« Journal du voyage de Montaigne » : différence entre les versions

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même famille, & du Verdier a grand soin d'en faire la distinction.
F I N.
 
VOYAGE
VOYAGE DE MICHEL DE MONTAIGNE EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE.
D E
 
MICHEL DE MONTAIGNE
--[[Utilisateur:82.126.211.14|82.126.211.14]] 15 novembre 2006 à 15:35 (UTC)48 MONSIEUR DE MONTAIGNE depescha Monsieur de Mattecoulon en poste avec ledit
EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE.
48MONSIEUR DE MONTAIGNE depescha Monsieur de Mattecoulon en poste avec ledit
escuyer, pour visiter ledit Conte, & trouva, que ses playes n’estoint pas mortelles. Audit Beaumont,
M. d’Estissac se mesla à la trope pour faire même voyage, accompaigné d’un jantil’home, d’un
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hauteur d’un homme.
De Meaux où nous disnames le mardy nous vinsmes coucher à
 
CHARLY, sept lieues. Le mercredy après disner vinsmes coucher à
48 IL MANQUE deux pages du Manuscrit formant le premier feuillet, qui paroît avoir été déchiré fort anciennement, puisque le
livre a été trouvé en cet état. On ne sait point quel est le Comte que Montaigne envoya visiter, ni l’accident qui causa ses blessures;
mais on ne se permettra point la moindre conjecture sur un fait étranger à l’Auteur.
 
DORMANS, sept lieues. Le landemein qui fut jeudi matin vinsmes disner à
 
ESPRENAI, cinq lieues. Où estans arrivés, MM. d’Estissac & de Montaigne s’en allarent à la
messe comme c’estoit leur coutume, en l’eglise Nostre Dame ; & parce que ledit seigr. de
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instruit & en peut instruire les gentil’hommes qui s’en enquerroint. Nous partimes de là le vendredy
matin & vinsmes à
 
CHAALONS, sept lieues. Et y logeasmes à la Couronne qui est un beau logis, & y sert-on en
vesselle d’argeant, & la pluspart des lits & couvertes sont de soie. Les communs battimens de toute
cette contrée sont de croye, coupée à petites pieces quarrées, de demi pied ou environ & d’autres de
terre en gason de mesme forme. Le lendemein nous en partimes après disner, & vinsmes coucher à
 
VITRI LE FRANÇOIS, sept lieues. C’est une petite ville assise sur la riviere de Marne, battie
depuis trente-cinq ou quarante ans, au lieu de l’autre Vitry qui fut bruslé. Ell’a encore sa premiere
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est très-certin, & ainsi tesmoigné à M. de Montaigne par les plus apparens officiers de la ville. Delà
nous partismes dimenche matin après desjeuné, & vinsmes d’une trete à
 
BAR, neuf lieues. Où M. de Montaigne avoit esté autresfois, & n’y trouva de remarquable de
nouveau que la despense estrange qu’un particulier prestre & doyen de là a employé & continue
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il veut faire un colliege, & est après à le doter & mettre en trein à ses despens. De Bar, où nous
disnames le lundi matin, nous nous en vinsmes coucher à
 
MANNESE, quatre lieues. Petit village où M. de Montaigne fut arresté, à cause de sa colicque,
qui fut aussi cause qu’il laissa le dessein qu’il avoit aussi faict de voir Toul, Metz, Nancy, Jouinville
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les beings de Plombieres en diligence. De Mannese, nous partismes mardi, au matin & vinsmes
disner à
 
VAUCOULEUR, une lieue. Et passames le long de la riviere de Meuse dans un village nommé.
 
DONREMY, sur Meuse, à trois lieues dudit Vaucouleur. D’où estoit natifve cette fameuse
pucelle d’Orléans, qui se nommoit Jeane Day ou Dallis. Ses descendans furent annoblis par faveur
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d’une vigne qu’on nomme, l’abre de la Pucelle, qui n’a nulle autre chose à remarquer. Nous
vinsmes ce soir coucher à
 
NEUFCASTEAU, cinq lieues. Où en l’église des Cordeliers il y a force tumbes anciennes de
trois ou quatre cens ans de la noblesse du païs, desqueles toutes les inscriptions sont en ce lengage :
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bénéfices. Elles font au demeurant le service divin coimme ailleurs. La plus grand part y finissent
leurs jours & ne veulent changer de condition. Delà nous vinsmes soupper à
 
ESPINÉ, cinq lieuës. C’est une belle petite ville sur la riviere de la Moselle où l’entrée nous fût
refusée d’autant que nous avions passé à Neufchasteau, où la peste avoit été il n’y a pas
long-temps. Lendemain matin nous vinsmes disner à
 
