« Poètes et romanciers modernes de la France/Charles Loyson, Jean Polonius, Aimé de Loy » : différence entre les versions

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{{journal|Poètes et romanciers modernes de la France - Charles Loyson, Jean Polonius, Aimé de Loy|[[Auteur:Charles Augustin Sainte-Beuve|Sainte-Beuve]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.22, 1840}}
 
==__MATCH__:[[Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/1022]]==
 
La série entreprise, il y a quelques années, dans cette ''Revue'', un peu au hasard d’abord et sans un si grand dessein, est arrivée à compter déjà bien des noms. Les principaux et les plus fins de la littérature moderne y ont passé ; très peu d’essentiels y manquent encore, et nous n’allons bientôt plus avoir qu’à nous tenir au courant des nouveaux venus et des chefs-d’œuvre quotidiens qui pourront surgir ; nous aurons épuise tout ce passé d’hier auquel nous nous sommes montré si attentif et si fidèle. Il y a des personnes d’une susceptibilité extrême (''genus irritabile'') à qui il semble que la ''Revue'' a été ingrate pour les poètes. ''Ingrate'' ! mais y pense-t-on ? une telle idée est-elle raisonnable vraiment ? Et qui donc s’est plus appliqué que nous à les reconnaître, à les proclamer, à les découvrir, je ne veux pas dire à les inventer parfois ? Il est vrai qu’en fait de poètes chacun veut être admis, chacun veut être roi,
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Sa renommée littéraire a souffert, dans le temps, de ses qualités politiques ; sa modération lui avait fait bien de vifs ennemis. Attaché à un pouvoir qui luttait pour la conservation contre des partis extrêmes, il avait vu, lui qui le servait avec zèle, ses patriotiques intentions méconnues de plusieurs. Cette fièvre même de la mort qu’il portait dans son sein, et qui lui faisait craindre (contradiction naturelle et si fréquente) de ne pas assurer à temps sa rapide existence, pouvait sembler aux indifférens de l’avidité. La mémoire fidèle de ses amis et la lecture de ses poésies touchantes ont suffi pour nous le faire apprécier et aimer. Comme poète, Charles Loyson est juste un intermédiaire entre Millevoye et Lamartine, mais beaucoup plus rapproché de ce dernier par l’élévation et le spiritualisme habituel des sentimens. Les épîtres à M. Royer-Collard, à M. Maine de Biran, sont déjà des méditations ébauchées et mieux qu’ébauchées :
 
