« Revue littéraire, 1848-I » : différence entre les versions
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{{journal|[[Revue des Deux Mondes]], tome 21, 1848|[[Auteur:Saint-René Taillandier|Saint-René Taillandier]]|Revue littéraire}}
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<center>Publications sur le XVIe siècle en Allemagne et en France</center>
:I.
:II - ''La Guerre des Paysans'', par M. Alexandre Weill ; Paris, 1847
:III.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/761]]== si bouleversés et si fertiles, quelques sentiers soient tracés nettement par des mains studieuses. Ces travaux, accomplis avec intelligence, aideront un jour A
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/762]]== d’abattemens et de ravissemens mystiques, M. Schmidt indique, dès le début de son livre, un mouvement
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/763]]== était possible de marquer plus nettement La petite communauté de Lefèvre et de ses disciples fut troublée bientôt par la marche rapide des événemens. Les principes de Luther se répandaient de jour en jour ; le clergé gallican, comme on sait,
Il est curieux de suivre Gérard Roussel au moment où la protection de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/764]]== s’agrandit ; Gérard Roussel ne peut-il nous représenter toute une génération Lorsque Gérard Roussel quitta le diocèse de Meaux, il était plus suspect que jamais ; il fallait
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/765]]== de la bibliothèque de Genève. Il est rappelé bientôt à Paris, grace à ces alternatives
Il essaya pourtant de revenir à Paris, provisoirement du moins. En 1533, Marguerite et le roi de Navarre avaient passé le carnaval à Paris. Pendant le carême, Marguerite pria Roussel de prêcher à la cour ; il prêcha, et son succès fut immense. Depuis Gerson, la chaire chrétienne
M. Schmidt a curieusement recherché les détails de ces péripéties confuses. Nous ne sommes pas toujours de son avis pour les conclusions qu’il en tire, mais
M. Schmidt a curieusement recherché les détails de ces péripéties confuses. Nous ne sommes pas toujours de son avis pour les conclusions qu'il en tire, mais nous devons le remercier du soin avec lequel il a éclairé cette histoire. Les manuscrits de Gérard Roussel, des lettres de Calvin, de Mélanchton, de Bucer, la plupart inédites, lui ont servi à compléter la biographie très difficile de son personnage. Les rapports de Roussel avec Calvin sont bien établis. Tandis que la Sorbonne poursuivait, nous venons de le voir, et Marguerite de Navarre et son prédicateur, Calvin, de son côté, se disposait à les attaquer aussi. Au moment où la persécution redoublait dans le nord de la France, les savans, les libres penseurs s'éloignaient de Paris; Clément Marot avait trouvé un refuge à Ferrare; Robert Estienne emportait à Genève ses presses condamnées; un grand nombre d'esprits inquiets s'étaient enfuis auprès de Marguerite. Parmi ces réfugiés qu'accueillait si volontiers la reine de Navarre, on eût compté sans doute des hommes de toutes les opinions; il y avait des protestans timides qui n'osaient se déclarer; il y avait aussi des indifférens, et, comme on disait, des libertins. Calvin, extrême en tout et inflexible, s'emporta contre les libertins, c'est-à-dire contre ceux qui ne protestaient que dans l'ombre. Il ne comprenait pas la tolérance aimable de Marguerite; il traitait de lâcheté coupable la timidité affectueuse de Gérard Roussel et son esprit de conciliation. Il savait bien que ni la reine de Navarre, ni l'évêque d'Oleron, n'étaient attachés de ''coeur'' au catholicisme romain; il rappelait à Roussel ses anciennes sympathies pour la réforme, son adhésion aux principes évangéliques, et, avec cette logique cruelle qui était son génie, il le pressait d'argumens formidables. C'est ce qu'il fit particulièrement dans une épître bien curieuse ''sur le devoir de l'homme chrestien, en l'administration ou réjection des bénéfices de l'église papale''. Cette lettre est adressée ''à un ami, de présent évesque''. M. Schmidt a bien fait de citer ce document, déjà connu et imprimé à diverses reprises, mais qui appartenait surtout à son sujet. La