« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Trait » : différence entre les versions

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| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>< [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, TourelleTrabes|TourelleTrabes]]</center>
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Index alphabétique - T|Index alphabétique - T]]</center>
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, TraitTranssept|TraitTranssept]] ></center>
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générale indiquée en G. Mais, grâce à ces colonnes engagées sur le cylindre
et à la forme franche des tailloirs, l'ordonnance qui commence
au-dessus de cette pile se lie à la partie inférieure. En effet, la colonne
engagée C (côté de la nef) porte une autre colonne d'un diamètre un
peu plus faible et deux colonnettes D qui monteront jusqu'aux voûtes
hautes pour recevoir l'arc-doubleau F et les arcs ogives H. La colonne
engagée K porte l'archivolte longitudinale, dont la largeur est K'K'', et
au-dessus se découpe la pile LMN du triforium avec sa colonnette 0,
puis le jambage de la fenêtre supérieure UU'U'' enveloppée par le formeret
de la voûte haute dont la colonnette est en I. La colonne engagée P
porte l'arc-doubleau Q; au-dessus, la pile postérieure du triforium R se
reliant au mur de clôture du passage intérieur SS'. Sur la pile se détache
la colonne T'' adossée au contre-fort avec passage extérieur. Les arcs
ogives des voûtes des collatéraux se rangent en V, leur trace sur le tailloir
étant en V'<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. Le progrès sur l'exemple précédent est très-sensible.
Tous ces membres ont leur place, ne se gênent plus réciproquement:
aussi, à Notre-Dame de Reims, la stabilité est parfaite, l'effet clair,
l'aspect rassurant. Les conséquences logiques du principe devaient
cependant être poussées plus loin encore.
 
En 1231 furent commencés les travaux de reconstruction de la nef
de l'église abbatiale de Saint-Denis. L'architecte chargé de cette reconstruction
est resté inconnu, ainsi que la plupart des maîtres des
œuvres de cette époque. Mais l'édifice qu'il nous a laissé indique dans
toutes ses parties une sûreté et une perfection rares dans l'art du trait.
 
Prenons, ainsi que nous venons de le faire pour les cathédrales de
Paris et de Reims, une des piles de la nef, et voyons comment les divers
étages de la construction viennent se poser sur cette pile. Les dernières
traces de la colonne cylindrique centrale qui s'accorde si peu avec les
divers membres des voûtes sont effacées; les arcs de ces voûtes commandent
absolument la forme de la pile. Les archivoltes longitudinales
se composent, suivant l'usage, de deux rangs de claveaux<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]; les arcs-doubleaux
des voûtes du collatéral qui reçoivent les dallages des terrasses
sont composés d'un même nombre de claveaux; puis il faut la
place des arcs ogives. Les voûtes hautes se composent d'un arc-doubleau,
ne portant que les remplissages, et n'ayant qu'un seul rang de
claveaux de 33 centimètres de largeur, de deux arcs ogives et de deux
formerets qui sertissent les meneaux des fenêtres. La position nécessaire
de ces membres de voûtes donne rigoureusement la forme et le
nombre des membres de la pile. En effet (fig. 4), l'arc-doubleau des
voûtes du collatéral comprend les deux membres <i>a</i> et <i>b</i>; l'archivolte
longitudinale, les deux mêmes membres <i>a'</i> et <i>b'</i>; l'arc ogive le membre
<i>c</i>. L'arc-doubleau des voûtes hautes se compose du membre <i>d</i>, et
 
[Illustration: Fig. 4.]
 
