« Des Révolutions dans les sociétés nouvelles » : différence entre les versions

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Remarquez d’ailleurs que, comme les hommes qui vivent dans les sociétés démocratiques ne sont attachés par aucun lien les uns aux autres, il faut à part convaincre chacun d’eux, tandis que, dans les sociétés aristocratiques, c’est assez de pouvoir agir sur l’esprit de quelques-uns ; tous les autres suivent. Si Luther avait vécu dans une société d’égalité, et qu’il n’eût point eu pour auditeurs des seigneurs et des princes, il aurait peut-être trouvé plus de difficulté à changer la face de l’Europe.
 
Ce n’est pas que les hommes des démocraties soient naturellement fort convaincus de la certitude de leurs opinions, et très fermes dans leurs croyances ; ils ont souvent des doutes que personne, à leurs yeux, ne peut résoudre. Il arrive quelquefois dans ce temps-là que l’esprit humain changerait volontiers de place ; mais, comme rien ne le pousse puissamment ni ne le dirige, il oscille sur lui-même et ne se déplace pas <ref> Si je recherche quel est l’état de société le plus favorable aux grandes révolutions de l’intelligence, je trouve qu’il se rencontre quelque part entre l’égalité complète de tous les citoyens et la séparation absolue des classes.<br/>
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volutions de l’intelligence, je trouve qu’il se rencontre quelque part entre l’égalité complète de tous les citoyens et la séparation absolue des classes.<br/>
Sous le régime des castes, les générations se succèdent sans que les hommes changent de place ; les uns n’attendent rien de plus, et les autres n’espèrent rien de mieux. L’imagination s’endort au milieu de ce silence et de cette immobilité universelle, et l’idée même du mouvement ne s’offre plus à l’esprit humain.<br/>
Quand les classes ont été abolies et que les conditions sont devenues presque égales, tous les hommes s’agitent sans cesse, mais chacun d’eux est isolé, indépendant et faible. Ce dernier état diffère prodigieusement du premier ; cependant il lui est analogue en un point. Les grandes révolutions de l’esprit humain y sont fort rares.<br/>
Mais entre ces deux extrémités de l’histoire des peuples se rencontre un âge intermédiaire, époque glorieuse et troublée où les conditions ne sont plus assez fixes pour que l’intelligence sommeille, et où elles sont assez inégales pour que les hommes exercent un très grand pouvoir sur l’esprit les uns des autres, et que quelques-uns puissent modifier les croyances de tous. C’est alors que les puissans réformateurs s’élèvent et que de nouvelles idées changent tout à coup la face du monde.</ref>.
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Lorsqu’on a acquis la confiance d’un peuple démocratique, c’est encore une grande affaire que d’obtenir son attention. Il est très difficile de se faire écouter des hommes qui vivent dans les démocraties, lorsqu’on ne les entretient point d’eux-mêmes. Ils n’écoutent pas les choses qu’on leur dit, parce qu’ils sont toujours fort préoccupés des choses qu’ils font.
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Je pense qu’il est fort malaisé d’exciter l’enthousiasme d’un peuple démocratique pour une théorie quelconque qui n’ait pas un rapport visible, direct et immédiat avec la pratique journalière de sa vie. Un pareil peuple n’abandonne donc pas aisément ses anciennes croyances ; car c’est l’enthousiasme qui précipite l’esprit humain hors des routes frayées, et qui fait les grandes révolutions intellectuelles comme les grandes révolutions politiques.
 
Ainsi, les peuples démocratiques n’ont ni le loisir ni le goût d’aller à la recherche d’opinions nouvelles. Lors même qu’ils viennent à douter de celles qu’ils possèdent, ils les conservent néanmoins, parce qu’
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ilqu’il leur faudrait trop de temps et d’examen pour en changer ; ils les gardent, non comme certaines, mais comme établies.
 
Il y a d’autres raisons encore et de plus puissantes qui s’opposent à ce qu’un grand changement s’opère aisément dans les doctrines d’un peuple démocratique.