PLOMMIERES, quatre lieues. Depuis Bar-le-Duc les lieues reprennent la mesure de Guascogne,
& vont s’allongeant vers l’Allemagne, jusques à les doubler & tripler enfin. Nous y entrasmes le
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Il me vint en fantaisie d’étudier la langue Toscane, & de l’apprendre par principes ; j’y mettois
assez de tems & de soins, mais j’y faisois peu de progrès.
On éprouva dans cette saison une chaleur beaucoup plus vive qu’on n’en sentoit communément.sa
Le 12, j’allai voir hors de Lucques la maison de campagne de M. Benoît Buonvisi, que je trouvai
d’une beauté médiocre. J’y vis, entr’autres choses, la forme de certains bosquets qu’ils font sur des
lieux élevés. Dans un espace d’environ cinquante pas, ils plantent divers arbres de l’espece de ceux
qui restent verds toute l’année. Ils entourent ce lieu de petits fossés, & pratiquent au dedans de
petites allées couvertes. Au milieu du bosquet, est un endroit pour le chasseur qui, dans certains
tems de l’année, comme vers le mois de Novembre, muni d’un sifflet d’argent & de quelques grives
prises exprès pour cet usage & bien attachées, après avoir disposé de tous côtés plusieurs appeaux
avec de la glu, prendra dans une matinée deux cents grives. Cela ne se fait que dans un certain
canton près de la ville.
Le Dimanche 13, je partis de Lucques, après avoir donné ordre qu’on offrît à M. Louis Pinitesi
quinze écus pour l’appartement qu’il m’avoit cédé dans sa maison, (ce qui revenoit à un écu par
jour) : il en fut très-content.
Nous allâmes voir ce jour-là plusieurs maisons de campagne appartenant à des Gentilshommes de
Lucques ; elles sont jolies, agréables, enfìn elles ont leurs beautés. L’eau y est abondante, mais
postiche, c’est-à-dire, ni naturelle, ni vive, ou continuelle.
Il est étonnant de voir si peu de fontaines dans un pays si montueux.
Les eaux dont ils se servent, ils les tirent des ruisseaux ; & pour l’ornement, ils les érigent en fontaines
avec des vases, des grottes, & autres travaux à cet usage. Nous vinmes le soir souper à une
maison de campagne de M. Louis, avec M. Horace son fils, qui nous accompagnoit toujours. Il nous
reçut fort bien, & nous donna un très-bon souper sous une grande galerie fort fraîche & ouverte de
tous côtés. Il nous fit ensuite coucher séparément dans de bonnes chambres, où nous eûmes des
draps de lin très-blancs & d’une grande propreté, tels que nous en avions eus à Lucques dans la
maison de son pere.
Lundi, de bonne heure, nous partîmes de là, & chemin faisant, sans descendre de cheval, nous
nous arrêtâmes à la maison de campagne de l’Evêque qui y étoit. Nous fûmes très-bien reçus par ses
gens & même invités à y dîner ; mais nous allâmes dîner aux
BAINS DELLA VILLA, 15 milles. J’y reçus de tout le monde le meilleur accueil, & des caresses
infinies. Il sembloit en vérité que je fusse de retour chez moi. Je logeai encore dans la même
chambre que j’avois louée ci-devant vingt écus par mois, au même prix & aux mêmes conditions.
Le Mardi, 15 Août, j’allai de bon matin me baigner ; je restai un peu moins d’une heure dans le
bain, & je le retrouvai plus froid que chaud. Il ne me provoqua point de sueur. J’arrivai à ces bains
non-seulement en bonne santé, mais je puis dire encore fort allegre de toute façon. Après m’être
baigné, je rendis des urines troubles ; le soir ayant marché quelque tems par des chemins montueux
& difficiles, elles furent tout-à-fait sanguinolentes, & quand je fus couché je sentis je ne sai quel
embarras dans les reins.
Le 16, je continuai le bain, & pour être seul à l’écart, je choisis celui des femmes où je n’avois
pas encore été. Il me parut trop chaud, soit qu’il le fût réellement, soit qu’ayant déjà les pores
ouverts par le bain que j’avois pris la veille, je fusse plus prompt à m’échauffer ; cependant j’y
restai plus d’une heure. Je suai médiocrement ; les urines étoient naturelles, point de sable. Après
dîner, les urines revinrent encore troubles & rousses ; & vers le coucher du soleil elles étoient
sanguinolentes.
Le 17, je trouvai le même bain plus tempéré. Je suai très-peu ; les urines étoient un peu troubles,
avec un peu de sable ; j’avois le teint d’un jaune pâle.
Le 18, je restai deux heures encore au même bain. Je sentis aux reins je ne sai quelle pesanteur ;
mon ventre étoit aussi libre qu’il le falloit. Dès le premier jour j’avois éprouvé beaucoup de vents &
de borborigmes ; ce que je crois sans peine être un effet particulier de ces eaux, parce que la
premiere fois que je pris les bains, je m’apperçus sensiblement que les mêmes vents étoient produits
de cette maniere.
Le 19, j’allai au bain un peu plus tard, pour donner le tems à une Dame de Lucques de se baigner
avant moi, parce que c’est une regle assez raisonnable observée ici, que les femmes jouissent à leur
aise de leur bain ; aussi j’y restai deux heures.
Ma tête pendant plusieurs jours s’étoit maintenue en très bon état ; il lui survint un peu de
pesanteur. Mes urines étoient toujours troubles, mais en diverses façons, & elles charrioient
beaucoup de sable. Je m’appercevois aussi de je ne sai quels mouvemens aux reins ; & si je pense
juste en ceci, c’est une des principales propriétés de ces bains. Non seulement ils dilatent & ouvrent
les passages & les conduits, mais encore ils poussent la matiere, la dissipent, & la font disparoître.
Je jettois du sable qui paroissoit n’être autre chose que des pierres brisées, récemment désunies.
La nuit je sentis au côté gauche un commencement de colique assez fort & même poignant, qui
me tourmenta pendant un bon espace de tems, & ne fit pas néanmoins les progrès ordinaires ; car le
mal ne s’étendit point jusqu’au bas ventre, & il finit de façon à me faire croire que c’étoient des
vents.
Le 20, je fus deux heures au bain. Les vents me causerent pendant tout le jour de grandes incommodités
au bas ventre. Je rendois toujours des urines troubles, rousses, épaisses, avec un peu de
sable. La tête me faisoit mal, & j’allois du ventre plus que de coutume.
On n’observe pas ici les Fêtes avec la même religion que nous, ni même le Dimanche ; on voit
les femmes faire la plus grande partie de leur travail après dîner. Le 21, je continuai mon bain après
lequel j’avois les reins fort douloureux ; mes urines étoient abondantes & troubles, & je rendois
toujours un peu de sable. Je jugeois que les vents étoient la cause des douleurs que j’éprouvois alors
dans les reins, parce qu’ils se faisoient sentir de tous côtés. Ces urines si troubles me faisoient
pressentir la descente de quelque grosse pierre ; je ne devinai que trop bien. Après avoir le matin
écrit cette partie de mon joural, aussi-tôt que j’eus dîné, je sentis de vives douleurs de colique ; &
pour me tenir plus alerte, il s’y joignit, à la joue gauche, un mal de dents très aigu, que je n’avois
point encore éprouvé. Ne pouvant supporter tant de malaise, deux ou trois heures après je me mis au
lit, ce qui fit bien-tôt cesser la douleur de ma joue.
Cependant, comme la colique continuoit de me déchirer, & qu’aux mouvemens flatueux qui
tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, occupoient successivement diverses parties de mon corps, je
sentois enfin que c’étoint plutôt des vents que des pierres, je fus forcé de demander un lavement. Il
me fut donné sur le soir très-bien préparé avec de l’huile, de la camomille & de l’anis, le tout ordonné
seulement par l’Apothicaire. Le Capitaine Paulino me l’administra lui-même avec beaucoup
d’adresse ; car quand il sentoit que les vents repoussoient, il s’arrêtoit & retiroit la seringue à lui,
puis il reprenoit doucement & continuoit de façon que je pris le remede tout entier sans aucun
dégoût. Il n’eut pas besoin de me recommander de le garder tant que je pourrais, puisque je ne fus
pressé par aucune envie. Je le gardai donc jusqu’à trois heures, & ensuite je m’avisai de moi-même
de le rendre. Etant hors du lit, je pris avec beaucoup de peine un peu de masse pain & quatre gouttes
de vin. Sur cela je me remis au lit, & après un léger sommeil, il me prit envie d’aller à la selle ; j’y
fus quatre fois jusques au jour, y ayant toujours quelque partie du lavement qui n’étoit pas rendu.
Le lendemain matin, je me trouvai fort soulagé, parce qu’il m’avoit fait sortir beaucoup de vents.
J’étois fort fatigué, mais sans aucune douleur. Je mangeai un peu à dîner, sans nul appétit ; je bus
aussi sans goût, quoique je me sentisse altéré. Après dîner, la douleur me reprit encore une fois à la
joue gauche, & me fit beaucoup souffrir, depuis le dîner jusqu’au souper. Comme j’étois bien
convaincu que mes vents ne venoint que du bain, je l’abandonnai, & je dormis bien toute la nuit.
Le jour suivant à mon réveil, je me trouvai las & chagrin, la bouche séche avec des aigreurs &
un mauvais goût, l’haleine comme si j’avois eu la fievre. Je ne sentois aucun mal, mais je continuois
de rendre des urines extraordinaires & fort troubles.
Enfin, le 24 au matin, je poussai une pierre, qui s’arrêta au passage. Je restai depuis ce moment
jusqu’au dîner sans uriner, quoique j’en eusse grande envie. Alors je rendis ma pierre non sans
douleur & sans effusion de sang avant & après l’éjection. Elle étoit de la grandeur & longueur d’une
petite pomme ou noix de pin, mais grosse d’un côté comme une féve, & elle avoit exactement la
