« Sophie-Dorothée, femme de George Ier » : différence entre les versions

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{{journal|Sophie-Dorothée, femme de George Ier <ref> Memoirs of Sophia-Dorothea, consort o f George I, chiefly from the secret archives of Hanover, Brunswick, Berlin and Vienna. London, 2 vol., H. Colburn, 1845. </ref>|[[Auteur:Philarète Chasles|Philarète Chasles]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.11 1845}}
 
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Sophie-Dorothée, femme de George Ier <ref> Memoirs of Sophia-Dorothea, consort of George I, chiefly from the secret archives of Hanover, Brunswick, Berlin and Vienna. London, 2 vol., H. Colburn, 1845. </ref>
 
Le 16 novembre 1726, trois voitures de deuil quittaient la forteresse d’Ahlden, château féodal des ducs de Brunswick. Un écusson voilé d’un crêpe s’abaissait au-dessus de la porte ; le pont-levis retentissait sous le poids du catafalque, et le même blason, composé des armoiries écartelées de la maison d’Olbreuse en Poitou et de la maison princière de Brunswick-Lünebourg, se répétait sur le cercueil et sur les carrosses. Il était difficile de comprendre la solennité de ces funérailles en ce lieu pauvre et isolé. Dans la première voiture, il y avait une femme qui pleurait ; dans la seconde et la troisième, on apercevait quelques figures de cérémonie, physionomies plates de baillis, de surintendans et de dames d’honneur germaniques. Les eaux demi-glacées de l’Aller, éclairées d’un soleil gris et terne, la rue tortueuse du petit village d’Ahlden avec ses cailloux inégaux, la pauvre population étiolée de tisserands chétifs qui apparaissaient
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doit expirer élégamment, fut celui d’une criminelle vulgaire qui se torture dans les remords. Ce qui nous reste à raconter sur cette femme a pour autorité son propre témoignage ; nous ne faisons que copier sa confession, reçue au lit de mort par un ministre protestant épouvanté.
 
