« Mouvement des peuples slaves » : différence entre les versions

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{{journal|Mouvement des peuples slaves|[[A. Lebre]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.4, 1843}}
 
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<center> Leur passé, leurs tendances nouvelles</center>
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Napoléon a exercé une profonde influence sur les Slaves, plus encore par sa personne que par sa politique, et à cet égard il n’est pas sans intérêt de connaître les vues de M. Mickiewicz sur ce puissant génie. L’éloquent professeur semble ici l’interprète de l’enthousiasme polonais. Napoléon, selon lui, n’a point été enfanté par la révolution ; il demeura étranger aux passions de son époque. Il n’est pas même de l’Occident ; il semble plutôt relever de cet auguste Orient vers lequel l’attirait une secrète sympathie. La génération formée par les encyclopédistes voulait tout analyser, tout comprendre. Il n’y avait plus pour elle de mystère, d’infini. Alors vint un homme inexplicable qui tirait toute sa force de lui-même, qui en répandait les torrens autour de lui, faisait sortir des armées de terre, poussait les nations les unes sur les autres, et pouvait à son gré remplir le monde d’évènemens imprévus. Napoléon, par le spectacle de son prodigieux génie, imposa violemment l’admiration à l’Europe, qui commençait à en devenir incapable. L’Angleterre, malgré sa haine, ne put s’empêcher de rendre à Napoléon un magnifique hommage. Byron salua de son enthousiasme cette volonté superbe et solitaire, souveraine et mystérieuse comme la fatalité. Elle fut l’orage qui fit vibrer sa lyre. Dans Lara, Manfred, le Corsaire, dans ces héros dont personne ne connaît l’origine et n’a pénétré le secret, dans ces sombres et hautaines figures, si puissantes de commandement et de tristesse, on retrouve mêlés ensemble, en une seule ame, la force du dominateur du siècle et les désespoirs du poète. Goethe, cet esprit si sage, n’osait presque pas parler de Napoléon. Sa vénération pour lui était si profonde, qu’il ne prononçait qu’avec respect, au milieu de l’Allemagne humiliée, un nom qu’elle détestait. Jean Müller, le célèbre historien, qui consuma sa vie à combattre l’influence française, et servit dans ce but la Prusse et l’Autriche, après un premier entretien avec Napoléon, reconnut en lui l’homme du destin. Plus tard, quand la crainte ne troubla plus le monde, il n’y eut partout qu’un même sentiment, l’admiration fut universelle. Napoléon fit triompher la révolution française, mais il la domina ; Il ne voulut pas comme elle rompre avec l’histoire ; il renoua la tradition brisée du genre humain, il rattacha l’avenir au passé ; par ses guerres gigantesques, il mêla tous les peuples de l’Europe, il rapprocha l’Orient de l’Occident, il prépara l’unité future du monde. Tout cela n’était point dans les instincts du XVIIIe siècle. Puis, quand il eut disparu, son œuvre ne périt point ; les peuples la continuèrent ; ils étaient entrés sur ses traces dans une ère nouvelle.
 
Ce brillant tableau semblera plutôt une transfiguration qu’un portrait. Quand un grand homme apparaît, tous les yeux s’attachent sur lui : mais combien peu le voient de même ! L’homme d’état médite le profond politique, le tacticien étudie le fameux capitaine, le poète contemple ce que le caractère a d’idéal, l’œuvre de magnifique et d’éternel. Le peuple, par un instinct qui n’est pas sans justesse, reconnaît un bienfaiteur dans l’illustre envoyé de la Providence ; il lui pardonne, se sent pieusement épris, l’élève sur le piédestal, et lui compose de fables et de légendes une merveilleuse épopée. Puis le moraliste austère et l’observateur sceptique des choses humaines (ils se rencontrent souvent) viennent dissiper le prestige, et montrent sans pitié l’immense égoïsme que masque tant de gloire. Les valets de chambre ne manquent jamais non plus au héros ; ils affluent autour de lui, et nous racontent ses petitesses. De toutes ces rumeurs si diverses se compose la renommée, et la vérité aussi, qui, après quelques querelles, finissent d’habitude par devenir bonnes soeurssœurs.
 
 
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Pierre a ouvert la Russie à l’Europe.. II ne voulait que gagner des ressources pour le despotisme ; les idées libérales ont pénétré aussi. Elles se répandent et discréditent le pouvoir absolu ; elles se glissent jusque dans l’armée, dont elles atteignent la sévère discipline. Les généraux obéissent, mais ce n’est plus toujours aveuglément ; ils sentent le besoin de justifier devant leur conscience les ordres qu’ils ont reçus. L’empereur lui-même se prend quelquefois à n’être plus assuré de son droit et à douter du dogme moscovite. L’autocratie donc, malgré son appareil imposant, ses succès, et ce qui lui reste de forces, décline en réalité.
 