<poem>
::O Biran, que ne puis-je en ce doux ermitage,
O Biran, que ne puis-je en ce doux ermitage,
::Respirant près de toi la liberté, la paix,
Respirant près de toi la liberté, la paix,
::Cacher ma vie oisive au fond de tes bosquets !
Cacher ma vie oisive au fond de tes bosquets !
::Que ne puis-je à mon gré, te choisissant pour maître,
Que ne puis-je à mon gré, te choisissant pour maître,
::Dans tes sages leçons apprendre à me connaître,
Dans tes sages leçons apprendre à me connaître,
::Et, de ma propre étude inconcevable objet,
Et, de ma propre étude inconcevable objet,
::De ma nature enfin pénétrer le secret !
De ma nature enfin pénétrer le secret !
::Lorsque mon ame en soi tout entière enfoncée,
Lorsque mon ame en soi tout entière enfoncée,
::A son être pensant attache sa pensée,
A son être pensant attache sa pensée,
::Sur cette scène intime où je suis seul acteur,
Sur cette scène intime où je suis seul acteur,
::Théâtre en même temps, spectacle et spectateur,
Théâtre en même temps, spectacle et spectateur,
::Comment puis-je, dis-moi, me contempler moi-même,
Comment puis-je, dis-moi, me contempler moi-même,
::Ou voir en moi le monde et son auteur suprême ?
Ou voir en moi le monde et son auteur suprême ?
::Pensers mystérieux, espace, éternité,
Pensers mystérieux, espace, éternité,
::Ordre, beauté, vertu, justice, vérité,
Ordre, beauté, vertu, justice, vérité,
::Héritage immortel dont j’ai perdu les titres,
Héritage immortel dont j’ai perdu les titres,
::D’où m’êtes-vous venus ? Quels témoins, quels arbitres
D’où m’êtes-vous venus ? Quels témoins, quels arbitres
::Vous feront reconnaître à mes yeux incertains
Vous feront reconnaître à mes yeux incertains
::Pour de réels objets ou des fantômes vains ?
Pour de réels objets ou des fantômes vains ?
::L’humain entendement serait-il un mensonge,
L’humain entendement serait-il un mensonge,
::L’existence un néant, la conscience un songe ?
L’existence un néant, la conscience un songe ?
::Fier sceptique, réponds : je me sens, je me voi ;
Fier sceptique, réponds : je me sens, je me voi ;
::Qui peut feindre mon être et me rêver en moi ?
Qui peut feindre mon être et me rêver en moi ?
::Confesse donc enfin une source inconnue,
Confesse donc enfin une source inconnue,
::D’où jusqu’à ton esprit la vérité venue
D’où jusqu’à ton esprit la vérité venue
::S’y peint en traits brillans, comme dans un miroir,
S’y peint en traits brillans, comme dans un miroir,
::Et pour te subjuguer n’a qu’à se faire voir.
Et pour te subjuguer n’a qu’à se faire voir.
::Que peut sur sa lumière un pointilleux sophisme ?
Que peut sur sa lumière un pointilleux sophisme ?
::Descarte en vain se cherche au bout d’un syllogisme,
Descarte en vain se cherche au bout d’un syllogisme,
::En vain vous trouvez Dieu dans un froid argument,
En vain vous trouvez Dieu dans un froid argument,
::Toute raison n’est pas dans le raisonnement.
Toute raison n’est pas dans le raisonnement.
::Il est une clarté plus prompte et non moins sûre
Il est une clarté plus prompte et non moins sûre
:Qu’allume à notre insu l’infaillible nature,
Qu’allume à notre insu l’infaillible nature,
::Et qui, de notre esprit enfermant l’horizon,
Et qui, de notre esprit enfermant l’horizon,
::Est pour nous la première et dernière raison.
Est pour nous la première et dernière raison.
</poem>
 
Voilà, ce me semble, de la belle poésie philosophique, s’il en fut ; mais chez Loyson cette élévation rigoureuse dure peu d’ordinaire ; la corde se détend, et l’esprit se remet à jouer. Il est poète de sens, de sentiment et d’esprit plutôt que de haute imagination. A M. Cousin, qui voyage en Allemagne, il dira spirituellement :
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Ni, sur la foi des étoiles, <br />
Livrer d’intrépides voiles <br />
A l’inconstance des vents…<br /></poem>
C’est de lui. Toute cette ode, qui a pour titre : ''les Goûts du Poète'', reste charmante de ton, de sobriété, de sens ferme et doux ; c’est de la bonne poésie du temps de Chaulieu, d’il y a vingt-cinq ans ou d’il y a un siècle.</ref> ;
 
<poem>
::Sinon tu pourrais bien voir au Palais-Royal
Sinon tu pourrais bien voir au Palais-Royal
::Un pamphlet rouge ou blanc éclipser Juvénal.
Un pamphlet rouge ou blanc éclipser Juvénal.
::Souffre donc quelquefois que, brisant la mesure,
Souffre donc quelquefois que, brisant la mesure,
::Je mette de côté la rime et la césure
Je mette de côté la rime et la césure
::Et déroge un moment à mes goûts favoris,
Et déroge un moment à mes goûts favoris,
::Puisqu’enfin les lecteurs chez nous sont à ce prix.
Puisqu’enfin les lecteurs chez nous sont à ce prix.
</poem>
 
