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avec les courtines, et peuvent recevoir des arquebusiers dont le tir
flanque les escarpes. De plus, de petites pièces placées dans des étages
voûtés et suffisamment aérés enfilent les fossés à la base et vers le
sommet des talus des tours.
 
[Illustration: Fig. 39.]
 
La figure 40 donne la perspective d'une des demi-lunes avec son parapet relevé en E pour couvrir la plate-forme contre les vues d'enfilade
des hauteurs voisines. On observera, dans cette figure, le bec saillant
qui renforce la demi-lune sur sa face, et qui couvre une partie de l'angle
mort dont l'assiégeant pourrait profiter, car ces demi-lunes sont incomplétement
flanquées par les tours d'angle.
 
Les plates-formes ne sont pas assez spacieuses pour pouvoir garnir à
la fois toutes les embrasures par de grosses pièces de canon. L'ingénieur
comptait, ou ne mettre en batterie que des fauconneaux, ou changer les
pièces de place au besoin.
 
«De grandes précautions sont prises contre la mine, dit M. le capitaine Ratheau<span id="note56"></span>[[#footnote56|<sup>56</sup>]]; une galerie règne le long des quatre courtines, en avant
des souterrains, et de distance en distance sont des amorces de galerie
d'écoute ingénieusement disposées.»
 
[Illustration: Fig. 40.]
 
==== Tours-réduits <i>tenant lieu de donjons ou dépendant de donjons.</i> ====
Les plus anciens donjons ne sont guère que de grosses tours voisines de l'un
des fronts du château féodal, commandant les dehors du côté attaquable
et tous les ouvrages de la forteresse, avec sortie particulière sur les
dehors et porte donnant dans la cour du château (voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]], [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]]). Mais certaines places fortes possédaient
des réduits qui doivent être plutôt considérés comme des tours dominantes et indépendantes que comme des donjons. Puis, vers la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle, les donjons devenant de véritables logis, renfermant les services propres à l'habitation, sont renforcés souvent de tours formidables
qui commandent les dehors, protégent ces logis et deviennent au besoin
des réduits pouvant tenir encore, si le donjon était en partie ruiné par
la sape ou l'incendie.
 
On voit encore à Compiègne les restes d'une grosse tour du commencement du XII<sup>e</sup> siècle) voisine de l'ancien pont sur lequel passa Jeanne
Darc le jour où elle fut prise par les Anglais, et qui est un de ces ouvrages
servant de réduit le long d'une enceinte. À Villeneuve-sur-Yonne
il existe également, sur le front opposé à la rivière, une grosse tour
cylindrique indépendante, qui servait de réduit et commandait la campagne.
Cette tour appartient au XIII<sup>e</sup> siècle. Le château de Carcassonne
possède, sur le front qui fait face au dehors, du côté de la Barbacane et
de l'Aude, deux tours sur plans quadrangulaires presque juxtaposées, qui
tenaient lieu de donjon; ces tours datent du XII<sup>e</sup> siècle et furent encore
surélevées à la fin du XIII<sup>e</sup> (voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], fig. 12
et 13). Le château (palais) des papes, à Avignon, ne possède pas, à proprement
parler, de donjon, mais plusieurs tours-réduits qui commandent
les dehors et la forteresse et qui datent du XIV<sup>e</sup> siècle. Il est donc
nécessaire de distinguer, dans cet article, les tours-réduits tenant à des
enceintes, des tours-réduits tenant à des châteaux et des tours tenant à des donjons. Nous nous occuperons d'abord des premières.
 
C'est encore à l'enceinte de la cité de Carcassonne qu'il faut recourir
pour trouver les exemples les mieux caractérisés de ces tours, sortes de
donjons appuyant un front. Le long de la première enceinte de cette
cité, vers le sud-est, il existe une grosse tour cylindrique presque entièrement
détachée de cette enceinte, et qui a nom, tour de la Vade ou
du Papegay<span id="note57"></span>[[#footnote57|<sup>57</sup>]]. Elle est bâtie sur un saillant et en face de la partie la plus
élevée du plateau qui, de ce côté, fait face aux remparts. Sa base est
flanquée par un redan de la courtine et par la tour que nous avons
donnée dans cet article<span id="note58"></span>[[#footnote58|<sup>58</sup>]]. Elle domine de beaucoup les alentours, est
complétement fermée, et n'était commandée que par la tour qui, derrière
elle, appartient à l'enceinte intérieure. Elle renferme cinq étages, dont
trois sont voûtés. Son crénelage supérieur était, en cas de guerre, garni
de hourds<span id="note59"></span>[[#footnote59|<sup>59</sup>]]. Le sol de l'étage inférieur est un peu au-dessus du niveau
du fond du fossé. Cet étage inférieur possède un puits.
 
Nous donnons les plans des étages de cette tour figure 41.
 
L'étage A est à rez-de-chaussée pour le chemin militaire des lices L,
entre les deux enceintes de la cité. Le chemin de ronde des courtines
de l'enceinte extérieure est en <i>c</i>, le fossé en F. De la route militaire L,
on monte sur le chemin de ronde par un degré d'une dizaine de
marches <i>d</i>, puis on se trouve en face de l'unique porte de la tour <i>e</i> qui
donne entrée dans la salle voûtée S. En prenant l'escalier <i>f</i>, on descend
à l'étage inférieur B, également voûté. Cet escalier débouche en <i>g'</i>. Une
trémie, établie de <i>g'</i> en <i>g</i>, permet de monter, au moyen d'un treuil
de l'eau ou des provisions au niveau du sol du rez-de-chaussée. Le puits
 
[Illustration: Fig. 41.]
 
est en <i>p</i>, Cette cave n'est éclairée que par deux soupiraux relevés <i>i</i>. De
la salle du rez-de-chaussée S, en prenant l'escalier <i>k</i>, on monte à la
salle du premier étage S', où l'on débouche en <i>l</i>. Cette salle S', voûtée,
possède une cheminée <i>m</i> et est éclairée pàr quatre meurtrières et une
baie relevée. De cette salle S'', en prenant l'escalier <i>n</i>, on monte à la
salle du second étage S'', couverte par un plancher; cet escalier débouche
en <i>o</i>. En reprenant le degré <i>q</i>, on arrive au crénelage supérieur.
Ce second étage possède quatre fenêtres et des latrines en <i>t</i>. On remarquera
que la salle du rez-de-chaussée S est percée de sept meurtrières
qui enfilent la crête de la contrescarpe du fossé. Si nous faisons une
section sur <i>ab</i>, et que nous prenions la partie de cette section du côté
des lices, nous obtenons la coupe figure 42, coupe qui permet de se
rendre compte de la disposition de toutes les issues des escaliers. Le
niveau du fond du fossé est en N et les niveaux des crénelages des courtines en R. En E est tracé le plan du crénelage supérieur, au sol duquel
on arrive par l'escalier <i>h</i>. Des hourds étaient disposés tout autour de ce
crénelage, ainsi que nous l'avons indiqué partiellement en VV'. Par les
fenêtres <i>rr</i> (voyez en D, fig. 41),le poste enfermé dans la tour voyait les
parties supérieures de l'enceinte intérieure et communiquait ou recevait
des avis. Trente hommes pouvaient facilement loger dans cette tour, y
amasser des provisions pour longtemps, avoir de l'eau et faire la cuisine.
C'était donc un réduit se défendant encore si l'enceinte extérieure
tombait au pouvoir de l'assiégeant. La seule entrée, étroite, était
barricadée et fermée avec des barres épaisses.
 
La tour du Trésau, de la même cité de Carcassonne, attachée à l'enceinte intérieure et qui dépend des ouvrages dus à Philippe le Hardi, est aussi un réduit. Nous donnons cette belle tour à l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]]
fig. 149, 150, 151, 152, 153 et 154).
 
La tour du Trésau domine de beaucoup les courtines, et, de plus, elle
est munie de deux guettes qui permettaient de découvrir tous les abords
de la cité de ce côté, le château, la tour du coin ouest au saillant opposé,
et tout le front du nord (voyez le plan de la cité, [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]],
fig. 11<span id="note60"></span>[[#footnote60|<sup>60</sup>]]).
 
Il serait superflu de fournir un grand nombre d'exemples de ces tours,
qui ne diffèrent des tours flanquantes fermées que par leur hauteur et
leur diamètre relativement plus fort. Les enceintes bien défendues possédaient
toujours un certain nombre de tours-réduits plus ou moins
considérable, en raison de leur étendue; quelques enceintes d'un développement
peu considérable n'en possédaient parfois qu'une seule. Telle
est l'enceinte de Villeneuve-sur-Yonne. Cette tour remplaçait alors le
château et était entourée d'une chemise. Les tours dépendant de châteaux
et tenant lieu de donjons présentent, au contraire, comme les
donjons eux-mêmes, une grande variété de formes. Les unes sont indé-*
 
[Illustration: Fig. 42.]
 
pendantes, peuvent au besoin s'isoler, possèdent une chemise, ont leur
porte relevée au-dessus du sol extérieur; les autres sont comme le réduit
du donjon et y tiennent par un point: elles sont au donjon ce que
celui-ci est au château. Il ne faut pas perdre de vue la véritable fonction
du donjon, qui est l'habitation du seigneur; or il est fort rare de trouver
des donjons qui, comme ceux du Louvre et de Coucy, ne se composent
que d'une grosse tour sans aucune dépendance. Nous voyons que les
donjons normands, par exemple ceux du Berry, du Poitou, consistent
habituellement, jusqu'au XIII<sup>e</sup>
siècle, en un gros logis quadrangulaire
divisé à chaque étage en deux salles. Ce donjon était toujours l'habitation
seigneuriale. Les donjons du Louvre et de Coucy sont des exceptions, et ne servaient de logis seigneurial qu'en temps de guerre (voy. [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]]).
 