Que fait la Pologne tandis que la Russie est secrètement ébranlée ? L’élite de la nation est déportée en Sibérie, ensevelie dans les casemates de Saint-Pétersbourg, dispersée dans les pays étrangers. Et quel triste spectacle offre la terre polonaise ! Les châteaux de la noblesse sont déserts. Le vieux paysan qui abat les arbres dans la forêt se souvient qu’il ne devrait pas travailler seul ; il pense à ses fils tués dans les victoires de l’insurrection, et il s’arrête pour pleurer et s’agenouiller. Les mains, sont désarmées, les écoles fermées, la religion, la langue même, poursuivies comme rebelles ; les emplois, donnés aux Russes ; partout des espions, et la prison, le knout, le gibet, punissent le moindre signe de patriotisme. Cependant la Pologne ne perd point courage ; elle garde un espoir indestructible que se transmettent comme un dépôt sacré ses générations de martyrs. Il. lui est bon d’être ainsi frappée ; Depuis qu’elle ne s’amollit plus aux plaisirs, elle retrouve l’esprit de sacrifice et l’exaltation qui font sa force. Cette énergie nouvelle ne peut encore éclater en Pologne ; elle y demeure cachée dans les coeurscœurs. Les ames sont puissamment travaillées. La Pologne semble tranquille ; celui qui la visite pourrait croire la nation abattue et résignée à son humiliation ; mais s’il pénétrait les secrètes pensées du peuple, il verrait l’effervescence qui l’agite. Un fait remarquable en est l’indice. Un gentilhomme de Lithuanie, M. Towianski, vint en France, il y a bientôt trois ans ; jusqu’alors il avait vécu sur ses terres, honoré pour sa piété, et chéri de ses paysans ; son ame s’était échauffée à la vue des souffrances de la Pologne, il crut entendre dans les luttes de la prière des promesses divines, et recevoir un ordre d’en haut. Il partit pour obéir à cet appel mystérieux. Arrivé à Paris, il convoqua les Polonais, et leur annonça qu’il avait mission céleste pour les ramener dans leur patrie et la délivrer avec eux. Bientôt plusieurs crurent en lui. M. Towianski ne s’était encore fait connaître par rien ; mais il n’est point un homme ordinaire ; il a une foi contagieuse en son œuvre, de l’éloquence, force et douceur, et un magique ascendant sur les ames, auxquelles il donne paix et exaltation. Il s’adressait d’ailleurs à des émigrés consumés du regret de leur patrie, et dont plusieurs vivaient dans l’attente d’un secours providentiel. Ses disciples forment une école croisée pour affranchir la Pologne, et née sous l’influence de la douleur nationale, du mysticisme slave, et des idées qui remuent le siècle. Ce patriotisme brûlant se fait ainsi jour sur la terre étrangère, et inspire aux poètes de l’exil des chants magnifiques, les plus beaux que la Pologne ait entendus. Cette poésie est un évènement important. Elle ne s’amuse point aux jeux brillans de l’imagination elle veut préparer des vengeurs ; elle provoque aux généreuses audaces, elle anime les volontés au devoir et à l’héroïsme ; elle est austère et pieuse. Le poète polonais pleure une tragique infortune, mais il ne s’abandonne point aux lâches plaintes des souffrances égoïstes ; il ne voit plus de secours ici bas ; mais il regarde en haut, et la douleur lui apprend le renoncement et la foi. C’est à ces chants qu’il faut demander ce que pense la Pologne. Cette poésie est aujourd’hui la seule voix de la nation ; elle nous apprend que les Polonais ont moins que jamais renoncé à l’insurrection ; elle nous annonce aussi qu’un grand changement s’est accompli parmi eux.
 
La Pologne, victime de la violence et de l’égoïsme, a pris au sérieux la justice et la fraternité ; elle reconnaît qu’elle y manqua en retenant les paysans dans une dure servitude. Ses poètes se montrent émus de sympathie pour le pauvre peuple ; ils se plaisent à célébrer ses vertus, et veulent la liberté pour lui. Ceux qui rêvent la résurrection de l’ancienne Pologne se font illusion : c’est chose impossible. La royauté a péri dans l’incurie. La noblesse s’est discréditée par son orgueil et son anarchie ; elle s’est portée le dernier coup en 1830, lorsqu’elle ruina tout par ses discordes. Une puissance nouvelle lui succède ; le peuple s’est émancipé. Le désastre national a éveillé en lui le patriotisme qu’avait assoupi l’oppression de l’ordre équestre. Il a combattu sur les champs de bataille de l’insurrection, et a conquis ses droits par son dévouement à la cause publique.
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A. LEBRE.
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