On pourrait multiplier les citations de tels traits ingénieux ; mais ses inspirations les plus familières en avançant, et pour nous les plus pénétrantes, sont celles où respire le pressentiment de sa fin. D’assez fréquens voyages dans son pays natal, en Vendée, ou plus loin aux eaux des Pyrénées, ou à la terre de M. de Biran au bord de la Dordogne, ne diminuaient que peu les douleurs toujours renaissantes. Il traduisait en vers Tibulle dans ses intervalles de loisir, et, comme lui, il parlait à ses amis de sa mort prochaine :
 
<poem>
::Vivite feliees, memores et vivite nostri,
Vivite feliees, memores et vivite nostri,
::Sive erimus, seu nos fata fuisse velint.
Sive erimus, seu nos fata fuisse velint.
</poem>
 
C’est ce qu’il exprime bien mélancoliquement dans son élégie, ''le Lit de mort'' ; c’est ce qu’il reprend avec un attendrissement redoublé dans celle qu’il intitule : ''le Retour à la Vie''. De telles pièces où peut pâlir la couleur, mais où chaque mot fut dicté par le sentiment, ne devraient jamais vieillir :
 
<poem>
::Quelle faveur inespérée
Quelle faveur inespérée
::M’a rouvert les portes du jour ?
M’a rouvert les portes du jour ?
::Quel secourable Dieu, du ténébreux séjour
Quel secourable Dieu, du ténébreux séjour
::Ramène mon ombre égarée ?
Ramène mon ombre égarée ?
::Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus
Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus
::S’évanouir mon ame et défaillir ma vie ;
S’évanouir mon ame et défaillir ma vie ;
::La cruelle douleur, par degrés assoupie,
La cruelle douleur, par degrés assoupie,
::Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus,
Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus,
::Et de ma pénible agonie
Et de ma pénible agonie
::Les tourmens jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus
Les tourmens jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus
::Que comme dans la nuit parvient à notre oreille
Que comme dans la nuit parvient à notre oreille
::Le murmure mourant de quelques sons lointains,
Le murmure mourant de quelques sons lointains,
::Ou comme ces fantômes vains
Ou comme ces fantômes vains
::Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille
Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille
::Figure vaguement à nos yeux incertains.
Figure vaguement à nos yeux incertains.
::Vous m’êtes échappés, secrets d’un autre monde,
Vous m’êtes échappés, secrets d’un autre monde,
::Merveilles de crainte et d’espoir,
Merveilles de crainte et d’espoir,
::Qu’au bout d’un océan d’obscurité profonde,
Qu’au bout d’un océan d’obscurité profonde,
::Sur des bords inconnus je croyais entrevoir.
Sur des bords inconnus je croyais entrevoir.
::Tandis que mon œil vous contemple,
Tandis que mon œil vous contemple,
::L’avenir tout à coup a refermé son temple,
L’avenir tout à coup a refermé son temple,
::Et dans la vie enfin je rentre avec effort.
Et dans la vie enfin je rentre avec effort.
::Mais nul impunément ne voit de tels mystères,
Mais nul impunément ne voit de tels mystères,
::Le jour me rend en vain ses clartés salutaires,
Le jour me rend en vain ses clartés salutaires,
::Je suis sous le sceau de la mort !
Je suis sous le sceau de la mort !
::Marqué de sa terrible empreinte,
Marqué de sa terrible empreinte,
::Les vivans me verront comme un objet de deuil,
Les vivans me verront comme un objet de deuil,
::Vain reste du trépas, tel qu’une lampe éteinte
Vain reste du trépas, tel qu’une lampe éteinte
::Qui fume encor près d’un cercueil.
Qui fume encor près d’un cercueil.
::Pourquoi me renvoyer vers ces rives fleuries
Pourquoi me renvoyer vers ces rives fleuries
::Dont j’aurais tant voulu ne m’éloigner jamais ?
Dont j’aurais tant voulu ne m’éloigner jamais ?
::Pourquoi me rapprocher de ces têtes chéries,
Pourquoi me rapprocher de ces têtes chéries,
::Objet de tant d’amour et de tant de regrets ?
Objet de tant d’amour et de tant de regrets ?
::Hélas ! pour mon ame abattue,
Hélas ! pour mon ame abattue,
::Tous lieux sont désormais pareils.
Tous lieux sont désormais pareils.
::Je porte dans mon sein le poison qui me tue ;
Je porte dans mon sein le poison qui me tue ;
::Changerai-je de sort en changeant de soleils ?
Changerai-je de sort en changeant de soleils ?
::J’entends… ma fin prochaine en sera moins amère ;
J’entends… ma fin prochaine en sera moins amère ;
::Mes amis, il suffit : je suivrai vos conseils,
Mes amis, il suffit : je suivrai vos conseils,
::Et je mourrai du moins dans les bras de ma mère.
Et je mourrai du moins dans les bras de ma mère.
</poem>
 