Dans tous les châteaux de quelque importance, il est une partie plus
forte, dont les murailles sont plus épaisses, qui domine les autres ouvrages;
partie qui est réellement le donjon. Ou ce donjon est renforcé
d'une tour plus haute et plus forte que les tours de flanquements; ou
bien, à côté de la partie du château qui était le plus spécialement
réservée à l'habitation du seigneur, est une tour isolée qui devient, en
cas de siége, le réduit dans lequel le seigneur se retire avec ses fidèles,
sa famille et ce qu'il possède de plus précieux. Enfermé dans cette
tour, il surveille les dehors (car ces ouvrages sont élevés sur le point le
plus accessible); il contient sa garnison et peut soutenir un second siége
lorsque le château proprement dit est pris. Si le château n'occupait pas
une assez grande surface de terrains propres à recevoir des bâtiments
pour les gens de la garnison, une cour, un logis pour le seigneur ou
donjon complet, s'il avait peu d'étendue, en temps ordinaire le seigneur
et les siens occupaient le logis; en temps de guerre, il appelait les
hommes liges, ceux qui lui devaient le service militaire, il recrutait des
gens de guerre soldés, et se retirait, lui et ses proches, dans une tour,
la plus forte, qui devenait ainsi le donjon. Nous trouvons la trace bien
évidente de cet usage jusqu'au XIV<sup>e</sup> siècle, dans les places fortes intéressantes,
mais petites, de la Guyenne. Plus anciennement, dans des
châteaux de l'Île-de-France d'une médiocre étendue, nous pouvons
également reconnaître cette disposition. À peine si les caractères effacés
de notre siècle nous permettent de comprendre la vie, en temps de
guerre, d'un seigneur possesseur de fiefs considérables et d'une belle et
grande habitation seigneuriale; mais combien nous sommes loin de
nous représenter exactement l'énergie morale et physique de ces
châtelains
possesseurs de forteresses peu étendues, et dans lesquelles,
cependant, ils n'hésitaient pas, au besoin, à se défendre contre des
voisins dix fois plus puissants qu'eux. Dans ces places resserrées, le châtelain,
entouré d'un petit nombre de vassaux sur la fidélité desquels il
pouvait toujours compter, s'enfermait dans la tour maîtresse, et de là
devait pourvoir à la défense extérieure, prévoir les trahisons, et inspirer
assez de crainte et de respect à sa garnison pour qu'elle ne fût pas
tentée de l'abandonner. Alors (ce fait se présentait-il souvent) le châtelain et quelques fidèles, les ponts coupés, les herses baissées, les portes
et fenêtres barricadées, enclos dans ce dernier refuge, se défendaient à
outrance jusqu'à ce que les vivres vinssent à manquer.
 
Ce système de réduit, propre à une défense extrême, est adopté
d'une manière absolue dans la grosse tour éventrée du château de
Montépilloy,
près de Senlis. D'un côté, cette tour donnait sur la baille du
château, de l'autre sur le château lui-même, qui avait peu
d'étendue<span id="note61"></span>[[#footnote61|<sup>61</sup>]].
Nous parlons ici du château tel qu'il existait au XII<sup>e</sup> siècle avant les
adjonctions et modifications que lui fit subir Louis d'Orléans.
 
Nous donnons (fig. 43) le plan du premier étage de cette tour, au
niveau
duquel s'ouvrait la seule poterne donnant entrée dans l'intérieur.
En A est la porte qui permet de descendre, par un escalier voûté, dans
l'épaisseur du cylindre, à l'étage inférieur; en B, la porte qui, par un
long degré, également voûté, donne accès au second étage en C, et à
la chambre D de la herse et du mâchicoulis de la poterne. En contiuant
l'ascension par le degré, on arrive au troisième étage. La poterne
P est donc relevée au-dessus du sol extérieur de toute la hauteur du rez-de-chaussée. On n'y arrive que par une passerelle de bois facile à détruire.
Cette poterne était fermée au moyen d'une grille, d'une herse,
d'un mâchicoulis et d'un vantail barré. Une petite chambre E, propre
à contenir deux hommes, est percée d'une meurtrière oblique qui
enfile
le tablier de la passerelle. Ce tablier était percé d'une trappe, par
laquelle, au moyen d'une échelle, on descendait, défilé par la pile du
pont, sur le chemin de ronde de la chemise G. L'intervalle entre cette
chemise et la tour formait donc comme un fossé<span id="note63"></span>[[#footnote63|<sup>63</sup>]].
 
La coupe faite sur <i>ab</i> (fig. 44) montre en A la tour de Montépilloy
telle qu'elle existait au XII<sup>e</sup> siècle, et en B avec les modifications qui
furent apportées aux défenses, en 1400, dans les parties
supérieures<span id="note63"></span>[[#footnote63|<sup>63</sup>]].
On voit en C la coupe de la chemise, en P la coupe de la poterne, et en D
celle de la chambre de la herse et du mâchicoulis au-dessus de cette
poterne. On observera que le rez-de-chaussée est voûté, ainsi que
l'étage au-dessus, au moyen d'arcs ogives à section rectangulaire reposant
sur cinq piles. Cette salle voûtée supérieure est divisée par un
plancher, c'est le second étage. Le troisième étage, dans lequel on débouche
par la porte I, est resté tel qu'il était au XII<sup>e</sup> siècle, seulement
au XV<sup>e</sup> siècle on entailla sa muraille sur un point pour y loger un escalier
 
[Illustration: Fig. 43.]
 
à vis qui était destiné à monter au quatrième étage et à l'étage crénelé,
avec mâchicoulis, M. La hauteur de l'ancienne tour ne dépassait pas
le niveau N. Alors les hourds H donnaient une plongée en dehors de la
chemise, comme l'indique la ligne ponctuée. Ce quatrième étage était
destiné à l'approvisionnement des projectiles et à la défense supérieure
qui se faisait par une série d'arcades dont on distingue quelques restes
englobés dans la maçonnerie de 1400; arcades qui mettaient la salle
supérieure en communication avec les hourds. Cette défense n'ayant
pas paru avoir un commandement suffisant, en 1400 on suréleva cet
étage à arcades; on le voûta en V, et l'on établit sur cette voûte une
plate-forme avec crénelage et mâchicoulis M dont la plongée permettait
de battre le pied de l'escarpe de la chemise, ainsi que l'indique, de
ce côté, la ligne ponctuée. Il est clair que les passerelles S qui mettaient
 
[Illustration: Fig. 44.]
 
la tour en communication avec le château pouvaient être enlevées facilement. En E est figurée l'échelle qui, de la trappe de cette
passerelle, permettait de descendre derrière la pile par le chemin de
ronde de la chemise.
 
La figure 45 donne le développement de l'intérieur de la tour de
Montépilloy de <i>e</i> en <i>f</i> (voyez au plan, fig. 43). Les escaliers, pris aux dépens
de l'épaisseur du mur cylindrique, sont indiqués par des lignes
ponctuées. En A est la poterne, et en B, au-dessus, la chambre de la
herse et du mâchicoulis. En C, les arcades qui, de l'étage supérieur,
donnaient sur la galerie des hourds avant la surélévation du XV<sup>e</sup> siècle.
 
Cette construction est bien faite, en assises réglées de 0<sup>m</sup>,32 de
hauteur (un pied), et tout l'ouvrage serait intact si l'on n'avait pas fait
sauter à la mine la moitié environ du cylindre. Heureusement la
partie conservée est celle qui présente le plus d'intérêt, en ce qu'elle
renferme les escaliers de la poterne. Naturellement on a fait sauter de
préférence les parties qui regardaient l'extérieur, lorsqu'on a voulu
démanteler le château.
 
On comprend, quand on visite le château de Montépilloy, pourquoi
Louis d'Orléans jugea nécessaire de surélever la tour et de la terminer
par une plate-forme.
 
Possesseur du duché de Valois, prétendant faire de ce territoire un
vaste réseau militaire propre à dominer Paris, il était important d'avoir
près de Senlis, sur la route de la capitale, un point d'observation qui
pût découvrir le parcours de cette route depuis sa sortie de Senlis
jusqu'à Crespy. Or, on ne pouvait mieux choisir ce point d'observation
qui, occupé par une garnison sur une hauteur, permettait de couper
le passage à tout corps d'armée débouchant de Senlis. Cette garnison
avait d'ailleurs la certitude d'être soutenue par les troupes enfermées
dans Crespy, Béthisy, Vez et Pierrefonds, si ce corps d'armée tentait
de forcer le passage. Les gens sortis de Montépilloy n'avaient point à
s'inquiéter s'ils étaient coupés eux-mêmes de leur château, puisqu'ils
pouvaient battre en retraite jusqu'à Crespy, et plus loin encore, en
défendant pied à pied la route qui pénètre au cœur du Valois. Mais
pour que ces obstacles fussent efficaces, il fallait avoir le temps:
1º de
se mettre en travers de la route ou sur ses flancs, au moment où une
armée envahissante sortait de Senlis; 2º de prévenir par des signaux
ou des émissaires les garnisons des châteaux de Crespy et de Béthisy
situés chacun à huit kilomètres de Montépilloy, afin de se faire
appuyer sur les flancs.
 
Or, pour prendre ces dispositions militaires, il était d'une grande
importance de donner à la tour de Montépilloy la hauteur que nous
lui connaissons.
 
Il faut considérer que l'élévation de ces sortes de tours tenait bien
plus de leur situation stratégique que de leur défense propre. On fait
habituellement trop bon marché des dispositions stratégiques dans les
forteresses du moyen âge. On les étudie séparément, avec plus ou
 
[Illustration: Fig. 45.]
 
moins d'attention, mais on tient peu compte de l'appui qu'elles se prêtaient pour défendre un territoire appartenant à un même suzerain ou
à des seigneurs alliés en vue d'une défense commune, fait qui se
présentait
souvent. La fréquence des luttes entre châtelains n'empêchait
point qu'ils ne se réunissent, à un moment donné, contre un envahisseur;
et ce fait s'est présenté notamment lors du voyage de saint Louis dans
la vallée du Rhône pour se rendre à Aigues-Mortes. Ce prince réduisit les
petites forteresses qui commandaient le fleuve, et dont les possesseurs se
défendirent tous contre son corps d'armée, bien que ces châtelains
fussent perpétuellement en guerre les uns avec les autres.
 
Pour ne parler que d'une contrée qui a conservé un grand nombre
de restes féodaux, le Valois, on remarquera que les postes militaires
éiaient disposés en vue d'une défense commune au besoin, bien avant
la suzeraineté de Louis d'Orléans, et que ce prince ne fit qu'améliorer
et compléter une situation stratégique déjà forte.
 
Le Valois était borné au nord-ouest et au nord par les cours de l'Oise,
de l'Aisne et de la Vesle, au sud-est par la rivière d'Ourcq, au sud par
la Marne. Il n'était largement ouvert que du côté de Paris, au
sud-ouest,
de Gesvres à Creil. Or, le château de Montépilloy est placé en vedette
entre ces deux points, sur la route de Paris passant par Senlis; il s'appuyait
sur le château de Nanteuil-le-Haudouin, sur la route de Paris à
Villers-Cotterets, et qui se reliait au château de Gesvres, sur l'Ourcq.
C'était une première ligne de défense couvrant les frontières les plus
ouvertes du duché. En arrière, était une seconde ligne de places
s'appuyant
à l'Oise et suivant le petit cours d'eau de l'Automne: Verberie,
Béthisy, Crespy, Vez, Villers-Cotterets, la Ferté-Milon sur l'Ourcq, et
Louvry au delà. Derrière ces deux lignes, Louis d'Orléans établit,
comme réduit seigneurial, la place de Pierrefonds, dans une excellente
position. Des tours isolées furent élevées ou d'anciens châteaux
augmentés
sur les bords de l'Aisne et de l'Ourcq. Le passage de la Champagne
en Valois, entre ces deux rivières, était commandé par les châteaux d'Ouchy, sur l'Ourcq, et de Braisne, sur la Vesle, couverts par la
forêt de Daule.
 