forme du membre masculin. Ce fut un grand bonheur pour moi d’avoir pu la faire sortir. Je n’en ai
jamais rendu de comparable en grosseur à celle-ci ; je n’avois que trop bien jugé, par la qualité de
mes urines, ce qui en devoit arriver. Je verrai quelles en seront les suites.
Il y auroit trop de foiblesse & de lâcheté de ma part, si, certain de me retrouver toujours dans le
cas de périr de cette maniere, & la mort s’approchant d’ailleurs à tous les instans, je ne faisois pas
mes efforts, avant d’en être là, pour pouvoir la supporter sans peine, quand le moment sera venu.
Car ensin la raison nous recommande de recevoir joyeusement le bien qui plaît à Dieu de nous envoyer.
Or, le seul remede, la seule regle & l’unique science, pour éviter tous les maux qui assiégent
l’homme de toutes parts & à toute heure, quels qu’ils soient, c’est de se résoudre à les souffrir
humainement ou à les terminer courageusement & promptement.
Le 25 Août, l’urine reprit couleur, & je me retrouvai dans le même état qu’auparavant. Outre
cela, je souffrois souvent tant le jour que la nuit de la joue gauche ; mais cette douleur étoit
passagere, & je me rappellois qu’elle m’avoit autrefois causé chez moi beaucoup d’incommodité.
Le 26 au matin, je fus deux heures au bain.
Le 27 après dîné, je fus cruellement tourmenté d’un mal de dents très-vif, tellement que j’envoyai
chercher le Médecin.
Le Docteur ayant tout examiné, vu principalement que la douleur s’étoit appaisée en sa présence,
jugea que cette espece de fluxion n’avoit pas de corps ou n’en avoit que fort peu ; mais que c’étoient
des vents mêlés de quelque humeur qui montoient de l’estomac à la tête, & me causoient ce
mal-aise ; ce qui me paroissoit d’autant plus vraisemblable, que j’avois éprouvé de pareilles
douleurs en d’autres parties de mon corps.
Le Lundi 28 Août, j’allai de bon matin boire des eaux de la fontaine de Barnabé, & j’en bus sept
livres quatre onces, à douze onces la livre. Elles me procurerent une selle, & j’en rendis un peu
moins de la moitié avant mon dîner. J’éprouvois sensiblement que cette eau me faisoit monter à la
tête des vapeurs qui l’appesantissoient.
Le Mardi 29, je bus de la fontaine ordinaire neuf verres contenant chacun une livre moins une
once, & la tête aussi-tôt me fit mal. Il est vrai, pour dire ce qui en est, que d’elle-même elle étoit en
mauvais état, & qu’elle n’avoit jamais été bien libre depuis le premier bain, quoique sa pesanteur se
fît sentir plus rarement & différemment ; mes yeux un mois auparavant, ne s’étant point affoiblis &
n’ayant point éprouvé d’éblouissement. Je souffrois par derriere, mais jamais je n’avois mal à la tête
que la douleur ne s’étendît à la joue gauche qu’elle embrassoit toute entiere, jusqu’aux dents même
les plus basses, enfin à l’oreille & à une partie du nez. La douleur passoit vîte, mais d’ordinaire elle
étoit aiguë, & elle me reprenoit souvent le jour & la nuit. Tel étoit alors l’état de ma tête.
Je crois que les fumées de cette eau, soit en buvant, soit en se baignant (quoique plus d’une
façon que de l’autre) sont fort nuisibles à l’estomac. C’est pourquoi l’on est ici dans l’usage de
prendre quelques médecines pour prévenir cet inconvénient.
Je rendis dans le cours d’une journée jusqu’à la suivante, à une livre près, toute l’eau que j’avois
bue, en comptant celle que je buvois à table, mais qui étoit bien peu de chose, puisqu’elle n’alloit
pas à une livre par jour. Dans l’après-dînée, vers le coucher du soleil, j’allai au bain, j’y restai
trois-quarts-d’heure, & le Mercredi je suai un peu.
Le 30 Août, je bus deux verres, à neuf onces le verre ; ce qui fit dix-huit onces, & j’en rendis la
moitié avant dîner.
Le Jeudi je m’abstins de boire, & j’allai le matin à cheval voir Controne, village fort peuplé sur
ces montagnes. Il y avoit plusieurs plaines belles & fertiles, & des paturages sur la cime. Ce village
a plusieurs petites campagnes, & des maisons commodes bâties de pierres, dont les toits sont aussi
couverts de pierre en plateaux. Je fis un grand circuit autour de ces montagnes avant de retourner au
logis.
Je n’étois pas content de la maniere dont j’avois rendu les dernieres eaux que j’avois prises ; c’est
pourquoi il me vint dans l’idée de renoncer à en boire. Ce qui me déplaisoit en cela, c’est que je ne
trouvois pas mon compte les jours de boisson, en comparant ce que j’urinois avec ce que je buvois.
Il falloit, la derniere fois que je bus, qu’il fût encore resté dans mon corps plus de trois verres de
l’eau du bain, outre qu’il m’étoit survenu un resserrement que je pouvois regarder comme une vraie
constipation, par rapport à mon état ordinaire.
Le Vendredi, premier Septembre 1581, je me baignai une heure le matin ; il me prit dans le bain
un peu de sueur, & je rendis en urinant une grande quantité de sable rouge. Lorsque je buvois, je
n’en rendois pas ou bien peu. J’avois la tête à l’ordinaire, c’est à dire, en mauvais état. Je commençois
à me trouver incommodé de ces bains ; ensorte que si j’eusse reçu de France les nouvelles
que j’attendois depuis quatre mois sans en recevoir, j’eusse parti sur le champ, & j’aurois préféré
d’aller finir la cure de l’automne à quelques autres bains que ce fût.
En tournant mes pas du côte de Rome, je trouvois à peu de distance de la grande route, les bains
de Bagno-acqua, de Sienne & de Viterbe ; du côté de Venise, ceux de Bologne & de Padoue.
A Pise, je fis blasonner & dorer mes armes, avec de belles & vives couleurs, le tout pour un écu &
demi de France ; ensuite, comme elles étoient peintes sur toile, je les fis encadrer au bain, & je fis
clouer, avec beaucoup de soin le tableau au mur de la chambre que j’occupois, sous cette condition,
qu’elles devoient être censées données à la chambre, non au Capitaine Paulino, quoiqu’il fût le
maître du logis, & attachées à cette chambre quelque chose qui pût arriver dans la suite. Le
Capitaine me le promit & en fit serment.
Le Dimanche 3, j’allai au bain, & j’y restai un peu plus d’une heure. Je sentis beaucoup de vents,
mais sans douleurs.
La nuit & le matin du Lundi 4, je fus cruellement tourmenté de la douleur des dents ; je
soupçonnai dès-lors qu’elle provenoit de quelque dent gâtée. Je mâchois le matin du mastic sans
éprouver aucun soulagement. L’altération que me causoit cette douleur aiguë, faisoit encore que
j’étois constipé, & c’étoit pour cela que je n’osois me remettre à boire des eaux ; ainsi je faisois
très-peu de remedes. Cette douleur, vers le tems du dîner, & trois ou quatre heures après, me laissa
tranquille ; mais sur les vingt heures, elle me reprit avec tant de violence & aux deux joues, que je
ne pouvois me tenir sur mes pieds, la force du mal me donnoit des envies de vomir. Tantôt j’étois
tout en sueur, & tantôt je frissonnois. Comme je sentois du mal par-tout, cela me fit croire que la
douleur ne provenoit pas d’une dent gâtée. Car, quoique le fort du mal fût au côté gauche, il étoit
quelquefois encore très-violent aux deux tempes & au menton, & s’étendoit jusqu’aux épaules, au
gosier, même de tous côtés ; ensorte que je passai la plus cruelle nuit que je me souvienne d’avoir
passé de ma vie ; c’étoit une vraye rage & une fureur.
J’envoyai chercher la nuit même un Apothicaire qui me donna de l’eau-de-vie, pour la tenir du
côté où je souffrois le plus, ce qui me soulagea beaucoup. Dès l’instant que je l’eus dans la bouche,
toute la douleur cessa ; mais aussitôt que l’eau-de-vie étoit imbibée, le mal reprenoit. Ainsi j’avois
continuellement le verre à la bouche ; mais je ne pouvois y garder la liqueur, parce qu’aussitôt que
j’étois tranquille, la lassitude me provoquoit au sommeil, & en dormant il m’en tomboit toujours
dans le gosier quelques gouttes, qui m’obligeoient de la rejetter sur le champ. La douleur me quitta
vers le point du jour.
Le Mardi matin, tous les Gentilshommes qui étoient au bain vinrent me voir dans mon lit. Je me
fis appliquer à la tempe gauche, sur le pouls même un petit emplâtre de mastic, & ce jour là je
souffris peu. La nuit on me mit des étoupes chaudes sur la joue & au côté gauche de la tête. Je dormis
sans douleur, mais d’un sommeil agité.
Le Mercredi, j’avois encore quelque resentiment de mal, tant aux dents qu’à l’oeil gauche ; je
dormis sans douleur, mais d’un sommeil agité. En urinant je rendois du sable, mais non pas en si
grande quantité que la premiere fois que je fus ici, & quelquefois il ressembloit à de petits grains de
millet roussâtre.
Le Jeudi matin, 7 de Septembre, je fus pendant une heure au grand bain.
Dans la même matinée, on m’apporta, par la voie de Rome, des lettres de M. Tausin, écrites de
Bordeaux le 2 Août, par lesquelles il m’apprenoit que le jour précédent j’avois été élu d’un
consentement unanime Maire de Bordeaux, & il m’invitoit à accepter cet emploi pour l’amour de
ma Patrie.
Le Dimanche 10 Septembre, je me baignai le matin une heure au bain des femmes, & comme il
étoit un peu chaud, j’y suai un peu.
Après dîner, j’allai tout seul à cheval voir quelques autres endroits du voisinage, &
particuliérement une petite campagne qu’on nomme Gragnaiola, située au sommet d’une des plus
hautes montagnes du canton. En passant sur la cime des Monts, je découvrois les plus riches, les
plus fertiles & les plus agréables collines que l’on puisse voir.
