« Revue littéraire - 30 septembre 1843 » : différence entre les versions

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Heureusement, la renommée de Goethe est si grande, que tout ce qui le touche est désormais consacré. La correspondance de Mme d’Arnim n’aurait pas une valeur propre, qu’elle serait encore le commentaire obligé des rimes les plus touchantes du poète, car les lettres de Bettina se trouvent être précisément ce qu’est la prose dans la ''Vita Nuova'' de Dante, c’est-à-dire un développement, une glose interprétative des vers. Ce serait déjà quelque chose. Toutefois, cette correspondance a par elle-même un intérêt qu’il serait injuste de méconnaître. Quant aux défauts très apparens et très nombreux qui la déparent, ils n’échappaient point à Goethe lui-même ; ce n’est pas pour rien que le maître reprochait à sa poétique élève d’enfiler ses pensées dans un fil lâche ; ce n’est pas pour rien que, touchant quelque chose de son style exagéré, il lui parlait de ces torches, de ces pots de feu, de ces lueurs subites qui l’aveuglaient, mais dont il espérait cependant un grand effet comme illumination d’ensemble. A chaque instant, on est tenté de répéter à Mme d’Arnim ce que M. Tissot disait un jour à Delille après la lecture de je ne sais quel morceau trop brillant : « Si vous voulez que j’y voie, il faut éteindre quelques lumières. » Oui, Mme la conseillère devinait juste quand elle écrivait à Bettina : « Mon enfant, tu as une imagination de fusée. » On sort ébloui de ce mirage poétique comme d’une sorte de brouillard lumineux où le regard se perd dans le vague. Il y a là aussi quelque chose de ces rêves maladifs que donne l’opium, et trop souvent les idées vacillantes se dérobent à qui tente de les cueillir. Je n’oublie pas que la fée de la jeunesse conduisait de Brentano dans les sentiers de la poésie, et que personne peut-être n’a retracé mieux qu’elle, dans un plus éclatant langage, et la vie splendide du cœur, et les harmoniques agitations de la nature. Sa muse, tenant à la main une tresse aux mille couleurs, traverse au hasard les plaines, gravit sans fatigue les collines pour poursuivre les libellules aux yeux de cristal, les insectes a l’écaille dorée ; mais, comme à la suite de l’oiseau bleu des ''Mille et une Nuits'', on se fatigue à l’accompagner dans ces courses interminables, sans jamais arriver, sans pouvoir jamais rien atteindre.
 
Bettina disait un jour à Goethe, dans une lettre : « La nuit, j’ai peur. Je pense quelquefois à me marier, afin d’avoir quelqu’un qui me protége contre le monde désordonné de revenans qui m’apparaît. Wolfgang, ne va pas te fâcher de cela ! Fût-
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fâcher de cela ! Fût-ce à la suite d’un rêve de revenans ? je ne sais ; en 1811, Mlle de Brentano épousa un écrivain célèbre de l’Allemagne, et devint Mme d’Arnim. Les jeunes époux allèrent voir le vieux Goethe bientôt après ; mais à la suite d’on ne sait quel dissentiment d’opinion, un refroidissement eut leu ; A ce propos, Goethe, avec sa sécheresse ordinaire, dit seulement dans ses ''Mémoires'' : »Nous nous quittâmes avec l’espoir de nous revoir bientôt et sous de plus heureux auspices. » L’habituelle correspondance de Bettina fut donc interrompue. Six ans après, en 1817, gardant toujours au mur ses poétiques penchans, elle risqua une première lettre bien tendre, bien affectueuse, où elle s’accusait, où elle disait : « Qu’il y a peu de bon en moi ! Goethe ne répondit pas. En 1821, après ce qu’elle appelait ''dix ans de solitude'', Mme d’Arnim essaya de nouveau, avec tout l’élan de la passion, de renouer cette liaison rompue : « OEil de mon ame, écrivait-elle au poète, on a voilé mon cœur, on a enseveli mes sens. La digue que l’habitude avait bâtie est emportée… » Rien ne toucha l’inflexible divinité, qui s’obstina dans le silence. C’est alors sans doute que, pour se consoler, Bettina composa, sous le titre de ''Livre d’Amour'', une sorte de poème en prose, qui offre le résumé de ses lettres, et où son talent se manifeste dans tout son éclat et avec une forme moins diffuse. La nature vraie de l’affection de Mme d’Arnim pour Goethe s’y révèle par ce seul mot : « Te comprendre, c’est te posséder. » L’amour chez Bettina n’a été, en effet, que l’exaltation du culte de l’intelligence. En 1832, Achille d’Arnim mourut ; mais, à cette date, Goethe lui-même touchait à la tombe. Par une coïncidence saisissante, la dernière visite qu’il reçut fut celle du fils de Bettina, et c’est sur l’album de cet enfant que sont écrits les derniers vers qu’ait tracés la main du grand homme. Quand Dieu eut rappelé Goethe à lui, on restitua à Mme d’Arnim la volumineuse correspondance de Mlle de Brentano. Ce sont ces pages, dans leur désordre, dans leur franchise exaltée et sauvage, que Bettina a cru devoir publier elle-même intégralement, comme un dernier hommage à une mémoire chère ; elle a voulu que d’autres, avec elle, après elle, pussent cueillir sur cette tombe la fleur sacrée du souvenir. Aujourd’hui encore, après des années, quand le vieillard qu’elle a si étrangement poursuivi de son amour enthousiaste ne vit plus que dans la mémoire des hommes, Mme d’Arnim demeure fidèle à la religion de son cœur et conserve cette même admiration soumise, absolue, dévouée ; toujours agenouillée devant l’idole, elle dit encore à son Wolfgang : « Laisse-moi à tes pieds, tout-puissant, prince, poète. Dante n’allait pas si loin pour Virgile :
 