Au nord, en dehors du Valois, dans le Vermandois, Louis d'Orléans
avait acheté et restauré la place de Coucy, qui couvrait le cours de
l'Aisne. Tous ces châteaux (Coucy excepté) étaient mis en
communication
par les vues directes qu'ils avaient les uns sur les autres au moyen
de ces hautes tours, ou par des postes intermédiaires. C'est ainsi, par
exemple, que le château de Pierrefonds était mis en communication de
signaux avec celui de Villers-Cotterets par la grosse tour de Réalmont,
dont on voit encore les restes sur le point culminant de la forêt de
Villers-Cotterets.
 
Les expéditions tentées par Louis d'Orléans, et qui n'eurent qu'un
médiocre
succès, ne prouveraient pas en faveur des talents militaires de ce
prince, mais il est certain que lorsqu'il résolut de s'établir dans le Valois
de manière à se rendre maître du pouvoir et à dominer Paris, il
dut s'adresser à un homme habile, car ces mesures furent prises avec
une connaissance parfaite des localités et le coup d'œil d'un stratégiste.
Aussi le premier acte du duc de Bourgogne, après l'assassinat du duc
d'Orléans, fut-il d'envoyer des troupes dans le Valois, pour mettre la
main sur ce réseau formidable de places fortes.
 
Ainsi donc il ne faut pas confondre le donjon proprement dit, ou
habitation
seigneuriale, dernier réduit d'une garnison, avec ces tours qui,
indépendamment de ces qualités, ont été élevées suivant une disposition
stratégique, afin d'établir des communications entre les diverses places
d'une province, et de fournir les moyens à des garnisons isolées de
concerter leurs efforts.
 
La féodalité en France et en Angleterre possède ce caractère
militaire
particulier; caractère que nous ne voyons pas exprimé d'une manière
aussi générale en Allemagne et en Espagne, si ce n'est, dans cette
dernière contrée, par les Maures. Il semble chez nous que ces
dispositions
défensives d'ensemble soient dues plus particulièrement au génie
des Normands, qui, au moment de leur entrée sur le sol des Gaules,
comprirent la nécessité de concerter les moyens défensifs pour assurer
leur domination. Aussi ne les voyons-nous jamais perdre du terrain
dès qu'ils ont pris possession d'une contrée; et, de toutes les conquêtes
enregistrées depuis l'époque carlovingienne, celles des Normands ont
été à peu près les seules qui aient pu assurer une possession durable
aux conquérants: la noblesse française profita, pensons-nous, de cet
enseignement, et, malgré le morcellement féodal, comprit de bonne
heure cette loi de solidarité entre les possesseurs d'un pays. L'unité que
put établir plus tard la monarchie avait donc été préparée, en partie,
par un système de défense stratégique du sol, par provinces, par vallées
ou cours d'eau. Philippe-Auguste paraît être le premier qui ait compris
l'importance de ce fait, car nous le voyons rompre méthodiquement ces
lignes ou réseaux de forteresses, en s'attaquant toujours, dans chaque
noyau, avec la sagacité d'un capitaine consommé, à celle qui est comme
la clef des autres; Saint Louis continua l'œuvre de son aïeul moins en
guerrier qu'en politique.
 
Quand les Anglais furent en possession de la Guyenne, ils suivirent
avec méthode ce principe de défense, et tous les châteaux qu'ils ont
élevés dans cette contrée ont, indépendamment de leur force
particulière,
une assiette choisie au point de vue stratégique. Nous trouvons en
Bourgogne l'influence de la même pensée. Nulle contrée peut-être ne
présentait un système de défense solidaire plus marqué. Les cours
d'eau, les passages, sont hérissés d'une suite de châteaux ou postes
dont l'emplacement est merveilleusement choisi, tant pour la défense
locale que pour la défense générale contre une invasion. Ces points
fortifiés se donnent la main comme le faisaient nos tours de télégraphes
aériens; et la preuve en est que la plupart de ces postes télégraphiques,
en Bourgogne, s'établirent sur les restes des forteresses des XIII<sup>e</sup> et
XIV<sup>e</sup> siècles. Considérant donc les châteaux à ce point de vue, on comprend
l'importance des tours dont nous nous occupons; elles constituaient
une défense sérieuse par elles-mêmes, et assuraient d'autant
mieux ainsi la communication entre les garnisons féodales, leur action
commune. Il importait surtout, si l'un de ces châteaux était pris par
trahison ou par un coup de main, que des hommes dévoués pussent
tenir encore quelques jours ou seulement quelques heures dans ces réduits,
du haut desquels il était facile de communiquer, par signaux, avec
les forteresses les plus rapprochées; car, alors, les garnisons voisines
pouvaient, à leur tour, envahir la place tombée et mettre l'agresseur
dans la plus fâcheuse position. C'est ce qui arrivait fréquemment. En
France, les cours d'eau ont un développement considérable, les bassins
sont parfaitement définis; il s'établissait ainsi forcément, par la configuration
même du terrain, de longues lignes de forteresses solidaires
qui préparaient merveilleusement l'unité d'action en un moment donné.
Ce sont là des vues qui nous semblent n'avoir pas été suffisamment
appréciées dans l'histoire de notre pays, et qui expliqueraient en partie
certains phénomènes politiques que l'on énonce trop souvent sans en
rechercher les causes diverses. Mais toute notre histoire féodale est à
faire, et, pour l'écrire, il serait bon, une fois pour toutes, de laisser de
côté ces lieux communs sur les abus du régime féodal. Il est bien certain
que nous ne pourrons posséder une histoire de notre pays que du
jour où nous cesserons d'apprécier notre passé avec les partis pris qui nous troublent l'entendement, du jour où nous saurons appliquer à
cette étude l'esprit d'analyse et de méthode que notre temps apporte
dans l'observation des phénomènes naturels, du jour, enfin, où nous
comprendrons que l'histoire n'est pas un réquisitoire ou un plaidoyer,
mais un procès-verbal fidèle et impartial dressé pour éclairer des juges,
non pour faire incliner leur opinion vers tel ou tel système.
 
Mais laissons là ces considérations un peu trop générales relativement
à l'objet qui nous occupe, et revenons à nos tours.
 
Parmi ces tours de la Bourgogne dont la destination est bien marquée,
c'est-à-dire qui servaient à la fois de réduits au besoin et de postes
d'observation, il faut citer la tour de Montbard, du sommet de laquelle
on aperçoit la tour du petit château qui domine le village de Rougemont,
sur la Brenne, et le château de Montfort, qui, par une suite de
postes, mettait Montbard en communication avec le château de Semur
en Auxois, sur l'Armançon.
 
Montbard était un point très-fort; le château occupait un large mamelon escarpé, de roches jurassiques, à la jonction de trois vallées. De ce
château il ne reste que l'enceinte, et la grosse tour à six pans, qui
occupe un angle de cette enceinte au point culminant, de telle sorte
qu'elle donne directement sur les dehors, au-dessus de roches abruptes.
La figure 46 donne les plans de cette tour, qui date de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle.
Le rez-de-chaussée A se compose d'une salle dans laquelle on n'entre
 
[Illustration: Fig. 46.]
 
que par la porte <i>a</i>, percée au niveau du sol du terre-plein; en <i>b</i> et <i>c</i> sont
 
[Illustration: Fig. 47.]
 
les deux courtines. L'angle <i>d</i> profite d'une saillie du rocher et contient
des latrines. Un caveau est creusé dans le roc, au-dessous de cette
salle; son orifice est en <i>e</i>. La salle basse est éclairée par deux fenêtres
et possède une meurtrière sur les dehors; elle est voûtée en arcs
d'ogive et n'est pas mise en communication avec les étages supérieurs.
On ne peut pénétrer dans la salle du premier étage que par les chemins
de ronde des courtines (voyez en B). L'angle <i>g</i> est couvert par un talus
de pierre; puis, à partir de ce niveau, un pan coupé <i>h</i> correspond au pan
coupé <i>i</i>. Le pan coupé <i>h</i> est porté sur l'arc inférieur <i>j</i>. La salle du
premier étage est éclairée par deux fenêtres donnant sur les dehors.
Un escalier, pratiqué dans l'épaisseur du mur, du côté du terre-plein,
monte au deuxième étage, semblable en tout au troisième, dont nous
donnons le plan (voyez en C). Ce troisième étage possède trois fenêtres
et deux armoires <i>k</i> qui n'existent pas dans l'étage du dessous, à cause
du passage de l'escalier. Ces pièces sont voûtées comme le rez-de-chaussée.
Un escalier à vis monte à la plate-forme, dont nous donnons
le plan figure 47. Cette plate-forme est défendue par un crénelage, et,
sur chaque face, par un mâchicoulis avec meurtrière<span id="note64"></span>[[#footnote64|<sup>64</sup>]]. La figure 48
donne la coupe de cet ouvrage sur la ligne <i>op</i>. Des pinacles, dressés
sur le crénelage supérieur, font reconnaître au loin le sommet de la
tour. Le couronnement du donjon de Coucy présente une disposition
analogue<span id="note65"></span>[[#footnote65|<sup>65</sup>]]. Ces pinacles pouvaient d'ailleurs faciliter l'intelligence des
signaux, puisqu'une bannière posée au droit de tel pinacle indiquait un
mouvement de l'ennemi, ou les dispositions prises par la garnison, ou
la nature des secours qu'elle attendait.
 
[Illustration: Fig. 48.]
 
La porte A de l'étage inférieur était masquée par le terre-plein du
château, dont le niveau s'élevait au-dessus de son linteau. Les défenseurs
préposés à la garde de la tour, postés dans les étages supérieurs,
commandaient les deux courtines, et tous les efforts d'un assaillant qui,
après s'être emparé du château, aurait cherché à pénétrer dans l'étage
inférieur de la tour,--ce qui était difficile, puisque sa porte est percée
dans un angle rentrant,--n'auraient abouti qu'à le faire tomber dans
une véritable souricière, puisque cet étage n'a pas de communication
avec les salles supérieures. D'ailleurs, un mâchicoulis est directement
placé au-dessus de cette porte et en rendait l'accès fort périlleux. Si,
du dehors, l'assaillant, au moyen d'échelles, gravissant le rocher à pic
sur lequel la tour est bâtie, parvenait à attacher le mineur au pied de
cette tour et pénétrait dans la salle du rez-de-chaussée,--opération
qui n'était guère praticable,--il n'était pas pour cela maître de l'ouvrage.
Ici le système angulaire est adopté pour le plan de la tour, conformément
à la méthode admise vers la fin du XIII<sup>e</sup> siàcle pour les
tours-réduits couronnées par des plates-formes, particulièrement dans
les provinces méridionales. Cette configuration se prêtait mieux au
logement des hommes et aux dispositions d'habitation que la forme
circulaire; elle donnait des faces inabordables, et l'on comptait sur la
force passive des saillants pour résister aux attaques. Ceux-ci étaient
d'ailleurs flanqués par des échauguettes supérieures, ou, vers le milieu
du XIV<sup>e</sup> siècle, dominés par des mâchicoulis.
 
