« Les journaux chez les Romains par M. Joseph-Victor Leclerc » : différence entre les versions

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Dégager de notre Académie des Inscriptions les savans par essence des savans par art et même sans art, serait chose plus amusante qu’on ne croit. La témérité semblerait grande, mais on est dans le siècle des témérités. Les savans y ont encore échappé toutefois ; on les respecte. Un certain cercle d’ennui les protège et fait brouillard du côté de la foule. La folle insolence de la critique journalière s’est portée ailleurs ; ils sont protégés par notre légèreté même. Pour quelques épigrammes banales qui s’attachent de plus en plus à tort, je le crois, au nom de l’honorable M. Raoul-Rochette, pour quelques bons mots de Courier qui sont piqués comme des étiquettes à quelques noms, et que la politique, dans le temps, a fait retenir, on laisse en paix les estimables travailleurs et les rares inventeurs, les gens d’esprit et les manœuvres ; la méthode apparente est la même ; on les confond ensemble et l’on passe.
 
Depuis quelque temps, un membre tout novice de l’Académie des Inscriptions, M. Berger de Xivrey, semble s’être fait le trucheman de ses doctes confrères près du public : il faut se méfier pourtant. Il pourrait bien ne pas être avoué de tous. A quelle classe le faut-il rapporter lui-même ? Je ne serais pas embarrassé de le dire, si j’osais me montrer aussi sévère envers M. Berger que M. Berger n’a pas craint d’être injuste récemment envers M. Varin, auteur d’un intéintéressant
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ressant travail sur Reims. L’érudition a ses coteries encore ; l’Académie des Inscriptions conserve un reste de parti royaliste. M. Berger est arrivé par là et loue tout ce qui vient de là. Le travail de M. Varin était en concurrence, avec un livre que pousse la coterie dont est M. Berger : voilà l’histoire de cette grande colère. Oh ! si l’on retournait la lance de M. Berger contre ses collègues les plus intimes !… mais ce ne serait pas assez plaisant.
 
Il y aurait bien plus de profit à découvrir, à dénoncer au public les gens ''à idées'' dans l’érudition : ils sont rares. M. Letronne, pour prendre parmi les plus en vue, en est un. Il a de l’invention en critique, une invention très inquisitive et très destructive. S’il a pu dire un ''non'' bien net à quelque opinion vague et reçue, s’il a pu déconcerter une chronologie sacro-sainte ou prendre en flagrant délit de fabrication quelque juif hellénisant, s’il a pu mettre à sec un déluge ou faire taire à propos la statue de Memnon, il est content.
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En France, d’ailleurs, on aime assez que les idées, comme les vins, nous reviennent de l’étranger. Un petit voyage d’outre-mer ou d’outre-Rhin ne fait pas mal pour mettre en vogue. C’est ainsi depuis long-temps dans les plus petites comme dans les grandes choses Dufreny, avant Wathely, avait déjà tenté le genre des jardins dits ''anglais'', qu’on a repris ensuite de l’Angleterre, tout comme Beaufort ou Pouilly nous est revenu par Niebuhr, comme le rationalisme de Richard Simon nous revient par Strauss.
 
Les idées, sinon les individus, gagnent à ces évolutions. Pour me tenir à l’exemple présent de Niebuhr, je suis singulièrement frappé (à ne juger qu’en ignorant et en simple amateur) du résultat final de toute cette guerre sur la première Rome. Niebuhr passe pour battu, et il ne l’est pas autant qu’on veut bien dire. Sa Rome étrusque a peu réussi, et l’on raille même agréablement ses grandes épopées latines : mais, tout à côté, on raille aussi ces vieilles fables qu’on n’adoptait pas sans doute, mais qu’on relevait peu jusque-là ; on parle très lestement de Tite-Live ; on va même un peu loin peut-être en disant de son ''pleraque interiere'' que c’est la facile excuse d’un ''rhéteur ingénieux''
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ingénieux'' qui voulait se soustraire au long travail de l’historien. Dirait-on cela de Tite-Live, si Niebuhr, ce téméraire provocateur, n’était pas venu ?