l'arc ogive des mêmes voûtes du membre <i>e</i>. La projection horizontale
de la naissance de ces divers arcs est tracée sur notre figure avec leurs
profils. L'arc ogive <i>c</i> du collatéral peut naître et prendre sa courbure
avant la doublure <i>b</i> de l'arc-doubleau, de sorte que cet arc ogive repose
sur l'assiette qui sert de point d'appui à cette doublure <i>b</i>; aussi voit-on
les deux projections se confondre en <i>c</i>. La pile se compose donc d'une
seule colonne engagée pour ces deux membres confondus. Les projections
des arcs sont d'ailleurs exactement comprises dans les lignes
<i>fghiklmnop</i> se coupant à angles droits et formant l'<i>épannelage</i> de la
pile. Les colonnes engagées sont tracées en retraite de ces lignes, leurs
centres sur les diagonales, de manière à donner la saillie des chapiteaux
dont la tête, sous les tailloirs saillants, est cette projection <i>fghik</i>, etc.
Pour les arcs des grandes voûtes est tracé le faisceau spécial de colonnes
engagées <i>qr</i>; les tailloirs des chapiteaux de ces arcs sont tracés en <i>stuv</i>;
les saillies des tailloirs des autres chapiteaux en <i>f' h' k'</i>, etc. Du côté A
de notre figure est tracée la pile avec ses bases. Au-dessus des archivoltes
longitudinales, à la hauteur du triforium, se dégage la colonnette
engagée B, qui porte le formeret à l'intérieur. En DEFGH est tracée la
pile au niveau du triforium. Le passage est en P, le mur ajouré de clôture
de ce triforium en I, et le contre-fort extérieur en KL. Au-dessus
du triforium est tracée la fenêtre avec sa colonnette M qui porte extérieurement
l'arc de sertissure, qui n'est autre que le formeret lui-même;
aussi le centre de cette colonnette M est-il sur la même ligne que celui
de la colonnette B. Au niveau des fenêtres est posée, sur le contre-fort
KL, la colonne isolée N, qui reçoit la tête de l'arc-boutant et qui
laisse un passage, au-dessus du triforium, entre elle et la pile OQ.
 
Il est facile de reconnaître que ce dernier tracé est préférable aux
deux premiers. Cela est plus clair et plus logique. Les arcs des voûtes
ont chacun leur support; les chapiteaux de ces supports sont nettement
accusés par les épannelages de ces arcs compris entre des parties
rectilignes. Les projections des bases et celles des chapiteaux sont les
mêmes, sauf, pour ces bases, que les angles sont judicieusement abattus
en W, afin de ne pas gêner la circulation.
 
Dans cette voie, les maîtres du moyen âge ne devaient s'arrêter qu'à
la dernière limite. On ne se soumet pas impunément, dans notre pays,
à la logique. Elle nous pousse, nous entraîne jusqu'aux confins du possible.
Cinquante ans au plus après l'adoption de ces principes de tracés,
les architectes en étaient arrivés à donner exactement à la section horizontale
des piles la section des arcs; on peut se rendre compte de ce
fait en examinant les figures 15, 16 et 17 de l'article <sc>Pilier</sc>. Ces méthodes
les amenaient à ne plus concevoir une construction que par des
tracés de projections horizontales superposées, et c'était naturellement
les plans des parties supérieures (complément de l'œuvre) qui commandaient
les sections horizontales des parties inférieures. Du temps de
Villard de Honnecourt, on s'en tenait encore aux tracés conçus dans
l'esprit de ceux que nous venons de présenter. On trouve, parmi les
croquis de cet architecte, des indications qui se rapportent exactement
aux méthodes que suggère l'étude des monuments de cette époque<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]].
 
Villard de Honnecourt donne quelques plans d'édifice voûtés, et l'on
peut constater que le tracé de ces plans dérive essentiellement de la
 
[Illustration: Fig. 5.]
 
nécessité de structure des voûtes. Ce fait est évident pour qui voudra
jeter les yeux sur les plans des cathédrales de Cambrai et de Meaux<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]],
sur le plan conçu et discuté entre lui Villard et Pierre de Corbie<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]], sur
celui du chœur de Notre-Dame de Vaucelles, de l'ordre de Cîteaux<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]]. Ce
dernier plan, dont nous donnons (fig. 5) le principe, est une des belles
conceptions du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]]. La méthode de tracé
de l'abside est simple. Le quart de cercle AB a été divisé en sept
parties. Chacun de ces rayons donne, ou la position des piles <i>ab</i>, <i>cd</i>, etc.,
ou les centres des voûtes <i>efgh</i>, etc. Les chapelles circulaires sont adroitement
réunies au collatéral, en laissant une circulation facile. Les arcs
des voûtes sont combinés de manière à donner des branches d'arcs d'un
développement à peu près égal. Un plan général ainsi tracé, l'architecte
avait la direction de chacun des arcs. Il arrêtait leur section, puis posant
ces sections sur les naissances, suivant la direction indiquée, il en déduisait
le tracé des piles.
 