C'est en 1318 que l'archevêque Gilles Ascelin construisit la grosse
tour quadrangulaire du palais archiépiscopal de Narbonne. Cet ouvrage
est un réduit, en même temps qu'il commande la place de la ville, les
quais de l'ancien port, les rues principales et tous les alentours. Bâti
à l'angle aigu formé par les bâtiments d'habitation, il peut être isolé,
puisqu'il n'avait, avec ces corps de logis, aucune communication directe<span id="note66"></span>[[#footnote66|<sup>66</sup>]].
Cette tour renferme quatre étages et une plate-forme ou place d'armes,
en contre-bas du crénelage, bien abritée du vent, terrible en ce pays, et
pouvant contenir une masse considérable de projectiles. Trois échauguettes flanquent, au sommet de la tour, les angles vus, et le quatrième
angle, qui est engagé dans le palais, contient l'escalier couronné par
une guette.
 
Voici (fig. 49) les plans de cette tour, en A, au niveau du sol extérieur, et en B, au niveau du premier étage. L'étage A n'est qu'une cave
circulaire voûtée en calotte hémisphérique, ne prenant pas de jour à
l'extérieur. Le premier étage, de forme octogone à l'intérieur, se défend par des meurtrières sur chacune des trois faces vues du dehors.
On observera que les chambres de tir de ces meurtrières sont séparées
de la salle centrale, qui est voûtée en arête. Au-dessus (fig. 50) est
élevée une salle quadrangulaire destinée à l'habitation (plan C). Cette
salle était la seule qui possédât une cheminée. Elle était éclairée par
trois fenêtres et couverte par un plafond de charpente. Le quatrième
étage présente également une salle carrée, voûtée en arcs d'ogive,
 
[Illustration: Fig. 49.]
 
possédant trois petites fenêtres et des meurtrières dont les chambres
de tir sont, de même qu'au premier étage, séparées de la salle centrale
 
[Illustration: Fig. 50.]
 
(plan D). Puis, sur la voûte est disposée la plate-forme, dont la figure 51
donne le plan. La partie centrale, immédiatement sur la voûte, est en
contre-bas du chemin de ronde, dont le parapet n'est point percé de
créneaux, mais seulement de longues meurtrières. Les échauguettes
flanquantes possèdent trois étages de meurtrières. Les défenseurs pénètrent
dans l'étage inférieur par les portes <i>a</i>, percées un peu au-dessus
du niveau de la place d'armes, dans le premier étage par les portes <i>b</i>,
et arrivent au troisième étage, à ciel ouvert, par les baies <i>d</i>. De l'escalier
 
à vis on arrive à la place d'armes par la porte <i>c</i>, et au chemin de ronde
du crénelage par la porte <i>e</i>. Les chemins de ronde pourtournent en <i>f</i> les
échauguettes.
 
[Illustration: Fig. 51.]
 
Une coupe faite sur <i>gh</i> (fig. 52) explique cette intéressante disposition.
En A est la salle destinée à l'habitation du seigneur, tous les autres
étages étant aménagés pour la défense. Cette tour ne possédait ni hourds
ni mâchicoulis; elle se défendait surtout par sa masse, composée d'une
excellente maçonnerie de pierre de taille dure de Sainte-Lucie. Les faces
étaient à peine flanquées par les échauguettes. Aussi pensons-nous qu'en
cas de siége, des mâchicoulis de bois étaient disposés au-dessus du parapet, ou peut-être seulement au-dessus des échauguettes, pour pouvoir
découvrir la base de la tour et la défendre. Ce magnifique réduit est un
chef-d'œuvre de structure; les assises, réglées de hauteur, sont choisies
 
[Illustration: Fig. 52.]
 
dans le cœur de la pierre et reliées par un excellent mortier. Dans cette
masse nul craquement, nulle déchirure; c'est un bloc de maçonnerie
homogène. Cette place d'armes, pratiquée à un niveau inférieur à celui
du chemin de ronde, servait à plusieurs fins. C'était une excellente
assiette pour établir des engins à longue portée, mangonneaux ou pierrières,
un abri pour les défenseurs et un magasin à projectiles.
 
Vers le même temps, c'est-à-dire de 1320 à 1325, était élevée, au
château de Curton, en Guyenne (arrondissement de Libourne), une tour-réduit
dont le plan présente certaines particularités remarquables. Ce
château était plutôt défendu par sa position et son double fossé que
par ses ouvrages; seule, la tour principale avait de l'importance<span id="note67"></span>[[#footnote67|<sup>67</sup>]]. Cette
tour, dont la figure 53 présente les plans, contenait cinq étages et un
cachot, tous voûtés en berceaux chevauchés. La seule entrée <i>b</i>, dans la
tour, était pratiquée du logis voisin au niveau du second étage A. Par
l'escalier à vis on descendait à l'étage au-dessous B, percé de deux
meurtrières. Par une trappe <i>c</i> on descendait dans le cachot C, composé
de deux étroites galeries se coupant à angle droit et contenant un siége
d'aisances. L'escalier à vis montait du second étage A aux trois salles
supérieures, bâties sur le même plan, et à la plate-forme D, munie
d'un crénelage et de mâchicoulis. Les contre-forts qui épaulent les quatre
angles n'avaient d'autre fonction que de donner des flanquements, car
les murs de la tour sont assez épais pour n'avoir pas besoin de ces
appendices. Si l'on examine le plan général du château<span id="note68"></span>[[#footnote68|<sup>68</sup>]], on verra en
effet que l'angle G forme un saillant que flanquent (incomplétement,
il est vrai) les échauguettes voisines. Ce renfort avec saillant avait
encore l'avantage de rendre la tâche du mineur beaucoup plus longue
et plus difficile. La tour de Curton a d'ailleurs 33 mètres de hauteur,
du niveau du sol du cachot à la plate-forme supérieure, et les quatre
contre-forts augmentent singulièrement son assiette. Dans la même
contrée, il faut citer la tour carrée du château de Lesparre, qui était un réduit couronné par une plate-forme sur voûte<span id="note69"></span>[[#footnote69|<sup>69</sup>]], un véritable poste, car
la surface de ce château en dehors de la tour carrée n'est que de
700 mètres. Beaucoup de ces châteaux de la Guyenne anglaise du XIV<sup>e</sup>
siècle n'ont qu'une très-médiocre étendue, et paraissent plutôt être des
forteresses propres à garder le pays que des habitations seigneuriales
telles qu'étaient nos châteaux du Nord. Ce n'est pas qu'alors la population
de la Gascogne ne fût complétement soumise à la domination
anglaise, dont elle n'avait pas à se plaindre et qui fut pour ce pays une
ère de prospérité, mais il s'agissait de protéger la Guyenne contre les
attaques presque continuelles du roi de France, et ces petits châteaux,
nombreux, bien établis au point de vue stratégique, commandant le
cours de la Garonne et les débouchements des vallées latérales, étaient
 
[Illustration: Fig. 53.]
 
plus propres à garder la campagne que ne l'eussent été de vastes forteresses séparées par de grandes distances. Aussi la plupart de ces petits
châteaux, bâtis ou restaurés à cette époque, se défendent-ils par leur
assiette même, quelques ouvrages peu importants et par des tours-réduits,
où des troupes d'hommes d'armes isolées pouvaient se retirer
et attendre en sûreté qu'on les vînt dégager; d'où elles pouvaient sortir
et surveiller la contrée.
 
[Illustration: Fig. 54.]
 
En Normandie, où la domination anglaise, au commencement du
XV<sup>e</sup>e siècle, fut contestée par une grande partie de la population, où il
s'agissait non-seulement de protéger le pays contre des ennemis du dehors, mais de se garder contre ceux du dedans, les rares fortifications
que les Anglais ont élevées ont un tout autre caractère. Elles tendent à
augmenter et à renforcer les places importantes, afin d'avoir des garnisons
nombreuses centralisées sur certains points stratégiques. C'est ainsi que
le château de Falaise, dont la position était si importante, fut renforcé
pendant la domination anglaise, c'est-à-dire de 1418 à 1450, par une
grosse tour cylindrique qui formait une annexe au donjon normand
du XII<sup>e</sup> siècle (fig. 54). Le château de Falaise couvre une surface d'un
hectare et demi<span id="note70"></span>[[#footnote70|<sup>70</sup>]]; le donjon, composé de bâtiments quadrangulaires
juxtaposés, suivant l'habitude normande, était peu élevé et ne commandait
pas suffisamment les dehors: les Anglais y ajoutèrent la grosse
tour A, dite tour de Talbot, qui renfèrme six étages, dont un cachot et
l'étage de combles. Cette grosse tour-réduit est couronnée par des mâchicoulis avec chemin de ronde. Le crénelage supérieur et le comble
n'existent plus depuis les guerres de religion du XVI<sup>e</sup> siècle. Plusieurs
anciens donjons carrés de l'époque romane furent simplement considérés comme des logis à la fin du XIV<sup>e</sup> siècle et au commencement du
XV<sup>e</sup> siècle, logis que l'on renforçait au moyen de grosses tours annexes.
Cette disposition motiva un nouveau programme qui fut suivi, à cette
époque, dans des constructions élevées d'un seul jet. On se mit à bâtir
des donjons qui consistaient en un logis spacieux habitable pour le
seigneur, en tout temps, et l'on flanqua ce logis de fortes et hautes
tours commandant les dehors. C'est suivant cette donnée qu'a été
conçu le donjon du château de Pierrefonds<span id="note71"></span>[[#footnote71|<sup>71</sup>]]. Sur les dehors, ce donjon
est en effet protégé par deux grosses tours cylindriques dont le diamètre
est de 15 mètres 50 centimètres hors œuvre. Ces deux tours,
pleines dans la hauteur du talus, pouvant par conséquent défier la
sape, renferment trois étages destinés aux provisions et à l'habitation,
et un étage supérieur de défenses très-important, couronné par un
crénelage double<span id="note72"></span>[[#footnote72|<sup>72</sup>]].
 