langue y est énergique et fière; on reconnaît le ferme logicien qui vient d'écrire ''l'Institution chrétienne''. « Maintenant chacun va disant que tu es bienheureux, et par manière de dire le mignon de la fortune, à cause de la nouvelle dignité d'évesque qui t'est escheue... Voilà ce que les hommes disent de toi, et par aventure aussi te le font croire; mais moi, quand je pense un petit que valent toutes ces choses, desquelles les hommes font communément si grande estime, j'ai grand compassion de ta calamité. » C'est ainsi un mélange d'ironie et de sévérité hautaine; puis les argumens se suivent, se pressent et frappent à coups redoublés. Quand l'altier controversiste croit avoir ébranlé son adversaire, il jette un appel impérieux et retentissant : « A la trompette, toi qui dois faire le guet ! à tes armes, pasteur! Qu'attends-tu? A quoi songes-tu? » Et il laisse enfin tomber sur lui, comme une condamnation, ces dures paroles, ce terrible adieu: « Tant que tu seras de la bande de ceux lesquels Christ nomme voleurs, brigands et meurtriers de son église, estime de toy ce que tu voudras; pour le moins je ne te tiendrai jamais ni pour chrestien ni pour homme de bien. Adieu. » Arrêt cruel, aveugle emportement du sectaire! Contre ces reproches passionnés, Gérard Roussel cherchait un refuge dans la contemplation et l'étude. Des écrits théologiques, ''la familière Exposition du symbole'', un traité sur ''l'Eucharistie'', un autre intitulé ''Forme de visite de Diocèse'', c'étaient là ses réponses au réformateur de Genève. M. Schmidt a étudié avec soin, avec piété, ces curieux ouvrages, et il en cite de longs fragmens d'après les manuscrits de la Bibliothèque royale. Toute cette fin de la vie de Gérard Roussel, dans sa sérénité mélancolique, présente un touchant spectacle. Quelle douceur! quelle tolérance! quelle administration chrétienne! beaucoup trop chrétienne, hélas! pour cette époque haineuse. Le fanatisme, qu'il avait fui à Paris et à Genève, vint le chercher dans ce diocèse d'où il espérait l'exiler. Un jour qu'il prêchait à Mauléon, un gentilhomme catholique se précipite sur la tribune, une hache à la main, la frappe avec fureur, et le vieil évêque tombe mourant sur les débris de sa chaire fracassée.▼
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mélancolique, présente un touchant spectacle. Quelle douceur ! quelle tolérance ! quelle administration chrétienne ! beaucoup trop chrétienne, hélas ! pour cette époque haineuse. Le fanatisme, qu’il avait fui à Paris et à Genève, vint le chercher dans ce diocèse d’où il espérait l’exiler. Un jour qu’il prêchait à Mauléon, un gentilhomme catholique se précipite sur la tribune, une hache à la main, la frappe avec fureur, et le vieil évêque tombe mourant sur les débris de sa chaire fracassée.
Telle est
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/768]]== hospitalité toujours prête, cette sympathie élevée, ce La plus exacte image de Marguerite,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/769]]== c’est le parti des politiques, des gallicans, des parlementaires, de tous ces hommes qui, dans la mêlée des sectaires, entre les prétentions calvinistes et les folies théocratiques de la ligue, ont maintenu Ce fut une bien sombre diversion aux controverses théologiques de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/770]]== produire au milieu des orages de la réforme religieuse, Luther, tout occupé de sa tâche, fut sans pitié pour les victimes de la longue oppression féodale. Reprocher au réformateur son indifférence pour les questions politiques, Il y eut pourtant quelques hommes, au commencement du XVIe siècle, qui comprirent tous les devoirs de la situation nouvelle. Il y eut des esprits nets et hardis qui songèrent aux intérêts politiques de la patrie et reprochèrent aux réformateurs le soin
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/771]]== l’historien de cette guerre, et M. Alexandre Weill a bien fait de lui consacrer tout un chapitre. Je retrouve dans le portrait de Thomas Münzer la même tendance à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/772]]== plus un homme, ::Raban e quivi, e lucemi dallato
::Il calavrese abate Giovacchino
