« Robert et Horace Walpole » : différence entre les versions

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Poursuivons l’analyse de ces précieux documens, trop peu exploités. Nous avons achevé le dépouillement de cette portion des ''Réminiscences'' et des lettres qui s’arrête en 1742. Nous sommes parvenus au moment de la chute de Robert et au commencement des deux volumes publiés en 1828 par lord Holland. Robert tombe après avoir épuisé toute la somme de pouvoir qu’un ministre peut porter. Entre 1715 et 1742, le jacobitisme avait été battu et reculait découragé ; les institutions philanthropiques et économiques avaient prospéré ; le parti whig, que Walpole avait fait monter au pouvoir, s’était constitué définitivement. La Grande-Bretagne se trouvait placée à la tête de la ligue septentrionale, dont le mouvement tout entier suivait sa loi. Assurément on ne peut attribuer à Robert Walpole toute cette impulsion qui venait de plus haut et que Guillaume III avait activée ; mais l’honneur de l’avoir soutenue, protégée et propagée lui appartient.
 
A peine Robert Walpole s’est-il retiré dans son domaine pour y mourir, sous le titre de comte d’Orford, les espérances du torysme se relèvent, Bolingbroke revient intriguer à Londres, les jacobites reprennent des forces, et le jeune prétendant prépare son invasion. Horace fait remarquer avec grand soin que de 1717 à 1720, c’est-à-dire pendant la demi-retraite de son père, des exécutions sanglantes avaient frappé les tentatives jacobites, et que de 1742 à 1750, après la retraite définitive du ministre, les mêmes tentatives avaient appelé les mêmes vengeances. Ce ne fut qu’en 1756 que le premier Pitt (lord Chatham) parut sur la scène, non plus seulement comme l’adversaire violent de Robert et de ses successeurs, mais comme principal secrésecrétaire
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taire d’état. Rien de plus amusant et de plus singulier que le portrait de cet homme d’état tracé par le fils de son ennemi. Horace non-seulement ne lui rend pas justice, mais le dépouille de tout mérite, même de l’éloquence, et abaisse autant qu’il le peut, en face de Robert, homme de la paix et des finances rétablies, Chatham l’homme de la guerre et de la gloire. Les circonstances avaient changé. Arrivé au pouvoir après Walpole, Chatham, homme d’état supérieur, mais bien plus rusé qu’on ne l’a dit, exploita l’orgueil britannique, que Walpole avait blessé en servant l’intérêt national. Aux yeux d’Horace, le grand Chatham n’est qu’un acteur habile, « maître dans tous les arts de la dissimulation, esclave de ses passions, et simulant même l’extravagance pour réussir. » Que Chatham ait joué la comédie, comme Napoléon, comme Louis XIV, comme Richelieu, comme Franklin, je n’en doute pas le moins du monde : monarchiques ou républicaines, les masses n’adoptent que ceux qui les dupent ; mais croire aveuglément aux imputations de Walpole contre Chatham, nous nous en garderions bien : il avait trop d’intérêt à la calomnie. Nous ne pouvons nous fier à lui ni quant aux vertus paternelles ni quant aux crimes imputés à l’adversaire politique de Robert.
 
George III, qui monta sur le trône en 1760, fut frappé, dès l’année 1765, d’une première atteinte de fièvre cérébrale, soigneusement dissimulée, et qui, après avoir reparu à diverses époques, devint en 1788 une aliénation constatée, et en 1810 éteignit complètement sa raison. C’était un roi honnête et borné, frugal et simple, à qui la situation particulière de sa santé laissa peu de liberté d’action. Aussi les intrigues ministérielles et les mouvemens secrets des communes redoublèrent-ils d’activité sous cette royauté nominale. Horace n’a pas perdu la trace d’une seule de ces agitations. Ses mémoires et ses lettres contiennent, sous une forme plus épigrammatique et plus minutieuse encore que pour les règnes de George Ier et de George II l’explication définitive de celui de George III.
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On croit voir, en lisant Horace, ce gros homme tout joufflu aux trois mentons superposés, aux quarante habits, roses, rouges, violets, pistache et vert-pomme, vendant des places, achetant des votes, retenant sa commission sur chaque marché conclu, se pavanant et se prélassant dans son trafic et dans son velours, écrivant tous les soirs le résultat de son commerce électoral et le transmettant à la postérité, ''ne varietur''. C’était lui qui employait ses vieux habits de brocard à faire des tapis de pied, « si bien, dit Horace, que je reconnus à leur forme et à leurs boutons les poches de six habits de cour au bas de son lit de parade, qui était de damas jaune, surmonté de plumes d’autruche, teintes en vert. » C’était encore lui qui avait fait bâtir au premier étage une galerie à colonnes si lourdes, que la galerie descendit un jour au rez-de-chaussée. Il y a foule de ces personnages dans les livres d’Horace, entre autres le colonel Barré, l’enfant perdu de la chambre basse, celui qui se chargeait des exécutions périlleuses et des propositions extravagantes, sans compter Townshend et Saville, et tous les célèbres du temps. Bizarre vérité, combien rapidement se flétrissent les renommées politiques ! Marquis de Rockingham, ducs de Newcastle, lords Butes, lords Shelburne, et tant d’autres, qui de leur temps occupaient toute la renommée et envahissaient tous les esprits, on les retrouve chez Horace Walpole sous forme de momies, enveloppés de leurs vieilles intrigues comme de bandelettes fanées, qui exhalent, à mesure qu’on les déroule, une saveur de tombeau. Quelques maîtres-esprits, comme Chatham et Burke, lèvent leurs fronts vivans au milieu de ces ombres. C’est qu’ils ont pensé à l’avenir, et malgré leurs fautes (quel homme d’état n’en commet pas ?), ils ont eu le caractère du génie et le génie du caractère.
 
