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pour les voûtes des collatéraux, plus anciennes, et pour les voûtes hautes
des chœurs de Vézelay et de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, qui sont
 
[Illustration: Fig. 25.]
 
du même temps, ou peu s'en faut, que celles hautes de la cathédrale de
Sens. Les triangles prenant pour base les formerets, ayant à Sens été
refaits à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle,--quoique les arcs ogives et arcs-doubleaux
n'aient point été modifiés,--nous ne pouvons affirmer toutefois que
les rangs de moellons de ces triangles aient été posés parallèlement à
la ligne des clefs (voy. figure 24). Il serait possible que les rangs de
moellons du demi-triangle <i>ilm</i> eussent été posés parallèlement à la ligne
des clefs <i>lm</i>, et que les moellons du demi-triangle <i>nlm</i> eussent été posés
par rangs horizontaux, puisque la ligne <i>lm</i> n'était qu'un segment de
l'arc ogive (extrados), et que, par conséquent, ce demi-triangle <i>nlm</i> était
une tranche de sphère pénétrée par le formeret. Cette structure eût été
assez étrange et exceptionnelle pour qu'on ne puisse l'admettre. Cependant
il y avait alors une telle liberté dans la manière de poser les remplissages
des voûtes d'arête, qu'on ne doit repousser absolument aucune
conjecture. C'est grâce à cette liberté que les architectes de la seconde
moitié du XII<sup>e</sup> siècle arrivent à voûter sans difficultés les surfaces irrégulières,
et notamment des espaces triangulaires, entre piles, ainsi qu'on
 
[Illustration: Fig. 26.]
 
le peut voir autour du chœur de la cathédrale de Paris. Le sanctuaire
de Notre-Dame de Paris est enveloppé d'un double collatéral (voy. [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 44); la seconde zone de piles étant naturellement plus
développée que la première, et la troisième que la seconde, l'architecte
a multiplié les points d'appui de manière à présenter toujours des arcs
d'ouvertures à peu près égales. La figure 26 donne une travée A du
sanctuaire de Notre-Dame de Paris, le premier collatéral B et la seconde
précinction C de colonnes monocylindriques. D sont les archivoltes;
E, les arcs-doubleaux concentriques; F, les arcs-doubleaux rayonnants;
et G les arcs-doubleaux diagonaux. Tous ces arcs sont en tiers-point, de
sorte que leur brisure, leur point culminant est en <i>d</i> pour les premiers,
en <i>e</i> pour les seconds, en <i>f</i> pour les troisièmes, et en <i>g</i> pour les quatrièmes.
Pour voûter ces surfaces triangulaires, le constructeur a réuni les
extrados des points culminant des arcs F et G par des courbes ou lignes
de clefs bombées <i>fg</i>, <i>gg</i>, <i>gf</i>. Il a voûté en surfaces courbes, par rangs
parallèles à ces lignes de clefs, les triangles <i>gg</i>O, <i>gfI</i>, en posant, suivant
la méthode ordinaire, chacun de ces rangs de moellons piqués sur les
extrados des branches d'arcs O<i>g</i>, I<i>g</i>, I<i>f</i>. Le point culminant des lignes
de clefs <i>fg</i>, <i>gg</i>, est en <i>h</i>, et ce point culminant est à un niveau sensiblement
supérieur aux points culminants <i>d</i> et <i>e</i> des archivoltes D et arcs-doubleaux
E, puisque les arcs-doubleaux rayonnants et diagonaux F et G
sont tracés sur un plus grand diamètre, et que leurs clefs se trouvent,
par cela même, plus élevées déjà que celles <i>d</i> et <i>e</i>. Ces clefs, aux points
culminants <i>dh</i>, <i>eh</i>, ont donc été réunies par une courbe; puis des lignes
fictives ont été tirées de <i>l</i> en <i>h</i>, de K en <i>h</i>, de <i>i</i> en <i>h</i>: ces lignes sont des
courbes par lesquelles doivent passer les rangs de moellons. Les extrados
<i>l</i>, <i>e</i> des arcs-doubleaux ont été divisés en un nombre de divisions
égales suivant l'épaisseur des rangs de moellons; un même nombre de
divisions égales a été fait sur la courbe <i>lh</i>, par exemple; puis les lignes
qui ont réuni ces points ont donné les joints des rangs de moellons, ce
que présente la structure tracée en H et en P. Ainsi ces triangles concaves
viennent-ils reposer leur poids sur les arcs de pierre qui réunissent
les piles. Il est clair que tout autre système de voûtes ne pouvait permettre
de résoudre d'une manière aussi simple le problème de construction
posé en ce cas, et nous ajouterons même que le système de la voûte
gothique seul se prêtait sans difficultés à fermer ces triangles laissés
entre des arcs en tiers-point. Voici donc où les architectes en étaient
arrivés déjà dans l'Île-de-France en 1165 environ. Cependant, bien
des perfectionnements restaient encore à introduire dans le mode de
construire ces voûtes, surtout dans la manière de poser les arcs sur
les piles.
 
Ajouter des arêtes à la voûte soit d'arête, soit cellulaire, soit en coupole
sphérique ou côtelée, ou plutôt poser sous ces voûtes des cintres
permanents de pierre, au lieu de cintres provisoires de charpente, c'était
une idée nouvelle; c'était, comme nous l'avons expliqué au commencement
de cet article, sortir le squelette englobé dans l'épaisseur de la
voûte romaine pour le laisser apparaître sous cette voûte; c'était l'utiliser
non plus seulement comme un renfort, mais comme un support, et
bientôt l'unique support; c'était enfin rendre ce squelette indépendant
de la voûte elle-même et permettre l'emploi de tous les systèmes possibles
de voûtage. Toutefois les déductions étendues de ce système ne se
présentent que successivement. Ainsi, la voûte d'arête byzantine bombée
étant donnée, renforcer les lignes de pénétration de surfaces courbes
au moyen d'arêtes de pierre sous-jacentes; extraire de la voûte bombée
les arcs noyés dans l'épaisseur des lignes de pénétration, pour les placer
sous ces lignes, afin de reposer les triangles de la voûte <i>sur</i> les arcs,
c'est évidemment la première idée qui se présente à l'esprit des constructeurs
au XII<sup>e</sup> siècle; mais cette <i>extraction</i> d'un membre de la voûte
byzantine, noyé dans son épaisseur, pour le placer sous cette voûte, ne
modifie pas la voûte; celle-ci subsiste, son ossature est visible extérieurement,
voilà tout. Or, il faut trouver la place propre à recevoir cette
ossature; la présence nouvelle de cette ossature exigera un supplément
d'assiette. C'est en effet ce qui arriva. Soit (fig. 27) un sommier A de
voûtes d'arête bombées byzantines, portées sur des piles isolées. Le
constructeur a l'idée de sortir les arêtes de brique <i>a</i>, noyées dans l'épaisseur
de ces voûtes, pour maçonner la voûte non plus autour de ces nerfs,
mais au-dessus. L'opération qui se présente tout d'abord est celle-ci:
il écorne les angles du sommier, et pose, non plus en brique, mais en
 
[Illustration: Fig. 27.]
 
pierres appareillées, les claveaux <i>b</i> en dehors des angles. Il aura de même
fait sortir des faces <i>c</i> des arcs-doubleaux <i>d</i>. L'ensemble du sommier
ainsi modifié occupera donc une surface <i>fghi</i>, plus étendue que celle
occupée par le sommier de la voûte primitive. Il faudra, dès lors, ou
que le chapiteau prenne un évasement considérable, ou que la pile soit
plus grosse. Mais cependant les architectes, au XII<sup>e</sup> siècle, sentaient déjà
qu'il était nécessaire de réduire autant que possible les points d'appui
dans les intérieurs des édifi.ces. Le nouveau système adopté paraissait
donc en contradiction avec cette nécessité admise. On évasa les chapiteaux;
mais n'osant pas porter toute la saillie de ces arcs ressortis, en
encorbellement sur le nu des piles, on ajouta à celles-ci, non pas une
augmentation uniforme de surface, mais des membres portants, ainsi
que nous l'avons fait voir dans la figure 9, ce qui permettait d'ailleurs
de diminuer le corps principal de la pile.
 
Ainsi naissent ces faisceaux de colonnes engagées, qui sont une première
déduction logique du nouveau mode de voûtage. Puisque les arcs-doubleaux
et arcs ogives (diagonaux) étaient extraits de la voûte byzantine
pour paraître sous sa surface interne, il était naturel d'extraire du
corps de la pile elle-même des membres pour porter ces arcs. L'idée de
réduction absolue de l'ensemble ne vient que successivement. On voit
même, dans les monuments voûtés suivant la méthode gothique les plus
anciens, que les piles, par suite de l'opération que nous venons d'indiquer,
occupent une surface supérieure, relativement, à celle occupée
par les piles des derniers monuments de la période romane. On croyait
nécessaire de trouver en supplément les surfaces propres à recevoir les
arcs nouvellement adoptés. Cette disposition est surtout sensible dans
les provinces où le travail de transition de la voûte romane à la voûte
gothique se fait avec lenteur, avec timidité. Ainsi les piles de la nef
(sans collatéraux) de l'église de la Trinité, à Laval, qui date du milieu du
XII<sup>e</sup> siècle, portent un système complet d'arcs-doubleaux et d'arcs ogives
(fig. 28). Ici l'architecte a cru nécessaire de trouver sur les tailloirs des
chapiteaux la place franche, ou à très-peu près, de chacun de ces arcs,
qui sont indépendants les uns des autres dès le sommier.
 
Dans l'Île-de-France cependant, dès 1140, les arcs se pénètrent à leur
naissance, ainsi qu'on le voit autour du chœur de l'église abbatiale de
Saint-Denis. On signale bien encore des tâtonnements, des embarras,
mais le principe de pénétration des arcs au sommier est déjà admis.
 
[Illustration: Fig. 28]
 
À la cathédrale de Senlis, dont la construction est peu postérieure à
celle de l'église de Saint-Denis (partie de l'abside), on voit que l'architecte a cherché à faire pénétrer l'arc ogive des chapelles dans l'arc-doubleau d'ouverture. La figure 29 donne en A la pile d'angle de ces chapelles (peu profondes comme celles de l'église de Saint-Denis). L'arc-doubleau
d'entrée est en <i>a</i> et l'arc ogive en <i>b</i>. Cet arc ogive naît sur la
colonne destinée à l'arc-doubleau. Le tracé perspectif B montre en <i>a'</i> cet
arc-doubleau et en <i>b'</i> l'arc ogive pénétrant. Bien entendu, les sommiers
de ces deux arcs ne sont plus indépendants, mais sont pris dans les
mêmes assises jusqu'au niveau <i>n</i>. Bientôt ces arcs, à leur naissance, se
 
[Illustration: Fig. 29.]
 
groupent de plus en plus, se pénètrent, ce qui permet de diminuer d'autant la section des piles qui les portent. Les arcs se resserrant en faisceau,
ne sont plus, de fait, un renfort, une ossature pour porter la voûte, mais
deviennent la voûte, et les remplissages qui ferment les intervalles entre
ces arcs sont de plus en plus réduits à la fonction des voûtains. La
preuve, c'est qu'entre les arcs-doubleaux et arcs ogives, dès le XIII<sup>e</sup> siècle,
on ajoute de nouveaux arcs supplémentaires. Ainsi se développe le principe
admis au XII<sup>e</sup> siècle, à l'insu, pour ainsi dire, de ceux qui les premiers
l'avaient reconnu, par une succession de conséquences rigoureusement
enchaînées. Telle est, en effet, la propriété des principes admis
en toute chose, qu'ils deviennent une source féconde, nécessaire, fatale
de déductions. C'est pourquoi nous répétons sans cesse: Tenez peu de
compte des formes, si vous ne les trouvez pas de votre goût, mais adoptez
un principe et suivez-le; il vous donnera les formes nécessaires et convenables à l'objet, au temps, aux besoins. Et c'est pourquoi aussi ceux
qui n'aiment guère à se soumettre à un principe, parce qu'il oblige
l'esprit à raisonner, espèrent donner le change au public en prétendant
que les études sur notre architecture française du moyen âge ont pour
résultat de faire adopter des formes surannées. En tout ceci il ne s'agit
pas de formes, il s'agit d'une méthode; c'est ce que n'admettront jamais,
il est vrai, les architectes pour qui toute méthode est considérée comme
une entrave au développement de l'imagination, ou, pour parler plus
vrai, à la satisfaction de leurs dispendieuses fantaisies.
 