::Di spirito profetico dotato
M. Weill glisse très légèrement sur cette éducation mystique de Thomas Münzer, Comme il veut faire de lui un révolutionnaire des temps nouveaux, un représentant décidé du radicalisme, il s'abstient de mettre en lumière les contrastes qui donneraient tort à ses assertions trop absolues. C'est gravement méconnaître la vivante originalité de l'époque où vécut Münzer. M. Sainte-Beuve a écrit quelque part un mot d'une justesse parfaite sur les bizarres contradictions de ce grand siècle : « Le moyen-âge en s'y brisant le remplit d'éclats. » Rien n'est plus vrai ni mieux dit. C'est précisément cette singulière confusion qui donne au siècle de Calvin et de Rabelais une physionomie si vive, si chère aux artistes, si attrayante pour les penseurs. Campanella prépare et annonce Descartes par la hardiesse de sa pensée, et il s'occupe encore de magie, de la magie des diables et de la magie des anges! Christophe Colomb agrandit le monde avec la virilité intrépide de l'humanité moderne, et il obéit encore aux puériles rêveries du moyen-âge, il suit les indications des légendes et cherche le royaume imaginaire de Zipangu. Thomas Münzer est l'apôtre d'une démocratie effrénée, et il puise sa force dans les hallucinations éblouissantes d'un mystique du XIIIe siècle. Les paysans de la Franconie et de la Souabe veulent exterminer la féodalité allemande, ce sont les avant-coureurs furieux des révolutions de l'avenir; or, par qui sont-ils menés au combat? Par une sorcière. Hoffmann la noire, la sorcière de Boekingen, avec sa cape lugubre et sa ceinture rouge, est là, au milieu des rangs, maudissant l'ennemi et prononçant sur la poudre et le plomb les incantations infernales. Quelques-uns de ces détails significatifs, mis en oeuvre par un artiste habile, nous éclairent infiniment plus que toutes les dissertations socialistes. Si l'auteur y a réussi plus d'une fois, trop souvent aussi il a méconnu le caractère de son sujet et en a dénaturé les couleurs. J'aime que M. Weill remette hardiment sur leurs pieds, comme il le fait parfois avec bonheur, quelques-uns des curieux personnages de cette guerre, ces prédicateurs qui courent le pays, comme Jean Deuchlin, le moine aveugle, missionnaires intrépides que le bûcher attend. J'aime voir Thomas Münzer avec son chapeau de feutre blanc, sa longue barbe à la mode orientale, sa robe et son capuchon. Pauvre, sans ressources, chassé de Nuremberg sur une dénonciation de Luther, il s'en va de village en village, entretenant au fond de son ame le souffle puissant qui soulèvera les multitudes; sa jeune femme l'accompagne, belle, souffrante, dévouée au martyre. Tout ce tableau est d'un intérêt grave et élevé; on sent que l'auteur est dans le vrai. Par malheur, ce livre présente tour à tour deux inspirations bien différentes : tantôt on écoute un conteur ardent qui sait mettre en relief la réalité, qui dessine fortement son récit et y jette de vives couleurs; tantôt on voit paraître un théoricien dont les utopies fougueuses défigurent les héros du drame. Ici, nous sommes bien dans le XVIe siècle; là, nous nous sentons tout à coup transportés au milieu des questions d'une autre époque. Thomas Münzer était tout à l'heure le chef des paysans; maintenant il a applaudi Saint-Just à la convention et s'est enivré des écrits de Fourier. De là une oeuvre où se rencontrent des fragmens heureux, mais dont la conception générale me semble fausse; une oeuvre souvent dramatique et attachante, mais à laquelle manque la première condition du beau, l'unité, la vérité, l'harmonie d'une composition bien faite. Si l'auteur ne pouvait prétendre au succès comme peintre et comme artiste, je me garderais bien d'insister sur ce défaut de son travail : j'adresse cette observation à un écrivain qui possède assez de verve et de talent pour entendre une parole sincère. Que M. Weill relise les contes de M. Mérimée, ''la Jaquerie, la Chronique de Charles IX''; il y apprendra beaucoup, même pour écrire l'histoire; cette saine et fortifiante lecture lui fera prendre en aversion les anachronismes de couleur et de dessin.▼