Des deux tours, à peu près pareilles dans leurs distributions intérieures,
nous donnons celle d'angle, dite tour de Charlemagne<span id="note73"></span>[[#footnote73|<sup>73</sup>]]. Elle
contient, au niveau de la cour du château, une cave voûtée, éclairée
par deux meurtrières (fig. 55, en A). Un couloir B permet de communiquer
des salles basses du donjon à cette cave. Par l'escalier C, on
monte à la vis qui dessert tous les étages et la guette. En E, est une
fosse pratiquée sous les garde-robes voisines de cette tour. Au-dessus
de la cave A est une salle voûtée en arcs ogives surbaissés, qui est de
plain-pied avec le premier étage du logis et dont le plan est semblable
à celui de la salle G du second étage, laquelle salle est de même voûtée
en arcs ogives et se trouve de plain-pied avec le deuxième étage du
logis. Ces pièces hexagones sont éclairées chacune par trois fenêtres,
possèdent une cheminée K et un couloir I communiquant aux garde-robes
M. En O, est la cour des provisions<span id="note74"></span>[[#footnote74|<sup>74</sup>]]. L'escalier de la guette N
met ce couloir I, et par conséquent la salle G, en communication avec
le chemin de ronde P du mur de garde de la cour aux provisions, qui
lui-même communique aux défenses supérieures du château.
 
Au-dessus de cette salle voûtée G est l'étage particulièrement réservé
à la défense et dont nous traçons le plan (fig. 56). On monte à cet étage
par l'escalier à vis. Une première porte L donne entrée de plain-pied
sur l'aire S dallée sur la voûte de la salle du deuxième étage. Une seconde
porte percée au niveau de la révolution supérieure de la vis
donne accès sur le chemin de ronde R des mâchicoulis. Des arcades
percées dans le mur cylindrique donnent, au moyen d'emmarchements
en façon de gradins d'amphithéâtre; du chemin de ronde R sur l'aire S
placée à 3 mètres au-dessous. L'escalier à vis permet d'atteindre,
 
[Illustration: Fig. 55.]
 
au-dessus de cette salle, un balcon circulaire intérieur ayant vue sur
les dehors par un grand nombre de créneaux.
 
La coupe faite sur <i>ab</i> (fig. 57) explique l'importance de cet étage,
au point de vue de la défense. Sur l'aire A étaient accumulés les projectiles propres à être lancés par les mâchicoulis, pierres rondes, cailloux de toutes grosseurs, jusqu'à 40 centimètres de diamètre, puisque les trous des mâchicoulis ont 42 centimètres environ. Cet amas de
projectiles pouvait, à la rigueur, atteindre le niveau du chemin de
ronde B, en laissant un vide dans le milieu pour le service et pour
le passage des hommes par la porte C.
 
[Illustration: Fig. 57.]
 
Les servants des mâchicoulis se tenaient sur le chemin de ronde B,
ainsi que les arbalétriers. Des manœuvres passaient les projectiles aux
servants, suivant les ordres donnés par le capitaine de la tour, qui était
posté sur le balcon D dont nous avons parlé plus haut. Par les créneaux
nombreux donnant sur le balcon, le capitaine découvrait tous les
dehors, et les gens postés dans la galerie, non plus que ceux préposés
aux projectiles, n'avaient point à s'enquérir des mouvements de l'ennemi,
mais seulement à exécuter les ordres qui leur étaient donnés.
L'étage crénelé supérieur E était en outre garni d'arbalétriers chargés
du tir dominant et éloigné. Suivant que l'assiégeant se portait vers un
point, le capitaine faisait accumuler les projectiles sur ce point sans
qu'il pût y avoir de confusion. Si l'assaillant abordait le pied du talus
de la tour, par les trous des mâchicoulis les servants le voyaient et
n'avaient qu'à laisser tomber des moellons pour l'écraser. Le tir par
les créneaux découverts E ne pouvait être qu'éloigné, ou au plus suivant
un angle de 60 degrés, à cause du défilement produit par la saillie de la
galerie. Le tir par les créneaux du balcon D était ou parabolique, ou
 
[Illustration: Fig. 57.]
 
suivant un angle de 30 et de 60 degrés. Il en était de même du tir des arba-létriers, postés sur le chemin de ronde B. Puis, par les mâchicoulis on
obtenait un tir très-plongeant et la chute verticale des projectiles, qui,
ricochant sur le talus, prenaient les assaillants en écharpe. Ainsi, dans
un rayon de 150 à 200 mètres, les défenseurs pouvaient couvrir le
terrain d'une quantité innombrable de carreaux, de viretons et de
pierres. Le sommet de la guette dépasse de plusieurs mètres le sommet
du comble de la tour, et son escalier à vis possède un noyau à jour de
manière à permettre au guetteur de se faire entendre des gens postés
dans le chemin de ronde, comme s'il parlait à travers un tube ou
porte-voix.
 
En G, est tracée la coupe sur le milieu des côtés de l'hexagone intérieur,
c'est-à-dire suivant l'axe des fenêtres.
 
C'est là un des derniers ouvrages qui précèdent de peu l'emploi régulier
des bouches à feu, puisque le château de Pierrefonds était terminé
en 1407; aussi ces belles tours, élevées suivant l'ancien système
défensif perfectionné, sont-elles très-promptement renforcées d'ouvrages
de terre avancés propres à recevoir des bouches à feu. À Pierrefonds
comme autour des autres places fortes, au commencement du
XV<sup>e</sup> siècle, on retrouve des traces importantes et nombreuses de ces
défenses avancées faites au moment où les assiégeants traînent avec eux
du canon. La plate-forme qui précède ces tours vers le plateau est
disposée pour pouvoir mettre en batterie des bombardes ou coulevrines.
 
La célèbre tour de Montlhéry, sur l'ancienne route de Paris à Orléans,
est à la fois réduit du donjon et guette. Ce qu'on désigne aujourd'hui
sous le nom de <i>château de Montlhéry</i> n'est, à proprement parler,
que le donjon, situé au point culminant de la motte. Le château consistait en plusieurs enceintes disposées en terrasses les unes au-dessus
des autres, et renfermant des bâtiments dont on découvre à peine aujourd'hui les traces. Chacune de ces terrasses avait plus de cent pieds
de longueur, et c'était après les avoir successivement franchies qu'on
arrivait au donjon ayant la forme d'un pentagone allongé (fig. 58).
Lorsqu'on avait gravi les terrasses, on se trouvait devant l'entrée A
du donjon, dont la construction appartient à la première moitié du
XIII<sup>e</sup> siècle.
 
Du château où résida Louis le Jeune en 1144, il reste peut-être des
substructions, mais toutes les portions encore visibles du donjon, et
notamment la tour principale, réduit et guette, ne remontent pas au
delà de 1220, bien qu'elle passe généralement pour avoir été construite
par Thibaut, forestier du roi Robert, au commencement du XI<sup>e</sup> siècle.
 
Cette tour B, plus grosse et plus haute que les quatre autres qui
flanquent le donjon, a 9^m,85 de diamètre au-dessus du talus (30 pieds);
le niveau de sa plate-forme était à 35 mètres environ au-dessus du
seuil de la porte du donjon. Son plan présente des particularités curieuses.
Une poterne relevée, fermée par une herse, donne sur les dehors
 
[Illustration: Fig. 58.]
 
indépendamment de la porte qui s'ouvre sur la cour. Deux étages
étaient voûtés, trois autres supérieurs fermés par des planchers. Une
ceinture de corbeaux, comme ceux du donjon de Coucy, recevait des
hours à double étage; une porte s'ouvrait aussi sur le chemin de ronde
de la courtine C. Cette entrée passait à travers la cage d'un escalier à
vis qui, inscrit dans une tourelle cylindrique, partait du niveau de ce
chemin de ronde pour arriver à tous les étages supérieurs. Du rez-de-chaussée
on montait au premier étage par un degré pris dans
l'épaisseur du mur du côté intérieur. En D, il existait un bâtiment
d'habitation assez vaste, dont on aperçoit aujourd'hui seulement les
fondations. On sait quel rôle important joua le château de Montlhéry
pendant le moyen âge.
 
Cette valeur tenait plus encore à sa position stratégique qu'à la puissance
de ses ouvrages; et la grosse tour B du donjon était bien plus un
point d'observation qu'une défense. Il est évident que pour la garnison de Montlhéry, l'essentiel était d'être prévenue à temps, car alors il
devenait impossible à des assaillants d'aborder la motte élevée sur
laquelle s'étageaient les défènses; quelques hommes suffisaient à déjouer
un coup de main.
 
==== Tour de guet (<i>guettes)</i> ====
Les châteaux, les donjons, avaient leur
guette mais aussi les villes. Dans l'état présent de l'Europe, on ne
saurait comprendre l'importance de ces observatoires élevés sur les
points dominants des châteaux et des villes.
 
Si nous avons encore conservé les voleurs qui cherchent à s'introduire la nuit dans les habitations des cités et des campagnes, du moins
cette corporation n'exécute-t-elle ses projets qu'en se cachant du mieux
qu'elle peut. Mais il n'en était pas ainsi depuis l'empire romain jusqu'au
XVII<sup>e</sup> siècle. Pendant l'administration des derniers empereurs, les <i>villæ</i>
et même les bourgades n'étaient pas toujours à l'abri des expéditions
de bandes d'aventuriers qui, en plein jour, rançonnaient les particuliers
et les petites communes, ainsi que nous voyons encore la chose se
faire parfois en Italie, en Sicile et sur une partie du territoire de l'Asie.
Le brigandage (pour nous servir d'un mot qui ne date que du XV<sup>e</sup> siècle)
existait à l'état permanent sous l'administration romaine, aux portes
mêmes de la capitale de l'empire, et il n'est pas équitable de faire remonter
cette institution au moyen âge seulement; elle appartient un
peu à tous les temps, et aux sociétés particulièrement qui inclinent
vers la dissolution. Le moyen âge féodal ne pratiqua pas le brigandage
et ne l'éleva pas à la hauteur d'une institution, ainsi que plusieurs
feignent de le croire pour arriver à nous démontrer que l'histoire de la
civilisation ne date que du XVI<sup>e</sup> siècle.
 
La féodalité entreprit au contraire de détruire le brigandage qui,
après la chute de l'empire romain, était passé dans les mœurs et s'étendait à l'aise sur toute l'Europe occidentale. La féodalité fut une véritable gendarmerie, une magistrature armée, et malgré tous les abus
qui entourent son règne, elle eut au moins cet avantage de relever les
populations de l'affaissement où elles étaient tombées à la fin de l'empire
et sous les Mérovingiens. Ces premiers possesseurs terriens, ces
leudes, surent grouper autour de leurs domaines les habitants effarés
des campagnes, et si des colons romains ils ne firent pas du jour au lendemain des citoyens (tâche impossible, puisque à peine les temps modernes ont pu la remplir), du moins leur enseignèrent-ils par l'exemple
à se défendre et à se réunir au besoin, à l'ombre du donjon, contre un
ennemi commun. Que des châtelains aient été des voleurs de grands
chemins, le fait a pu se présenter, surtout au déclin de la féodalité;
mais il serait aussi injuste de rendre l'institution féodale responsable
de ces crimes qu'il serait insensé de condamner les institutions de
crédit, parce qu'il se rencontre parfois des banqueroutiers parmi les
financiers. Les <i>Assises de Jérusalem</i>, ce code élaboré par la féodalité
taillant en plein drap, est, pour l'état de la société d'alors, un recueil
d'ordonnances fort sages, et qui indique une très-exacte appréciation
des conditions d'ordre social; et les barons, guerriers et légistes qui
ont rédigé ce code, eussent été fort surpris si on leur eût dit qu'un
siècle comme le nôtre, qui se prétend éclairé sur toutes choses, les
considérerait comme des détrousseurs de pèlerins; des soudards, pillards sans vergogne.
 