::Tu duca, tu signore e tu maëstro.
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Ces objections générales ne font aucunement tort au patriotisme de M. Amari : le patriotisme, au contraire, en est à la fois l’explication et l’excuse. Ceux même qui n’accorderaient pas leur sympathie à l’esprit philosophique qui a guidé l’auteur s’empresseront de reconnaître tout ce qu’il y a d’utiles recherches et de science réelle dans cette vaste exposition de la révolution sicilienne du XIIIe siècle. M. Aman a le mérite d’avoir le premier, par une judicieuse et ferme critique, écarté tous les faits qui ne sont pas fondés sur le témoignage formel des écrivains contemporains et des documens authentiques. Toutes les sources italiennes et latines ont été soigneusement et scrupuleusement épuisées : des notes nombreuses en témoignent au bas de chaque page, et un appendice étendu a été ajouté, qui contient une foule de pièces importantes et inédites qu’ont fournies à l’estimable écrivain les archives et les manuscrits. Il pourrait y avoir plus d’ordre, plus de sobriété, un style plus élégant dans l’ouvrage de M. Amari ; on n’y saurait, en revanche, désirer plus de conscience, plus de résultats nouveaux et frappans. Au roman de la conspiration l’auteur de ''la Guerra del Vespro'' a substitué, par les testes, un ordre de faits inattendus, une vue tout-à-fait nouvelle dont les historiens devront désormais tenir compte. Cette restitution est véritablement importante, et le souvenir en restera attaché au nom de M. Michele Amari.
 