Dans les grands édifices, les voûtes établies comme le sont les voûtes
hautes de la cathédrale de Sens présentent en somme l'apparence de
coupoles côtelées. Les constructeurs n'osent pas encore tenir les clefs
de ces grandes voûtes,--clefs d'arcs ogives, clefs d'arcs-doubleaux et
de formerets,--sur le même niveau. À la cathédrale de Paris cependant,
les voûtes hautes du chœur, terminées avant 1190, sont beaucoup
moins bombées que celles de Saint-Étienne de Sens. Il est clair que plus
les voûtes sont bombées, plus il est nécessaire d'élever les murs latéraux
au-dessus des formerets pour porter les entraits de la charpente,
lesquels doivent passer francs au-dessus de l'extrados de ces voûtes.
Il résulte de cette disposition un emploi inutile de matériaux, une
ordonnance lourde qu'il faut occuper par une claire-voie, si l'on prétend
l'alléger; mais alors aussi une dépense considérable pour un objet secondaire.
En remontant les clefs de tous les arcs au même niveau, il n'y
avait plus à poser au-dessus des formerets que la corniche et le bahut
propre à recevoir la charpente du comble. C'est donc vers ce résultat
pratique que tendent les efforts des constructeurs à partir du commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle. Le nouveau système se prêtait d'ailleurs parfaitement
au nivellement des clefs, puisque les voûtains de remplissage
reportent toutes les charges sur les arcs ogives et doubleaux, nullement
sur les formerets, dont, à la rigueur, on peut se passer<span id="note20"></span>[[#footnote20|<sup>20</sup>]]. Dans la nef de
la cathédrale d'Amiens déjà, les clefs des formerets, des arcs-doubleaux
et arcs ogives sont à très-peu près au même niveau. Il en est de même
à la sainte Chapelle du Palais, à Paris, et dans beaucoup d'autres édifices
bâtis de 1230 à 1240. Les voûtains conservent une courbure en
tous sens, ils sont concaves, de sorte que leurs rangs de clefs sont
courbes.
 
À l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], ce mode de structure est suffisamment
détaillé pour que nous n'ayons pas à nous étendre ici sur cet objet.
Nous constaterons cependant que, malgré la courbure donnée aux surfaces
triangulaires des voûtains de remplissage, s'ils étaient d'une très-grande
dimension, à mesure que l'on nivelait les clefs des arcs, on craignait
le relâchement de ces larges surfaces courbes, et l'on cherchait à
les renforcer entre les arcs-doubleaux et les arcs ogives par des arcs,
auxquels on donna jusqu'au XVI<sup>e</sup> siècle le nom de <i>tiercerets</i> ou <i>tiercerons</i>.
Ces arcs supplémentaires venaient aboutir à la lierne posée de la clef de
l'arc-doubleau à la clef de l'arc ogive. C'est peut-être à la voûte centrale
 
[Illustration: Fig. 30.]
 
du transsept de la cathédrale d'Amiens que ce système fut appliqué
pour la première fois<span id="note21"></span>[[#footnote21|<sup>21</sup>]]. Cette voûte carrée, qui porte 14<sup>m</sup>,40 en moyenne.
d'axe en axe des piliers, parut probablement trop large aux constructeurs
de cet édifice pour être faite suivant la méthode admise jusqu'alors.
Nous présentons (fig. 30) le plan du quart de cette voûte. Au centre C
est une clef en lunette pour le passage des cloches de la flèche. Les liernes
sont projetées en <i>ab</i>, les tiercerons en <i>ef</i>. Ces arcs viennent se réunir au
milieu des tiercerons. En AB, nous avons tracé le rabattement des arcs-doubleaux;
en GE, celui des arcs ogives; en GF, celui des tiercerons,
et en HE la projection verticale des liernes. On voit que les clefs de ces
arcs atteignent à très-peu près le même niveau. Les liernes ont une courbure,
sont bandées pour pouvoir se porter d'elles-mêmes, et reçoivent
en F' la tête des tiercerons. Les rangs de moellons des voûtains n'en sont
pas moins posés parallèlement aux lignes de clefs, c'est-à-dire aux
liernes, et les tiercerons ne sont là qu'un nerf pour renforcer ces rangs
de moellons vers le milieu de leur courbure, dont la lierne <i>ab</i> donne la
flèche.
 
En Angleterre, l'adoption de ce système s'était combinée avec une
disposition particulière à cette contrée, de rangs de moellons des voûtains
(voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. de 62 à 72); ce qui amena des combinaisons
de voûtes tout à fait différentes de celles admises par l'école
française.
 
[Illustration: Fig. 31.]
 
En Normandie, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, on voit déjà des voûtes dont
les arcs-doubleaux et arcs ogives ont leurs clefs au même niveau, et qui
sont réunies par des liernes non plus courbes, mais horizontales. C'est
une sorte de système mixte entre le système anglais, sur lequel nous
reviendrons tout à l'heure, et le système français. La voûte centrale du
transsept de la cathédrale de Bayeux, qui date de cette époque, nous
donne un exemple remarquable de ce genre de structure (fig. 31). En A,
est projeté le quart du plan de cette voûte, percée d'un œil pour le
passage des cloches. De <i>a</i> en <i>b</i> sont les liernes horizontales, sans tiercerons.
 
[Illustration: Fig. 32.]
 
Les arcs-doubleaux sont rabattus en BC, les arcs ogives en DE, les
liernes projetées en GE. Ces liernes horizontales ne sont point appareillées
en plates-bandes, leur grande longueur et leur faible section ne
l'ont pas permis; elles passent à travers les remplissages de moellons,
qui viennent ainsi les soutenir comme une ligne de clefs. La section H
fait comprendre cet appareil. Dans leur plus grande courbure, c'est-à-dire
près de l'arc-doubleau, les rangs de moellons sont inclinés suivant
les lignes <i>gh</i>, et, en se rapprochant de la lunette, ces rangs prennent
naturellement la courbure beaucoup plus plate <i>ih</i>. La lierne est donc
pincée par la butée de ces rangs de moellons, elle charge et affermit
leur point de jonction. En pareil cas, les remplissages triangulaires sont
plutôt des portions cylindriques que des concavités, comme dans
l'exemple précédent. Le tracé M donne la projection de la clef-œil avec
l'arrivée d'un des arcs ogives O et d'une lierne L. Ces arrivées sont renforcées
par des redents en manière de goussets, qui donnent de la puissance
aux points de rencontre. Voici (fig. 32) comme sont appareillées
ces rencontres d'arcs avec la clef-œil. La clef-œil est composée de huit
morceaux. Les quatre qui correspondent aux arcs ogives sont naturellement
maintenus à leur, place par la coupe normale à l'arc; les quatre
qui correspondent aux liernes sont maintenus également par une coupe
oblique <i>a</i>, de sorte que le dernier morceau <i>b</i> de la lierne est plus large
à l'intrados, de <i>e</i> en <i>f</i>, qu'à l'extrados, de <i>g</i> en <i>h</i>. Mais toutefois ce morceau,
pas plus que ceux qui le précèdent, ne peut choir, puisqu'ils sont
les uns et les autres pincés et maintenus par les triangles des remplissages,
à la queue <i>p</i>. La figure 32 permet d'apprécier l'utilité des redents
qui renforcent les arrivées des branches d'arcs et des liernes, et empêchent
ainsi les ruptures qui, se produisant au collet, occasionneraient
de graves désordres dans l'économie de la voûte. Comme toujours,
l'élément pratique, une nécessité d'appareil ou de structure, fournit ici
un motif de décoration. Il est nécessaire de nous étendre quelque peu
sur le système de voûtes anglo-normand. Cette étude est intéressante,
parce qu'elle fait voir comment, en partant d'un même point, d'un
même principe, les deux systèmes anglais et français sont arrivés à des
résultats très-différents, tout en demeurant rigoureusement fidèles l'un
et l'autre à ce principe.
 
C'est la meilleure réponse que l'on puisse faire à ceux qui considèrent
les principes comme une gêne, et qui ne croient pas qu'au contraire,
c'est de leurs déductions seulement qu'on peut tirer des formes nouvelles<span id="note22"></span>[[#footnote22|<sup>22</sup>]].
 
Dès le XIII<sup>e</sup> siècle on reconnaît, dans la structure des voûtes, l'influence
du génie anglo-normand ou anglo-saxon, si l'on veut, car nos voisins
n'adoptent pas volontiers la qualification d'anglo-normand. Il est donc
entendu que nous ne nous brouillerons pas sur un mot.
 
Nous avons vu qu'en France, ou plutôt dans l'Île-de-France, déjà au
milieu du XII<sup>e</sup> siècle, les remplissages des voûtes en arcs d'ogive sont
fermés au moyen de rangs de moellons piqués, posés perpendiculairement
(en projection horizontale) aux formerets, de telle sorte que ces
rangs de moellons viennent se joindre parallèlement sur la ligne des
clefs, ou ligne faîtière. Pour obtenir ce résultat, nous avons montré
(voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 55) comment l'appareilleur traçait sur l'extrados
de la courbe du formeret et sur l'extrados de la courbe de l'arc
ogive un nombre égal de divisions qui formaient les joints des rangs de
moellons. Or, comme la courbe de l'arc ogive est toujours plus étendue
que ne peut l'être celle du formeret, les divisions sur l'arc ogive, étant
en nombre égal à celles faites sur le formeret, sont plus grandes. En
Normandie et de l'autre côté de la Manche, jusque vers 1220, on procède
exactement de la même manière; mais en Angleterre, particulièrement,
dès le commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, il se manifeste une indécision
dans cette façon de tracer les remplissages des voûtes; on cherche évidemment
un moyen plus pratique, plus expéditif, et surtout qui puisse
être défini d'une façon plus nette. En effet, les remplissages des triangles
de la voûte française étant concaves, ces rangs de moellons ne peuvent
être géométriquement tracés sur l'épure; ils sont posés par le maçon, qui
les taille à mesure, à la demande du cintre-planchette dont nous avons
parlé dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]] et dont nous reparlerons tout à l'heure.
Il était nécessaire donc que l'ouvrier chargé de cette besogne fût assez
intelligent, eût une dose d'initiative suffisante, pour pouvoir disposer
<i>seul</i>, sans le concours du maître appareilleur, ces rangs de moellons
concaves à l'intrados et plus épais, par conséquent, au milieu du rang
 