La guette, ou la tour de guet, est le signe visible du système de police
armée établi par la féodalité. La tour de guet du château n'a pas seulement
pour objet de prévenir la garnison d'une approche suspecte,
mais bien plus d'avertir les gens du bourg ou du village de se défier
d'une surprise et de se prémunir contre une attaque possible. Il n'était
pas rare de voir une troupe de partisans profiter de l'heure où les gens
étaient aux champs pour s'emparer d'une bourgade et la mettre à rançon.
À la première alarme, le châtelain et ses hommes avaient bientôt fait
de relever le pont et de se mettre à l'abri des insultes; mais ces garnisons, très-faibles en temps ordinaire, n'eussent pas pu déloger des
troupes d'aventuriers et empêcher le pillage du bourg; il fallait avoir
le temps de rassembler les paysans dispersés dans la campagne: c'est
à cette fin que les tours de guet étaient élevées. Aux premiers sons
du cor, aux premiers tintements du beffroi, les populations rurales se
groupaient sous les murs du château et organisaient la défense, appuyées sur la garnison de la forteresse. Les villes possédaient, par le
même motif, des tours de guet sur les points qui découvraient la campagne au loin. Ces tours de guet établies le long des remparts devinrent,
vers le XIV<sup>e</sup> siècle, le beffroi de la ville; outre les guetteurs, elles renfermaient des cloches dont les tintements appelaient les habitants aux
points de leurs quartiers désignés d'avance, d'où les quarteniers les
dirigeaient d'après les instructions qui leur étaient transmises par les
chefs militaires.
 
Dans les châteaux, les tours de guet ne servaient pas seulement à
prévenir les dangers d'une surprise; les guetteurs, qui veillaient nuit et
jour à leur sommet, avertissaient les gens du château de la rentrée du
maître, de l'heure des repas, du lever et du coucher du soleil, des feux
qui s'allumaient dans la campagne, de l'arrivée des visiteurs, des messagers,
des convois. La guette était ainsi la voix du château, son avertisseur;
aussi les fonctions de guetteur n'étaient-elles confiées qu'à
des hommes éprouvés et étaient-elles largement rétribuées, car le
métier était pénible.
 
Souvent les tours de guet ne sont que des guettes, c'est-à-dire des
tourelles accolées à une tour principale et dépassant en hauteur ses
couronnements<span id="note75"></span>[[#footnote75|<sup>75</sup>]]. Mais aussi existe-t-il de véritables tours de guet, c'est-à-dire uniquement destinées à cet usage.
 
La cité de Carcassonne en possède une très-élevée d'une époque ancienne (fin du XI<sup>e</sup> siècle), entièrement conservée. Cette tour dépend du
château, domine toute la cité et le cours de l'Aude; elle est bâtie sur
plan rectangulaire<span id="note76"></span>[[#footnote76|<sup>76</sup>]] et ne contenait qu'un escalier de bois avec paliers.
Son sommet pouvait être garni de hourds<span id="note77"></span>[[#footnote77|<sup>77</sup>]].
 
L'angle sud-ouest des murs romains de la ville d'Autun, point culminant
de l'enceinte, possède une tour de guet du XII<sup>e</sup> siècle, dont nous
donnons (fig. 59) la vue prise au dehors des murs. Cette tour contenait
plusieurs chambres les unes au-dessus des autres et un escalier
de bois. Les fenêtres jumelles de la chambre supérieure s'ouvrent du
côté de la ville. La corniche de couronnement formait parapet, et le
chéneau du comble en charpente, chemin de ronde. Les eaux de ce
comble plat, posé en contre-bas du couronnement, s'écoulaient par des
gargouilles<span id="note78"></span>[[#footnote78|<sup>78</sup>]].
 
La tour de Nesle, à Paris, qui commandait, sur la rive gauche, le
cours de la Seine à sa sortie de la ville, était plutôt une tour de guet
qu'un ouvrage propre à la défense. Elle était mise en communication
par une estacade avec la tour de la rive droite (dite <i>tour qui fait le
coin</i>), qui, en amont du Louvre, terminait l'enceinte de la ville. Un fanal
était suspendu à ses créneaux pour indiquer aux bateliers l'entrée de
l'estacadé qui barrait une partie notable du fleuve. De sa plate-forme
on découvrait les enceintes de l'ouest (rive gauche), le faubourg Saint-Germain, le Pré aux Clercs, le Louvre et la Cité.
 
La tour de Nesle, bâtie sous le règne de Philippe-Auguste, en même
temps que l'enceinte de Paris, c'est-à-dire vers 1200, est désignée dans
un acte de 1210: <i>Tornella Philippi Hamelini supra Sequanam</i><span id="note79"></span>[[#footnote79|<sup>79</sup>]]. Ce n'est
qu'un siècle plus tard qu'elle est connue sous le nom de <i>tour de Nesle</i>
ou <i>de Nelle</i>. Elle était plantée à la place qu'occupe le pavillon oriental
du palais de l'Institut. Sur le quai, près d'elle, s'ouvrait la porte de la
ville dite porte de Nesle (voyez le plan, fig. 60), et en A s'étendait l'hôtel
de même nom. La tour de Nesle D avait, hors œuvre, cinq toises de
diamètre, possédait deux étages voûtés et deux étages plafonnés, avec
une plate-forme à laquelle arrivait l'escalier à vis E, apres avoir desservi
tous les étages. Cet escalier dépassait de beaucoup le niveau de la
plate-forme (qui peut-être était primitivement couverte par un comble
conique) et servait de guette.
 
[Illustration: Fig. 59.]
 
La vue perspective de cette tour (fig. 61), prise en dehors de la porte
 
[Illustration: Fig. 60.]
 
de Nesle<span id="note80"></span>[[#footnote80|<sup>80</sup>]], en fait comprendre la valeur comme poste d'observation sur
le fleuve. De là des signaux pouvaient être transmis au Louvre , et <i>vice
versa</i>, sur tout le front occidental des remparts de la rive gauche<span id="note81"></span>[[#footnote81|<sup>81</sup>]] et au
palais de la Cité. En amont de Paris, deux autres tours à peu près semblables à celle-ci barraient la rivière: l'une, dite <i>tour Barbeau</i>, formait
tête du rempart sur la rive droite; l'autre, dite <i>la Tournelle</i>, avait la
même destination sur la rive gauche. Ces deux ouvrages, qui se trouvaient au droit du milieu de l'île Saint-Louis, se reliaient avec deux autres
tours élevées sur les berges de cette île, coupée alors par un fossé que
remplissait la Seine<span id="note82"></span>[[#footnote82|<sup>82</sup>]].
 
La tour de Villeneuve-lez-Avignon, bâtie sur la rive droite du Rhône,
au débouché du pont de Saint-Bénezet, par Philippe le Bel, en 1307,
est une tour d'observation en même temps qu'un donjon propre à la
défense. Elle se reliait à un vaste système de fortifications qui défendait
de ce côté le territoire français contre les empiétements de la Provence<span id="note83"></span>[[#footnote83|<sup>83</sup>]],
et qui, plus tard, contribua à enlever aux papes d'Avignon tous
droits de seigneurie sur le cours du Rhône.
 
Cette tour, bâtie sur plan quadrilatère losangé, possède plusieurs
salles voûtées et une guette carrée au sommet, avec tourelle propre
encore à recevoir un guetteur. C'est un ouvrage admirablement construit,
 
[Illustration: Fig. 61.]
 
avec plate-forme, crénelage armé de mâchicoulis, et échauguettes
aux angles. Ce genre de défenses nous amène à parler des tours considérées
comme postes isolés, sortes de blockaus permanents.
 
==== Tours-postes isolées. Tours défenses de passages, de ponts. ====
Le cours de nos fleuves, les passages des montagnes, certaines lignes de défense
d'un territoire, laissent encore voir des traces de tours, carrées habituellement,
qui servaient à assurer le péage sur les cours d'eau, à réprimer
le brigandage, arrêter les invasions, les surprises de voisins
trop puissants ou turbulents. Ces tours, que l'on trouve encore en grand
nombre dans les passages des Pyrénées, le long de la haute Loire, du
Rhône, de la Saône, de l'Aveyron et du Tarn, du Doubs et de l'Isère,
sur les frontières du Morvan, dans les Vosges, sont plantées sur des
points élevés et peuvent correspondre au moyen de signaux. L'assiette
choisie est habituellement un promontoire escarpé ne se reliant aux
hauteurs voisines que par une langue de terre, de manière à n'être
accessible que vers un point. Cette chaussée naturelle est parfois coupée
par un fossé ou défendue par un rempart qui sert de chemise à la tour.
On ne peut pénétrer dans l'intérieur de celle-ci que par une porte relevée
au-dessus du sol et par une échelle ou par un pont volant jeté sur
le chemin de ronde de la chemise. Un exemple type fera comprendre
cette disposition adoptée fréquemment dans les passages des Pyrénées
(fig. 62). Devant la porte de la chemise était placée une barrière de
bois. Un mâchicoulis défendait cette première porte. Pour pénétrer
dans la tour-poste, on montait un degré qui aboutissait au chemin de
ronde de la chemise. Ce chemin se présentait latéralement à la face
de la tour dans laquelle était percée la porte. Un pont mobile qui
s'abattait d'un encorbellement sur le chemin de ronde de la chemise
au moyen d'un treuil placé dans le mâchicoulis-échauguette, permettait
de pénétrer dans ce réduit contenant plusieurs étages et une plate-forme
supérieure destinée à la défense et aux signaux. Ces postes sont souvent
munis de cheminées et même d'un four et d'un puits allant chercher
une source, ou d'une citerne creusée dans le roc et recueillant les eaux
de pluie de la plate-forme et du plateau.
 