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La Guerra del Vespro'' n’était encore connue qu’en Sicile, lorsque parut en France un livre de MM. Possien et Chantrel, intitulé ''Vêpres siciliennes'' <ref>1 vol. in-8°, chez Debécourt, rue des Saints-Pères. </ref>. A part deux médiocres chapitres empruntés pour le fond à l’abbé Fleury et à l’''Innocent III'' de Hurter, je croyais lire encore M. Amari. Une certaine enluminure néo-catholique, l’éloge à tout prix des papes, me dépaysaient cependant ; puis, dans ''la Guerra del Vespro'', les notes, les citations les témoignages de toute sorte abondaient : ici, au contraire, aucune autorité n’était invoquée, et l’on n’avait qu’un texte net et courant. Comme celui d’Hérodote ou de Tite-Live. C’est à peine, je crois, si quelque obscure compilation d’un faiseur de manuels, M. Émile Le Franc, était invoquée en passant comme une source sérieuse. Le contraste me semblait étrange : le livre était lourd, mal écrit, il s’y rencontrait des fautes de grammaire (''autour'' pour ''alentour'', etc.) ; mais, en revanche, il paraissait renseigné, nourri, savant. En confrontant l’ouvrage de M. Amari avec celui de MM. Possien et Chantrel, tout me fut expliqué, et je reconnus dans le volume français une traduction presque littérale de ''la Guerra del Vespro''. Point de préface, aucune indication sur le titre ; seulement, dans une note perdue, il est dit qu’on suivra « presque pas à pas une histoire qui vient de paraître en italien. Quant au nom même de M. Amari, il n’est prononcé qu’une seule fois, et dans le texte. On vient de lui emprunter, sans y presque changer un mot, tout un long chapitre, et on termine cette traduction impudente en disant : Voici les réflexions de M. Amari, sur ce sujet. « Puis viennent deux pages guillemetées. De cette façon, le lecteur ne se doute pas du plagiat. Traduire, abréger, interpoler, mutiler, gâter un livre, et ensuite signer cette œuvre informe de son propre nom, alors qu’on n’y est même pas pour un sixième, le procédé, on l’avouera, est par trop commode. Il suffit de le dénoncer pour en faire justice. M. Amari a été pillé, dépouillé, puis on l’a battu avec ses propres armes. Quand les néo-catholiques se permirent de falsifier, il y a quelques années, l’''Histoire de la papauté'', ils eurent au moins la pudeur de laisser le nom de M. Ranke sur le titre. Aujourd’hui, un badigeonnage de sacristie, une grossière teinte de religion, ont suffi aux maladroits copistes pour qu’ils se crussent propriétaires du monument. Nous doutons que le public accepte cette mauvaise plaisanterie. Ces messieurs savent un peu trop l’italien et pas assez le français.
 
''La Guerra del Vespro'' n’était encore connue qu’en Sicile, lorsque parut en France un livre de MM. Possien et Chantrel, intitulé ''Vêpres siciliennes'' <ref>1 vol. in-8°, chez Debécourt, rue des Saints-Pères. </ref>. A part deux médiocres chapitres empruntés pour le fond à l’abbé Fleury et à l’''Innocent III'' de Hurter, je croyais lire encore M. Amari. Une certaine enluminure néo-catholique, l’éloge à tout prix des papes, me dépaysaient cependant ; puis, dans ''la Guerra del Vespro'', les notes, les citations les témoignages de toute sorte abondaient : ici, au contraire, aucune autorité n’était invoquée, et l’on n’avait qu’un texte net et courant. Comme celui d’Hérodote ou de Tite-Live. C’est à peine, je crois, si quelque obscure compilation d’un faiseur de manuels, M. Émile Le Franc, était invoquée en passant comme une source sérieuse. Le contraste me semblait étrange : le livre était lourd, mal écrit, il s’y rencontrait des fautes de grammaire (''autour'' pour ''alentour'', etc.) ; mais, en revanche, il paraissait renseigné, nourri, savant. En confrontant l’ouvrage de M. Amari avec celui de MM. Possien et Chantrel, tout me fut expliqué, et je reconnus dans le volume français une traduction presque littérale de ''la Guerra del Vespro''. Point de préface, aucune indication sur le titre ; seulement, dans une note perdue, il est dit qu’on suivra « presque pas à pas une histoire qui vient de paraître en italien. Quant au nom même de M. Amari, il n’est prononcé qu’une seule fois, et dans le texte. On vient de lui emprunter, sans y presque changer un mot, tout un long chapitre, et on termine cette traduction impudente en disant : Voici les réflexions de M. Amari, sur ce sujet. « Puis viennent deux pages guillemetées. De cette façon, le lecteur ne se doute pas du plagiat. Traduire, abréger, interpoler, mutiler, gâter un livre, et ensuite signer cette œuvre informe de son propre nom, alors qu’on n’y est même pas pour un sixième, le procédé, on l’avouera, est par trop commode. Il suffit de le dénoncer pour en faire justice. M. Amari a été pillé, dépouillé, puis on l’a battu avec ses propres armes. Quand les néo-catholiques se permirent de falsifier, il y a quelques années, l’''Histoire de la papauté'', ils eurent au moins la pudeur de laisser le nom de M. Ranke sur le titre. Aujourd’hui, un badigeonnage de sacristie, une grossière teinte de religion, ont suffi aux maladroits copistes pour qu’ils se crussent propriétaires du monument. Nous doutons que le public accepte cette mauvaise plaisanterie. Ces messieurs savent un peu trop l’italien et pas assez le français.
 
CHARLES LABITTE.