Charles Loyson vit paraître les vers d’André Chénier et ceux de Lamartine ; on a les jugemens qu’il en porta. Il fit, dans le ''Lycée'', quatre articles sur Chénier <ref> Tome II, 1819.</ref> ; le premier est un petit chef-d’œuvre de grace, de critique émue et ornée. L’écrivain nous y raconte ce qu’il appelle son château en Espagne, son rêve à la façon d’Horace, de Jean-Jacques et de Bernardin de Saint-Pierre : une maisonnette couverte en tuiles, avec la façade blanche et les contrevents verts, la source auprès, et au-dessus le bois de quelques arpens, et ''paulum silvœ''. « Ce dernier point est pour moi, dit-il, de première nécessité ; je n’y tiens pas moins que le favori de Mécène : encore veux-je qu’il soit enclos, non pas d’un fossé seulement ou d’une haie vive, mais d’un bon mur de hauteur avec des portes solides et bien fermées. L’autre manière est plus pastorale et rappelle mieux l’âge d’or, je le sais ; mais celle-ci me convient davantage, et d’ailleurs je suis d’avis qu’on ne peut plus trouver l’âge d’or que chez soi. » Quand sa muraille est élevée, il s’occupe du dedans ; il dispose son jardin anglais, groupe ses arbres, fait tourner ses allées, creuse son lac, dirige ses eaux, n’oublie ni le pont, ni les kiosques, ni les ruines ; c’est alors qu’il exécute un projet favori, et dont nul ne s’est avisé encore. Dans l’endroit le plus retiré des bocages, il consacre un petit bouquet de cyprès, de bouleaux et d’arbres verts, aux jeunes écrivains morts avant le temps. Le détail d’exécution est à ravir. Une urne cinéraire, placée sur un tertre de gazon, porte le nom de Tibulle, et sur l’écorce du bouleau voisin on lit ces deux vers de Domitius Marsus :
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A quelque distance, une pyramide de marbre noir entre les ifs rappelle le souvenir de Lucain, mort à vingt-six ans, qu’on aime à croire victime de la noble hardiesse de sa muse, et peut-être de la jalousie poétique du tyran ; on y lit ces vers de ''la Pharsale'' :
 
</poem>
::…… Me solum invadite ferro,
…… Me solum invadite ferro,
::Me frustra leges et inania jura tuentem.
Me frustra leges et inania jura tuentem.
 
::…… Ah ! ne frappez que moi,
::Moi qui brave le crime et combats pour la loi.
</poem>
 