 
Un Allemand de beaucoup de savoir et d’esprit, le docteur Hermann Reuchlin, le même qui fait en ce moment là-bas une histoire de Port-Royal, comme moi ici, et qui me devancera, je le crains bien, me disait un jour : « Vous autres catholiques, quand vous allez à la recherche et à la discussion des faits, vous êtes toujours plus ou moins comme une troupe qui fait sa sortie sous le canon d’une place et qui n’ose s’en écarter. Nous autres, protestans, nous osons charger à fond à la baïonnette. » J’aurais pu lui répondre : « Oui, mais prenez garde qu’en devenant victorieux, et l’ennemi chassé, vous ne vous trouviez tout juste à la place qu’il occupait auparavant. » M. Quinet a très bien démontré cela pour les théologiens qui, à leur insu, ont préparé Strauss. Or, en ce siècle, et dans toutes les questions, on est chacun plus ou moins protestant, je veux dire qu’après bien des débats avec l’adversaire, on court fortement risque d’être amené tout proche du camp que l’autre occupait. Les critiques à idées poussent trop loin ; en attendant, les critiques judicieux et sages font du chemin : le juste milieu se déplace. Le succès le plus grand de la plupart des révolutions, en littérature comme en politique, n’est guère peut-être que cela : faire tenir compte aux autres de certains résultats, en passant soi-même pour battu. Niebuhr, dans sa défaite sur le mont Aventin, me fait un peu l’effet d’être battit comme La Fayette en 1830, non sans avoir obtenu bien des choses. Grace à lui, l’histoire des premiers siècles de Rome est à refaire, ou mieux il demeure prouvé, je pense, qu’on ne saurait la refaire. Le docte et habile M. Leclerc, en rétablissant l’authenticité de cette histoire en général, ne nous dit pas en détail ce qu’il continue d’en croire. Là est l’embarras vraiment. Niebuhr, dans sa tentative de reconstruction, a erré et rêvé ; mais, à ne prendre ses hypothèses que ''philosophiquement ''et comme ''manière de concevoi''r une première Rome autre que celle de Rollin, elles demeureront précieuses et méritoires aux yeux de tous les libres esprits <ref> M. Leclerc rappelle très bien et cite l’agréable plaisanterie de l’abbé Barthélemy, oit, sous le titre d’''Essai d’une nouvelle Histoire romaine'', il montre qu’il ne croit à peu près rien des premiers siècles de l’ancienne. Bayle, dans l’article ''Tanaquil'' de son Dictionnaire, après avoir soigneusement déroulé le tissu de contes qui se rattachent à cette princesse, ajoute que si l’on avait fait faire à de jeunes écoliers des amplifications sur des noms de personnages héroïques, et qu’on eût introduit ensuite toutes ces broderies dans le corps de l’histoire, on n’aurait guère obtenu un résultat plus fabuleux. « Cela eûtt produit de très grands abus, dit-il avec son air de maligne bonhomie, si les plus jolies pièces de ces jeunes gens eussent été conservées dans les Archives, et si, au bout de quelques siècles, on les eût prises pour des relations. Que sait-on si la plupart des anciennes fables ne doivent pas leur origine à quelque coutume de faire louer les anciens héros le jour de leur fête et de conserver les pièces qui avaient paru les meilleures ? Ces bonnes pièces, ces bonnes ''copies'', comme on dit dans les classes, c’est une manière plus prosaïque d’exprimer la même chose qu’on a depuis appelée magnifiquement du nom d’épopées. Mais tout ce scepticisme, avant Niebuhr, n’était pas sorti d’un cercle restreint ; il souriait silencieusement au bas d’une note de Bayle, ou se jouait avec l’abbé Barthélemy dans le salon de Mme de Choiseul ; il s’enfermait avec Pouilly et Lévesque au sein de l’Académie des Inscriptions ; maintenant il s’est produit en plein jour et a passé à l’état vulgaire. Cette vaste tentative d’incendie par les Germains l’a tout d’un coup trahi de toutes parts et éclairé.</ref>.