[Illustration: Fig. 33.]
 
qu'aux deux extrémités. Il y avait dans ce mode de procéder un <i>à peu
près</i>, un sentiment, peut-on dire, qui n'entrait pas dans le génie précis
et pratique de l'Anglais, lequel prétend ne rien livrer au hasard dans
l'ordre des choses qui peuvent être matériellement prévues et définies.
Donc, pour en revenir à l'objet qui nous occupe, les constructeurs
anglais, ayant, comme les nôtres, adopté les arcs ogives pour la structure
des voûtes d'arête, divisent le formeret et l'arc ogive pour bander les
rangs de moellons de remplissage, non plus en un nombre égal de
divisions, mais en divisions égales. Ainsi (fig. 33), soit une voûte d'arête
sur plan carré; le rabattement du formeret étant <i>ab</i>, et celui de l'arc
ogive <i>cd</i>, si chaque rang de moellons donne sur le formeret les divisions
<i>ae</i>, <i>ef</i>, <i>fg</i>, etc., on aura reporté ces mêmes divisions sur l'arc ogive de
<i>c</i> en <i>l</i>, de <i>l</i> en <i>m</i>, etc. On aura ainsi (ces divisions étant égales) un plus
grand nombre de largeurs de rangs de moellons sur l'arc ogive que sur
le formeret. Réunissant donc les points <i>e'l'</i>, <i>f'm'</i>, etc., on aura la direction
de ces rangs de moellons qui en <i>o</i> viendront se rencontrer sur la ligne
des clefs. Le poseur pourra ainsi n'avoir à placer que des moellons également
épais; les lignes de joints s'inclineront vers l'arc ogive, bien que
les surfaces triangulaires passent par une succession de lignes droites
horizontales. Les triangles pourront être bandés sans cintres ni même
sans cintre-planchette, et il suffira d'une lierne de bois posée de V en X
pour recevoir provisoirement les rencontres des derniers rangs de moellons.
Ce n'est pas du jour au lendemain qu'on arrive en Angleterre à
cette solution pratique, on constate des tâtonnements dont il est utile de
se rendre compte.
 
[Illustration: Fig. 34.]
 
Dans le cloître de l'abbaye de Westminster (fig. 34), ces tâtonnements
sont visibles. Plusieurs voûtes sont fermées conformément à la méthode
française (voyez en A le triangle B), d'autres présentent pour la combinaison
des remplissages la projection C. Cette combinaison est obtenue
par le procédé suivant: l'angle <i>aef</i> a été divisé en deux par la ligne <i>ab</i>,
les rangs de moellons du triangle opposé ont été bandés perpendiculairement
à cette ligne <b>ab</b>: ces rangs de moellons viennent donc se chevaucher
sur la ligne des clefs; ou bien, comme on le voit en D, les rangs de
moellons coupent à angle droit cette ligne <i>ad'</i>. C'est le cas de l'exemple
présenté dans la figure 33. Parfois aussi, dans d'autres voûtes, à Ely
notamment, les rangs de moellons piqués sont posés perpendiculairement
aux branches d'arcs ogives, comme le montre le triangle G, et se
chevauchent toujours sur la ligne des clefs ou se réunissent en sifflets.
 
Les voûtes du transsept de l'église de Westminster, qui datent de 1230
environ, sont faites conformément au tracé indiqué dans le triangle D et
dans la figure 33; c'est-à-dire que les divisions sont égales sur la courbe
du formeret F (voyez le tracé perspectif P, fig. 34) et sur l'arc ogive O.
Cet arc ayant un plus grand développement que le formeret, il y a donc
plus de divisions sur l'arc ogive que sur ce formeret, et les rangs de
moellons légèrement concaves s'inclinent sur cette branche O d'arc
ogive. Il n'y a pas de lierne transversale pour masquer le chevauchage
des rangs de moellons sur la ligne des clefs, mais il en existe longitudinalement
déjà, comme l'indique la figure, de M en N. La naissance de la
courbe des formerets étant en R, c'est-à-dire beaucoup au-dessus de la
naissance des arcs ogives, il y a donc en <i>ghi</i> un triangle vertical faisant
partie du tas de charge, et de la ligne <i>ih</i>, pour aller prendre le rang de
moellons <i>m</i> (le premier qui commence la série des divisions égales), le
constructeur a élevé une surface trapézoïdale <i>ihmn</i>, gauche (en aile de
moulin). Ce n'est donc qu'à partir de la ligne <i>mn</i> que les divisions égales
ont été faites à la fois sur le formeret et sur la branche d'arc ogive.
 
Il est facile de reconnaître qu'ici le praticien n'a pas eu d'autre idée
que de simplifier son travail au moyen de ces divisions égales sur les
deux arcs, de poser des rangs de moellons parallèles dans leur étendue,
et d'éviter ainsi la taille de ces moellons sur le tas, exigée par le système
français. Les conséquences de l'adoption de ce procédé simplificateur
ne se firent pas attendre.
 
Dans la voûte française, les remplissages de moellons sont des voûtains
courbes en tous sens, concavités reportant leur poids sur les nerfs de
pierre, sur les cintres permanents. Chaque triangle de la voûte française
est une cellule indépendante se maintenant d'elle-même. D'après ce qui
précède, on voit que les constructeurs anglais ne considèrent pas les
triangles de remplissages comme des voûtains, mais, comme des panneaux,
ou plutôt encore comme une suite de couchis. En effet, admettons
que l'on ait à poser sur des cintres combinés, comme le sont les
arcs-doubleaux, formerets et arcs ogives (c'est-à-dire possédant chacun
leur courbe propre) des couchis de planches, il est évident que ces couchis,
ayant une égale largeur dans toute leur étendue, donneraient exactement
la figure que reproduit le tracé P (fig. 34); que ces couchis ne
pourraient se réunir parallèlement suivant la ligne des clefs du triangle,
mais se chevaucheraient.
 
Les Anglais ont-ils fait des voûtes originairement composées d'arcs de
pierre ou de courbes de bois, sur lesquelles ils auraient posé des madriers,
des couchis, en un mot? C'est possible; d'autant qu'il existe encore
en Angleterre, dans le cloître de la cathédrale de Lincoln, entre autres
exemples, des voûtes ainsi construites et qui datent du XIV<sup>e</sup> siècle. Il ne
faut pas perdre de vue que les constructions de bois ont de tout temps
tenu une place importante dans l'architecture anglaise, comme dans
l'architecture de toutes les races du Nord.
 
Le système de voûtains à projection horizontale triangulaire de la
voûte française ne peut en aucune façon se prêter à l'emploi de planches
ou de madriers, puisqu'il eût fallu tailler chacun d'eux pour lui donner
plus de largeur au milieu qu'aux extrémités; tandis que le système
anglais primitif indiqué ci-dessus permet la mise en œuvre du bois;
bien plus, il l'indique, il en est une conséquence. Les dérivés des exemples
précédents viennent encore accuser cette préoccupation des constructeurs.
La voûte anglaise arrive, au XV<sup>e</sup> siècle, à être une combinaison
de charpenterie bien plutôt qu'une combinaison de maçonnerie.
 
Dès le XIII<sup>e</sup> siècle, les liernes apparaissent, puis les tiercerons. Les
liernes étaient une conséquence toute naturelle du chevauchement des
rangs de moellons sur la ligne des clefs. Les tiercerons--pour les voûtes
d'une grande portée du moins--étaient commandés pour empêcher
le fléchissement de ces rangs de moellons qui n'ont qu'une flèche inappréciable
et qui semblent figurer des couchis. Ces plans courbes dans
un sens, mais nullement concaves ou très-peu concaves,--puisque ces
rangs de moellons remplissaient l'office de couchis,--avaient besoin
d'être maintenus dans le milieu de leur développement, pour ne point
se déformer, s'infléchir; les tiercerons furent donc posés pour parer à
cette éventualité.
 
Bientôt les conséquences de ce principe conduisent à des combinaisons
d'arcs dont nous ne trouvons pas, en France, les analogies; et c'est
toujours un mode simplificateur qui est la cause de ces combinaisons.
 
Tout ce qui est du ressort de l'architecture du moyen âge est si légèrement
apprécié, même, il faut bien l'avouer, par les architectes, qu'on
s'en tient à l'apparence, qu'on juge les méthodes adoptées sur cette
apparence, et qu'on ne prend pas la peine de rechercher si derrière
la forme visible il y a un procédé très-simple qui l'a commandée.
 
Déjà en 1842, un des hommes les plus distingués en Angleterre parmi
les archéologues s'occupant de l'architecture, avec le sens pratique que
dans ce pays on apporte à toute chose, M. le professeur Willis, avait
publié sur la construction des voûtes anglaises du moyen âge un travail
très-étendu et savamment déduit<span id="note23"></span>[[#footnote23|<sup>23</sup>]]. Ce travail est peut-être la première
étude sérieuse qui ait été faite sur le système de structure des voûtes
anglaises, et certes les observations recueillies depuis n'ont fait que
confirmer les aperçus de M. Willis. Toutefois, n'ayant pas un point de
comparaison en dehors du système anglais, le savant professeur ne peut
en apprécier tout le côté pratique. En nous aidant de son remarquable
travail et de nos observations personnelles, nous essayerons de faire
comprendre comment ces voûtes, en apparence si compliquées, sont la
déduction la plus simple du système dont nous venons d'exposer les
principes élémentaires.
 
Puisque, pour maintenir la flexion des rangs de moellons, considérés
comme des couchis, les constructeurs anglais avaient jugé nécessaire
d'établir un tierceron dans chaque triangle de voûtes, aboutissant à la
lierne de clefs, il était naturel qu'ils en établissent bientôt plusieurs.
Ainsi firent-ils (fig. 35).
 
Les tiercerons venaient aboutir de la naissance au milieu des liernes,
en <i>aa'</i>. Ces constructeurs jugèrent que pour les grands triangles, les
espaces <i>a'b</i>, <i>a'c</i> étaient trop grands encore pour se passer d'un renfort
intermédiaire. Ils établirent donc les contre-tiercerons <i>gh</i>, <i>gi</i>, aboutissant
au milieu des demi-liernes, en <i>h</i> et en <i>i</i>. N'oublions pas que chaque
arc de la voûte française possède sa courbe particulière, qui est toujours
une portion de cercle, sauf de rares exceptions. Si donc, en se conformant
à ce principe, le constructeur anglais avait dû adopter pour chacun
de ces arcs,--lesquels ont tous une base différente,--une courbe
particulière, il lui eût fallu tracer: 1° la courbe du formeret <i>gb</i>; 2° celles
des deux tiercerons <i>ga'</i>, <i>ga</i>; 3° celle de l'arc ogive <i>gc</i>; 4° celles des deux
contre-tiercerons <i>gh</i>, <i>gi</i>; 5° celle de l'arc-doubleau <i>gl</i>: en tout, sept
courbes. De plus, en admettant que, comme dans la voûte française,
tous ces arcs eussent été des portions de cercle, ou il eût fallu que leurs
naissances eussent été placées à des niveaux très-différents, ou que les
clefs de ces arcs eussent été elles-mêmes à des niveaux très-différents.
Dans le premier cas, il existait, entre le chapiteau de la pile et la naissance
de la courbe des arcs ayant la plus faible base, une verticale
gênante pour placer les moellons de remplissage suivant le mode admis
par les Anglais; la voûte le long du formeret semblait ne plus tenir à la
structure, se détacher, comme on peut le voir dans quelques-unes de ces
voûtes primitives, notamment dans les chœurs des cathédrales d'Ely et
de Lincoln. Pour éviter cet inconvénient, dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, les
constructeurs anglais adoptent une courbe composée, de telle sorte que,
toutes ces courbes, à partir du niveau du chapiteau des piles, ont le
même rayon.
 