M. Weill glisse très légèrement sur cette éducation mystique de Thomas Münzer, Comme il veut faire de lui un révolutionnaire des temps nouveaux, un représentant décidé du radicalisme, il s’abstient de mettre en lumière les contrastes qui donneraient tort à ses assertions trop absolues. C’est gravement méconnaître la vivante originalité de l’époque où vécut Münzer. M. Sainte-Beuve a écrit quelque part un mot d’une justesse parfaite sur les bizarres contradictions de ce grand siècle : « Le moyen-âge en s’y brisant le remplit d’éclats. » Rien n’est plus vrai ni mieux dit. C’est précisément cette singulière confusion qui donne au siècle de Calvin et de Rabelais une physionomie si vive, si chère aux artistes, si attrayante pour les penseurs. Campanella prépare et annonce Descartes par la hardiesse de sa pensée, et il s’occupe encore de magie, de la magie des diables et de la magie des anges ! Christophe Colomb agrandit le monde avec la virilité intrépide de l’humanité moderne, et il obéit encore aux puériles rêveries du moyen-âge, il suit les indications des légendes et cherche le royaume imaginaire de Zipangu. Thomas Münzer est l’apôtre d’une démocratie effrénée, et il puise sa force dans les hallucinations éblouissantes d’un mystique du XIIIe siècle. Les paysans de la Franconie et de la Souabe veulent exterminer la féodalité allemande, ce sont les avant-coureurs furieux des révolutions de l’avenir ; or, par qui sont-ils menés au combat ? Par une sorcière. Hoffmann la noire, la sorcière de Boekingen, avec sa cape lugubre et sa ceinture rouge, est là, au milieu
A part ces réserves sur le procédé de la mise en oeuvre, à part ces critiques qui portent sur l'exécution de l'ensemble, je n'ai que des éloges à donner aux principales parties du livre, au récit de la guerre, au tableau des destinées diverses de la cause des insurgés. C'est une narration vigoureuse et instructive. Nous n'avions pas de récit détaillé de cette grande catastrophe; le livre de M. Weill méritera d'être consulté. L'auteur a bien profité des découvertes de Zimmermann, et avec ces matériaux il a composé un travail qui n'est pas un magasin de textes, comme le sont volontiers les doctes ouvrages de nos voisins, mais une histoire rapide, nette, facile et agréable à lire. Les combats de Leipheim, de Boeblingen, de Frankenhausen, sont énergiquement racontés. Le tableau de la terreur organisée par la hideuse bande de Jaquet, et des représailles abominables exercées par le sénéchal Georg, est plein de vie et d'épouvante. Au milieu de ces horribles boucheries, au milieu de ces malheureux brûlés, assommés, torturés, en présence de ces atrocités sans nom commises tour à tour par Jaquet et par le sénéchal, l'auteur a raison de faire entendre quelques accens émus où respire l'esprit de paix et de concorde; le lecteur les saisit avidement. J'aime que M. Weill, se contredisant un peu, commence un chapitre par ces belles et simples paroles : « Comme tous les grands chefs, Martin Feuerbacher était porté à la modération. » J'aime qu'il s'écrie : « Hélas! quand donc les hommes reconnaîtront-ils que la violence ne produit que la violence?... Les atrocités exercées sur les paysans vaincus ont bien été vengées par celles exercées deux siècles après sur les nobles; mais ni les unes ni les autres n'ont fait avancer l'humanité d'un pas. Ce ne sont pas les héros des champs de bataille et de carrefour qui contribuent au progrès général, ce sont les penseurs, les philosophes, les grands hommes de la science. » Ce passage et plusieurs autres n'ont pas seulement le mérite de reposer l'esprit du lecteur après les scènes furieuses dont cette guerre est remplie; ils servent encore à corriger, à rectifier certaines opinions contraires que l'auteur a introduites dans son livre au risque de se réfuter lui-même. Il a tort, par exemple, de voir dans la guerre des paysans une préparation si prochaine de notre révolution de 89. Il y a, je le sais, dans les douze articles des paysans plus d'un principe qui semble d'accord avec la déclaration des droits de l'homme; mais que de différences fondamentales! Il faut connaître le sens vrai, il faut interroger l'esprit intérieur de ces manifestes, et ne pas être dupe des mots. Prenons garde de rapprocher des choses si éloignées, prenons garde de confondre les fureurs désordonnées, les principes nécessairement confus d'une force qui s'ignore, avec ce génie de 89 qui se possède tout entier, qui a pleine conscience de lui-même, et qui, dégagé de tous les liens du passé, décrète solennellement, au nom de la raison victorieuse, les droits de l'humanité nouvelle.▼