Deux colombes sous un saule pleureur figurent les ''Baisers'' de Jean Second, mort avant sa vingt-cinquième année. On voit l’idée ; elle est suivie et variée jusqu’au bout. Malfilâtre et Gilbert n’y sont omis ; on y salue leurs marbres. Une corbeille de fleurs renversée offre l’emblème de la destinée de Millevoye, tombé de la veille. Chatterton, qui s’est tué, n’a qu’un rocher nu. André Chénier, à son tour, se rencontre et tient l’une des places les plus belles. Ainsi Loyson pressentait lui-même sa fin, et peuplait d’avance d’un groupe chéri le bosquet secret de son Élysée. Au centre, on remarque un petit édifice d’architecture grecque, avec une colonnade circulaire. Le ruisseau tourne autour, et on y entre par un pont de bois non travaillé : c’est une bibliothèque. Elle renferme les meilleurs écrits de ceux à qui le lieu est dédié : le choix a été fait sévèrement ; Loyson avoue, et nous devons avouer avec lui, qu’il retranche plus d’une pièce à Chénier <ref> En même temps que Loyson regrettait que l’éditeur d’André Chénier eût trop grossi le volume, Étienne Becquet, le même que nous avons vu mourir voisin des Ménades, mais qui, je le crains, n’aura point sa place au bosquet, exprimait dans les Débats, et bien plus vivement, les mêmes reproches. Je ne rappelle ces critiques que parce qu’elles font honneur aujourd’hui au goût, si hardi pour lors, de M. Delatouche. </ref>. Voici l’inscription qu’il place au fronton du temple :
 
<poem>
::Dormez sous ce paisible ombrage,
Dormez sous ce paisible ombrage,
::O vous pour qui le jour finit dès le matin,
O vous pour qui le jour finit dès le matin,
::Mes hôtes, mes héros, mes semblables par l’âge,
Mes hôtes, mes héros, mes semblables par l’âge,
::Par les penchans, peut-être aussi par le destin,
Par les penchans, peut-être aussi par le destin,
::Dormez, dormez dans mon bocage…
Dormez, dormez dans mon bocage…
</poem>
 
Les trois articles suivans sont employés à l’examen des poésies de Chénier ; l’admiration y domine, sauf dans le second qui traite du rhythme, de l’enjambement, de la césure, et qui est tout sévère. Le critique, qui sait très bien se prendre aux vers les plus hasardeux du classique novateur, nous semble pourtant méconnaître le principe et le droit d’une tentative qui reste légitime dans de certaines mesures, mais dont nous-même avons peut-être, hélas ! abusé. « Ce n’est plus un violon qu’a votre Apollon, me disait quelqu’un, c’est un rebec. »
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La langue poétique intermédiaire dans laquelle Jean Polonius se produisit, a cela d’avantageux qu’elle est noble, saine, pure, dégagée des pompons de la vieille mythologie, et encore exemple de l’attirail d’images qui a succédé : ses inconvéniens, quand le génie de l’inventeur ne la relève pas fréquemment, sont une certaine monotonie et langueur, une lumière peu variée, quelque chose d’assez pareil à ces blancs soleils du Nord, sitôt que l’été rapide a disparu. On aurait tort pourtant de conclure que M. Labinsky, depuis ses premiers essais, n’a pas persévéré par de sérieux efforts, et n’a pas cherché à soutenir, à élargir ses horizons et ses couleurs. Sa vision d’''Emnpédocle'' (1829) était un premier pas vers le poème philosophique que son ''Érostrate'' vient nous développer aujourd’hui. Notons la marche : elle est celle de beaucoup. Les poètes qui ont commencé par le lyrisme intime, par l’expression de leurs plaintes et de leurs douleurs, ces poètes, s’ils ont chanté vraiment par sensibilité et selon leur émotion sincère, s’arrêtent dans cette voie à un certain moment, et, au lieu de ressasser sans fin des sentimens sans plus de fraîcheur, et de multiplier autour d’eux, comme par gageure, des échos grossis, ces poètes se taisent ou cherchent à produire désormais leur talent dans des sujets extérieurs, dans des compositions impersonnelles. M. de Lamartine, le plus lyrique de tous, a lui-même suivi cette direction ; elle est surtout très sensible chez M. Labinsky, lequel, à distance et dans sa liberté, me fait l’effet d’un correspondant correct de Lamartine. A un certain moment, la jeunesse s’éteignant déjà et les premiers bonheurs expirés, il s’est dit : ''Est-ce donc tout'' ? Une pièce de lui, ''le Luth abandonné'', exprime avec mélodie cette disposition touchante :
 
<poem>
::Réveille-toi, beau Luth ! entends du pin sauvage
Réveille-toi, beau Luth ! entends du pin sauvage
::Frissonner les rameaux,
Frissonner les rameaux,
::Et l’écureuil folâtre agiter le feuillage
Et l’écureuil folâtre agiter le feuillage
::De ces jeunes bouleaux.
De ces jeunes bouleaux.
 