Ainsi (fig. 35) l'arc ogive étant la plus longue courbe, c'est elle qu'on
trace au moyen d'un premier arc de cercle <i>g'm</i>, puis d'un second arc
de cercle <i>mn</i>; le point <i>n</i> étant fixé comme hauteur de la voûte sous
clef. Bien entendu, le centre de cette seconde courbe se trouve sur le
prolongement de la ligne passant par le point <i>m</i> et le centre <i>e</i> de l'arc
<i>g'm</i>. La courbe du formeret <i>gog'</i> est donnée par le même rayon <i>em</i>. Ceci
fait, toutes les courbes des autres arcs sont données. Tous ont une base
plus courte que celle de l'arc ogive. Donc, rabattant le contre-tierceron
<i>g'h</i> sur la ligne de base <i>g'c</i>, en <i>h'</i>; de ce point <i>h'</i> élevant une perpendiculaire,
celle-ci viendra rencontrer en <i>h''</i> la courbe maîtresse <i>g'n</i>. La courbe
de ce contre-tierceron sera donc la courbe <i>g'h''</i>. Rabattant le tierceron
 
[Illustration: Fig. 35.]
 
<i>g'a'</i>, idem en <i>a''</i>; élevant une perpendiculaire de ce point <i>a''</i>, celle-ci
rencontrera la courbe maîtresse en <i>a'''</i>. La courbe de ce tierceron sera
donc la courbe <i>g'a'''</i>. Rabattant le deuxième contre-tierceron <i>g'i</i>, idem
en <i>i'</i>; élevant une perpendiculaire de ce point <i>i'</i>, celle-ci rencontrera la
courbe maîtresse en <i>i''</i>. La courbe du deuxième contre-tierceron sera
donc la courbe <i>g'i''</i>. On procédera de même pour le tierceron <i>g'a</i> du
long triangle, tierceron dont la courbe sera donnée de <i>g'</i>en <i>p</i>; de même
aussi pour l'arc-doubleau <i>g'l</i>, dont la courbe sera donnée de <i>g'</i> en <i>q</i>.
 
Ces clefs atteignent toutes des niveaux différents. Pour tracer les
liernes transversales <i>cb</i>, il suffira d'élever des perpendiculaires des points
<i>ha'ic</i> sur la ligne <i>cb</i> (projection horizontale de cette lierne transversale),
et de prendre sur ces perpendiculaires des longueurs égales à <i>h'h''</i>,
à <i>a''a'''</i>, à <i>i'i''</i>, à <i>cn</i>, qui donneront les points <i>r</i>, <i>s</i>, <i>t</i>, <i>u</i>, points d'intersection
des tiercerons avec la lierne <i>cb</i>. Si l'on veut que le formeret ait la même
courbe que tous les autres arcs, on procédera comme ci-dessus. Nous
rabattrons la ligne <i>g'b</i> sur la base <i>g'c</i>; du point V, nous élèverons une
perpendiculaire qui, rencontrant la courbe maîtresse en V'' donnera la
courbe <i>g'</i>V'' du formeret. Cette courbe en projection transversale donnera
la hauteur <i>b</i>V', tandis que le formeret, rabattu en <i>go</i>, donnera la
hauteur <i>bo'</i>. Employant le même système de tracé, nous aurons en <i>uy</i>
la projection longitudinale des branches de liernes <i>cl</i>.
 
Tout ceci n'est que de la géométrie descriptive très-élémentaire, et
ne demande pas de grands efforts d'intelligence de la part du traceur,
mais les conséquences au point de vue de la structure sont importantes.
D'abord, puisque nous n'avons qu'une seule courbe composée pour tous
les arcs; ou plutôt, que tous les arcs ne sont qu'un segment plus ou
moins étendu d'une même courbe composée, les panneaux d'appareil
d'un arc peuvent servir pour tous les arcs; de plus, les arcs, en pivotant
autour de la verticale élevée dans l'axe de la pile <i>g</i>, devant nécessairement
passer par un même plan courbe, puisqu'ils ont tous la même courbe,
donnent à l'extrados une forme conoïde concave en manière de pavillon
de trompette, qui simplifie singulièrement la pose des moellons de
remplissage. Si bien (voy. fig. 36) qu'en traçant la projection horizontale
de cette voûte, on voit comment se peuvent poser aisément les rangs
de ces moellons ne remplissant plus que la fonction de planches ou
bardeaux posés entre des nervures de charpenterie. Mais la suite de
déductions logiques qui avait amené les constructeurs anglais à considérer
ces arcs multipliés comme des nerfs d'une charpente, les conduisait
(à cause surtout du peu de courbure de ces arcs dans la partie
supérieure de la voûte) à les relier entre eux par des goussets et contre-liernes,
ainsi que l'indique la figure 36<span id="note24"></span>[[#footnote24|<sup>24</sup>]]. Les points de rencontre de ces
goussets et contre-liernes avec les arcs et les liernes donnent des motifs
de clefs qui renforçaient d'autant ces points de jonction. On obtenait
ainsi un réseau résistant d'arcs puissamment étrésillonnés, sur lesquels
on pouvait poser les moellons de remplissage comme on pose des planches
sur une membrure de charpente. La figure 37 donne le tracé perspectif
d'une de ces clefs (celle A de la figure 36). Les contre-liernes et
goussets sont tracés suivant un plan vertical, ainsi que l'indique la section
B (fig. 37), des feuillures F étant réservées pour poser les moellons
 
[Illustration: Fig. 36.]
 
de remplissage, et la queue de ces contre-liernes arasant l'extrados de
ces moellons, On observera que l'arc C (qui est ici l'arc ogive) possède
en D une joue plus large au-dessous de la contre-lierne qu'en <i>d</i>, ce que
motive la position verticale de cette contre-lierne, et ce qui est parfaitement
conforme aux conditions de résistance de ces arcs, lesquels n'ont
plus besoin d'avoir autant de force là où ils participent au réseau qu'au-dessous
de ce réseau. Revenant à la figure 36, nous voyons que les clefs
A, B, C, sont posées sur un cercle dont le point D est le centre; de sorte que
les branches d'arcs DC, DA, DB, sont identiques. Les clefs E, C, F, divisent
la branche de liernes transversale en quatre parties égales, comme la
clef G divise la branche de liernes longitudinale en deux parties égales.
La clef H divise la branche d'arc AO en deux parties égales, et, pour
poser la clef I, on a réuni les points BH, AK, par des lignes, ainsi qu'on
le voit en M. Ces deux lignes ont coupé le tierceron en deux points <i>a</i>, <i>b</i>;
divisant en deux cet espace <i>ab</i>, on a marqué le point P, centre de la clef I.
 
En multipliant ainsi les arcs des voûtes destinées à maintenir les remplissages,
qui ne sont plus que des panneaux de pierre, il était naturel
de construire ces arcs eux-mêmes tout autrement que ne le sont les arcs
des voûtes françaises.
 
Les arcs des voûtes françaises sont, avec raison, bandés au moyen de
claveaux ayant entre lits peu d'épaisseur. C'est-à-dire que dans un arc
de voûte française, le constructeur a multiplié les joints, afin de laisser
à cet arc une plus grande élasticité, d'éviter les jarrets et brisures, qui
 
[Illustration: Fig. 37.]
 
eussent été, pour les voûtains, une cause de dislocation. Quoique ces
voûtains conservent eux-mêmes une certaine élasticité, il était important
de préserver de déformations sensibles les cintres permanents (arcs)
qui les portent. En bandant ces arcs en claveaux peu épais, en multipliant
les joints, le constructeur français estimait avec beaucoup de
justesse que (en admettant un mouvement, un tassement) la multiplicité
de ces joints, toujours épais, permettait à l'arc, de suivre ces mouvements
ou tassements sans déformer sa courbure. Mais, dès l'instant que les
Anglais remplissaient les voûtains de remplissage par des panneaux de
pierre, et qu'ils adoptaient des courbes composées de deux segments de
cercle, dont l'un avait un très-grand rayon, il eût été périlleux de bander
ces arcs à l'aide de claveaux peu épais. Aussi, quand les voûtes anglaises
sont faites conformément aux tracés que nous venons de donner en
dernier lieu, les arcs sont composés au contraire de longs morceaux de
pierre, comme le seraient des courbes de charpente. Les liernes ou contre-liernes,
qui sont des étrésillons, sont taillées souvent dans un seul morceau
de pierre d'une clef à l'autre. Cette méthode était conséquente au
système de voûtes admis par ces constructeurs dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
De tout ce qui précède il ressort que les constructeurs anglais, malgré
l'apparence compliquée de ces figures, ont adopté au contraire un procédé
simplificateur, soit pour le tracé de ces voûtes, soit pour leur structure.
Il est intéressant d'observer comment nos voisins, déjà, étaient
pénétrés de cet esprit pratique qui tend à faire converger les efforts
communs vers un but, en laissant peu de part à l'initiative individuelle.
Il est évident que, pour faire une voûte française à la même époque,
c'est-à-dire pendant la première moitié du XIV<sup>e</sup> siècle, il fallait de la part
de chaque ouvrier plus d'intelligence et d'initiative qu'il n'en était besoin
pour construire une voûte comme celle que nous venons d'analyser.
L'épure faite suivant cette dernière méthode, la besogne de l'ouvrier se
bornait à un travail quasi mécanique. Il n'en était pas ainsi de nos voûtes,
qui demandaient pendant la pose des combinaisons que le maître devait
prescrire pas à pas, mais qu'il ne pouvait géométriquement tracer, que
le maçon ne pouvait mettre à exécution que par suite d'un effort de son
intelligence. Nous croyons qu'il y a plus d'art dans nos voûtes, d'apparence
si simple, qu'on n'en saurait trouver dans ce système purement
géométrique, très-simple comme procédé pratique, mais d'apparence
si compliquée.
 
Les génies des deux peuples se montrent ainsi de part et d'autre avec
leurs qualités et leurs défauts. On n'est point surpris toutefois que les
hommes qui déjà possédaient un esprit collectif et simplificateur aussi
manifeste fussent également pénétrés de ce sentiment de discipline et
d'ordre qui nous fut si funeste aux journées de Crécy et de Poitiers.
Tout se tient dans l'histoire d'un peuple, quand on y veut regarder de
près, et c'est ce qui fait de l'étude de l'architecture de ces temps, si
complétement empreinte du génie des peuples qui la pratiquaient en
France et en Angleterre, un sujet inépuisable d'observations intéressantes.
 
On a vu dans la figure 35 comment les constructeurs anglais, ayant
adopté une seule courbe composée pour tous les arcs d'une voûte, appliquaient
même parfois cette courbe au formeret, et par suite à l'archivolte
de la fenêtre ouverte sous ce formeret. C'est un procédé simplificateur
de construction des voûtes, qui n'exigeait qu'une seule épure pour
tous les arcs, qui explique pourquoi beaucoup de ces archivoltes des
fenêtres appartenant à des édifices voûtés au XIV<sup>e</sup> siècle sont obtenues au
moyen de courbes composées. Il y a, dans cette forme observée par tous,
ceux qui ont visité l'Angleterre, non pas un caprice, une question de
goût, mais l'application rigoureuse d'un système suivi, comme nous
venons de le démontrer, avec un esprit méthodique rigoureux dans ses
déductions. Une fois la courbe admise par une nécessité de construction,
on s'y habitua et l'on s'en servit dans des circonstances non commandées
par le système de structure.
 