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A part ces réserves sur le procédé de la mise en œuvre, à part ces critiques qui portent sur l’exécution de l’ensemble, je n’ai que des éloges à donner aux principales parties du livre, au récit de la guerre, au tableau des destinées diverses de la cause des insurgés. C’est une narration vigoureuse et instructive. Nous n’avions pas de récit détaillé de cette grande catastrophe ; le livre de M. Weill méritera d’être consulté. L’auteur a bien profité des découvertes de Zimmermann, et avec ces matériaux il a composé un travail qui n’est pas un magasin de textes, comme le sont volontiers les doctes ouvrages de nos voisins, mais une histoire rapide, nette, facile et agréable à lire. Les combats de Leipheim, de Boeblingen, de Frankenhausen, sont énergiquement racontés. Le tableau de la terreur organisée par la hideuse bande de Jaquet, et des représailles abominables exercées par le sénéchal Georg, est plein de vie et d’épouvante. Au milieu de ces horribles boucheries, au milieu de ces malheureux brûlés, assommés, torturés, en présence de ces atrocités sans nom commises tour à tour par Jaquet et par le sénéchal, l’auteur a raison de faire entendre quelques accens émus où respire
En Allemagne et en France, on étudie activement le XVIe siècle. C'est là, en effet, la période de crise où le moyen-âge et le monde moderne se séparent, et il n'y a pas de spectacle plus grand, plus riche, plus instructif pour la société nouvelle. Soit qu'on interroge l'histoire politique, soit qu'on étudie le mouvement littéraire, cette époque est pleine de vie et de puissance. En Allemagne, les monographies sur ce sujet sont nombreuses; dans ces derniers temps surtout, il y a eu comme une recrudescence de curiosité, un redoublement d'investigations studieuses. Le sérieux travail politique qui s'accomplit chez nos voisins a donné un intérêt nouveau à la peinture de ce siècle agité, de même que la rénovation poétique de l'école française a révélé, il y a vingt ans, l'importance littéraire du siècle de Ronsard et de Rabelais. On a publié les oeuvres complètes d'Ulric de Hutten, des fragmens de Sébastien Brandt, de Jean Fischart, de Burkard Waldis, de Hans Sachs, comme on publiait ici Ronsard et des fragmens de la pléiade. Ces études se multiplient et s'élargissent chaque année. Espérons qu'un jour viendra où l'historien, muni de ces précieux documens, osera recomposer dans son unité complexe le vivant tableau du siècle tout entier. Il serait regrettable, en effet, que les chefs de la science historique fussent détournés de cette difficile entreprise par l'attrait des études particulières. Que des points spéciaux soient examinés curieusement, rien de mieux; mais rappelons toujours aux maîtres qu'ils nous doivent des travaux plus considérables. J'oserai adresser cette prière et ce reproche au plus habile historien de l'Allemagne. M. Léopold Ranke est admirablement préparé à la tâche dont je parle; pourquoi donc se risquerait-il aux monographies? Il a publié assez récemment d'excellentes recherches sur l'histoire d'Allemagne au temps de la réforme (''Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation''). Par malheur, le célèbre écrivain nous a donné le droit d'être exigeant avec lui, et ce n'est pas une série de chroniques locales que nous attendions de ses éminentes facultés. On retrouvera dans les cinq volumes de M. Ranke toute la science, toute la finesse, qui ont été appréciées déjà dans ses travaux sur la papauté depuis le XVIe siècle, et sur les peuples du midi de l'Europe; seulement, on regrettera comme nous que l'historien n'ait pas encore osé aborder cette grande et complète peinture à laquelle il serait si digne d'attacher son nom. L'ouvrage de M. Ranke n'embrasse même pas la première moitié du XVIe siècle; l'auteur s'arrête en 1535. On sait quelle est la manière