::Seul, tu restes muet, et le vent qui s’exhale
::De la cime des ifs
::A peine de ton sein tire par intervalle
::Quelques sons fugitifs.
 
::Le lierre chaque jour t’enlace de verdure,
::Et ses nœuds étouffans
::Par degrés chaque jour éteignent le murmure
::De tes derniers accens.
 
::Ah ! si la main de l’art, si les doigts d’une femme
::Ranimaient tes concerts,
::Avant que pour jamais les restes de ton ame
::S’envolent dans les airs !
 
::Être selon mon cœur, hâte-toi, l’heure presse,
::Viens si tu dois venir
::Hâte-toi ! chaque jour enlève à ma jeunesse
::Ce qu’elle a d’avenir…
</poem>
 
Les seconds chants d’amour ne vinrent pas ; mais nous avons ''Érostrate'', grande composition où l’auteur a mis toutes ses ressources d’art. Commencé depuis bien des années, laissé ou repris plus d’une fois à travers les occupations d’une vie que les affaires réclament, cet ''Érostrate'' était déjà imprimé et non publié, quand le poème de M. Barbier partit : les deux poètes ont pris d’ailleurs leur sujet différemment, M. Barbier par le côté lyrique, M. Labinsky par l’analyse plutôt et le développement approfondi d’un caractère. Son Érostrate est un grand homme manqué qui, de mécompte en amertume, arrive lentement, par degrés, à son exécrable projet. Six chants sont nécessaires à la conduite et à la conclusion de cette pensée. On suit Érostrate dans le gynécée, dans l’hippodrome, au bois sacré ; les peintures locales que promettent ces divers titres sont exécutées avec étude, conscience, talent. Et pourtant le poème a-t-il vie ? et tout ce travail est-il venu avec bonheur ? Se peut-il même jamais qu’un long ouvrage de cette sorte, conçu et réalisé loin de la France, y arrive à point, et y paraisse juste dans le rayon ? Quel est l’à-propos d’un tel poème ? Soit dans le fond, soit pour la forme, en quoi peut-il nous flatter, nous séduire, nous irriter si l’on veut, nous toucher enfin pour le moment, sauf à réunir ensuite les conditions immortelles ? Dire qu’un tel poème, lu attentivement, mérite toute estime, c’est déjà être assez sévère. M. Labinsky restera donc pour nous Jean Polonius, l’auteur des élégies, élégies douces, senties, passagères, qui, avec quelques-unes d’Ulric Guttinguer, ont droit d’être comptées dans le cortège d’Elvire.
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Sans doute ; mais c’est peu aussi d’être amoureux en élégie, si l’on n’est poète par les images et par de certains traits qui fixent la beauté pour tous les temps. Il en est de la poésie amoureuse comme de Vénus quand elle se montre aux yeux d’Énée, naufragé près de Carthage et à la veille de voir Didon : elle prend les traits d’une mortelle, d’une simple chasseresse ; elle ressemble à une jeune fille de Sparte, et s’exprime sans art d’abord, avec un naturel parfait. C’est bien ; mais à un certain moment, le naturel trop simple s’oublie, un tour de tête imprévu a dénoué la chevelure, l’ambroisie se révèle,
 
<poem>
::Ambrosiae que comae divinum vertice odorem
Ambrosiae que comae divinum vertice odorem
::Spiravere ; pedes vestis defluxit ad imos,
Spiravere ; pedes vestis defluxit ad imos,
::Et vera incessu patuit Dea……….
Et vera incessu patuit Dea……….
</poem>
 