Cependant les constructeurs anglais ne s'en tinrent pas à la voûte que
 
[Illustration: Fig. 38.]
 
nous venons de donner (fig. 35 et 36); ils prétendirent, vers la même
époque, c'est-à-dire au commencement du XIV<sup>e</sup> siècle, avoir, avec des
arcs formés de courbes composées, des liernes sur un plan horizontal et
non plus inclinées vers les formerets et arcs-doubleaux. Voici (fig. 38)
comment ils s'y prirent pour arriver à ce résultat. Soit un quart de
voûte d'arête ABCD, un tierceron étant tracé en AE. Pour les naissances
de tous ces arcs, c'est-à-dire du formeret AB, du tierceron AE, de l'arc
ogive AC, de l'arc-doubleau AD, et de tous les autres arcs, s'il plaît
d'en tracer d'autres, comme dans le précédent exemple, un seul arc AF
a été tracé, le centre de cet arc étant en D. Rabattant les longueurs de
chacun de ces arcs sur la ligne AC considérée comme base, et, de ces
points de rabattement, élevant des perpendiculaires sur la base, la
ligne <i>ab</i> étant considérée comme le niveau auquel doit atteindre
chacun de ces arcs, on trace les segments F<i>a</i>, F<i>g</i>, en prenant leurs
centres en <i>m</i> et <i>n</i> sur la ligne Fo<i></i> prolongée; le segment I<i>h</i>, en prenant
son centre en <i>r</i> sur la ligne I<i>o</i> prolongée; le segment K<i>b</i>, en prenant son
centre en <i>q</i> sur la ligne K<i>o</i> prolongée. Les clefs de tous ces arcs sont
sur un même plan de niveau, et par conséquent les liernes CD, CB, sont
horizontales. Cependant les sommiers des arcs possèdent tous la même
courbe, au moins jusqu'au point K, ce qui sauve la difficulté des naissances
dont les courbes sont différentes. Une fois ce niveau K échappé,
il y a une si faible différence entre les courbures des arcs, que les rangs
de moellons de remplissage peuvent toujours être posés conformément
à la méthode indiquée précédemment.
 
[Illustration: Fig. 39.]
 
Voyons (figure 39) comment ce système de structure des voûtes anglaises
incline vers une méthode de plus en plus mécanique. Soient en
ABCD un quart de voûte carrée, et en EBFG un quart de voûte barlongue.
Dans la première, l'arc ogive est l'arc AD; dans la seconde, l'arc ogive
est l'arc EG. Ayant admis, comme le montre la figure 36, que les tiercerons
doivent être multipliés, afin de ne plus considérer les remplissages
que comme des panneaux, non plus comme des voûtains, il s'ensuit
naturellement que ces panneaux doivent, autant que faire se peut,
être semblables comme étendue. Pour tracer les tiercerons, ce ne sera
donc plus les liernes que nous diviserons en parties égales, comme
dans l'exemple 36, mais nous décrirons le quart de cercle BC pour le
quart de la voûte carrée, et nous diviserons ce quart de cercle en parties
égales. Par les points diviseurs faisant passer des lignes A<i>a</i>, A<i>b</i>, A<i>c</i>,
nous aurons la projection horizontale des tiercerons d'un huitième de la
voûte. Dès lors les angles DA<i>a</i> (A sommet), <i>a</i>A<i>b</i>, <i>b</i>A<i>c</i>, <i>c</i>AC, seront égaux
et les panneaux compris entre leurs côtés semblables. Nous étrésillonnerons
ces tiercerons par des contre-liernes <i>e,f,g,h,</i> etc., comme dans
l'exemple figure 36, mais ici tracées de telle sorte que leurs points de
rencontre se trouvent sur les quarts de cercle BC, <i>ei</i>. Ou nous voulons
adopter pour tous ces arcs une seule et même courbe composée, comme
dans l'exemple fig. 35, ou nous voulons que les liernes BD, DC, soient
de niveau. Dans le premier cas, nous prenons l'arc ogive AD comme
étant le plus étendu, nous le rabattons sur la ligne A'D', nous élevons la
perpendiculaire D'D" (D" étant la hauteur de la voûte sous clef), et nous
traçons, au moyen de deux centres, la courbe composée A'D". Procédant
comme il a été dit ci-dessus; prenant les longueurs A<i>a</i>, A<i>b</i>, A<i>c</i>, AC,
et les reportant sur la ligne A'D' en A'<i>a'</i>, en A'<i>b'</i>, en A<i>c'</i>, en A'C', et de ces
points, <i>a',b',c'</i>,C', élevant des perpendiculaires à la ligne A'D', ces perpendiculaires
rencontreront la courbe A'D" en des points qui donneront
les hauteurs sous clef de chacun des arcs A<i>a</i>, A<i>b</i>, etc., et par suite,
pour la lierne DC, la projection verticale C'''D'''. Mais si nous prétendons
poser ces liernes de niveau, alors il nous faudra chercher, au moyen du
procédé indiqué figure 38, les courbes A'K, A'<i>l</i>, etc., en conservant
toujours pour les sommiers la même courbe A'<i>n</i>.
 
S'il s'agit d'une voûte barlongue, dont le quart est EBFG, nous procédons
exactement de la même manière que pour la voûte carrée; seulement
l'arc formeret EF et les tiercerons joignant ce formeret étant
plus courts que ne l'est le formeret et ne le sont les tiercerons A<i>a</i>,
A<i>b</i>, A<i>c</i> de la voûte carrée, les clefs de ces arcs seront (en supposant que
nous n'adoptions qu'une seule courbe) plus basses que dans la voûte
carrée, c'est-à-dire que les points hauteurs de ces clefs seront en <i>m</i>
pour le formeret EF, en <i>o</i> pour le tierceron E<i>o'</i>, en <i>p</i> pour le tierceron
E<i>p'</i>, en <i>q</i> pour le tierceron E<i>q'</i>, etc., et que la ligne des liernes FG
donnera la projection verticale F'D'''. Mais si nous voulons que les
liernes de cette voûte barlongue soient de niveau, alors il faudra chercher
les courbes composées comme ci-dessus, et la courbe du formeret
EF rabattue en A'I conservera toujours une partie de la courbe primitive inférieure de A' en <i>s</i>, pour les sommiers.
 
On voit ainsi comment sont donnés, par l'application d'un principe
de construction déduit rigoureusement, ces arcs brisés en lancettes A'I,
ou surbaissés composés A<i>m</i>, si fréquemment adoptés pour les fenêtres
des nefs anglaises voûtées, ces fenêtres étant circonscrites par l'arc
formeret. Cependant, à ces courbes engendrées tout naturellement par
un procédé de structure, on a voulu trouver les origines les plus saugrenues.
Ces courbes prétendaient imiter le bonnet d'un évêque, ou bien
elles avaient une signification mystico-symbolique; en se rapprochant
de la ligne droite au-dessus d'un certain point, elles devaient indiquer
la disposition de l'âme chrétienne, qui devient de plus en plus ferme
à mesure qu'elle s'élève vers le ciel!... Mais nous ne rapporterons point
ces rêvasseries de tant d'auteurs qui ont écrit sur l'architecture du
moyen âge sans avoir à leur service les premiers éléments de la géométrie
et de la statique. Il est clair que les artistes que tout raisonnement
fatigue, et qui seraient aises qu'il fût interdit de raisonner, même en architecture,
par une bonne loi bien faite, et surtout rigoureusement appliquée,
s'empressent de répéter ces pauvretés à l'endroit de la structure
gothique, et aiment bien mieux voir l'imitation d'un bonnet d'évêque
dans une courbe qu'un principe de structure: le bonnet d'évêque, en ce
cas, ou l'aspiration de l'âme dispense de toute étude et de toute discussion,
et la voûte gothique passe ainsi au compte des niaiseries humaines;
ce qui simplifie la question. Lorsqu'une seule courbe sert pour tous les
arcs d'une voûte, et si ces arcs pivotent sur la pile support, il est clair
que, au-dessus de chaque pile, chaque partie de voûte donne exactement
la forme d'un pavillon de trompette<span id="note25"></span>[[#footnote25|<sup>25</sup>]]. Lorsque la portion supérieure
de ces courbes composées seule est modifiée, afin de poser toutes les
clefs et les liernes, par conséquent, de niveau ou dans un même plan
horizontal, la forme en pavillon n'en existe pas moins jusqu'à une certaine
hauteur au-dessus des naissances, et la variété des courbes supérieures
modifie un peu la forme en pavillon, mais ne saurait la détruire
pour l'œil. Il est clair aussi que les architectes devaient, par suite de
l'adoption de ces arcs rayonnants donnant entre eux des angles égaux,
quelle que fût la disposition des travées, soit carrées, soit barlongues,
abandonner l'arc ogive, et donner à tous ces arcs rayonnants qui remplissent
chacun une fonction semblable une section semblable. C'est
ce qui arriva. Il était conforme à la marche logique des procédés adoptés
par les constructeurs anglais de ne plus poser entre ces arcs des rangs
de moellons, mais de les remplacer par de véritables panneaux de
pierre, des dalles. Ce parti est adopté de l'autre côté de la Manche dès
le XV<sup>e</sup> siècle, soit sur des arcs disposés en pavillon de trompette, soit sur
des arcs formant une suite de pyramides curvilignes avec portion de
berceau. C'est ainsi qu'est construite la voûte de la chapelle de Saint-George,
à Windsor<span id="note26"></span>[[#footnote26|<sup>26</sup>]]. La figure 40 montre une de ces pyramides de
voûtes à l'extrados; comment sont disposés les arcs portant feuillures
A, et comment entrent dans ces feuillures les panneaux B de remplissage.
Les arcs tiercerons, compris entre les arcs ogives O, aboutissent
à une ligne de niveau DD'. À partir de cette ligne jusqu'à la ligne
des clefs CC', la voûte forme un berceau composé de panneaux de pierre
clavés, portant en relief, les compartiments simulant alors des pénétrations
 
[Illustration: 40.]
 
d'arêtes, de tiercerons, de contre-liernes, etc. La ligne des clefs,
ou la lierne qui réunit la clef E du formeret à la ligne DD', est horizontale,
de telle sorte que les tiercerons compris entre les arcs ogives O et
ces formerets sont taillés sur des courbes différentes; de même pour les
tiercerons compris entre les arcs ogives, d'après la méthode indiquée
précédemment. Ainsi, dans cette voûte de la chapelle de Windsor,
plusieurs systèmes sont mis en pratique: le système des voûtes en portions
de pyramides curvilignes, avec arcs pris sur des courbes différentes
(sauf pour les sommiers); le système des grands claveaux larges et peu
épais, comme des dalles clavées, enchevêtrées, complétant la voûte par
un berceau, dans sa partie supérieure. Plus tard encore les arcs sont
supprimés, et les voûtes anglaises ne se composent plus que d'un appareil
de grandes dalles, avec nerfs saillants à l'intérieur pris dans la masse
et figurant encore les arcs de la structure qui n'existent plus de fait.
C'est ainsi que sont construites les voûtes les plus récentes de la cathédrale
de Peterborough et celles de la chapelle de Henri VII à Westminster.
 