Nous avons si souvent l'occasion, dans le cours du <i>Dictionnaire</i>, de
donner des tracés d'ensemble et de détails d'édifices, qu'il ne paraît
pas utile ici d'insister sur les procédés géométriques de ces tracés. Ce
qu'il est important de faire ressortir, c'est le côté méthodique de ces
procédés, soit qu'il s'agisse de la composition, soit qu'il s'agisse de la
structure et de la valeur ou de la forme à donner aux divers membres.
 
Ceux qui nient l'utilité qu'on peut tirer de l'étude de notre architecture
du moyen âge, parce qu'ils n'ont pas pris la peine, le plus souvent,
d'en connaître l'esprit et les éléments, ou qui feignent de considérer
nos recherches comme une tendance vers une renaissance purement
matérielle des formes adoptées par les artistes de ces époques éloignées
(bien que nous ayons toujours dit et écrit que ces études ne doivent
être considérées que comme un moyen et non comme le type d'un art
immuable), tantôt dédaignent cette architecture parce qu'elle ne serait,
à les croire, qu'une <i>structure</i>, non un art; tantôt l'accusent de se laisser
entraîner aux <i>fantaisies</i> les plus étranges, ou encore d'être <i>subtile</i> et
<i>hardie</i> outre mesure; d'être le résultat de l'<i>ignorance</i> subitement réveillée,
ou de la <i>science</i>, abstraction faite du choix de la forme; d'être <i>pauvre</i>
d'invention, ou <i>riche</i> à l'excès dans ses détails, <i>hiératique</i> ou <i>capricieuse</i>..;
de sorte que si l'on avait, par aventure, souci de réunir ces appréciations,
la difficulté, avant de les combattre dans ce qu'elles ont d'excessif
ou d'erroné, serait de les concilier. Cependant si l'on examine avec
attention les méthodes employées par ces maîtres du moyen âge, on
reconnaît tout d'abord qu'elles dérivent de principes définis, clairs,
établis sur une observation profonde et judicieuse des conditions imposées
à l'architecture en général, quel que soit le milieu ou le temps; que
ces méthodes se développent suivant un procédé logique dans sa marche,
sincèrement appliqué dans la pratique.
 
Aucune architecture ne saurait supporter mieux que la nôtre, pendant
la belle période du moyen âge, cette superposition des plans d'une
structure, superposition qui fait voir qu'aucun membre n'est superflu,
que tous ont leur place marquée dès la base. Qu'on essaye d'en faire
l'épreuve! et avec la dose de bonne foi la plus légère (encore en faut-il),
on reconnaîtra bien vite que, ni l'architecture grecque, ni même l'architecture
romaine, souvent si rationnelle, ne possèdent au même degré
ces qualités logiques de structure.
 
Le système de tracé de notre architecture du moyen âge, du XII<sup>e</sup>
siècle à la fin du XV<sup>e</sup>, peut se résumer en ces quelques mots: «C'est la
chose portée qui commande la forme de la chose qui porte»; et cela
sans qu'on puisse trouver une seule exception à cette loi si simple et
naturelle. De ce système à l'absence de tout système qui nous fait, entre
autres exemples, élever des colonnes le long d'un mur pour ne rien
porter du tout, et pour occuper les yeux des badauds, il y a loin, nous
en conviendrons volontiers; mais considérer comme un progrès cet
oubli des lois les plus naturelles de l'architecture, et prendre des airs
dédaigneux devant les œuvres d'artistes qui ont appliqué une raison
rigoureuse à ce qu'ils faisaient, quand on a perdu l'habitude de raisonner,
cela ferait sourire, si ce n'était pas si cher.
 
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Ligne 440 ⟶ 604 :
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Une tentative de ce genre avait déjà été faite dans la partie de la nef de Notre-Dame
de Paris voisine des tours, et dont la construction date de 1215 environ.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Pour bien saisir la place et la fonction de tous ces membres, il est nécessaire de
recourir à la figure 14 de l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]].
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]], fig. 36. Cette gravure trace, en perspective, la coupe
de la nef de l'église abbatiale de Saint-Denis.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : Voyez l'<i>Album de Villard de Honnecourt</i>. D'après le manuscrit original, publié par J. B. Lassus et A. Darcel, 1858.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Planches XXVII et XXVIII.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Planche XXVIII.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : Planche XXXII.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : L'église cistercienne de Vaucelles s'élevait à quelques kilomètres de Cambrai; elle
avait été dédiée, en 1235, par Henri de Dreux, archevêque de Reims. En 1713, elle
était encore debout, et ne fut détruite qu'à la fin du dernier siècle.