Les chevaliers du Temple possédaient beaucoup de ces postes établis,
sur une grande échelle, en Syrie. «Les diverses places de guerre possédées
au moyen âge par les chrétiens, en terre sainte, étaient reliées
entre elles par de petits postes ou tours élevés d'après un plan uniforme:
un grand nombre subsistent encore aujourd'hui, savoir:
Bord-ez-Zara, Bordj-Maksour, Om-el-Maasch, Aïn-el-Arab, Miar,
Toklé, etc.<span id="note84"></span>[[#footnote84|<sup>84</sup>]].»
 
Ces tours-postes bâties par les chevaliers du Temple, en Syrie et en
Occident, sont sur plan barlong. M. G. Rey, auquel nous empruntons
les renseignements concernant celles de la Syrie, donne les plans et
 
[Illustration: Fig. 62.]
 
la coupe d'une de ces tours, celle de Toklé, que nous reproduisons ici
d'après lui (fig. 63). On pénètre dans la salle basse par une porte A. Au
centre de cette salle est creusée une citerne. Pour aller chercher la
porte qui donne dans les escaliers droits montant aux étages supérieurs,
il fallait atteindre le niveau du plancher B au moyen d'une échelle.
Une voûte en berceau forme le premier étage, et une voûte d'arête,
sans arêtiers, supporte la plate-forme supérieure; un second plancher
divise ce second étage en deux pour réserver, sous la plate-forme, un
magasin à provisions. Un mâchicoulis commande la porte. Le rez-de-chaussée
pouvait servir d'écurie pour quelques chevaux.
 
[Illustration: Fig. 63.]
 
Il est intéressant de retrouver à Paris une tour bâtie par les chevaliers
du Temple, et qui présente une disposition analogue à celles que l'on
rencontre en Syrie dans les postes de cet ordre militaire. Cette défense,
placée en face du Collège de France actuel,était connue sous le nom de
<i>tour Bichat</i>, parce que le célèbre professeur y fit longtemps ses cours<span id="note85"></span>[[#footnote85|<sup>85</sup>]]
 
Elle dépendait de la commanderie de Saint-Jean de Jérusalem, qui plus
tard, au XVI<sup>e</sup> siècle, prit le nom de Saint-Jean de Latran. «L'entrée
principale de la commanderie s'ouvrait, dit M. le baron de Guilhermy<span id="note86"></span>[[#footnote86|<sup>86</sup>]],
en face du Collége de France. Les bâtiments les plus notables
de l'enclos étaient la grange aux dîmes,le logis du commandeur, la
tour, l'église et le cloître... Nous pensons que cette tour était
le donjon de la commanderie, le dépôt des titres, des armes, des objets
précieux, le lieu de réunion des chevaliers, le signe de la suzeraineté
du commandeur sur les fiefs qui relevaient de Saint-Jean....»
 
La tour de la commanderie de Saint-Jean de Jérusalem, bâtie sur plan
barlong, se rattachait au logis du commandeur par un de ses angles;
par l'autre elle se reliait à la courtine. Cette commanderie ayant été
transformée à plusieurs reprises, il devenait difficile de reconnaitre
exactement quelle était la position de la tour par rapport aux bâtiments
de la même époque. Cependant le plan de Gomboust la montre comme
faisant face sur les dehors du côté de l'occident, et en effet ses défenses
principales se présentaient de ce côté. Du reste, les relevés sur place
nous en apprendront plus que ne pourraient le faire les documents
fournis par les plans anciens de Paris. Voici donc (fig. 64), en A, le
plan de la tour à rez-de-chaussée. Ce rez-de-chaussée consistait en une
salle voûtée en deux travées d'arcs ogives, avec une poterne basse <i>a</i> qui
donnait autrefois sur les fossés extérieurs; une porte <i>b</i> s'ouvrait également
sur l'escalier qui permettait d'atteindre le niveau <i>h</i> du sol de la
cour en passant sur un pont mobile <i>g</i>, car le fossé intérieur <i>f</i> se prolongeait
par un redan jusqu'à cet escalier. D était donc le fossé de
clôture de la commanderie; <i>f</i>, le fossé spécial à la tour. La salle basse
n'avait aucune commumcation avec les étages supérieurs. Pour arriver au premier étage B, il fallait monter par l'escalier C accolé à la courtine
occidentale. Ce premier étage ne communiquait pas avec le logis
du commandeur situé en H; il fallait reprendre l'escalier C pour
atteindre le niveau du deuxième élage E. De cette salle on pouvait
entrer dans le bâtiment du commandeur par la porte <i>e</i>, percée dans
 
[Illustration: Fig. 64.]
 
un pan coupé. C'était encore par l'escalier C que l'on montait à la
 
[Illustration: Fig. 65.]
 
plate-forme G, qui était couverte par un comble en pavillon. Cet escalier
C était de bois, enfermé dans une cage dont les murs de pierre
étaient minces. Du logis du commandeur, à mi-étage du premier, on
 
[Illustration: Fig. 66.]
 
communiquait par une galerie crénelée I (voyez le plan K), avec le
chemin de ronde O de la courtine. Une coupe longitudinale faite sur <i>mn</i>
expliquera plus clairement ces dispositions (voyez fig. 65). A est le fond
du fossé, dont la contrescarpe ne paraît pas avoir dépassé le niveau B.
En C, on retrouve la porte qui donne entrée dans la cage de l'escalier.
En D, des meurtrières sont percées au fond de trois niches ouvertes dans
la salle du premier étage. En E, est le passage crénelé communiquant, à
mi-étage, du logis du commandeur à la courtine de l'ouest. La salle
basse n'était éclairée que par des soupiraux; quant aux deux salles
voûtées au-dessus, des fenêtres assez nombreuses y laissaient pénétrer
la lumière. Les créneaux supérieurs étaient fermés par des volets de
bois entrant en feuillure. La figure 66 présente la coupe en travers de la
salle du premier étage du côté de la défense. On aperçoit les trois
niches pratiquées au fond de la salle. Devant celle du milieu, est plantée
une colonne double qui porte les deux arcs de décharge sur lesquels
repose le mur supérieur (voyez le plan B et la coupe longitudinale).
Car on observera que pour donner plus de solidité à la construction et
porter ses pressions vers l'intérieur, les murs se retraitent intérieurement
sur les formerets des voûtes. De l'extérieur de la commanderie,
la tour avait un aspect sévère. Nous en donnons la vue (fig. 67), avec la
courtine, la cage de l'escalier et l'amorce du logis du commandeur.
 
Cette construction, de petit appareil, était bien traitée et n'avait subi
 
[Illustration: Fig. 67.]
 
d'autres altérations que celles causées par le voisinage de constructions
modernes accolées à ses flancs. Les voûtes des salles étaient en bon état,
et la restauration de ce curieux spécimen d'une tour de commanderie
n'eût été ni difficile ni dispendieuse.
 
La tour du Temple, à Paris, datait de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle et avait été
achevée en 1306, peu avant la dissolution de l'ordre<span id="note87"></span>[[#footnote87|<sup>87</sup>]]. Cette tour était
sur plan carré, avec quatre tourelles aux angles, montant de fond. Elle
servait de trésor, de dépôts de titres et de prison, comme la plupart de
ces donjons appartenant aux établissements des chevaliers du Temple.
Cet édifice fut détruit en 1805.
 
Nous possédons encore à Paris un de ces ouvrages servant de retrait,
de trésor, de lieu de sûreté, dans les hôtels que les princes possédaient
au milieu des villes: c'est la tour que l'on voit encore dans la rue du
Petit-Lion, et qui dépendait de l'hôtel des ducs de Bourgogne.
«L'édifice,
dit notre savant ami M. le baron de Guilhermy<span id="note88"></span>[[#footnote88|<sup>88</sup>]], est solidement
construit en pierres de taille soigneusement appareillées; il est percé
de baies en tiers-point et couronné de mâchicoulis. Un large escalier à
vis monte à l'étage supérieur, comprenant une belle salle voûtée en arcs
ogives. Les fenêtres qui éclairent l'escalier sont rectangulaires et décorées
de moulures. Les degrés tournent autour d'une colonne qui se
termine par un chapiteau très-simple; mais ce chapiteau sert de support
à une caisse cylindrique d'où s'élancent des tiges vigoureuses figurant
des branches de chêne dont les entrelacs forment les nervures de
quatre voûtes d'arête et dont le feuillage se détache en saillie sur les
remplissages de la maçonnerie.» Une chambre secrète est disposée au
sommet de la tour, et pouvait être isolée des passages au moyen d'une
bascule.
 
La tour a été bâtie par le duc Jean-sans-Peur, dans les premières
années du XV<sup>e</sup> siècle. Ce prince habitait cet hôtel lorsqu'il fit assassiner
Louis d'Orléans dans la rue Barbette. L'hôtel de Jacques Cœur, à
Bourges, possédait aussi sa tour, réduit et trésor, dont la pièce principale,
au niveau du premier étage, était fermée par une porte de fer<span id="note89"></span>[[#footnote89|<sup>89</sup>]].
 
Nous ne saurions passer sous silence les tours-portes. Souvent des
portes secondaires, ou même des poternes étaient percées à travers des
tours, au lieu d'être flanquées par elles. Cette disposition n'apparaît
guère qu'à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, et est-elle assez rare. C'est encore
dans la cité de Carcassonne que nous trouverons un des exemples les
plus remarquables de ces sortes d'ouvrages. Sur le front sud de la
seconde enceinte s'élève une haute tour carrée avec quatre échauguettes
montant de fond, qui, à l'extérieur, ne laisse voir aucune issue, mais
sur l'un de ses flancs (celui de l'est) s'ouvre une porte ou plutôt une
large poterne dont le seuil est posé à 2 mètres au-dessus du sol
extérieur.
 
[Illustration: Fig. 68.]
 
La figure 68 présente le plan de cette tour au niveau du rez-de-chaussée.
Pour atteindre le seuil A, il fallait disposer en dehors une
échelle ou un plan incliné de bois. Cette première entrée est défendue
par un mâchicoulis <i>a</i>, une herse <i>b</i> et des vantaux <i>c</i>. On pénètre alors
sous la voûte percée d'un œil carré au centre; puis il faut se détourner à
droite, et l'on se trouve en face d'une seconde porte également défendue
par un mâchicoulis <i>d</i>, une herse <i>f</i>, et des vantaux <i>g</i>. Cette seconde
porte franchie, on est dans la cité<span id="note90"></span>[[#footnote90|<sup>90</sup>]]. Lès courtines de l'enceinte sont en
B et en C. Les deux portes <i>h</i> et <i>i</i> donnent dans un couloir qui communique
à l'escalier à vis montant à la guérite <i>l</i> et aux étages supérieurs.
Le premier étage (fig. 69) montre en <i>o</i> le mâchicoulis extérieur, qui est
servi par-dessus la herse <i>p</i>, lorsque celle-ci est baissée; le second mâchicoulis
<i>q</i> et la seconde herse <i>r</i>, servie par le passage <i>t</i>. La salle du
premier étage contient une cheminée <i>k</i> avec four, trois armoires <i>s</i>, et
un puits <i>v</i>, qui possède aussi une ouverture sur les lices. Deux fenêtres
<i>f</i> éclairent la pièce. L'escalier à vis monte, au-dessus de cette salle, sur
un premier crénelage entourant une seconde salle voûtée en berceau,
couronnée par une plate-forme propre à recevoir un engin à longue
portée.
 