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En attendant, une histoire des journaux est à faire ; les doctes travaux de M. Leclerc en rendent facile la préface pour ce qui concerne l’antiquité. Il lui resterait à parler des Grecs et à y rechercher, comme il l’a fait pour les Romains, le vestige de l’organe. Il paraît peu disposé à le croire très développé : « La vie politique des Grecs, dit-il en un endroit <ref> Page 224. </ref>, non moins active que celle de Rome, mais resserrée dans leurs petits états, n’appelait point un aussi rapide et aussi énergique instrument de publicité que cet immense empire dont les armées conquérantes détruisirent en peu d’années Carthage, Corinthe et Numance. » On a vu que cet ''énergique instrument'' de publicité ne joua jamais que très peu à Rome ; et, puisqu’il s’agit de la faculté plutôt encore que de l’usage, j’ai peine à croire qu’Athènes, par exemple, n’en ait pas fait preuve, même dans son cercle très resserré. Il serait piquant d’éclairer cela avec précision. On a voulu voir le premier exemple des journaux littéraires dans la Bibliothèque de Photius, et faire de lui l’inventeur des ''Éphémérides''. M. Leclerc indique, en passant, une quantité d’éphémérides historiques des Grecs qui ne sont pas plus des journaux proprement dits, destinés aux nouvelles publiques, que la Bibliothèque de Photius n’est un journal littéraire. Il paraît pourtant qu’un des premiers journaux des Romains fut rédigé par un Grec appelé Chrestus : il n’a dû importer à Rome que ce qui était déjà dans son pays. ''A priori'', on peut affirmer que le journal, à l’état primitif au moins, n’a pas dû manquer à la Grèce.
 
Encouragé dans cette voie de recherches par le prompt succès de son livre, M. Leclerc, nous assure-t-on, s’occupe activement de suivre au moyen-âge la trace du journal. De journaux privés, il n’en manqua jamais même alors : on écrivait à la dernière page de sa Bible ses bons ou mauvais jours ; le moine ou le bourgeois de Paris notaient dans
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dans l’ombre les évènemens monotones ou singuliers. Mais lorsqu’on entend par journal une feuille plus ou moins régulière, périodiquement publiée, on a plus de peine à en découvrir, et c’est à M. Leclerc que revient le soin d’en dépister. On a cru volontiers jusqu’ici que les gazettes étaient nées au XVIe siècle seulement, et les journaux littéraires au XVIIe. « C’est une des plus heureuses inventions du règne de Louis-le-Grand, » dit solennellement Camusat en tête de son ébauche d’histoire. Les véritables précédens des journaux littéraires sont dans la correspondance des savans du XVIe siècle et de leurs successeurs de Hollande. Quoi qu’il en soit, toutes ces investigations préalables ne serviraient qu’à fournir une bonne introduction à l’histoire des journaux, et c’est à ce travail que je voudrais voir quelque académie ou quelque librairie (si librairie il y a) provoquer deux ou trois travailleurs consciencieux et pas trop pesans, spirituels et pas trop légers. Il est temps que cette histoire se fasse ; il est déjà tard ; bientôt on ne pourrait plus. On est déjà à la décadence et au bas-empire des journaux. Bayle nous en marque l’âge d’or si court, le vrai siècle de Louis XIV. Il réclamait déjà lui-même une histoire des gazettes. L’essentiel d’abord serait de former un bon corps d’histoire, d’établir les grandes lignes de la chaussée ; les perfectionnemens viendraient ensuite. Il y aurait danger, si l’on n’y faisait attention, de demeurer attardé dans les préparatifs de l’entreprise et perdu dans les notes : je sais un estimable érudit qu’on trouva de la sorte dans son cabinet, assis par terre, à la lettre, et tout en pleurs, au milieu de mille petits papiers entre lesquels il se sentait plus indécis que le héros de Buridan : ''Sedet oeternumque sedebit infelix Theseus''. Camusat lui-même n’a laissé qu’un ramas de notes. Malgré tout le soin possible, il faudrait se résigner dans un tel travail à bien des ignorances, à bien des inexactitudes : on saura de moins en moins les vrais auteurs, je ne dis pas des articles principaux, mais même des recueils. Quelqu’un a trouvé l’autre jour très spirituellement que les journaux sont nos Iliades, et qui ont des myriades d’Homères ; en remontant toutefois, le nombre des Homères se simplifie. Par malheur, ceux qui seraient en état d’éclairer, de contrôler pertinemment ces origines de journaux, manqueront de plus en plus. C’est là un des préjugés et une des morgues de l’érudition que d’attendre, pour attacher du prix à certains travaux, qu’il ne soit presque plus temps de les bien faire. Le beau moment académique pour reconstruire une civilisation, c’est lorsqu’il n’en reste plus qu’une écriture indéchiffrable ou des pots cassés.