Ces sortes de voûtes sont très-plates. Ainsi la voûte dont la figure 40
présente l'extrados n'a, comme flèche, qu'un peu plus du quart de
son diamètre. Cela seul indique les avantages que l'on pouvait tirer
de ce mode de structure.
 
Nous avons cru nécessaire de nous étendre quelque peu sur les combinaisons
qui ont amené les constructeurs anglais aux formes de voûtes
en apparence si différentes des nôtres, bien que partant d'un même
principe. Cette digression tend à démontrer que, d'un même principe,
quand on le suit avec méthode, il peut sortir des déductions très-variées.
Il est certain que du principe générateur de la voûte gothique on peut
tirer d'autres conséquences encore; que par conséquent il ne peut y
avoir aucune bonne raison pour repousser ce principe excellent en lui-même,
et laissant à l'architecte la plus grande liberté quant aux applications
qu'on en peut faire, en raison des programmes, de la nature des
matériaux et de l'économie.
 
Revenons à la voûte française. Nous l'avons laissée au moment où,
étant arrivée à son développement, elle permet de couvrir à l'aide des
arcs ou cintres permanents, portant des voûtains de moellon piqué,
toutes les surfaces possibles. Ayant atteint au milieu du XIII<sup>e</sup> siècle un
degré de perfection absolu, conformément au mode admis dès le milieu
du XII<sup>e</sup> siècle, le système français ne se modifie plus; il procède toujours
de l'arc-doubleau, des arcs ogives et formerets avec ou sans tiercerons
et liernes. Ce n'est guère que dans les provinces les plus septentrionales,
et notamment en Normandie même, que l'application des tiercerons et
liernes devient fréquente à dater de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle. Dans l'Île-de-France,
en Champagne, en Bourgogne, les constructeurs s'en tiennent
aux arcs ogives et aux arcs-doubleaux jusqu'à la fin du XV<sup>e</sup> siècle. À ce
point de vue, comme procédé de structure, la voûte française ne se
modifie pas. Les perfectionnements ou innovations--si l'on peut appeler
innovation la conséquence logique d'un système admis toul d'abord--ne
portent que sur les naissances de ces voûtes. Nous avons vu qu'en
Angleterre, au moyen des courbes composées, on avait évité les difficultés
résultant des courbes de rayons différents pour bander les remplissages,
puisque, dans ces voûtes anglaises, dès le XIV<sup>e</sup> siècle, la courbe
inférieure est la même pour lous les arcs d'une voûte. En France, sauf
de très-rares exceptions, qui appartiennent à une époque relativement
récente, la courbe composée n'est pas employée, les formerets, arcs-doubleaux
et arcs ogives ont chacun leur courbe, qui est toujours un
segment de cercle. Comme on sentait de plus en plus la nécessité de
placer les clefs de ces arcs au même niveau, afin de ne pas perdre de
place et de pouvoir passer les entraits des charpentes immédiatement
au-dessus de l'extrados des voûtes, lorsque ces arcs avaient des ouvertures
très-différentes, il fallait, ou que leur brisure donnât des angles
très-différents, c'est-à dire que les uns fussent très-aigus, les autres
très-obtus, ou que les naissances de ces arcs fussent placées à des
niveaux différents<span id="note27"></span>[[#footnote27|<sup>27</sup>]]. C'est ce dernier parti qui prévalut, car les constructeurs
cherchaient à donner aux arcs en tiers-point d'un même édifice,--au
moins pour les arcs-doubleaux, formerets et archivoltes,--des
angles de brisure à la clef qui ne fussent pas trop inégaux. Les naissances
de ces divers arcs furent donc une de leurs plus grandes préoccupations.
 
[Illustration: 41.]
 
Le chœur de la cathédrale de Narbonne, commencé à la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle et conçu évidemment par un maître très-habile, présente,
sous le rapport de la construction des voûtes, de précieux renseignements<span id="note28"></span>[[#footnote28|<sup>28</sup>]]. Le dernier pilier des travées parallèles à l'axe du chœur, qui
commence les travées rayonnantes, est disposé rigoureusement et le plus
économiquement possible pour recevoir les arcs qu'il doit porter. La
figure 41 donne la section horizontale de ce pilier sous les voûtes du
collatéral. L'archivolte de la partie parallèle à l'axe du chœur occupe
toute la largeur <i>ab</i>, et celle de la première travée tournante la même largeur
<i>a'b'</i>. Ces archivoltes ont l'épaisseur totale de la pile, à quelques centimètres
près. La colonnette C monte jusqu'à la haute voûte, pour porter
un seul arc (voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]], fig. 48), puisque nous sommes dans la
partie gironnante du chœur; la colonnette D porte à la fois et l'arc-doubleau
A et les deux arcs ogives O du collatéral gironnant. Les travées T
étant plus étroites que celles parallèles T' au grand axe, il en résulte que
le nerf G vertical, qui reçoit le boudin principal G' de l'archivolte, se
trouverait, dans la travée T tournante, en retraite du nu H, et qu'il ne paraît
point. Ainsi ce sont les arcs qui ont donné rigoureusement la position
des nerfs et colonnettes de cette pile cylindrique. Si nous montrons la
voûte du collatéral (fig. 42), avec une des piles de la partie gironnante,
nous voyons comment les archivoltes pénètrent dans la pile, et comment
les arcs-doubleaux et arcs ogives du collatéral, à cause de leur plus
grande ouverture, ont leur naissance placée plus bas que celle de ces
archivoltes. Nous voyons aussi comment sont tracés ces arcs ogives, suivant
une courbe dans leur plan horizontal. La figure 43 explique ce
tracé. En A, sont les grosses piles du sanctuaire; en B, les piles d'entrée
des chapelles. Les clefs C des arcs ogives sont posées au milieu de la
ligne <i>ab</i> de clef des voûtains de remplissage, qui réunit le sommet de
l'arc-doubleau d'entrée des chapelles au sommet de l'archivolte. Afin
de ne pas avoir en <i>e</i> un angle trop aigu, le constructeur a donné, en
projection horizontale, une courbure à l'arc ogive <i>e</i>C. Ainsi les remplissages
s'établissent-ils plus également dans les deux triangles voisins
ayant pour bases l'arc-doubleau du collatéral et l'arc-doubleau d'entrée
des chapelles. À la cathédrale de Bourges, les voûtes des collatéraux du
chœur (1225 environ) sont déjà tracées suivant ce principe.
 
Mais nous voyons, dans la perspective figure 42, qu'entre l'arc ogive
et l'archivolte, le remplissage est abandonné et pénètre dans la pile
même, continuant au-dessus de la bague formant chapiteau. Il y a là
un point incomplet, car les voûtains de remplissage doivent toujours
reposer sur des extrados d'arcs. Au XIV<sup>e</sup> siècle, le constructeur de l'église
abbatiale de Saint-Ouen de Rouen prend un parti plus franc, plus
logique, bien qu'en apparence beaucoup plus compliqué (fig. 44). Les
archivoltes prennent tout l'espace <i>ab</i>, c'est-à-dire exactement la largeur
de la pile, moins le nerf C destiné à recevoir l'arc-doubleau et les arcs
ogives des voûtes hautes, et le profil de ces archivoltes n'est autre que
celui de la pile, ou, pour être plus exact, la section de la pile n'est autre
que la section de l'archivolte. L'arc-doubleau du collatéral n'est également
que le profil <i>g</i> de la pile, et l'arcogive le profil <i>h</i>. En élévation, ces
arcs se pénètrent ainsi que l'indique le tracé perspectif. Il n'y a plus
de chapiteau, puisqu'il n'a plus de raison d'être, et les sommiers, à lits
horizontaux, s'élèvent jusqu'au niveau N, c'est-à-dire beaucoup au-dessus
des naissances des arcs.
 
C'est la dernière expression de la combinaison des naissances d'arcs.
 
[Illustration: Fig. 42.]
 
de voûtes en France, et ce parti fut suivi jusqu'à l'époque de la renaissance.
 
[Illustration: Fig. 43.]
 
Ce sont là des conséquences rigoureuses du principe de la voûte
trouvée au XII<sup>e</sup> siecle; mais, quant au mode de structure, il ne varie pas,
c'est-à-dire que les arcs remplissent toujours les fonctions de cintres
permanents recevant des voûtains de remplissage entre leurs branches,
voûtains qui ne deviennent jamais des panneaux, mais sont construits
par petits claveaux dont les rangs courbés partent toujours de l'arc-doubleau,
archivolte ou formeret, pour venir reposer à l'autre extrémité
en biais, sur les arcs ogives.
 
Dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], il est dit comment, à l'aide de ce système
de voûtes, on peut couvrir toutes les surfaces, si peu régulières qu'elles
soient; comment on peut, sans difficultés d'appareil, faire des voûtes
biaises, rampantes, gauches, etc. Ce système français est donc essentiellement
pratique; il présentait, sur le système romain, un perfectionnement,
et par conséquent il était plus raisonnable de chercher à le
perfectionner encore que de l'abandonner pour recourir au mode romain.
Mais l'engouement du XVI<sup>e</sup> siècle pour les arts italiens l'emporta
chez nous sur les raisons qui militaient en faveur de notre système
de voûtes françaises, dont il était facile de tirer des conséquences de
 
[Illustration: 44.]
 
plus en plus étendues. Philibert de l'Orme, dans son <i>Traité d'architecture</i><span id="note29"></span>[[#footnote29|<sup>29</sup>]], s'exprime ainsi au sujet de ces voûtes: «Ces façons de voûtes ont
été trouvées fort belles, et s'en voit de bien exécutées et mises en œuvre
en divers lieux du royaume, et signamment en ceste ville de Paris,
comme aussi en plusieurs autres. Aujourd'huy ceux qui ont quelque
cognoissance de la vraye Architecture, ne suivent plus ceste façon de
voulte, appellée entre les ouvriers <i>la mode française</i>, laquelle véritablement
je ne veux despriser, ains plustot confesser qu'on y a faict et
pratiqué de fort bons traicts et difficiles. Mais pour autant que telle
façon requiert grande boutée, c'est-à-dire grande force pour servir de
poulser et faire les arcs-boutans, afin de tenir l'œuvre serrée, ainsi
qu'on le voit aux grandes églises, pour ce est-il que sur la fin de ce
présent chapitre, pour mieux faire entendre et cognoistre mon dire,
je descriray une voulte avec sa montée, telle que vous la pourrez voir
soubs la forme d'un quarré parfaict, autant large d'un costé que
d'autre, ou vous remarquerez la croisée d'ogives, etc.» Ainsi, quoi
que puissent prétendre les critiques plus ou moins officiels de notre
Académie des beaux-arts, au XVI<sup>e</sup> siècle encore, ces voûtes étaient considérées
comme <i>françaises</i> (par les ouvriers, il est vrai; mais, en fait de
traditions, le langage des ouvriers est le plus certain). Or, comme l'architecture
du moyen âge dérive en très-grande partie du système de
voûtes, il faut en prendre son parti, et admettre que nous avions une
architecture française et reconnue comme telle du XII<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle.
Mais le texte de Philibert de l'Orme est intéressant à plus d'un titre.
Notre auteur admet que ceux qui ont quelque « cognoissance de la vraye
«architecture ne suivent plus ceste façon de voulte», et le premier
exemple qu'il donne d'une voûte propre à couvrir un vaste vaisseau,
après ce préambule, est une voûte gothique en arcs d'ogive sur plan
carré, avec liernes et tiercerons. Quant aux exemples qu'il fournit «sur
la fin de son chapitre», ce sont des tracés de voûtes sphériques pénétrées
par un plan quadrangulaire, voûtes qui ne peuvent être faites sur
de grandes dimensions, qui sont d'un appareil difficile, dispendieux,
qui sont très-lourdes, et poussent beaucoup plus que ne le font les voûtes
gothiques. Et en effet, jusqu'au commencement du XVII<sup>e</sup> siècle, les constructeurs
français, quelque «cognoissance» qu'ils eussent «de la
vraye architecture», continuaient à bâtir des voûtes sur les vaisseaux
larges, avec arcs-doubleaux et arcs ogives: l'église de Saint-Eustache,
à Paris, en est la preuve, et elle n'est pas le seul exemple. La pratique
était en ceci plus forte que les théories sur «la vraye architecture», et,
n'ayant point trouvé mieux, on continuait à employer l'ancien mode,
jusqu'au moment--et cela sous Louis XIV seulement--où l'on adopta,
pour les grands vaisseaux, des berceaux de pierre avec pénétrations,
comme à Saint-Roch de Paris, comme à la chapelle de Versailles,
comme dans la nef des Invalides, etc.
 