Comme je m’entretenois avec quelques gens du lieu, je demandai à un vieillard fort âgé, s’ils
usoient de nos bains : il me répondit, qu’il leur arrivoit la même chose qu’à ceux qui pour être trop
voisins de Notre-Dame de Lorette, y vont rarement en pélérinage ; qu’on ne voyoit donc gueres
opérer les bains, qu’en faveur des étrangers, & de personnes qui venoient de loin. Il ajouta qu’il
s’appercevoit avec chagrin depuis quelques années que ces bains étoient plus nuisibles que salutaires
à ceux qui les prenoient ; ce qui provenoit de ce qu’autrefois il n’y avoit pas dans le pays un
Apothicaire, & qu’on y voyoit rarement même des Médecins, au lieu qu’à présent c’est tout le contraire.
Ces gens là, plus pour leur profit que pour le bien des malades, ont répandu cette opinion,
que les bains ne faisoient aucun effet à ceux qui non-seulement ne prenoient pas quelques
médecines avant & aprés l’usage des eaux, mais même n’avoient pas grand soin de se
médicamenter en les prenant ; ensorte qu’ils (les Médecins) ne consentoient pas aisément qu’on les
prît pures & sans ce mélange. Aussi l’effet le plus évident qui s’en suivoit, selon lui, c’est qu’à ces
bains il mouroit plus de monde qu’il n’en guérissoit, d’où il tenoit pour assuré qu’ils ne tarderoient
pas à tomber en discrédit, & à être totalement méprisés.
Le Lundi 11 Septembre, je rendis le matin beaucoup de sable, presque tout en forme de grains de
millet ronds, fermes, rouges à la surface & gris en dedans.
Le 12 Septembre 1581, nous partîmes des bains della Villa le matin de bonne heure, & nous
allâmes dîner à
LUCQUES, quatorze milles on commençoit à y vendanger. La Fête de Sainte-Croix est une
des principales Fêtes de la Ville ; on donne alors pendant huit jours à ceux qui sont absens pour
dettes la liberté de venir chez eux vacquer librement à cette dévotion.
Je n’ai point trouvé en Italie un seul bon barbier pour me raser & me faire les cheveux.
Le Mercredi au soir, nous allâmes entendre Vêpres au Dôme où il y avoit un concours de toute la
Ville & des Processions. Le Volto Santo étoit découvert : elle est en grande vénération parmi les
Lucquois, parce qu’elle est très-ancienne & illustrée par quantité de miracles. C’est exprès pour elle
que le Dôme a été bâti, & même la petite Chapelle où est gardée cette relique est au milieu de cette
grande Eglise, mais assez mal placée & contre toutes les regles de l’Architecture. Quand les Vêpres
furent dites, toute la pompe passa dans une autre Eglise qui étoit autrefois le Dôme.
Le Jeudi, j’entendis la Messe dans le Choeur du Dôme où étoient tous les Officiers de la
Seigneurie. A Lucques, on aime beaucoup la musique ; on y voit peu d’hommes & de femmes qui
ne la sachent point, & communément ils chantent tous : cependant ils ont très-peu de bonnes voix.
On chanta cette Messe à force de poumons, & ce ne fut pas grand chose. Ils avoient construit exprès
un grand Autel fort haut, en bois & papier, couvert d’images, de grands chandeliers & de beaucoup
de vases d’argent rangés comme un buffet, c’est-à-dire, un bassin au milieu & quatre plats autour.
L’Autel étoit garni de cette maniere depuis le pied jusqu’au haut, ce qui faisoit un assez bel effet.
Toutes les fois que l’Evêque dit la Messe, comme il fit ce jour là, à l’instant qu’il entonne le
Gloria in excelsis, on met le feu à un tas d’étoupes, que l’on attache à une grille de fer suspendue
pour cet usage au milieu de l’Eglise.
La saison dans ce pays là étoit déja fort réfroidie & humide.
Le Vendredi, 15 Septembre, il me survint comme un flux d’urine, c’est-à-dire, j’urinois presque
deux fois plus que je n’avois pris de boisson ; s’il m’étoit resté dans le corps quelque partie de l’eau
du bain, je crois qu’elle sortit.
Le Samedi matin, je rendis sans aucune peine une petite pierre rude au toucher : je l’avois un peu
sentie dans la nuit au bas du ventre & à la tête du gland.
Le Dimanche, 18 Septembre, se fit le changement des Gonfaloniers de la Ville ; j’allai voir cette
cérémonie au Palais. On travaille ici presque sans aucun égard pour le Dimanche, & il y a
beaucoup de boutiques ouvertes.
Le Mercredi, 20 Septembre, après-dîner, je partis de Lucques, après avoir fait emballer, dans deux
caisses, plusieurs choses pour les envoyer en France.
Nous suivîmes un chemin uni, mais par un pays stérile comme les Landes de Gascogne. Nous
passâmes, sur un pont bâti par le Duc Cosme, un grand ruisseau où sont les moulins à fer du Grand
Duc, avec un beau bâtiment. Il y a encore trois pêcheries ou lieux séparés en forme d’étangs qui
sont renfermés, & dont le fond est pavé de briques, où l’on entretient une grande quantité
d’anguilles, que l’on voit aisément par le peu d’eau qui s’y trouve. Nous passâmes l’Arno à
Fusecchio, & nous arrivâmes le soir à
SCALA, vingt milles. J’en partis au point du jour. Je passai par un beau chemin ressemblant à
une plaine. Le pays est entrecoupé de petites montagnes très-fertiles, comme celles de France.
Nous traversâmes Castel Fiorentino, petit bourg fermé de murailles, & ensuite à pied, tout près de
là, Certaldo, beau Château situé sur une colline, patrie de Bocace. Delà nous allâmes dîner à
POGGIBONZI, dix-huit milles, petite terre, d’où nous nous rendîmes à souper à
SIENNE, douze milles. Je trouvai que le froid dans cette saison étoit plus sensible en Italie qu’en
France.
La place de Sienne est la plus belle qu’on voie dans aucune ville d’Italie. On y dit tous les jours
la Messe en public à un Autel, vers lequel les maisons & les boutiques sont tournées de façon que le
peuple & les artisans peuvent l’entendre, sans quitter leur travail ni sortir de leur place. Au moment
de l’élévation, on sonne une trompette pour avertir le monde.
Dimanche, 23 Septembre, après dîner, nous partîmes de Sienne, & après avoir marché par un
chemin aisé, quoique parfois inégal, parce que le pays est semé de collines fertiles & de montagnes
qui ne sont point escarpées, nous arrivâmes à
SAN-CHIRICO, petit Château à vingt milles. Nous logeâmes hors des murs. Le cheval de
somme (qui portoit nos bagages) étant tombé dans un petit ruisseau que nous passâmes à gué, toutes
mes hardes, & sur-tout mes livres furent gâtés ; il fallut du tems pour les sécher. Nous laissâmes sur
les collines voisines, à main gauche, Montepulciano, Montecello & Castiglioncello.
Le Lundi, de bonne heure, j’allai voir un bain éloigné de deux milles, & nommé Vignone, du
nom d’un petit Château qui est tout auprès. Le bain est situé dans un endroit un peu haut, au pied
duquel passe la riviere d’Urcia. Il y a dans ce lieu environ une douzaine de petites maisons peu
commodes & désagréables qui l’entourent, & le tout paroît fort chétif. Là est un grand étang entouré
de murailles & de degrés d’où l’on voit bouillonner au milieu plusieurs jets de cette eau chaude, qui
n’a pas la moindre odeur de souffre, éleve peu de fumée, laisse un sédiment roussâtre, & paroît etre
plus ferrugineuse que d’aucune autre qualité ; mais on n’en boit pas. La longueur de cet étang est de
60 pas, & sa largeur de 25. Il y a tout autour quatre ou cinq endroits séparés & couverts où l’on se
baigne ordinairement. Ce bain est tenu assez proprement.
On ne boit point de ses eaux, mais bien de celles de Saint Cassien, qui ont plus de réputation.
Elles sont près de Sanchirico, à dix-huit milles du côté de Rome à la gauche de la grande route.
En considérant la délicatesse de ces vases de terre qui semblent de la porcelaine, tant ils sont
blancs & propres, je les trouvois à si bon marché, qu’ils me paroissent véritablement d’un usage
plus agréable pour le service de table que l’étain de France, & sur-tout celui qu’on sert dans les
auberges, qui est fort sale.
Tous ces jours-ci, le mal de tête dont je croyois être entiérement délivré, s’étoit fait un peu sentir.
J’éprouvois comme auparavant, aux yeux, au front, à toutes les parties antérieures de la tête, une
certaine pesanteur, un affoiblissement & un trouble qui m’inquiétoient. Le Mardi nous vinmes dîner
à
LA PAGLIA, treize milles, & coucher à
SAN-LORENZO : chétives auberges. On commençoit à vendanger dans ce pays-là.
Le Mercredi matin il survint une dispute entre nos gens & les voituriers de Sienne, qui, voyant que
le voyage étoit plus long que de coutume, fâchés d’être obligés de payer la dépense des chevaux, ne
vouloient pas payer celle de cette soirée. La dispute s’échauffa au point que je fus obligé d’aller
parler au Maire qui me donna gain de cause, après m’avoir entendu, & fit mettre en prison un des
voituriers. J’alléguois que la cause du retard venoit de la chûte du cheval de bagage, qui tombant
dans l’eau avait gâté la plus grande partie de mes hardes.
Près du grand chemin, à quelque pas de distance à main droite, environ à six milles de Montefiascone,
est un bain situé dans une très-grande plaine. Ce bain, à trois ou quatre milles de la
montagne la plus voisine, forme un petit lac, à l’un des bouts duquel on voit une très-grosse source
jetter une eau qui bouillonne avec force, & presque brûlante. Cette eau sent beaucoup le soufre ; elle
jette une écume & des féces blanches. A l’un des côtés de cette source, est un conduit qui amène
l’eau à deux bains, situés dans une maison voisine. Cette maison qui est isolée a plusieurs petites
chambres, assez mauvaises, & je ne crois pas qu’elle soit fort fréquentée. On boit de cette eau