Les deux cours de Zelle et d’Osnabrück ne se ressemblaient donc en rien. Le duc était riche dans son petit territoire, et l’évêque pauvre dans sa forteresse. Les mœurs domestiques et la simplicité de l’un étaient comme un reproche permanent et une satire involontaire des tumultueuses splendeurs dans lesquelles le prince-évêque faisait fondre ses domaines et obérait son trésor. Si ce dernier voyait avec quelque dédain les goûts conjugaux et économiques de son frère, il ne se préoccupait pas moins du mariage que l’on pouvait réserver à Sophie-Dorothée, sa nièce, et des entraves qu’un choix peu convenable à ses intérêts apporterait à ses desseins ultérieurs. Son fils George, tout brave qu’il fût et descendant des Stuarts par sa mère, était sans grace, sans habileté, sans esprit, et le prince-évêque devait lui laisser une fortune compromise. Si le mari de Sophie-Dorothée réunissait les qualités contraires, il pouvait devenir un rival dangereux ; aussi les espions de l’évêque lui apportèrent-ils une nouvelle qui le glaça d’effroi, quand ils lui dirent que le fils du prince Antoine Ulrich de Wolfenbüttel, cousin du duc de Zelle, s’était mis sur les rangs, que la duchesse protégeait ses prétentions, et que la jeune fille (elle avait quinze ans alors) semblait elle-même assez favorable à cette union avec son cousin. La réunion des deux familles et des deux domaines devenait redoutable. L’évêque ne savait toutefois comment s’opposer à ce qu’il craignait ; il consulta son ministre Platen et surtout la femme de Platen, devenue le véritable ministre, reine de sa cour, directrice des bals, souveraine des plaisirs de son éminence, et motrice de toutes ses volontés. Celle-ci avait marché à grands pas. De sa sœur Catherine, gracieuse intrigante qui reconnaissait la supériorité de sa sœur aînée et obéissait aux mouvemens qui lui étaient imprimés par Élisabeth, elle avait fait d’abord l’épouse légitime du complaisant précepteur M. Busche, ensuite la favorite du fils aîné de l’évêque. Ce dernier revenait de ses guerres en Morée et en Hongrie, couvert de lauriers, mai élevé, plein de son mérite et rompu aux habitudes soldatesques ; c’était lui que les deux sœurs avaient déjà ''régalé'', comme nous l’avons vu, d’un ballet pastoral et mythologique. Il accepta le titre de protecteur de Mme Busche, et, par cet habile arrangement, le père et le fils se trouvèrent à la fois sous la main des deux soeurssœurs.
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Nous n’avons pas à nous occuper de cet homme sordide, cruel et ridicule qui épousait Sophie-Dorothée. Elle avait appris de sa mère la
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leçon que doivent apprendre la plupart des femmes, la résignation au mariage sans amour, et malgré les torts, les âpretés, les caprices, les maîtresses de son mari, auquel elle donna deux enfans en peu d’années (George, qui devint George II, roi d’Angleterre, et Sophie, qui devint mère de Frédéric-le-Grand), les premières années de son union avec le prince se passèrent convenablement. Elle allait souvent visiter sa mère, soignait ses jeunes enfans, et fondait des asiles de charité, pendant que le mari, qui aimait la poudre à canon, guerroyait contre les troupes catholiques de Louis XIV pour attester sa fidélité protestante. Quant à l’évêque, devenu électeur de Hanovre, et qui avait continué dans le palais électoral l’ancienne orgie d’Osnabrück, il trouvait une fraîcheur inattendue dans le souffle pur et la conversation candide de cette jeune mère ; l’électrice elle-même, vouée à la science, goûtait la conversation de Sophie-Dorothée, qui savait plusieurs langues. Enfin, à vingt ans, la beauté de la princesse, se développant avec éclat, rejeta dans l’ombre les autres femmes de la cour, et particulièrement la maîtresse avouée du prince. Catherine de Meisenberg n’était ni assez coquette pour stimuler des goûts blasés, ni assez forte pour briser une situation fausse ; n’ayant pour se soutenir ni la ruse de sa soeursœur, ni les séductions hautaines de la femme légitime, elle laissa tranquillement le prince se détacher d’elle ; un amour sans estime mourut de sa mort naturelle, qui est l’ennui. Ce n’était pas le compte de la sœur aînée.
 
Mme Platen, plus riche et plus accréditée que jamais, adorée de l’électeur, arbitre unique, crainte de tous, reproduisait dans un pays paisible et protestant ces grandes et terribles figures des courtisanes romaines, qui s’associaient aux papes dans les mauvais temps de la papauté, et que l’on voyait traverser la ville-reine montées sur leurs mules caparaçonnées de pourpre, précédées de vingt hallebardiers, et suivies d’un bourreau. Elle n’avait qu’une douleur : c’était de voir la jeune nièce de l’électeur, Sophie-Dorothée, briller à côté d’elle. La princesse, instruite par sa mère, avait d’abord traité cette singulière puissance avec une réserve polie et des égards mesurés ; il lui fut impossible de se maintenir long-temps sur ce terrain. Les astres rivaux ne pouvaient briller dans le même ciel ; la position respective des deux femmes devint une guerre ouverte et violente. Tous les avantages semblaient être du côté de la jeune mère, de la femme sans tache, de la princesse élégante estimée de tous ; — ce fut la courtisane et la maîtresse avide de l’évêque qui l’emporta.
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Alors la pensée de son cousin se représenta dans son esprit. Jamais, depuis la rupture du premier mariage, Auguste de Wolfenbüttel n’avait reparu à Zelle et dans le duché de Hanovre. Quand elle se vit sans espoir du côté de sa propre famille, elle imagina d’échapper à ce malheur en prenant refuge à Wolfenbüttel, chez le père de son cousin, de réclamer publiquement le divorce, d’attester l’innocence de sa vie et les torts matériels de son mari, de porter sa cause devant une cour aulique ou consistoriale, et qui sait ? peut-être d’épouser celui qu’elle aimait. Le plan était hardi, et il fallait réussir. Elle en fit part à Kœnigsmark et à Mlle de Knesebeck, qui ne trouvèrent point les circonstances favorables.
 