Or, ce genre de voûtes est un pas en arrière, non un progrès. Les berceaux
ont une poussée continue et non répartie sur des points isolés; ils
sont très-lourds, s'ils sont de pierre; leur effet n'est pas heureux, et les
pénétrations des baies dans leurs reins produisent des courbes très-désagréables,
que les Romains, avec juste raison, évitaient autant que
faire se pouvait.
 
On voit donc percer dans le texte naïf du bon Philibert de l'Orme ce
sentiment d'exclusion quand mêne, à l'égard des procédés du moyen
âge, qui s'est développé depuis lui avec moins de bonhomie. En effet,
en marge du texte que nous venons de citer, il est dit en manière de
vedette: «L'auteur approuver la façon moderne (de l'Orme désigne,
ainsi les voûtes gothiques) des voûtes, <i>toutes fois</i> ne s'en vouloir ayder.»
Pourquoi, puisqu'il les approuve? Il ne nous le dit pas. Quoi qu'il en soit
et bien qu'il ne s'en aidât pas, il construisit, comme tous ses confrères,
des voûtes en arcs d'ogive, et il eut raison, car la plupart des
exemples qu'il donne comme des nouveautés n'ont réellement rien de
pratique ni de sérieux, s'il s'agit de fermer de grands espaces. En ceci
Philibert de l'Orme prélude à la critique (si l'on peut donner ce nom
à un blâme irraisonné) de la structure du moyen âge. Depuis lui, cette
critique, quoique moins naïve, ne raisonne pas mieux; mais elle est plus
exclusive encore, et ne dirait pas, en parlant de la façon des voûtes du
moyen âge, «laquelle véritablement je ne veux despriser, ains plustôt
<i>confesser</i> qu'on y a faict et pratiqué de fort bons traicts et difficiles».
Ce sont choses qu'on ne confesse plus au XIX<sup>e</sup> siècle, parce que les esprits
logiques de notre temps pourraient répondre: «Si vous confessez que
le mode a du bon, pourquoi ne vous en servez-vous pas?») Mieux vaut ne
rien dire, ou battre l'eau, que de provoquer de pareilles questions.
 
La renaissance, quoi qu'en dise Philibert de l'Orme, ne change donc
pas de système de voûtes pour les grands vaisseaux, et pour cause;
mais elle compliqua ce système. Elle multiplia les membres secondaires
plutôt comme un motif de décoration que pour obtenir plus de
solidité. Et en effet les voûtes qu'elle construisit sont en assez mauvais
état ou mêne sont tombées, tandis que la durée des voûtes des cathédrales
de Chartres, de Reims, d'Amiens, défieront encore bien des
siècles. Les voûtes hautes de l'église Saint-Eustache de Paris ne furent
faites que pendant les dernières années du XVI<sup>e</sup> siècle, elles ne sont pas
très-solides; leurs sommiers ne sont pas combinés avec adresse, les
arcs sont bandés en pierres inégales de lit en lit, ce qui, comme nous le
disions plus haut, est une cause de déformations. Parmi ces voûtes
datant du XVI<sup>e</sup> siècle, on peut citer, comme remarquables, celles qui
fermaient le chœur de l'église Saint-Florentin (Yonne), et qui dataient
du milieu de ce siècle<span id="note30"></span>[[#footnote30|<sup>30</sup>]].
 
Nous donnons (fig. 45) la projection horizontale de la moitié de ces
voûtes, au chevet de l'église. L'arc-doubleau et l'arc ogive composent,
comme dans la voûte du moyen âge, l'ossature principale de la structure;
mais les tiercerons qui partent de la pile pour se joindre au milieu
des liernes n'existent plus ici, et sont remplacés par des intermédiaires
<i>ab</i>, qui, s'ils produisent un effet décoratif piquant, ont le tort de reporter
une poussée latérale sur les flancs des formerets, ce qui est absolument
contraire au principe de la structure des voûtes gothiques,
et, qui pis est, au bon sens. Cette poussée est encore augmentée par les
arcs <i>ad</i>, qui eux-mêmes contre-butent les liernes <i>de</i>. Aussi ces formerets
(rabattus en AA'B) s'étaient-ils inclinés en dehors sous la pression
de ces arcs qui viennent les pousser en <i>a'a''</i>, ce qui ne serait point
arrivé si, au lieu de ces arcs <i>ab</i>, l'architecte eût posé des tiercerons A<i>d</i>...;
mais on n'aurait pas eu ce compartiment en étoile, et le désir de produire
une apparence nouvelle l'emportait sur ce que commandait
la raison. On voit donc que déjà se manifestait cette tendance, si
développée aujourd'hui en architecture, de sacrifier le vrai, le sage,
le raisonné, à une forme issue du caprice de l'artiste. Bien d'autres
entorses à la raison se rencontrent dans cette voûte. Ainsi, nous avons
rabattu l'arc-doubleau en AC, et l'arc ogive A<i>e</i> en AF; le grand arc
AD contre-butant la clef du chevet, en AG. La rencontre de ce grand
arc AD avec l'arc ogive donne la clef H; or, comme cet arc ogive est
tracé, le niveau de cette clef H est donné et se trouve en <i>h</i>. Nous reportons
ce niveau en <i>h'</i> sur le rabattemtnt de l'arc AD. Le niveau de la
clef I est donné; il est le même que celui de la clef H, puisque l'arc
ogive AE est tracé. Il faut donc que l'arc KI atteigne ce niveau I; nous
le rabattons en KI<i>i</i>, la flèche I<i>i</i> étant égale à la ligne I<i>h</i>. Rabattant sur
l'arc de cercle K<i>i</i> la clef O, nous obtenons le point <i>o'</i>, et la hauteur O<i>o'</i>
donne, sur la courbe K<i>i</i> aussi bien que sur celle du grand arc AD, le
niveau de la clef O en <i>o'</i> et en <i>o''</i>. Donc il faut que cette grande courbe
butante AD passe en G, en <i>h'</i> et en <i>o''</i>. De <i>o''</i> en G, elle se rapproche
évidemment trop de l'horizontale et bute mal l'arrivée des arcs ogives
et liernes du chevet; aussi cette branche d'arc <i>o''</i>G s'était-elle tordue
et relevée, par suite le grand arc-doubleau KL s'était déformé.
 
La clef <i>b</i> étant donnée en projection horizontale, son niveau est donné
sur le rabattement de l'arc ogive en <i>b'</i>; la rencontre <i>a</i> sur le formeret
étant donnée en projection horizontale, son niveau est donné en <i>a''</i> sur
le rabattement du formeret, donc la longueur <i>ab</i> en projection horizontale;
l'arc <i>a''b''</i> est connu. Il en est de même pour l'arc <i>bm</i>, rabattu en
<i>b''m'</i>, puisque le niveau de la clef <i>m</i> est connu.
 
[Illustration: Fig. 45.]
 
Quant aux liernes <i>de</i>, elles sont prises sur un arc de cercle qui réunirait
la clef B du formeret à la clef <i>e</i> des arcs ogives. Cet arc de
lierne est rabattu de <i>n</i> en <i>e</i>, <i>n</i> donnant le niveau de la clef B du formeret
par rapport au niveau de la clef <i>e</i> des arcs ogives. En M sont
rabattus les arcs ogives <i>pq</i> du chevet (le niveau de la clef étant celui
de l'arc-doubleau), les branches des liernes en <i>rq</i>, et les tiercerons
en <i>ps</i>. Tous les arcs, liernes, fausses liernes, faux tiercerons, sont posés
dans un plan vertical, quelle que soit leur position par rapport à la
courbure des arcs principaux (voyez en P).
 
[Illustration: Fig. 46.]
 
Mais les arcs secondaires, pénétrant plus ou moins obliquement les
arcs principaux, suivant que ceux-ci se rapprochent ou s'éloignent de
la verticale, les joues de ces arcs secondaires, posés dans un plan vertical,
se trouvent l'une au-dessus, l'autre au-dessous de l'extrados de
l'arc principal; il en résultait une difficulté pour maçonner les voûtains.
Pour sauver cette difficulté, les architectes de la renaissance tracent
une clef pendante à ces points de rencontre (fig. 46)<span id="note31"></span>[[#footnote31|<sup>31</sup>]]; clef pendante
qui se compose d'un corps cylindrique dans lequel viennent pénétrer
les divers arcs<span id="note32"></span>[[#footnote32|<sup>32</sup>]]. Les arcs secondaires étant, comme les arcs principaux, posés dans un plan vertical, l'extrados de la fausse lierne A arrive
horizontalement contre le corps cylindrique, tandis que l'extrados de
l'arc ogive B le pénétrerait en <i>b</i> du côté de sa naissance, et en <i>c</i> du
côté de son sommet; il y aurait donc une différence de niveau entre le
point<i> b</i> et le point <i>c</i>. Et de <i>b</i> en <i>c</i>, comment poser les moellons de
remplissage? Les constructeurs ont donc augmenté la hauteur des joues
de ces arcs principaux en arrivant près de ces clefs, ainsi que l'indique
le supplément <i>g</i>, pour araser le point <i>e</i>, et cela en raison du niveau de
ces points d'arrivée des liernes, fausses liernes ou faux tiercerons. Il y
aurait, par exemple, un décrochement en <i>h</i> à l'arrivée de l'arc ogive B,
puisque l'extrados du faux tierceron <i>l</i> n'arriverait pas au niveau de l'extrados
de la fausse lierne A. On voit quelles complications de coupes produisaient
ces fantaisies des architectes de la renaissance, beaucoup plus
préoccupés d'obtenir un effet décoratif que des conditions d'une sage
construction. Si nous ajoutons à ces difficultés gratuitement accumulées
le manque des connaissances du tracé géométrique, qui déjà se
faisait sentir dans les chantiers, nous ne serons pas surpris du peu de
durée de ces voûtes du XVI<sup>e</sup> siècle. Cependant on reconnaît que l'habitude
de raisonner sur l'application des formes convenables à l'objet
n'est point encore perdue chez les maîtres. Ainsi la forme allongée de
ces clefs pendantes, dont l'axe est habituellement vertical, est bien
motivée par ces pénétrations d'arcs à des niveaux différents. Ces longues
pierres qui semblent à l'œil des fiches plantées aux rencontres
d'arcs, ne sont pas là par un caprice d'artiste, mais une nécessité de
structure, et les queues tombantes plus ou moins ornées de sculptures
que ces artistes leur donnent en contre-bas des arcs ne font qu'accuser
la fonction de ces clefs de rencontre d'arcs.
 
