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— La Bagaudie... qu'est-ce donc, grand-père ?
 
— Laisse-moi d'abord achever ce que je disais à notre ami le porte-balle ; cela, d'ailleurs, pourra t'instruire... Donc, mon aïeul Gildas m'a raconté qu'il savait de son père que, peu d'années après la mort de Victoria la Grande, il y avait eu, non pas en Bretagne, mais dans les autres provinces, une première Bagaudie '''(A)'''. La Gaule, irritée de se voir de nouveau province romaine, par suite de la trahison de Tétrik, et des impôts écrasants qu'elle payait au fisc, se souleva ; les révoltés s'appelèrent des Bagaudes... Ils effrayèrent tellement l'empereur Dioclétien, qu'il envoya une armée pour les combattre ;
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mais en même temps il fit remise des impôts, et accorda presque tout ce que demandaient les Bagaudes... Il ne s'agit, voyez-vous, que de savoir demander aux rois ou aux empereurs... Tendez le dos, ils chargent votre bât à vous briser les reins ; montrez les dents, ils vous déchargent...
 
— Bien dit, vieux père... Demandez-leur les mains jointes, ils rient ; demandez-leur les poings levés, ils accordent... autre preuve que la Bagaudie a du bon.
 
—Elle a tant de bon, que vers le milieu du dernier siècle, elle a recommencé contre les Romains ; cette fois elle s'est propagée jusqu'ici, au fond de notre Armorique ; mais nous n'avons eu qu'à parler, point à agir. Le moment était bien choisi ; j'étais, si j'ai bonne mémoire, l'un de ceux qui, accompagnant nos druides vénérés, se sont rendus à Vannes auprès de la curie de cette ville, composée de magistrats et d'officiers romains, à qui nous avons dit ceci : «Vous nous gouvernez, nous, Gaulois bretons, au nom de votre empereur ; vous nous faites payer des impôts fort lourds, à nous, Gaulois, toujours au nom et surtout au profit de ce même empereur. Depuis longtemps nous trouvons cela très-injuste et très-bête ; nous jouissons, il est vrai, de nos libertés, de nos droits de citoyens ; mais le vieux reste de notre sujétion à Rome nous pèse ; nous croyons l'heure venue de nous en affranchir. Les autres provinces pensent ainsi, puisqu'elles se rebellent contre votre empereur... Donc, il nous plaît, à nous, Bretons, de redevenir complètement indépendants de Rome comme avant la conquête de César, comme au temps de Victoria la Grande ! Donc, curiales, exacteurs du fisc, allez-vous-en, pour Dieu, allez-vous-en ; la Bretagne gardera son argent et se gouvernera elle-même ; elle est assez grande fille pour cela... Allez-vous-en donc vite, il ne vous sera point fait de mal... Bon voyage, et ne revenez plus, ou si vous revenez, vous nous trouverez debout, en armes, prêts à vous recevoir à coups d'épées, et au besoin à coups de faux et de fourches...» Les Romains ne tenaient
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plus garnison en ce pays ; leurs magistrats et leurs officiers, sans troupes pour les soutenir, sont partis, et point ne sont revenus : la Bagaudie en Gaule et les Franks sur le Rhin les occupaient assez. Cette seconde Bagaudie a eu, comme la première, de bons effets, encore meilleurs dans notre province que dans les autres, car les évêques, déjà ralliés aux Romains, sont parvenus à rebâter les autres peuples de la Gaule, moins lourdement pourtant que par le passé ; quant à nous, de l'Armorique bretonne, Rome n'a pas essayé de nous remettre sous le joug. Dès lors, selon nos antiques coutumes, chaque tribu a choisi un chef, ces chefs ont nommé un chef des chefs qui gouvernait la Bretagne ; conservé s'il marchait droit, déposé s'il marchait mal. Ainsi en est-il encore aujourd'hui, ainsi en sera-t-il toujours, je l'espère, malgré le règne de ces Franks maudits ; car le dernier Breton aura vécu avant que notre Armorique soit conquise par ces barbares, ainsi que les autres provinces de la Gaule... Maintenant, dis-tu, ami porte-balle, la Bagaudie renaît contre les Franks ? tant mieux, ils ne jouiront pas du moins en paix de leur conquête, si les nouveaux bagaudes valent les anciens...
 
— Ils les valent, bon vieux père, ils les valent, croyez-moi, je les ai vus...
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— Le croyez-vous d'accord, chère Madalèn, avec les Dûs et les Korrigans ?
 
— Je crois, mon père, qu'un malheur menace cette maison...
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Oh ! que je voudrais être à demain ! que je voudrais être à demain !
 