Élisabeth
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Élisabeth Platen, qui se doutait qu’elle était jouée et qu’on riait d’elle, s’agitait dans la douleur et la colère. Elle se sentait profondément méprisée de ce Kœnigsmark, venu tout exprès pour la punir, et auquel l’attachait un amour mêlé de haine, un de ces amours implacables qui mûrissent dans l’automne des passions et des intrigues. Elle lui avait défendu de visiter son ennemie ; il en riait. Elle l’avait dénoncé à George et à l’électeur comme l’amant de la princesse ; on n’en avait rien voulu croire. Fatigué des ardeurs croissantes de la comtesse, il jugea commode de prendre la fuite et d’aller, loin des intrigues sérieuses qui ne l’amusaient guère, passer quelques semaines chez l’électeur de Saxe, ce même Auguste aux cinquante-trois bâtards et aux sept cents maîtresses, dont sa sœur Aurore avait été la favorite. Là Koenigsmark se trouvait dans son élément ; il fut l’ame et la vie des fêtes de l’électeur, et amusa ses compagnons de table aux dépens des deux petites cours de Hanovre et de Zelle. C’étaient des descriptions à n’en plus finir de l’évêque en Apollon, de Mlle Platen en Vénus, des deux Meisenberg blotties dans la robe de chambre de l’évêque, de Mlle de Schulenburg, la blonde, vêtue en amazone, et forcée de courir après son royal amant à travers les bois et les forêts, Sophie-Dorothée était seule ménagée. On avait autrefois chassé du palais du duc de Zelle et du service particulier de sa fille une personne jolie, déjà corrompue, que l’électeur de Saxe avait fait entrer dans son harem. Elle assistait avec beaucoup d’autres aux récits plaisans de Koenigsmark, et comme elle était l’espionne payée de la comtesse Platen, cette dernière fut instruite aussitôt de ce qui se disait sur son compte, à la table et dans le palais de l’électeur. Koenigsmark avait diverti ces dames non-seulement aux dépens du rouge et des mouches de sa conquête, mais sur des chapitres bien plus piquans, et personne n’ignorait les jalouses fureurs de la Roxane de Hanovre et les particularités de sa beauté.
 
L’étourdi revient au palais électoral, où son titre de colonel des gardes le rappelle. Il ne s’occupe pas de la terrible comtesse, et ne rend visite qu’une seule fois à la princesse, dont la situation était devenue insoutenable ; le plan de celle-ci était d’ailleurs arrêté pour la fuite. Koenigsmark lui promet de l’avertir dès qu’il aura fait les préparatifs qui doivent la conduire à la cour de Wolfenbüttel sous la sauve-garde de sa fidèle Knesebeck et de six trabans. On convient, pour ne pas attirer l’attention, de cesser toute espèce de rapports jusqu’au moment du départ. Ces grandes aventures, cet air de protecteur de l’innocence et d’enleveur de princesses le séduisaient, et son étourderie
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:(Les quatre trabans soulèvent Koenigsmark, dont le sang coule en abondance. Ils essaient en vain de le faire tenir debout. Il s’évanouit.)
::LA COMTESSE. — Déposez-le par terre. Bien ! Dénouez le mouchoir qui le bâillonne. (Elle emploie ce mouchoir à bander les plaies de sa tête et le regarde attentivement.) Maintenant, traître, confesse ton crime et celui de la princesse !
::KŒNIGSMARK,
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::KŒNIGSMARK, se soulevant sur le coude et ouvrant les yeux. — Ah ! vipère ! c’est vous !
::LA COMTESSE. -Tu achèves de te perdre, traître ! Il faut que tu avoues !
::KOENISMARK. — La princesse est innocente !