de M. Ranke, et comme il glisse habilement sur les parties connues de son sujet pour mieux mettre en relief les événemens ignorés, la politique secrète des états, maintes découvertes précieuses d'une érudition très avisée. Ceux qui chercheront dans ce livre des révélations importantes sur tel ou tel point de détail n'éprouveront pas de mécomptes. La double situation de la réforme, sa double lutte, contre Rome d'abord, puis contre la démocratie des paysans et des anabaptistes, y sont éclairées d'une lumière extrêmement vive. C'est surtout la seconde moitié du sujet, la moins banale, qui est étudiée avec prédilection par l'auteur. Après qu'il a exposé, et d'une manière neuve, les causes irrésistibles de la réforme, M. Ranke est surtout frappé des périls sans nombre qui menaçaient l'Allemagne au milieu d'une crise si profonde. Et en effet nous figurons-nous bien aujourd'hui ce que dut être, il y a trois cents ans, cette rupture avec Rome? La main du souverain pontifie ne touchait-elle pas à tout? Quand on retrancha au saint-siège la part énorme qu'il s'était faite, quelle brèche immense, quel ébranlement dans tout l'état! Ce que M. Ranke veut savoir, c'est comment l'édifice de l'Allemagne put se soutenir, malgré une telle secousse. Voilà le vrai sujet de son travail; c'est à ce grave problème qu'il a consacré les piquantes richesses de son érudition et la sagacité de son intelligence.▼
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En Allemagne et en France, on étudie activement le XVIe siècle. C’est là, en effet, la période de crise où le moyen-âge et le monde moderne se séparent, et il n’y a pas de spectacle plus grand, plus riche, plus instructif pour la société nouvelle. Soit qu’on interroge l’histoire politique, soit qu’on étudie le mouvement littéraire, cette époque est pleine de vie et de puissance. En Allemagne, les monographies sur ce sujet sont nombreuses ; dans ces derniers temps surtout, il y a eu comme une recrudescence de curiosité, un redoublement d’investigations studieuses. Le sérieux travail politique qui s’accomplit chez nos voisins a donné un intérêt nouveau à la peinture de ce siècle agité, de même que la rénovation poétique de l’école française a révélé, il y a vingt ans, l’importance littéraire du siècle de Ronsard et de Rabelais. On a publié les œuvres complètes d’Ulric de Hutten, des fragmens de Sébastien Brandt, de Jean Fischart, de Burkard Waldis, de Hans Sachs, comme on publiait ici Ronsard et des fragmens de la pléiade. Ces études se multiplient et s’élargissent chaque année. Espérons qu’un jour viendra où l’historien, muni de ces précieux documens, osera recomposer dans son unité complexe le vivant tableau du siècle tout entier. Il serait regrettable, en effet, que les chefs de la science historique fussent détournés de cette difficile entreprise par l’attrait des études particulières. Que des points spéciaux soient examinés curieusement, rien de mieux ; mais rappelons toujours aux maîtres qu’ils nous doivent des travaux plus considérables. J’oserai adresser cette prière et ce reproche au plus habile historien de l’Allemagne. M. Léopold Ranke est admirablement préparé à la tâche dont je parle ; pourquoi donc se risquerait-il aux monographies ? Il a publié assez récemment d’excellentes recherches sur l’histoire d’Allemagne au temps de la
Toutefois, qu'il me soit permis de le redire en terminant, et que ces éloges mêmes m'autorisent à répéter ma plainte : M. Ranke nous doit mieux que des études particulières. Si M. Mignet, renonçant au grand travail que nous attendons, disséminait sa pensée et ne publiait que des fragmens ou des dissertations spéciales, nous aurions le droit de lui rappeler ses promesses. Telle est aussi notre situation à l'égard de M. Ranke. Une complète histoire du XVIe siècle ne peut manquer au XIXe. En effet, malgré les différences nécessaires, que de rapports, que de points de contact entre ces deux époques! Espérons donc l'achèvement d'une tâche pour laquelle l'érudition et la pensée, en France comme en Allemagne, auront associé leurs efforts.▼
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▲Toutefois,
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