La figure 70 donne l'aspect de la tour du côté de la ville.
 
[Illustration: Fig. 69.]
 
On observera que cette tour interrompt le chemin de ronde des
courtines sur lesquelles, d'ailleurs, elle prend un commandement considérable.
Un large degré à rampe droite, posé sur des arcs (voyez en E,
fig. 68), atteint le niveau d'un des chemins de ronde et débouche en
face d'une porte s'ouvrant sur l'escalier à vis. La pente du sol intérieur
s'inclinant vers l'entrée, une gargouille est percée en G, à 2 mètres environ
au-dessus du sol des lices, et pouvait, au besoin, servir de porte-voix
pour des patrouilles rentrantes. Cet ouvrage, qui appartient aux
défenses ajoutées à la cité de Carcassonne par Philippe le Hardi, est
construit comme la tour de l'Évêché, en assises de grès dur, à bossages,
et appareillé avec soin. Il domine la barbacane de l'enceinte extérieure
et tous les alentours, car il se trouve planté sur le point le plus élevé du
plateau. Sa masse sert de masque à l'église de Saint-Nazaire, distante
seulement de 25 mètres. Sa plate-forme est couverte de dalles, et une
guette H (voyez fig. 70) la surmonte, afin de permettre au maître <i>enginéor</i>
de commander la manœuvre du grand engin mis en batterie sur
cette plate-forme<span id="note91"></span>[[#footnote91|<sup>91</sup>]].
 
Du dehors, la tour de la poterne Saint-Nazaire présente un aspect
plus imposant encore, car le sol des lices est à 3 mètres en contre-bas
du seuil de la seconde porte. La figure 71 montre ces dehors du côté
de la poterne, les hourds étant supposés mis en place pour la défense.
 
[Illustration: Fig. 70.]
 
Ces hourds ne sont posés que sur les trois faces de la tour, devant le
crénelage du chemin de ronde, laissant les échauguettes libres et leurs
 
[Illustration: Fig. 71.]
 
meurtrières; de sorte que ces échauguettes flanquent les hourds et sont
 
 
 
 
 
 
 
 
Ligne 1 557 ⟶ 2 725 :
<span id="footnote55">[[#note55|55]] : <i>Plans et profils des principales villes et lieux considérables de la principauté de
Catalogne</i>. Paris, 168...
 
<span id="footnote56">[[#note56|56]] : <i>Monogr. du château de Salces</i>.
 
<span id="footnote55">[[#note55|55]] : Voyez <sc>Architecture militaire</sc>, fig. 11. C'est la tour marquée O sur le plan.
 
<span id="footnote58">[[#note58|58]] : Tour de la Peyre, fig. 13, 14, 15, 16 et 17.
 
<span id="footnote59">[[#note59|59]] : Cet ouvrage dépend de l'enceinte bâtie sous le règne de saint Louis.
 
<span id="footnote60">[[#note60|60]] : La tour du Trésau est marquée M sur ce plan. (Voyez aussi l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Porte |Porte ]], fig. 18.)
 
<span id="footnote61">[[#note61|61]] : Ce château, qui dépendait du Valois, fut rebâti en partie par Louis d'Orléans, quand
ce prince fortifia son duché pendant la maladie de Charles VI. Le château de Montépilloy,
situé sur une hauteur, commandant la route de Senlis à Crespy, servit de point d'appui
aux armées des partis qui manœuvrèrent dans cette contrée pendant les guerres du
XV<sup>e</sup> et du XVI<sup>e</sup> siècle. Il fut démantelé après l'entrée de Henri IV à Paris.
 
<span id="footnote62">[[#note62|62]] : Plus tard Louis d'Orléans fit détruire une partie de cette chemise, et bâtir une courtine en F, laquelle enfermait les nouveaux ouvrages.
 
<span id="footnote63">[[#note63|63]] : Pour plus de clarté, nous n'avons pas présenté la passerelle avec ses piles en coupe, mais en élévation latérale.
 
<span id="footnote64">[[#note64|64]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 Mâchicoulis|Mâchicoulis]], fig. 6 et 7.
 
<span id="footnote65">[[#note65|65]] : Beaucoup de ces tours étaient couronnées de pinacles isolés les uns des autres.
 
<span id="footnote66">[[#note66|66]] : Voyez le plan du palais archiépiscopal de Narbonne à l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Palais |Palais ]], fig. 11, 12 et 13.
 
<span id="footnote67">[[#note67|67]] : Voyez la <i>Guyenne militaire</i>, par M. Léo Drouyun, t. II, p. 158 et suiv.
 
<span id="footnote68">[[#note68|68]] : Voyez la <i>Guyenne militaire</i>, t. II, p. 162. M. Léo Drouyn donne, sur cette petite
place, de curieux détails auxquels nous engageons nos lecteurs à recourir.
 
<span id="footnote69">[[#note69|69]] : Voyez la <i>Guyenne militaire</i>, pl. 132.
 
<span id="footnote70">[[#note70|70]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]], fig. 7.
 
<span id="footnote71">[[#note71|71]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Château|Château]], fig. 24, et <sc>Donjon</sc>, fig. 41, 42, 43 et 44.
 
<span id="footnote72">[[#note72|72]] : Ces deux tours avaient été renversées par la mine. Leurs fragments, en quartiers
énormes, gisaient sur le sol; c'est à l'aide de ces débris que ces ouvrages ont été restaurés.
Les hauteurs d'étages étaient d'ailleurs indiquées par les amorces sur les bâtiments
voisins conservés.
 
<span id="footnote73">[[#note73|73]] : Chacune des huit tours du château de Pierrefonds portait le nom du preux dont
la statue est placée sur le parement extérieur. La statue de Charlemagne remplissait la
niche pratiquée au sommet du cylindre de la tour d'angle du donjon. (Voyez la <i>Notice sur
le château impérial de Pierrefonds</i>, 4<sup>e</sup> édition.)
 
<span id="footnote74">[[#note74|74]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]], fig. 41, 42 et 43.
 
<span id="footnote75">[[#note75|75]] : Voyez l'article <sc>Construction</sc>, fig. 154; voyez aussi l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Échauguette|Échauguette]]. Les deux
tours extérieures du donjou de Pierrefonds possèdent chacune une guette (voyez la figure
précédente).
 
<span id="footnote76">[[#note76|76]] : Une légende prétend qu'elle salua Charlemagne à son passage à Carcassonne; mais
Charlemagne est-il jamais passé à Carcassonne? puis la tour n'est que du XI<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote77">[[#note77|77]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], le plan du château de Carcassonne, fig. 12 (la tour
de guet est en S), et figure 13, la vue perspective de ce château. Voyez aussi les
<i>Archives des monuments historiques</i>, Gide éditeur.
 
<span id="footnote78">[[#note78|78]] : Cette tour est dite aujourd'hui, <i>tour de François I<sup>er</sup></i>.
 
<span id="footnote79">[[#note79|79]] : Voyez <i>Dissert. archéol. sur les anciennes enceintes de Paris</i>, par Bonnardot Parisien,
1852. Voyez les plans de Gomboust, de de Fer, de Mérian, la tapisserie de l'hôtel de
ville, les gravures de Callot, d'Israël Sylvestre, les plans déposés aux Archives de l'empire,
les dessins et gravures de della Bella, les dessins de Le Vau (Archiv. de l'empire).
Cette tour ne fut démolie qu'au moment où l'on commença le palais des <i>Quatre Nations</i>
(l'Institut actuel), vers 1660.
 
<span id="footnote80">[[#note80|80]] : D'après les documeuts cités plus haut.
 
<span id="footnote81">[[#note81|81]] : Ces remparts suivaient la direction de la rue Mazarine actuelle, qui, bâtie hors de
la ville, dès le XV<sup>e</sup> siècle, s'appelait la rue des <i>Fossés de Nesle</i>, parce qu'elle s'élevait sur
la contrescarpe de ces fossés.
 
<span id="footnote82">[[#note82|82]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], fig. 78.
 
<span id="footnote83">[[#note83|83]] : Voyez, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7, Pont |Pont ]], l'historique de la construction de cette tour et la figure 2.
 
<span id="footnote84">[[#note84|84]] : Voyez <i>Essai sur la domination française en Syrie durant le moyen âge</i>, par E. G. Rey, 1866.
 
<span id="footnote85">[[#note85|85]] : Il eût été facile de conserver ce précieux monument qui ne gênait pas sérieusement
le tracé des voies nouvelles sur ce point de Paris. C'était un très-curieux exemple
des travaux dus aux Templiers vers la fin du XII<sup>e</sup> siècle.
 
Malgré des réclamations appuyées pur les personnages les plus autorisés, la démolition de la tour Bichat fut décidée hâtivement, et c'est à peine si nous eûmes le temps de
mesurer cet édifice. Quelques chapiteaux provenant de cette démolition ont été transportés
au musée de Cluny; mais ce n'était pas par sa sculpture, bien qu'elle soit belle,
que cet édifice intéressait l'historien.
 
<span id="footnote86">[[#note86|86]] : Voyez l'excellent <i>Itinéraire archéologique de Paris</i> du savant auteur de tant de travaux
précieux sur nos antiquités nationales. M. de Guilhermy déplorait, en 1855, comme
tous ceux qui ont quelque souci de nos monuments historiques, la destruction de la tour
Bichat. «La ville de Paris, disait-il, qui a fait de si généreux sacrifices pour sauver la
tour Saint-Jacques la Boucherie, s'est au contraire montrée insouciante envers celle
de Latran, ct cependant, si la première est en jouissance d'une plus grande renommée,
l'autre appartenait à une meilleure époque de l'art et se rattachait à une famille d'édifices
d'un caractère plus intéressant....» Nous ajouterions que la tour de Latran
était l'unique monument de ce genre en France.
 
<span id="footnote87">[[#note87|87]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Temple |Temple ]].
 
<span id="footnote88">[[#note88|88]] : <i>Itinéraire archéologique de Paris</i>, p. 299.
 
<span id="footnote89">[[#note89|89]] : Voyez, à l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Maison|Maison]], le plan, fig. 34.
 
<span id="footnote90">[[#note90|90]] : Voyez le plan général de la cité. Celle porte est celle de Saint-Nazaire ([[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture militaire|Architecture Militaire]], fig. 11, en D).
 
<span id="footnote91">[[#note91|91]] : La pierrière est figurée en batterie sur cette plate-forme.