 
Je veux voir, même au milieu des langueurs élégiaques, ce ''pedes vestis defluxit ad imos'', cette beauté soudaine du vers qui s’enlève, et ces larges plis déroulés.
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Aimé De Loy a eu également plus de sensibilité que de style ; il est de cette première génération de poètes modernes, qui n’a pas dépassé la première manière de Lamartine, et, sa plus grande gloire, il l’a certainement atteinte le jour où une pièce de vers, signée de ses initiales A. D. L., put être attribuée par quelques-uns à l’illustre poète. Aimé De Loy, né en 1798, est mort en 1834. Sa vie, la plus errante et la plus diverse qu’on puisse imaginer, n’apparaît que par lambeaux déchirés dans ses vers que de pieux amis viennent enfin de recueillir <ref> ''Feuilles aux Vents'' ; imprimé à Lyon, chez M. Boitel, avec une dédicace de Mme Desbordes-Valmore.</ref>. Sorti d’un village des Vosges aux frontières de la Franche-Comté, il se réclama toujours de cette dernière province, par amour sans doute des poètes qui en sont l’honneur, par souvenir surtout de Nodier et des muses voyageuses. Il fit de bonnes études je ne sais où ni comment, mais il était plein de grec et de latin, d’Horace et de Philétas, si Philétas il y a ; au reste, toute sa vie ne semble qu’une longue école buissonnière. M. Marmier, M. Couturier, ses biographes <ref> M. Couturier en tête du volume, et M. Marmier dans la ''Revue de Paris'', 29 mars 1835.</ref>, nous en disent là-dessus moins encore qu’ils n’en savent ; l’aventure de Goldsmith, qui parcourut une fois la Touraine sans argent, en jouant de la flûte de village en village, n’est qu’un des accidens les plus ordinaires de la destinée de De Loy. Il paraît n’avoir conçu de bonne heure la vie que comme un pèlerinage ; partout où il sentait un poète, il y allait ; partout où il trouvait un Mécène, il y séjournait. Aussi, dans ses vers, que de Mécènes ! Il croyait naïvement que le poète est un oiseau voyageur qui n’a qu’à becqueter à droite et à gauche, partout où le portent ses ailes. Il a repris et réalisé de nouveau au XIXe siècle l’existence du troubadour allant de château en château, et payant son gîte d’une chanson. Rousseau, voyageant à pied, était boudeur encore, un misanthrope altier et réformateur du monde ; il y avait pourtant du Jean-Jacques piéton dans De Loy, ce ''fantassin de poésie'' ; mais c’était surtout, et plus simplement, un troubadour décousu. Il allait donc sans songer au lendemain, quand un jour, à vingt-un ans, il se maria ; comme La Fontaine, il ne semble pas s’en être long-temps souvenu. On s’en ressouvient aujourd’hui pour lui, et ce volume que l’amitié publie est le seul héritage de ses deux filles. Comme il avait commencé jeune ses courses, les grands astres de la littérature présente n’étaient pas encore tous levés : mais De Loy n’était pas si difficile, il allait visiter le Gardon de Florian, en attendant les autres stations depuis consacrées. L’épisode le plus mémorable de sa vie fut sans contredit son voyage au Brésil ; las du ménage et du petit magasin où il avait essayé de se confiner, le voilà tout d’un coup dans la baie de Rio-Janeiro. C’était en 1822 ; don Pedro, empereur constitutionnel, accueillit De Loy, le fit rédacteur officiel de ses projets libéraux. Outre le journal qu’il rédigeait, De Loy chantait l’impératrice ; il devint commandeur de l’ordre du Christ, il était gentilhomme de la chambre ; mais laissons-le dire, et faisons-nous à sa manière courante, quelque peu négligée, mais bien facile et mélodieuse :
 