pendant sept jours dix livres chaque fois ; mais il faut la lasser refroidir pour en diminuer la chaleur,
comme on fait au bain de Preissac, & l’on s’y baigne tout autant. Cette maison, ainsi que le bain, est
du domaine d’une certaine Eglise : elle est affermée cinquante écus. Mais outre le profit des
malades qui s’y rendent au Printems, celui qui tient cette maison à loyer, vend une certaine boue
qu’on tire du lac & dont usent les bons Chrétiens, en la délayant avec de l’huile, pour la guérison de
la gale, & pour celle des brebis, & des chiens, en la délayant avec de l’eau. Cette boue en nature &
brute, se vend douze jules, & en boules séches sept quatrins. Nous y trouvâmes beaucoup de chiens
du Cardinal Farnese qu’on y avoit menés pour les faire baigner. Environ à trois milles delà, nous
arrivames à
VITERBE, seize milles. Le jour étoit si avancé, qu’il fallut faire un seul repas du dîner & du
souper. J’étois fort enroué, & je sentois du froid. J’avois dormi tout habillé sur une table à
San-Lorenzo, à cause des punaises ; ce qui ne m’étoit encore arrivé qu’à Florence & dans cet
endroit. Je mangeai ici d’une espece de glands qu’on nomme gensole : l’Italie en produit beaucoup,
& ils ne sont pas mauvais. Il y a encore tant d’étourneaux que vous en avez un pour deux liards.
Le Jeudi 26 Septembre au matin, j’allai voir quelques-autres bains de ce pays situés dans la
plaine, & assez éloignés de la montagne. On voit d’abord deux différens endroits des bâtimens où
étoient il n’y a pas long-tems des bains qu’on a laissé perdre par négligence : le terrein toutefois
exhale une mauvaise odeur. Il y a de plus une maisonnette dans laquelle est une petite source d’eau
chaude qui forme un petit lac, pour se baigner. Cette eau n’a point d’odeur, mais un goût insipide ;
elle est médiocrement chaude. Je jugeai qu’il y avoit beaucoup de fer ; mais on n’en boit pas. Plus
loin est encore un édifice qu’on appelle le Palais du Pape, parce qu’on prétend qu’il a été bâti ou
réparé par le Pape Nicolas. Au bas de ce Palais & dans un terrein fort enfoncé, il y a trois jets
différents d’eau chaude, de l’un desquels on use en boisson. L’eau n’en est que d’une chaleur
médiocre & tempérée : elle n’a point de mauvaise odeur ; on y sent seulement au goût une petite
pointe, où je crois que le nitre domine. J’y étois allé dans l’intention d’en boire pendant trois jours.
On boit là tout comme ailleurs par rapport à la quantité ; on se promene ensuite, & l’on se trouve
bien de suer.
Ces eaux sont en grande réputation ; elles sont transportées par charge dans toute l’Italie. Le Médecin
qui a fait un Traité général de tous les Bains d’Italie, préfere les eaux de celui-ci, pour la
boisson, à toutes les autres. On leur attribue spécialement une grande vertu pour les maux de reins ;
on les boit ordinairement au mois de Mai. Je ne tirai pas un bon augure de la lecture d’un écrit
qu’on voit sur le mur, & qui contient les invectives d’un malade contre les Médecins qui l’avoient
envoyé à ces eaux, dont il se trouvoit beaucoup plus mal qu’auparavant. Je n’augurai pas bien non
plus de ce que le maître des bains disoit que la saison étoit trop avancée, & me sollicitoit froidement
à en boire.
Il n’y a qu’un logis, mais il est grand, commode & décent, éloigné de Viterbe d’un mille & demi;
je m’y rendis à pied. Il renferme trois ou quatre bains qui produisent différents effets, & de plus un
endroit pour la douche. Ces eaux forment une écume très blanche qui se fixe aisément, qui reste
aussi ferme que la glace, & produit une croûte dure sur l’eau. Tout l’endroit est couvert & comme
incrusté de cette écume blanche. Mettez y un morceau de toile, dans le moment vous le voyez
chargé de cette écume, & ferme comme s’il étoit gelé. Cette écume sert à nettoyer les dents ; elle se
vend & transporte hors du pays. En la mâchant, on ne sent qu’un goût de terre & de sable. On dit
que c’est la matiere premiere du marbre qui pourroit bien se pétrifier aussi dans les reins. Cependant
on assure qu’elle ne laisse aucun sédiment dans les flacons où elle se met, & qu’elle s’y conserve
claire & très-pure. Je crois qu’on en peut boire tant qu’on veut, & que la pointe qu’on y sent ne la
rend qu’agréable à boire.
De-là en m’en retournant, je repassai dans cette plaine qui est très-longue, & dont la largeur est
de huit milles, pour voir l’endroit où les habitans de Viterbe, (parmi lesquels il n’y a pas un seul
Gentilhomme, parce qu’ils sont tous Laboureurs & Marchands), ramassent les lins & les chanvres
qui font la matiere de leurs fabriques, auxquelles les hommes seuls travaillent, sans employer
aucunes femmes. Il y avoit un grand nombre de ces ouvriers autour d’un certain lac où l’eau dans
toute saison est également chaude & bouillante. Ils disent que ce lac n’a point de fond, & ils en
dérivent de l’eau pour former d’autres petits lacs tiedes, où ils mettent rouir le chanvre & le lin.
Au retour de ce petit voyage que je fis à pied en allant, & à cheval en revenant, je rendis à la
maison une petite pierre rousse & dure, de la grosseur d’un gros grain de froment ; je l’avois un peu
sentie la veille descendre chez moi vers le bas-ventre, mais elle s’étoit arrêtée au passage. Pour faciliter
la sortie de ces sortes de pierres, on fait bien d’arrêter le conduit de l’urine, & de serrer un peu
la verge ; ce qui lui donne ensuite un peu de ressort pour l’expulser. C’est une recette que m’apprit
M. de Langon à Arsac.
Le Samedi, Fête de Saint-Michel, après-dîner, j’allai voir la Madona di Quercio, à une demilieue
de la Ville. On y va par un grand chemin très-beau, droit, égal, garni d’arbres d’un bout
jusqu’à l’autre, enfin fait avec beaucoup de soin par les ordres du Pape Farnese. L’Eglise est belle,
remplie de monumens religieux, & d’un nombre infini de tableaux votifs. On lit dans une
inscription latine, qu’il y a environ cent ans qu’un homme étant attaqué par des voleurs, & à
demi-mort de frayeur, se réfugia sous un chêne où étoit cette image de la Vierge, & que lui ayant
fait sa priere, il devint miraculeusement invisible à ces voleurs & fut ainsi délivré d’un péril évident.
Ce miracle fit naître une dévotion particuliere pour cette Vierge ; on bâtit autour du chêne cette
Eglise qui est très-belle. On y voit encore le tronc du chêne coupé par le pied, & la partie supérieure
sur laquelle est posée l’image, est appliquée au mur, & dépouillée des branches qu’on a coupées
tout autour.
Le Samedi, dernier Septembre, je partis de bon matin de Viterbe, & je pris la route de Bagnaia.
C’est un endroit appartenant au Cardinal Gambara qui est fort orné, & surtout si bien fourni de
fontaines, qu’en cette partie il paroît non seulement égaler, mais surpasser même Pratolino & Tivoli.
Il y a d’abord une fontaine d’eau vive, ce que n’a pas Tivoli, & trés-abondante, ce qui n’est pas
à Pratolino ; de façon qu’elle suffit à une infinité de distributions sous différens dessins. Le même
M. Thomas de Sienne, qui a conduit l’ouvrage de Tivoli, conduit encore celui-ci qui n’est pas achevé.
Ainsi ajoutant toujours de nouvelles inventions aux anciennes, il a mis dans cette derniere construction
beaucoup plus d’art, de beautés & d’agrément. Parmi les différentes pieces qui la décorent,
on voit une pyramide fort élevée qui jette de l’eau de plusieurs manieres différentes : celle-ci monte,
celle-là descend. Autour de la pyramide, sont quatre petits lacs, beaux, clairs, purs & remplis d’eau.
Au milieu de chacun est une gondole de pierre, montée par deux Arquebusiers, qui, après avoir
pompé l’eau, la lancent avec leurs arbalêtes contre la pyramide, & par un Trompette qui tire aussi
de l’eau. On se promene autour de ces lacs & de la pyramide par de très-belles allées, où l’on trouve
des appuis de pierre d’un fort beau travail. Il y a d’autres parties qui plurent encore davantage à
quelques autres Spectateurs. Le Palais est petit, mais d’une structure agréable. Autant que je puis
m’y connoître, cet endroit certainement l’emporte de beaucoup sur bien d’autres, par l’usage &
l’emploi des eaux. Le Cardinal n’y étoit pis ; mais comme il est François dans le coeur, ses gens
nous firent toutes les politesses & les amitiés qu’on peut desirer.
De là, en suivant le droit chemin, nous passâmes à Caprarola, Palais du Cardinal Farnese, dont
on parle beaucoup en Italie. En effet, je n’en ai vu aucun dans ce beau pays qui lui soit comparable.
Il est entouré d’un grand fossé, taillé dans le tuf : le haut du bâtiment est en forme de terrasse, de
sorte qu’on n’en voit point la couverture. Sa figure est un peu pentagone, & il paroît à la vue un
grand quarré parfait. Sa forme intérieure est exactement circulaire : il regne autour de larges corridors
tous voûtés, & chargés partout de peintures. Toutes les chambres sont quarrées. Le bâtiment
est très-grand, les salles fort belles, & entr’autres il y a un salon admirable, dont le plafond (car tout
l’édifice est voûté) représente un globe céleste avec toutes les figures dont on le compose. Sur le
mur du salon tout autour est peint le globe terrestre, avec toutes ses régions : ce qui n forme une
Consmographie complette. Ces peintures qui sont très-riches couvrent entierement les murailles.
Ailleurs sont représentées, en divers tableaux, les actions du Pape Paul III, & de la maison Farnese.