Au point de vue de la structure, l'art du XVI<sup>e</sup> siècle était, pour les
voûtes comme pour le reste, à l'état d'infériorité sur les arts antérieurs.
Les arcs-boutants, par exemple, à cette époque, ne sont plus disposés
conformément aux lois de la statique et de l'équilibre des forces (voy.
[[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Arc-boutant|Arc-boutant]]); les archivoltes ne sont plus régulièrement extradossées,
les lits d'assises ne correspondent plus aux membres de l'architecture;
les claires-voies, les meneaux, adoptent des formes contraires à la nature
et à la résistance des matériaux mis en œuvre. Il est évident que
les architectes, préoccupés avant tout d'appliquer certaines formes appartenant
à un autre mode de structure que celui adopté en France
en raison des matériaux et de leur emploi judicieux, abandonnent à
des mains subalternes le tracé de cet appareil, qui n'est plus d'accord
avec ces formes empruntées ailleurs. Les maîtres du XV<sup>e</sup> siècle étaient
meilleurs constructeurs, meilleurs praticiens et traceurs que ceux du
XVI<sup>e</sup>; ceux du XIV<sup>e</sup> siècle l'emportaient sur les maîtres du XV<sup>e</sup>, et peut-être
ceux du XIII<sup>e</sup> l'emportaient-ils encore sur ceux du XIV<sup>e</sup>. Cependant
les appareilleurs du XII<sup>e</sup> siècle étaient des génies, si nous les comparons
à ceux du XVII<sup>e</sup> siècle, car il n'est pas de structure plus grossière et plus
mal tracée en France, à moins de remonter aux plus mauvaises époques
de l'école romane, que celle de ce XVII<sup>e</sup> siècle, que l'on s'efforce d'imiter
aujourd'hui.
 
Les voûtes françaises et anglaises, parties toutes deux du même point
au XII<sup>e</sup> siècle, étaient arrivées au XVI<sup>e</sup>, dans l'un et l'autre pays, à des
résultats très-différents et qui donnent la mesure exacte des aptitudes
des deux peuples. D'après ce que nous avons vu précédemment, on
observera qu'en se perfectionnant conformément à la méthode admise
dès le XIII<sup>e</sup> siècle, les voûtes anglaises, malgré leur apparence compliquée,
arrivent de fait, au contraire, à l'emploi d'un procédé très-simple,
en ce qu'une courbe peut suffire à tous les arcs d'une voûte, ou que (si
ces arcs doivent atteindre à la clef un même niveau) les courbes différentes
dans une partie seulement de leur développement, sont tracées
par un procédé très-simple; que tous ces arcs restent indépendants,
et ne sont reliés que par des entretoises d'un seul morceau, qui n'ont
qu'un rôle secondaire et ne peuvent en rien influer sur la courbe principale
admise pour les arcs; que les remplissages ne sont plus que des
panneaux, aussi faciles à tracer qu'à poser. Dans les voûtes françaises,
nous voyons que les constructeurs en viennent à multiplier les arcs; ils
les croisent, de telle façon que la courbure de ces arcs doit être distincte
pour chacun d'eux; que ces courbures sont commandées par des
niveaux donnés par le tracé préalable sur plan horizontal; que ces arcs
sont dépendants les uns des autres, et que, par conséquent, ces constructeurs
ne sont plus les maîtres, ainsi, de donner à ces courbes les
flèches nécessaires en raison de leur fonction, de leur résistance ou de
leur action de poussée et de butée; qu'en un mot, ces constructeurs
français du XVI<sup>e</sup> siècle abandonnent un système judicieux et parfaitement
entendu (celui du XIII<sup>e</sup> siècle), pour se lancer dans des combinaisons
indiquées seulement par la fantaisie. Le réseau de la voûte
anglaise de la fin du XV<sup>e</sup> siècle est solide, méthodique: c'est la conséquence
d'une longue expérience fidèle au principe posé. Le réseau de
la voûte française au XVI<sup>e</sup> siècle n'est pas solide, parce que les arcs qui
s'entrecroisent par suite d'un caprice de l'artiste, sans l'intervention
d'une nécessité et de la raison, ont des actions différentes, les unes
molles et faibles, les autres actives et puissantes. Au lieu de rendre la
voûte française en arc d'ogive plus solide qu'elle ne l'était, par l'adjonction
de tous ces arcs secondaires, les architectes français l'altèrent,
lui enlèvent ses qualités d'élasticité, de force et de liberté. Aussi ces
voûtes du XVI<sup>e</sup> siècle sont-elles, la plupart, proches de leur ruine, lorsqu'elles
ne sont pas déjà tombées.
 
Alors, au XVI<sup>e</sup> siècle, nos architectes cherchent, à l'aide d'un savoir
médiocre d'ailleurs, à faire des tours de force, et notre Philibert de
l'Orme lui-même, malgré son rare mérite, n'est pas exempt de ce travers.
Le pédantisme s'introduit dans l'art, et le vrai savoir, le savoir pratique,
fait défaut. On veut oublier et l'on oublie les vieilles méthodes,
les principes établis sur une longue expérience; méthodes et principes
que l'on pouvait perfectionner sans se lancer dans des théories enfantines
et très-superficielles. Il n'est pas douteux, rien qu'à examiner les monuments
existants, que les maîtres du XIII<sup>e</sup> siècle savaient la géométrie.
et en comprenaient surtout les applications beaucoup mieux que les
maîtres du XVI<sup>e</sup> siècle. Mais les premiers ne s'amusaient pas à la montre,
ils se servaient de la science, ainsi que les vrais savants s'en servent,
comme d'un moyen, non pour en faire parade. Les architectes de la renaissance
prenaient déjà le moyen pour la fin; et, comme il arrive toujours
en pareil cas, on possède une classe de théoriciens spéculatifs
passablement pédants, et en arrière une masse compacte ignorant les
procédés les plus simples. Au XVI<sup>e</sup> siècle, on faisait des livres dans lesquels
on discutait Vitruve tant bien que mal, où l'on donnait les proportions
des ordres, où l'on couvrait des pages d'épures destinées à éblouir
le vulgaire, mais on inclinait à construire très-mal, très-grossièrement,
dans un pays où l'art de la construction avait atteint un développement
prodigieux, comme science d'abord, puis comme emploi raisonné des
matériaux et de leurs qualités. L'art s'échappait des mains du peuple,
de ces corporations d'artisans, pour devenir l'apanage d'une sorte
d'aristocratie de moins en moins comprise, parce qu'elle laissait de côté
les principes issus du génie même du pays pour une sorte de formulaire
empirique, inexpliqué et inexplicable comme une révélation. Il
était évident que tout ce qui pouvait tendre à discuter ce formulaire
présenté en manière de dogme devait être repoussé par ce corps aristocratique
des nouveaux maîtres, dont l'Académie des beaux-arts conserve
aujourd'hui encore les doctrines avec plus de rigueur que jamais.
C'est pourquoi, de temps à autre, nous voyons, du sein de ce corps et
de ses adeptes les plus fervents, s'échapper une protestation contre
l'étude de notre art français du moyen âge et les applications étendues
qu'on en peut faire. C'est pourquoi aussi nous ne cessons pas et nous
ne cesserons pas de tenter de développer cette étude, de faire entrevoir
ses applications, bien convaincu de cette vérité affirmée par l'histoire:
que les corps ne sont jamais plus exclusifs qu'aux jours où ils sentent
leur pouvoir ébranlé.
 
<br><br>
Ligne 1 434 ⟶ 2 653 :
accusés à l'extérieur et coïncident avec les pieds-droits de l'arcature du triforium. (Voyez
[[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Triforium |Triforium ]].)
 
<span id="footnote20">[[#note20|20]] : Il existe en effet un assez grand nombre de voûtes des XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles sans formerets.
Les voûtes de la cathédrale de Clermont (Puy-de-Dôme), par exemple, en sont
dépourvues.
 
<span id="footnote21">[[#note21|21]] : La construction de cette voûte paraît dater de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, peut-être de 1270.
Elle fut réparée en partie plus tard, assez maladroitement, après l'incendie de la première
flèche; mais il est certain que les tiercerons et liernes existaient avant cette époque,
car les points de départ sont anciens.
 
<span id="footnote22">[[#note22|22]] : À l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], nous avons déjà indiqué les conséquences tirées par les
Anglo-Normands de la voûte du XII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote23">[[#note23|23]] : Ce travail, inséré dans le premier volume des <i>Transactions</i> de l'Institut des architectes
britanniques, a été traduit, en 1843, par M. Daly, dans la <i>Revue d'architecture</i>
(t. IV), Le traducteur, dans l'introduction qui précède le texte de M. Willis, ne fait
pas ressortir les différences profondes qui séparent la structure des voûtes anglaises de
celle des voûtes françaises, et ne semble pas avoir étudié ces dernières; mais en 1843
personne n'était en état de se livrer à un travail critique sur cet objet.
 
<span id="footnote24">[[#note24|24]] : Salle voisine de la cathédrale d'Ely, côté nord, XIV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote25">[[#note25|25]] : 0n a donné à cette forme la qualification de voûte en éventail; mais un éventail se
développe dans un seul plan: il n'est pas besoin de faire ressortir le défaut de précision
de cette dénomination.
 
<span id="footnote26">[[#note26|26]] : Voyez le mémoire de M. le professeur Willis, <i>sur les voûtes anglaises du moyen
âge</i>, ou, dans le tome IV de la <i>Revue d'architecture</i> de M. Daly, la traduction de ce travail
et les planches à l'appui.
 
<span id="footnote27">[[#note27|27]] : Voyez, à ce sujet, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], le chapitre Voûte.
 
<span id="footnote28">[[#note28|28]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]], fig. 48. La cathédrale de Narbonne est singulièrement pauvre
en sculptures. Il semble que le maître de l'œuvre ait concentré toutes ses ressources pour
obtenir une construction irréprochable comme conception et comme exécution.
 
<span id="footnote29">[[#note29|29]] : <i>L'Architecture</i> de Philibert de l'Orme. Paris, 1576, livre IV, chap. viii.
 
<span id="footnote30">[[#note30|30]] : Les arcs-boutants qui contre-butaient ces voûtes étaient mal combinés, comme il
arrive à presque tous les arcs-boutants de cette époque; puis les parements extérieurs des
contre-forts avaient été sapés à diverses époques; quelques tassements s'étaient produits.
Il y a vingt ans, ces voûtes menaçaient ruine, il fallut les refaire. M. Piéplu, architecte
du département de l'Yonne, s'acquitta de ce travail avec beaucoup d'adresse, il y a quelques
années; mais, par des raisons d'économie, on se contenta de voûtes simples en arcs
d'ogive. Nous donnons ici les voûtes anciennes, relevées avant la démolition.
 
<span id="footnote31">[[#note31|31]] : Nous supposons, dans cette figure, la clef marquée X dans la figure précédente (45).
 
<span id="footnote32">[[#note32|32]] : 2 Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Clef|Clef]].