<poem>
::Me voici dans Rio, mon volontaire exil,
Me voici dans Rio, mon volontaire exil,
::Rio, fille du Tage et mère du Brésil.
Rio, fille du Tage et mère du Brésil.
::J’ai trouvé sur ces bords des amitiés parfaites
J’ai trouvé sur ces bords des amitiés parfaites
::Mécène m’accueillit dans ses belles retraites ;
Mécène m’accueillit dans ses belles retraites ;
::Et sous les bananiers, à mes regrets si chers,
Et sous les bananiers, à mes regrets si chers,
::La fille des Césars <ref> L’impératrice du Brésil était archiduchesse d’Autriche et sœur de Marie-Louise.</ref> m’a récité mes vers.
La fille des Césars <ref> L’impératrice du Brésil était archiduchesse d’Autriche et sœur de Marie-Louise.</ref> m’a récité mes vers.
::Hélas ! que de chagrins le rang suprême entraîne !
Hélas ! que de chagrins le rang suprême entraîne !
::Que de pleurs contenus dans les yeux d’une reine !
Que de pleurs contenus dans les yeux d’une reine !
::J’ai vu les siens noyés, et dans son triste élan
J’ai vu les siens noyés, et dans son triste élan
::Elle me dit un jour : « Ce sol est un volcan… »
::Elle n’estme plusdit un jour : !…« SonCe nomsol surest mesun lèvresvolcan… expire,»
Elle n’est plus !… Son nom sur mes lèvres expire,
::Quel vent a moissonné la rose de l’Empire ?
Quel vent a moissonné la rose de l’Empire ?
 
::Ah ! j’étais jeune alors, plein de sève et d’ardeur ;
::J’aimais ce pays neuf, sa pompe et sa splendeur ;
::J’aimais le bruit des flots, le bruit de la tempête,
::Et les périls étaient mes plaisirs de poète.
::De l’ancien monde aux bords d’un monde encor nouveau
::Quelle mer n’a pas vu mon rapide vaisseau
::Rouler au gré des vents et des lames sonores ?
::Et que sont devenus mes hôtes des Açores ?
::Enfans de Saint-François, sous l’immense oranger,
::Reparlez-vous encor du fils de l’étranger ?
::Avez-vous souvenance, ô mes belles recluses,
::De ces vers lusitains échappés à mes muses ?…
</poem>
 
Il y a dans les vers de De Loy, souvent redondans, faibles de pensée, vulgaires d’éloges, je ne sais quoi de limpide, de naturel, et de captivant à l’oreille et au cœur, qui fait comprendre qu’on l’ait aimé.
Ligne 247 ⟶ 267 :
<center> LES REGRETS.</center>
 
<poem>
::Malheur à l’être solitaire
Malheur à l’être solitaire
::Qui n’a point d’amante à nommer !
Qui n’a point d’amante à nommer !
::S’il est des méchans sur la terre
S’il est des méchans sur la terre
::C’est qu’ils n’ont pu se faire aimer.
C’est qu’ils n’ont pu se faire aimer.
 
::Le cœur est né pour ces échanges,
::Notre ame y double son pouvoir :
::Et pour nous, comme pour les anges,
::L’amour est l’œil, aimer c’est voir.
 
::Le poète aimé d’une femme
::Compte aussi des jours de douleur,
::Mais les pleurs sont le bain de l’ame ;
::Les beaux vers naissent de nos pleurs !
 
::Ah ! celui que l’amour délaisse
::N’est plus jeune même à trente ans ;
::Le malheur est une vieillesse
::Qui précède les cheveux blancs.
 
::La terre est un séjour d’épreuves,
::L’homme n’est qu’un hôte en ces lieux,
::Nous descendons le cours d’un fleuve
::Où mille objets frappent nos yeux
 
::L’endroit plaît, la rive est fleurie,
::On ne s’éloigne qu’à regret,
::Mais une voix d’en haut nous crie :
::Marche ! marche ! et tout disparaît.
</poem>
 
Pardon, au milieu de cette période de l’école de l'''art'', d’avoir osé rappeler et recommander aujourd’hui quelques poésies que l’image triomphante ne couronne pas ; mais il nous a semblé que même sous le règne des talens les plus radieux il y avait lieu, au moins pour le souvenir, à d’humbles et doux vers comme autrefois, à des vers nés de source ; cela rafraîchit.
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SAINTE-BEUVE
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