Les personnes y sont peintes si au naturel que ceux qui les ont vues reconnoissent au premier
coup-d’oeil, dans leurs portraits, notre Connétable, la Reine-mere, ses enfans, Charles IX, Henri III,
le Duc d’Alençon, la Reine de Navarre, & le Roi François II, l’aîné de tous, ainsi que Henri II,
Pierre Strozzi & autres. On voit dans une même salle aux deux bouts deux bustes, sçavoir d’un côté,
& à l’endroit le plus honorable, celui du Roi Henri II, avec une Inscription au dessous où il est
nommé le Conservateur de la maison Farnese ; & à l’autre bout, celui du Roi Philippe II, Roi
d’Espagne dont l’inscription porte : Pour les bienfaits en grand nombre reçus de lui. Au dehors, il
est aussi beaucoup de belles choses dignes d’être vues, & entr’autres, une grotte d’où l’eau
s’élançant avec art dans un petit lac, représente à la vue & à l’ouie la chûte d’une pluie naturelle.
Cette grotte est située dans un lieu désert & sauvage, & l’on est obligé de tirer l’eau de ses fontaines
à une distance de huit milles qui s’étend jusqu’à Viterbe.
De là, par un chemin égal & une grande plaine nous parvinmes a des prairies fort étendues, au
milieu desquelles, en certains endroits secs & dépouillés d’herbes, on voit bouillonner des sources
d’eau froide, assez pures, mais tellement impregnées de soufre, que de fort loin on en sent l’odeur.
Nous allâmes coucher à
MONTEROSSI, vingt-trois milles ; & le Dimanche premier Octobre à
ROME, vingt deux milles. On éprouvoit alors un très grand froid & un vent glacial de nord. Le
Lundi & quelques jours après, je sentis des crudités dans mon estomach ; ce qui me fit prendre le
parti de faire quelques repas tout seul, pour manger moins. Cependant j’avois le ventre libre, j’étois
assez dispos de toute ma personne, excepté de la tête qui n’étoit point entierement rétablie.
Le jour que j’arrivai à Rome, on me remit des lettres des Jurats de Bordeaux, qui m’écrivoient
fort poliment au sujet de l’élection qu’ils avoient faite de moi pour Maire de leur ville ; & me
prioient avec instance de me rendre auprès d’eux.
Le Dimanche 8 Octobre 1581, j’allai voir aux Thermes de Dioclétien à Monte-Cavallo, un Italien,
qui ayant été long-tems esclave en Turquie, y avoit appris mille choses très-rares dans l’art du
manege. Cet homme, par exemple, courant à toute bride, se tenoit droit sur la selle, & lançoit avec
force un dard, puis tout d’un coup il se mettoit en selle. Ensuite au milieu d’une course rapide,
appuyé seulement d’une main sur l’arçon de la selle, il descendoit de cheval touchant à terre du pied
droit, & ayant le gauche dans l’étrier ; & plusieurs fois on le voyoit ainsi descendre & remonter
alternativement. Il faisoit plusieurs tours semblables sur la selle, en courant toujours. Il tiroit d’un
arc à la Turque devant & derriere, avec une grande dextérité. Quelquefois appuyant sa tête & une
épaule sur le col du cheval, & se tenant sur ses pieds, il le laissoit courir à discrétion. Il jettoit en
l’air une masse qu’il tenoit dans sa main, & la rattrappoit à la course. Enfin, étant debout sur la
selle, & tenant de la main droite une lance, il donnoit dans un gant & l’enfiloit, comme quand on
court la bague. Il faisoit encore à pied tourner autour de son col devant & derriere une pique qu’il
avoit d’abord fortement poussée avec la main.
Le 10 Octobre après-dîner, l’Ambassadeur de France m’envoya un Estafier me dire de sa part
que si je voulois, il viendroit me prendre dans sa voiture pour aller ensemble voir les meubles du
Cardinal Ursin, que l’on vendoit parce qu’il étoit mort dans cet Eté même à Naples, & qu’il avoit
fait héritiere de ses grands biens une sienne Niéce, qui n’étoit éncore qu’un enfant. Parmi les choses
rares que j’y vis, il y avoit une couverture de lit de taffetas fourrée de plumes de cignes. On voit à
Sienne beaucoup de ces peaux de cigne conservées entieres avec la plume, & toutes préparées ; on
ne m’en demandoit qu’un écu & demi. Elles sont de la grandeur d’une peau de mouton, & une seule
suffiroit pour en faire une pareille couverture. Je vis encore un oeuf d’Autruche ciselé tout autour &
très-bien peint ; plus un petit coffre carré pour mettre des bijoux, & il y en avoit quelques-uns. Mais
comme ce coffre étoit fort artistement rangé, & qu’il y avoit des gobelets de cristal, en l’ouvrant, il
paroissoit qu’il fût de tous côtés, tant par-dessous que par-dessus, beaucoup plus large & plus
profond, & qu’il y eût dix fois plus de joyaux qu’il n’en renfermoit, une même chose se répétant
plusieurs fois, par la réflection des cristaux qu’on n’appercevoit pas même aisément.
Le Jeudi 12 Octobre, le Cardinal de Sens me mena seul en voiture avec lui, pour voir l’Eglise de
Saint-Jean & Saint-Paul ; il en est titulaire & supérieur, ainsi que de ces Religieux qui distillent les
eaux de senteur, dont nous avons parlé plus haut. Cette Eglise est située sur le Mont Celius,
situation qui semble avoir été choisie à dessein ; car elle est toute voûtée en dessous, avec de grands
corridors & des salles souterraines. On prétend que c’étoit là le Forum ou la place d’Hostilius. Les
jardins & les vignes de ces Religieux sont en très-belle vue ; on découvre delà l’ancienne Rome. Le
lieu par sa hauteur est escarpé, profond, isolé & presque inaccessible de toutes parts. Ce même jour
j’expédiai une malle bien garnie pour être transportée à Milan. Les voituriers mettent ordinairement
vingt jours pour s’y rendre. La malle pesoit en tout 150 liv., & on paye deux bajoques par livre ; ce
qui revient à deux sols de France. J’avois dedans plusieurs choses de prix, surtout un magnifique
chapelet d’Agnus Dei, le plus beau qu’il y eût à Rome. Il avoit été fait exprès pour l’Ambassadeur
de l’Impératrice, & un de ses Gentilshommes l’avoit fait bénir par le Pape.
Le Dimanche 15 Octobre, je partis de grand matin de Rome. J’y laissai mon frere en lui donnant
43 écus d’or, avec lesquels il comptoit y rester & s’exercer pendant cinq mois à faire des armes.
Avant mon départ de Rome, il avoit loué une jolie chambre pour 20 jules par mois. MM. d’Estissac,
de Montbaron, de Chase, Morens & plusieurs autres, m’accompagnerent jusqu’à la premiere poste.
Si même je ne m’étois pâs hâté, parce que je voulois éviter cette peine à ces Gentilshommes,
plusieurs d’entr’eux étoient encore tout prêts à me suivre, & avoient déja loué des chevaux. Tels
étoient MM. du Bellay, d’Ambres, d’Allegre, & autres. Je vins coucher à
RONSIGLIONE, trente milles. J’avais loué les chevaux jusqu’à Lucques, chacun à raison de
vingt jules, & le voiturier étoit chargé d’en payer la dépense.
Le Lundi matin je fus étonné de sentir un froid si aigu, qu’il me sembloit n’en avoir jamais
souffert de pareil, & de voir que dans ce canton les vendanges & la récolte du vin n’étoient pas
encore achevées. Je vins dîner à Viterbe où je pris mes fourrures, & tous mes accoutremens
d’hiver. De là je vins diner à
SAINT LAURENT, vingt-neuf milles ; & de ce bourg j’allai coucher à
SAN-CHIRICO, trente-deux milles. Tous ces chemins avoient été raccommodés cette année
même par ordre du Duc de Toscane, & c’est un ouvrage fort beau, très utile pour le public. Dieu
l’en récompense : car ces routes auparavant très-mauvaises sont maintenant très-commodes & fort
dégagées ; a peu-près comme les rues d’une ville. Il étoit étonnant de voir le nombre prodigieux de
personnes qui alloient à Rome. Les chevaux de voiture pour y aller étoient hors de prix ; mais pour
le retour, on les laissoit presque pour rien. Près de Sienne (& cela se voit en beaucoup d’autres
endroits), il y a un pont double, c’est-à-dire, un pont sur lequel passe le canal d’une autre riviere.
Nous arrivâmes le soir à
SIENNE, ving’ milles. Je souffris cette nuit pendant deux heures de la colique, & je crus sentir la
chûte d’une pierre. Le Jeudi de bonne heure, Guillaume Felix, Médecin Juif, vint me trouver ; il
discourut beaucoup sur le régime que je devois observer par rapport à mon mal de reins & au sable
que je rendois. Je partis à l’instant de Sienne ; la colique me reprit & me dura trois ou quatre heures.
Au bout de ce tems, je m’apperçus à la douleur violente que je sentois au bas ventre & à toutes ses
dépendances, que la pierre étoit tombée. Je vins souper à
PONTEALCE, vingt-huit milles. J’y rendis une pierre plus grosse qu’un grain de millet, avec un
peu de sable ; mais sans douleur, ni difficulté au passage. J’en partis le Vendredi matin, & en
chemin je m’arrêtai à
ALTOPASCIO, seize milles. J’y restai une heure pour faire manger l’avoine aux chevaux. Je
rendis encore là, sans beaucoup de peine & avec quantité de sable, une pierre longue, partie dure &
partie molle, plus grosse qu’un gros grain de froment. Nous rencontrâmes en chemin plusieurs
païsans, dont les uns cueilloient des feuilles de vignes qu’ils gardent pour en donner à manger
pendant l’hiver à leurs bestiaux ; les autres ramassoient de la fougere pour leur laitage. Nous vinmes
coucher à
LUCQUES, huit milles. Je reçus encore la visite de plusieurs Gentilshommes & de quelques
artisans. Le Samedi 21 Octobre au matin, je poussai dehors une autre pierre qui s’arrêta quelque
tems dans le canal, mais qui sortit ensuite sans difficulté ni douleur. Celle-ci étoit à peu-près ronde,
dure, massive, rude, blanche en-dedans, rousse en dessus, & beaucoup plus grosse qu’un grain ; je