Et la mère alarmée, de soupirer, tandis que le colporteur répondait à Karadeuk, suspendu aux lèvres de cet étranger :
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— Vous avez vu des Bagaudes ? étaient-ils nombreux ? avaient-ils déjà couru sur les Franks et sur les évêques ? y a-t-il longtemps que vous les avez vus ?
 
— Il y a trois semaines, en venant ici, je traversais l’Anjou... Un jour, je m'étais trompé de route dans une forêt, la nuit vient ; après avoir longtemps, longtemps marché, m’égarant de plus en plus au plus profond des bois, j'aperçois au loin une grande lueur qui sortait d`une caverne : j'y cours, je trouve dans ce repaire une centaine de joyeux Bagaudes, festoyant autour du feu avec leurs Bagaudines, car ils ont souvent avec eux des femmes déterminées... Les autres nuits, ils avaient fait, comme d'habitude, une guerre de partisans contre les seigneurs franks, nos conquérants, attaquant leurs ''burgs'', ainsi que ces barbares appellent leurs châteaux, combattant avec furie, sans merci ni pitié, pillant les églises et les villas épiscopales, rançonnantranç
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onnant les évêques, pendant même parfois les plus méchants de ces prêtres, assommant et dévalisant les collecteurs du fisc royal ; mais donnant généreusement au pauvre monde ce qu’ils reprenaient aux riches prélats, aux comtes franks, ces premiers pillards de la Gaule, et délivrant les esclaves qu'ils rencontraient enchaînés par troupeaux... Ah ! par Aëlian et Aman, patrons des Bagaudes, c’est une belle et joyeuse vie que celle de ces gais et vaillants compères !... Si je n'étais revenu en Bretagne pour y voir encore une fois ma vieille mère, j'aurais avec eux couru un peu la Bagaudie en Anjou !
 
— Et pour être reçu parmi ces intrépides, que faut-il faire ?
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— Grand-père, je dis, moi, que les Bretons et les Bagaudes sont et seront les derniers Gaulois... Si je n'étais Breton, je voudrais courir la Bagaudie contre les Franks et les évêques...
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— Et, m'est avis, mon petit-fils, que tu vas la courir une fois la tête sur ton chevet ; donc, bon rêve de Bagaudie, je te souhaite, mon favori... Va te coucher, il se fait tard, et tu inquiètes sans raison ta pauvre mère.
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— Pourquoi cela, ma mère ?
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— Que sais-je... Vous pouvez vous égarer ou tomber dans une fondrière de la forêt...
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— Mon père ! mon père ! un grand chagrin nous frappe !
 
— Hélas ! hélas ! mon père... je disais bien que les Korrigans et
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l'étranger seraient funestes à mon fils... Pourquoi vous ai-je cédé ? pourquoi ce matin l'ai-je laissé partir, mon Karadeuk bien-aimé !... C'est fait de lui... je ne le reverrai plus... pauvre femme que se suis !
 
— Qu'avez-vous, Madalèn ? qu'as-tu, Jocelyn ? pourquoi cette pâleur ? pourquoi ces larmes ? qu'est-il arrivé à mon Karadeuk ?
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Hélas ! toutes les recherches ont été vaines pour retrouver ce malheureux enfant.
 
J'avais commencé ce récit parce que l'entretien du colporteur m'avait frappé... Notre famille retirée, j'avais encore longuement causé avec cet étranger, parcourant en tous sens la Gaule depuis vingt ans,
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ayant vu et observé beaucoup de choses ; il m'avait donné le secret de ce mystère:
 
«''Comment notre peuple, qui jadis avait su s’affranchir du joug des Romains si puissants, avait-il subi et subissait-il la conquête des Franks, auxquels il est mille fois supérieur en courage et en nombre...''»
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Mon père Araïm est mort de chagrin peu de temps après le départ de mon second fils ; il m'a légué la chronique et les reliques de notre famille.
 
J'écris ceci dix ans après la mort de mon père, sans avoir eu de nouvelles de mon pauvre fils Karadeuk... Il a trouvé sans doute la mort dans la vie aventureuse de Bagaude... La Bretagne conserve son indépendance, les Franks n'osent l'attaquer ; les autres provinces de la Gaule sont toujours esclaves sous la domination des évêques et des fils de Clovis ; ceux-ci surpassent, dit-on, leur père en férocité...
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Ils se nomment ''Thierry, Childebert'' et ''Clotaire''; le quatrième, ''Chlodomir'', est mort, dit-on, cette année...
 
J'ignore le temps qui me reste à vivre et les événements qui m'attendent ; mais en ce jour-ci, je te lègue, à toi, mon fils aîné Kervan, notre légende de famille ; je te la lègue cinq cent vingt-six ans après que notre aïeule Geneviève a vu mourir Jésus de Nazareth.