondé le lin de ta psyché ?
 
Partageons ta honte comme une assiette de cerises.
:N’ai-je pas dit l’écueil folâtre à ton timon
:Que j’attisais d’une caresse de démon ?
 
Partageons ta honte comme une assiette de cerises
:Ne t’accuse donc plus d’avoir lésé mon cœur
:Et vis sans redouter l’ongle de ma rancœur.
 
Partageons ta honte comme une assiette de cerises.
:Troquons plutôt nos airs de comparution,
:Seul je dois me courber sous l’Absolution.
 
Partageons ta honte comme une assiette de cerises.
:Offrant ma tête ainsi qu’une boule à ton pié,
:Me voici tout au bon vouloir de ta pitié.
 
Partageons ta honte comme une assiette de cerises.
:Effeuille le pardon, l’outrage ou le trépas ;
:Mais, quel que soit mon sort, ne m’interroge pas.
 
Partageons ta honte comme une assiette de cerises.
:Je suis l’énigme noire au sein d’un marbre blanc
:Et j’ai détruit la clef magique de mon flanc.
 
Partageons ta honte comme une assiette de cerises.
:Qui tenterait de mettre mon mystère à nu
:Ne trouverait qu’un ris de faune biscornu.
 
Va nous cueillir de nouvelles cerises !
</poem>
 
(Les Filles du Calvaire. — A la fille de trahison.)
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/242]]==
 
LES DEUX SERPENTS
 
QUI BURENT TROP DE LAIT
 
O tardive, dis-moi, quelles sont ces deux blancheurs qui dans l’ombre
s’avancent ?
 
Sans doute deux rayons de lune exprimés par l’huis de ma venue.
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/243]]==
 
Un rayon de lune est fluide et diaphane, ce que je vois est opaque et solide.
 
Alors ce sont deux banderoles de neige pleurées par les blessures de la tuile.
 
Nous sommes en juillet, brune amante, mais fussions-nous en décembre, l’haleine de la chambre aurait déjà fondu les flocons que tu dis.
 
Alors ce sont deux rameaux d’aubépine aux lèvres des persiennes.
 
Notre mansarde est haute, et je ne sache pas que l’aubépine pousse dans l’espace.
 
Alors ce sont deux cols de cygne.
 
Nous n’avons pas de cygnes dans la chambre, et puis un col de cygne est souple
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/244]]==
et d’harmonie, tandis qu’à la manière des serpents ces choses-là se tordent.
 
Et si c’étaient deux ce que tu viens de dire ?
 
Deux serpents, veux-tu rire, blancs ?
 
On a vu des serpents boire iniiniment de lait.
 
Personne avec toi n’est entré ?
Personne que ma chevelure.
 
Comment se seraient-ils introduits en ce
 
cas ?
 
Aurais-tu peur de deux serpents qui burent trop de lait ?
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/245]]==
 
Prends garde, Marcelle ! ils vont sauter sur toi ! viens, oh viens près du lit !…
 
Laisse donc ces fœtus du sommeil !
 
Ils ont sauté, sauté jusqu’à ta gorge, ô ma pauvre ! et leurs queues nouées à tes épaules, voilà qu’ils se balancent dans tes gestes vers tes mains…
 
Fou, puisse ma caresse effacer ton cauchemar !
 
Ils assaillent mon lit, rampent vers mon cou… ah je les sens s’y joindre en collier de potence !
 
Non, c’est moi qui t’enlace, bel halluciné…
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/246]]==
 
Eh quoi !… ces deux serpents qui burent trop de lait…
 
Seraient mes bras, ami, mes deux bras blancs…
 
Tes bras… tes deux bras blancs…
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/248]]==
 
LE PAON
 
''A Camille Mauelair.''
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/250]]==
 
LE PAON
 
Le long de cet escalier sans fin comme l’échelle d’Ezéchiel s’épanouit un Paon dont la queue triomphale étale un essaim d’yeux fabuleux ; le splendide oiseau, néanmoins, pèche par le sarment de sa démarche et par le verbe
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/251]]==
dérisoire que le lézard de son col fiche ainsi qu’une écharde en l’cparse harmonie.
 
Lorsque, autrefois, j’utilisais cet escalier pour ascendre au Rêve ou pour descendre à la Réalité,toujours me dévisageaient ces yeux plus grandioses que les yeux délaissés des courtisanes mortes ; il me semblait essuyer la glorieuse curiosité de cent Vierges à balustrade d’un pensionnat, aussi la roue mûrissait-elle des*pêches peureuses sur mes joues candides.
 
Encore saine de la Vie, mon adolescence n’avait ouï que la louange du firmament de plumes expansives ; mes années premières n’avaient subi que la génuflexion de l’éventail, orgueilleux de ma lumière pure.
 
Mais, cejsoir, au retour des villes folles,
==[[Page:Saint-Pol-Roux - Les Reposoirs de la procession, t1, 1893.djvu/252]]==
comme je passais devant le Paon singulier, j’ai remarqué des yeux cruels au lieu des prunelles élogieuses d’antan.
 
Afin de savoir, ayant saisi leurs solides regards de glace, et les faisant fondre au brasier de ma confusion, je trouvai, dans l’onde acquise, mes péchés déguisés en crapauds.
 
Furieux contre cette impor tu ne voyance, je voulus crever les espions — quand, soudain, se cabrant à la manière d’un feu d’artifice, le Paon s’écria :
 
— « Jadis, Insensé, ma roue courtisait ton aube, et mon madrigal effarouchait ta modestie rose ; maintenant, ma roue vrille ton clair de lune, et ma satire énerve ta modestie verte. Sache, bon gré mal gré le Poëte exécute un spectacle de la boîteaux-langes à la boîte-au-linceul, et chacun des pantins est le seul jardinier des yeux qui le poursuivent. Crève-les, si tu peux,
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mes yeux relloriront. Ton être appartient à la foule — et je suis l’Opinion. »
 
Depuis, envieux du paysan calme parmi le trèfle et que protège l’igncrance, je n’ese plus être bon ni mauvais, pour ne pas éveiller l’extraordinaire vision.
 
Oh ! vivre au cœur des solitudes, une pierre sépulchrale au dessus de ma vie !