faisois cependant toujours du sable. On voit par-là que la nature se soulage souvent d’elle-même ;
car je sentois sortir tout cela comme un écoulement naturel. Dieu soit loué de ce que ces pierres
sortent ainsi sans douleur bien vive, & sans troubler mes actions.
Dès que j’eus mangé un raisin (car dans ce voyage je mangeois le matin très-peu, même presque
rien), je partis de Lucques sans attendre quelques Gentilhommes qui se disposoient à m’accompagner.
J’eus un fort beau chemin, souvent très-uni. J’avois à ma droite de petites montagnes
couvertes d’une infinité d’oliviers, à gauche des marais, & plus loin la mer.
Je vis dans un endroit de l’Etat de Lucques une machine à demi-ruinée par la négligence du Gouvernement
; ce qui fait un grand tort aux campagnes d’alentour. Cette machine étoit faite pour
dessécher les marais & les rendre fertiles. On avoit creusé un grand fossé, à la tête duquel étoient
trois roues qu’un ruisseau d’eau vive roulant du haut de la montagne faisoit mouvoir
continuellement en se précipitant sur elles. Ces roues ainsi mises en mouvement puisoient d’une
part l’eau du fossé, avec les augets qui y étoient attachés, de l’autre la versoient dans un canal
pratiqué pour cet effet plus haut & de tous côtés entouré de murs, lequel portoit cette eau dans la
mer. C’étoit ainsi que se desséchoit tout le pays d’alentour.
Je passai au milieu de Pietra Santa, Château du Duc de Florence, fort grand, & où il y a
beaucoup de maisons, mais peu de gens pour les habiter, parce que l’air est, dit on, mauvais, qu’on
ne peut pas y demeurer, & que la plupart des habitans y meurent ou languissent. De là nous vinmes
à
MASSA DI CARRARA, vingt-deux milles, bourg appartenant au Prince de Massa, de la Maison
de Cibo. On voit sur une petite montagne un beau Château à mi côte entouré de bonnes murailles,
audessous duquel & tout autour sont les chemins & les maisons. Plus bas hors desdites murailles est
le bourg qui s’étend dans la plaine ; il est de même bien enclos de murs. L’endroit est beau, de
beaux chemins, & de jolies maisons qui sont peintes. J’étois forcé de boire ici des vins nouveaux ;
car on n’en boit pas d’autres dans le pays. Ils ont le secret de les éclaircir avec des copeaux de bois
& des blancs d’oeufs ; de maniere qu’ils lui donnent la couleur du vin vieux ; mais ils ont je ne sçai
quel goût qui n’est pas naturel.
Le Dimanche vingt-deux Octobre, je suivis un chemin fort uni, ayant toujours à main gauche la
mer de Toscane à la distance d’une portée de fusil. Dans cette route, nous vîmes, entre la mer &
nous, des ruines peu considérables que les habitans disent avoir été autrefois une grande Ville
nommée Luna.
De là, nous vinmes à Sarrezana, terre de la Seigneurie de Gênes. On y voit les armes de la
République, qui sont un Saint George à cheval ; elle y tient une Garnison Suisse. Le Duc de
Florence en étoit autrefois possesseur, & si le Prince de Massa n’étoit pas entre deux pour les
séparer, il n’est pas douteux que Pietra Santa & Sarrezana, frontieres de l’un & de l’autre Etats ne
fussent continuellement aux mains.
Au départ de Sarrezana, où nous fûmes forcés de payer quatre jules par cheval pour une poste, il
se faisoit de grandes salves d’artillerie pour le passage de Don Jean de Médicis, frere naturel du Duc
de Florence, qui revenoit de Gênes, où il avoit été de la part de son frere voir l’Impératrice, comme
elle avoit été visitée de plusieurs autres Princes d’Italie. Celui qui fit le plus de bruit par sa
magnificence ce fut le Duc de Ferrare ; il alla à Padoue au-devant de cette Princesse, avec quatre
cent carosses. Il avoit demandé à la Seigneurie de Venise la permission de passer par leurs terres
avec six cens chevaux, & ils avoient répondu qu’ils accordoient le passage, mais avec un plus petit
nombre. Le Duc fit donc mettre tous ses gens en carrosse, & les mena tous de cette maniere ; le
nombre des chevaux fut seulement diminué. Je rencontrai le Prince (Jean de Médicis) en chemin.
C’est un jeune homme bien fait de sa personne : il étoit accompagné de vingt hommes bien mis,
mais montés sur des chevaux de voiture ; ce qui en Italie ne deshonore personne, pas même les
Princes. Après avoir passé Sarrezana, nous laissâmes à gauche le chemin de Gênes.
Là, pour aller à Milan, il n’y a pas grande différence, de passer par Gênes ou par la même
route ; c’est la même chose. Je desirois voir Gênes & l’Impératrice qui y étoit. Ce qui m’en
détourna, c’est que pour y aller il y a deux routes, l’une à trois journées de Sarrezana qui a 40 milles
de chemin très-mauvais & très-montueux rempli de pierres, de précipices, d’auberges assez
mauvaises & fort peu fréquentées : l’autre route est par Lerice, qui est éloignée de trois milles de
Sarrezana. On s’y embarque, & en douze heures on est à Gênes. Or moi qui ne pouvois supporter
l’eau par la foiblesse de mon estomac, & qui ne craignois pas tant les incommodités de cette route
que de ne pas trouver de logement par la grande foule d’étrangers qui étoit à Gênes ; qui de plus
avois entendu dire, que les chemins de Gênes à Milan n’étoient pas trop sûrs, mais infestés de voleurs
; enfin qui n’étois plus occupé que de mon retour en France, je pris le parti de laisser là Gênes,
& je pris ma route à droite entre plusieurs montagnes. Nous suivîmes toujours le bas du vallon le
long du fleuve Magra, que nons avions à main gauche. Ainsi passant tantôt par l’Etat de Gênes,
tantôt par celui de Florence, tantôt par celui de la Maison Malespina, mais toujours par un chemin
praticable & commode, à l’exception de quelques mauvais pas, nous vinmes coucher à
PONTEMOLLE, trente milles. C’est une ville longue fort peuplée d’anciens édifices qui ne sont
pas merveilleux. Il y a beaucoup de ruines. On prétend qu’elle se nommoit anciennement Appua ;
elle est actuellement dépendante de l’Etat de Milan, & elle appartenoit récemment aux Fiesques. La
premiere chose qu’on me servit à table fut du fromage tel qu’il se fait vers Milan & dans les
environs de Plaisance, puis de très-bonnes olives sans noyau, assaisonnées avec de l’huile & du
vinaigre en façon de salade & à la mode de Gênes. La Ville est située entre des montagnes & à leur
pied. On servoit pour laver les mains un bassin plein d’eau posé sur un petit banc, & il falloit que
chacun se lavât les mains avec la même eau.
J’en partis le Lundi matin 23, & au sortir du logis je montai l’Appennin, dont le passage n’est ni
difficile ni dangereux, malgré sa hauteur. Nous passâmes tout le jour à monter & à descendre des
montagnes, la plûpart sauvages & peu fertiles, d’où nous vinmes coucher à
FORNOUE, dans l’Etat du Comte de Saint-Second, trente milles. Je fus bien content quand je
me vis délivré de ces frippons de montagnards qui rançonnent impitoyablement les voyageurs sur la
dépense de la table & sur celle des chevaux. On me servit à table différens ragoûts à la moutarde,
fort bons ; il y en avoit un, entr’autres, fait avec des coings. Je trouvai ici grande disette de chevaux
de voiture. Vous êtes entre les mains d’une nation sans regle & sans foi à l’égard des étrangers. On
paye ordinairement deux jules par cheval chaque poste ; on en exigeoit ici de moi trois, quatre &
cinq par poste, de façon que tous les jours il m’en coutoit plus d’un écu pour le louage d’un cheval,
encore me comptoit-on deux postes où il n’y en avoit qu’une.
J’étois en cet endroit éloigné de Parme de deux postes, & de Parme à Plaisance la distance est la
même, que de Fornoue à la derniere, de sorte que je n’allongeois que de deux postes ; mais je ne
voulus pas y aller pour ne pas déranger mon retour, ayant abandonné tout autre dessein. Cet endroit
est une petite campagne de six ou sept maisonnettes, située dans une plaine le long du Taro : je
crois que c’est le nom de la riviere qui l’arrose. Le Mardi matin nous la suivîmes long tems, & nous
vinmes dîner à
BORGO S. DONI, douze milles, petit Château que le Duc de Parme commence à faire entourer
de belles murailles flanquées. On m’y servit à table de la moutarde composée de miel & d’orange
coupée par morceaux, en façon de cotignac à demi cuit.
De là laissant Crémone à main droite, & à même distance que Plaisance, nous suivîmes un
très-beau chemin dans un pays où l’on ne voit, tant que la vue peut s’étendre à l’horison, aucune
montagne ni même aucune inégalité, & dont le terrein est très-fertile. Nous changions de chevaux
de poste en poste ; je fis les deux dernieres au galop pour essayer la force de mes reins, je n’en fus
pas fatigué ; mon urine étoit dans son état naturel.
Près de Plaisance il y a deux grandes colonnes placées aux deux côtés du chemin à droite & à
gauche, & laissant entr’elles un espace d’environ quarante pas. Sur la base de ces colonnes est une
inscription latine, portant défense de bâtir entr’elles, & de planter ni arbres, ni vignes. Je ne sais si
l’on veut par-là conserver seulement la largeur du chemin, ou laisser la plaine découverte telle
qu’on la voit effectivement depuis ces colonnes jusqu’à la ville, qui n’en est éloignée que d’un
demi-mille. Nous allâmes coucher à
PLAISANCE, vingt milles : Ville fort grande. Comme j’y arrivai bien avant la nuit, j’en fis le
tour de tous côtés pendant trois heures. Les rues sont fangeuses, & non pavées ; les maisons
petites. Sur la place, qui fait principalement sa grandeur, est le Palais de la Justice, avec les prisons ;