Horace Walpole est injuste pour ces deux hommes ; comme ils éclipsent son idole Robert, et que l’un par la volonté, la suite et la fierté, l’autre par le développement éloquent de ses théories philosophiques, s’élèvent à des hauteurs que Robert n’atteindra jamais dans l’histoire, Horace fait de son mieux pour les dénigrer et les rabaisser tous les deux. « Un nouvel orateur apparut, dit-il ; c’était Burke, Irlandais, d’une famille catholique, et marié à une personne de cette communion. Quelques ouvrages, entre autres un ''Essai sur le Sublime et le Beau'', l’avaient fait connaître ; mais son peu de fortune l’avait déprimé, et son revenu le plus clair lui venait des libraires. Lord Rockingham, devenu premier ministre, fit de Burke son secrétaire, et bientôt l’adversaire de Rockingham, Charles Grenville, l’orateur aux discours sans fin, se trouva harcelé de la manière la plus vive, soumis à la plus ingéingénieuse
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nieuse critique, et réfuté de main de maître. Burke écrivait avec la même facilité que Grenville parlait ; de son imagination tombaient à torrens métaphores, allusions, images, idées brillamment exprimées et cependant correctes. Cette imagination vivante cueillait partout des fleurs ; elle en eût emprunté dans l’occasion aux métamorphoses d’Ovide. Il avait de l’esprit, apprêté sans doute, mais toujours prêt ; du jugement, moins souvent ; comme il voulait briller sans cesse et cherchait peu la concision, il paraissait n’avoir d’autre but que d’être applaudi. Son instruction était immense ; mais l’amour-propre en avait la clé. Quelle que pût être son ambition réelle ; il semblait moins s’embarrasser du résultat des votes que chercher la gloire d’avoir bien parlé. Cette sorte d’éloquence le contentait et faisait plaisir à son parti ; la chambre finit par se fatiguer de cette série de dissertations. Burke était entré trop tard dans la vie publique, et il avait trop d’estime de lui-même pour s’amuser à étudier des hommes dont la capacité lui semblait inférieure à la sienne : aussi joua-t-il un rôle peu important dans la politique réelle ; c’est ce qui arrive en général à ceux qui ont exercé long-temps une profession ou vécu de la vie du cabinet. Ils croient ou pouvoir juger des hommes par les livres, ou les mener aussi aisément qu’ils les avaient précédemment dirigés par la flatterie. Tout parvenu doit être plus modeste qu’avant sa grandeur ; on tolère moins aisément l’insolence d’un inférieur qui s’est élevé que celle de l’homme qui a gardé sa position première. »
 
Cela est injuste et inacceptable et sent son gentilhomme dégoûté. Un plus aimable portrait est celui du résurrecteur de la vie chevaleresque en 1783. Vers la fin du XVIIIe siècle, on vit un jeune lord détruire son château, le reconstruire, lui donner des créneaux, des tourelles, des machicoulis, fortifier ses tours à la façon du XIIe siècle, et armer sa valetaille exactement comme les archers du roi Jean étaient armés. Il ne se contenta pas de cet essai bizarre. Il formula le plan d’une association féodale, qu’il fit imprimer et distribuer parmi ses pairs. L’Angleterre, selon lui, marchait à la ruine en s’éloignant du régime féodal, et sa grandeur politique dépendait de son retour intégral vers les institutions du moyen-âge. Il se nommait le duc d’Egmont, et le ministre était sur le point de lui accorder la permission de fonder un petit royaume féodal dans l’île Saint-Jean, quand le général Conway entra dans la salle du conseil, prit sur la table le plan que l’enthousiaste avait soumis à l’inattention du ministre, et fit ressortir le ridicule dont allait se couvrir le gouvernement.