c’est-là que se rassemblent tous les Citoyens. Les environs sont garnis de boutiques de peu de
valeur.
Je vis le Château qui est entre les mains du Roi Philippe. Sa garnison est composée de trois cens
soldats Espagnols mal payés, à ce qu’ils me dirent eux-mêmes. On sonne la Diane matin & soir
pendant une heure, avec les instrumens que nous appellons hautbois, & eux fiffres. Il y a là dedans
beaucoup de monde, & de belles pieces d’artillerie. Le Duc de Parme qui étoit alors dans la Ville ne
va jamais dans le Château que tient le Roi d’Espagne ; il a son logement à part dans la Citadelle, qui
est un autre Château situé ailleurs. Enfin, je n’y vis rien de remarquable, sinon le nouveau bâtiment
de Saint-Augustin que le Roi Philippe a fait construire à la place d’une autre Eglise de Saint-
Augustin, dont il s’est servi pour la construction de ce Château, en retenant une partie de ses revenus.
L’Eglise qui est très-bien commencée n’est pas encore finie ; mais la maison conventuelle,
ou le logement des Religieux qui sont au nombre de soixante-dix, & les Cloîtres qui sont doubles,
sont entierement achevés. Cet édifice, par la beauté des corridors, des dortoirs, des différentes
usines & d’autres pieces, me paroît le plus somptueux & le plus magnifique bâtiment pour le
service d’une Eglise que je me souvienne d’avoir vu en aucun autre endroit. On met ici le sel en
bloc sur la table, & le fromage se sert de même en masse sans plat.
Le Duc de Parme attendoit à Plaisance l’arrivée du fis ainé de l’Archiduc d’Autriche, jeune Prince
que je vis à Insprug, & l’on disoit qu’il alloit à Rome pour se faire couronner Roi des Romains.
On vous présente encore ici l’eau pour la mêler avec le vin, avec une grande cuillier de laiton. Le
fromage qu’on y mange ressemble à celui qui se vend dans tout le Plaisantin. Plaisance est
précisément à moitié chemin de Rome à Lyon. Pour aller droit à Milan, je devois aller coucher à
MARIGNAN, distance de trente milles, d’où à Milan il y en a dix ; j’allongeai mon voyage de
dix milles pour voir Pavie. Le Mercredi 25 Octobre je partis de bonne heure, & je suivis un beau
chemin dans lequel je rendis une petite pierre molle & beaucoup de sable. Nous traversâmes un
petit Château appartenant au Comte Santafiore. Au bout du chemin, nous passâmes le Pô sur un
pont volant établi sur deux barques avec une petite cabane, & que l’on conduit avec une longue
corde, appuyée en divers endroits sur des batelets rangés dans le fleuve, les uns vis à-vis des autres.
Près de là le Tesin mêle ces eaux à celles du Pô. Nous arrivâmes de bonne heure à
PAVIE, trente milles. Je me hâtai d’aller voir les principaux monumens de cette Ville : le pont -
sur le Tesin, l’Eglise Cathédrale & celles des Carmes, de Saint Thomas, de Saint Augustin ; dans la
derniere, est le riche tombeau du Saint Evêque en marbre blanc & orné de plusieures statues. Dans
une des places de la Ville, on voit une colonne de briques sur laquelle est une statue qui paroît faite
d’après la statue équestre d’Antonio le Pieux qu’on voit devant le Capitole à Rome. Celle-ci plus
petite ne sçauroit être comparée à l’original ; mais ce qui m’embarrassa, c’est qu’au cheval de la
statue de Pavie il y a des étriers & une selle, avec des arçons devant & derriere, tandis que celui de
Rome n’en a pas. Je suis donc ici de l’opinion des Savans, qui regardent les étriers & les selles, au
moins tels que ceux-ci, comme une invention moderne. Quelque Sculpteur ignorant peut-être a cru
que ces ornemens manquoient au cheval. Je vis encore les premiers ouvrages du bâtiment que le
Cardinal Borromée faisoit faire pour l’usage des Etudians.
La Ville est grande, passablement belle, bien peuplée, & remplie d’artisans de toute espece. Il y
a peu de belles maisons, & celle même où l’Impératrice a logé dernierement est peu de chose. Dans
les armes de France que je vis, les lys sont effacés ; enfin il n’y a rien de rare. On a dans ces
cantons-ci les chevaux à deux jules par poste. La meilleure auberge où j’eusse logé depuis Rome
jusqu’ici, étoit la poste de Plaisance, & je la crois la meilleure d’ltalie, depuis Vérone ; mais la plus
mauvaise hôtellerie que j’aye trouvé dans ce voyage est le Faucon de Pavie. On paye ici & à Milan
le bois à part, & les lits manquent de matelas.
Je partis de Pavie le Jeudi 26 Octobre ; je pris à main droite à la distance d’un demi-mille du
chemin direct, pour voir la plaine où l’on dit que l’armée du Roi François I, fut défaite par Charles-
Quint, ainsi que pour voir la Chartreuse qui passe avec raison pour une très-belle Eglise. La façade
de l’entrée est toute de marbre, richement travaillée, d’un travail infini, & d’un aspect imposant.
On y voit un devant d’Autel d’ivoire, où sont représentés en relief l’Ancien & le Nouveau
Testament, & le Tombeau de Jean Galeas Visconti, Fondateur de cette Eglise, en marbre. On
admire ensuite le Choeur, les ornemens du Maître-Autel, & le Cloître qui est d’une grandeur
extraordinaire & d’une rare beauté. La maison est très-vaste ; & à voir la grandeur & la quantité des
divers bâtimens qui la composent, à voir encore le nombre infini de domestiques, de chevaux, de
voitures, d’ouvriers & d’artisans qu’elle renferme, elle semble représenter la Cour d’un très-grand
Prince. On y travaille continuellement avec des dépenses incroyables qui se font sur les revenus de
la maison. Cette Chartreuse est située au milieu d’une très-belle prairie. De là nous vinmes à
MILAN, vingt milles. C’est la Ville d’Italie la plus peuplée ; elle est grande, remplie de toutes
sortes d’artisans & de marchands. Elle ressemble assez à Paris, & a beaucoup de rapport avec les
Villes de France. On n’y trouve point les beaux Palais de Rome, de Naples, de Gênes, de Florence ;
mais elle l’emporte en grandeur, & le concours des Etrangers n’y est pas moindre qu’à Venise. Le
Vendredi, 27 Octobre, j’allai voir les dehors du Château, & j’en fis presqu’entierement le tour.
C’est un édifice très-grand, & admirablement fortifié. La Garnison est composée de sept cent
Espagnols au moins, & très-bien munie d’artillerie. On y fait encore des réparations de tous côtés.
Je m’arrêtai là pendant tout le jour à cause d’une abondante pluie qui survint. Jusqu’alors le tems, le
chemin, tout nous avoit été favorable. Le Samedi 28 Octobre au matin, je partis de Milan par un
beau chemin, très-uni ; quoiqu’il plût continuellement, & que tous les chemins fussent couverts
d’eau, il n’y avoit point de boue, parce que le pays est sablonneux. Je vins dîner à
BUFFALORA, dix huit milles. Nous passâmes là le Naviglio sur un pont. Le canal est étroit,
mais tellement profond qu’il transporte à Milan de grosses barques. Un peu plus en deça nous
passâmes en bateau le Tesin, & vinmes coucher à
NOVARRE, vingt huit milles, petite Ville, peu agréable, située dans une plaine. Elle est entourée
de vignes & de bosquets ; le terrein en est fertile. Nous en partîmes le matin, & nous nous arrêtames
le tems qu’il fallut pour faire manger nos chevaux à
VERCEIL, dix milles, Ville du Piémont au Duc de Savoie, située encore dans une plaine, le long
de la Sesia, riviere que nous passâmes en bateau. Le Duc a fait construire en ce lieu à force de
monde, & très-promptement, une jolie forteresse, autant que j’en ai pu juger par les ouvrages de dehors
; ce qui a causé de la jalousie aux Espagnols qui sont dans le voisinage. De là nous traversâmes
deux petits Châteaux, Saint-Germain & Saint Jacques, & suivant toujours une belle plaine, fertile
principalement en noyers (car dans ce pays il n’y a point d’oliviers, ni d’autre huile que de l’huile
de noix), nous allâmes coucher à
LIVORNO, vingt-milles, petit Village assez garni de maisons. Nous en partîmes le Lundi de
bonne heure, par un chemin très-uni ; nous vinmes dîner à
CHIVAS, dix milles. Après avoir passé plusieurs rivieres & ruisseaux, tantôt en bateau, tantôt à
pié, nous arrivâmes à
TURIN, (dix milles), où nous aurions pu facilement être rendus avant le dîner. C’est une petite
Ville, située en un lieu fort aquatique, qui n’est pas trop bien bâtie, ni fort agréable, quoiqu’elle soit
traversée par un ruisseau qui en emporte les immondices. Je donnai à Turin cinq écus & demi par
cheval, pour le service de six journées jusqu’à Lyon : leur dépense sur le compte des Maîtres. On
parle ici communément François & tous les gens du pays paroissent fort afféctionnés pour la
France. La langue vulgaire n’a presque que la prononciation Italienne, & n’est au fond composée
que de nos propres expressions. Nous en partîmes le Mardi, dernier Octobre, & par un long chemin,
mais toujours uni, nous vinmes dîner à
S. AMBROISE, deux postes. De là, suivant une plaine étroite entre les montagnes, nous allâmes
coucher à
SUZE, deux postes. C’est un petit Château peuplé de beaucoup de maisons. J’y ressentis, pendant
mon séjour, au genou droit, une grande douleur qui me tenoit depuis quelques jours, & alloit
toujours en augmentant. Les hôtelleries y sont meilleures qu’aux autres endroits d’Italie : bon vin,
mauvais pain, beaucoup à manger.
Les aubergistes sont polis, ainsi que dans toute la Savoie. Le jour de la Toussaint, après avoir
entendu la Messe j’en partis & vins à
NOVALESE, une poste. Je pris là huit Marrons pour me faire porter en chaise jusqu’au haut du
Mont Cenis, & me faire ramasser de l’autre côté.