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La grande division qui séparerait naturellement cette histoire des journaux français en deux tomberait à 89 : histoire des journaux avant la révolution, et depuis. Cette dernière partie, pour être plus rapprochée et pour n’embrasser que cinquante ans, ne serait pas, on le conçoit, la moins immense. Mais même pour la première, on ne s’imagine pas, si l’on n’y a sondé directement par places, l’immensité et la multiplicité de ce qu’elle aurait à embrasser dans l’intervalle de cent vingt-quatre ans, depuis 1665, date de la fondation du ''Journal des Savans'', jusqu’en 89. L’utilité et le jour qui en rejailliraient pour l’appréciation littéraire des époques qui semblent épuisées, ne paraissent point avoir été assez sentis. Dans l’histoire qu’on a tracée jusqu’à présent de la littérature des deux derniers siècles, on ne s’est pris qu’à des œuvres éminentes, à des monumens en vue, à de plus ou moins grands noms : les intervalles de ces noms, on les a comblés avec des aperçus rapides, spirituels, mais vagues et souvent inexacts. On a trop fait avec ces deux siècles comme le touriste de qualité qui, dans un voyage en Suisse, va droit au Mont-Blanc, puis dans l’Oberland, puis au Righi, et qui ne décrit et ne veut connaître le pays que par ces glorieux sommets. Le plain-pied moyen des intervalles n’a pas été exactement relevé, et on ne l’atteint ici que par cette immense et variée surface que présente la littérature des journaux. Il y a en ce sens une carte du pays à faire, qui, à l’exemple de ces bonnes cartes géographiques, marquerait la hauteur relative et le degré de relèvement des monts par rapport à ce terrain intermédiaire et continu. Jusqu’ici encore, on a, par-ci par-là, rencontré et coupé des veines au passage ; il y a à suivre ces veines elles-mêmes dans leur longueur, et bien des rapports constitutifs et des lois de formation ne s’aperçoivent qu’ainsi. Ce sont des enfilades de galeries qu’on ne se figure que si l’on y a pénétré. On aurait beau dire d’un ton léger : « Que voulez-vous tant fouiller, et pourquoi s’embarrasser de la sorte ? Ces morts sont morts et ont bien mérité de mourir ; qu’ils dorment à jamais en leurs corridors noirs. Cette littérature oubliée était juste à terre en son vivant ; elle est aujourd’hui sous terre ; elle n’a fait que descendre d’un étage. Allez aux grands noms, aux pics éclatans ; laissez ces bas-fonds et ces marnières. » Mais il ne s’agirait pas ici de réhabiliter des noms ; les noms en ce genre sont peu ; les hommes y sont médiocrement intéressans d’ordinaire, et même les personnes morales s’y trouvent le plus souvent gâtées et assez viles ; il s’agirait de relever des idées et de prendre les justes mesures des choses autour
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des œuvres qu’on admire. Quand on a vécu très au centre et au foyer de la littérature de son temps, on comprend combien, en ce genre d’histoire aussi (quoiqu’il semble que là du moins les œuvres restent), la mesure qui ne se prend que du dehors est inexacte et, jusqu’à un certain point, mensongère et convenue ; combien on surfait d’un côté en supprimant de l’autre, et comme de loin l’on a vite dérangé les vraies proportions dans l’estime. Eh bien ! au XVIIIe siècle c’était déjà ainsi ; tout ce qu’on trouve de bonne heure dans les journaux d’alors est une source fréquente d’agréable surprise. ''Le Mercure'', le plus connu, n’en représente guère que la partie la plus fade et la moins originale. Quand on aura parcouru la longue série qui va de Desfontaines, par Fréron, à Geoffroy, on saura sur toute la littérature voltairienne et philosophique un complet revers qu’on ne devine pas, à moins d’en traverser l’étendue. Quand on aura feuilleté le ''Pour et Contre'' de l’abbé Prévost, et plus tard les journaux de Suard et de l’abbé Arnaud, on en tirera, sur l’introduction des littératures étrangères en France, sur l’influence croissante de la littérature anglaise particulièrement, des notions bien précises et graduées, que Voltaire, certes, résume avec éclat, mais qu’il faut chercher ailleurs dans leur diffusion. Si les ''Nouvelles ecclésiastiques'' (jansénistes), qui commencent à l’année 1728 et qui n’expirent qu’après 1800, ne donnent que la triste histoire d’une opinion, ou plutôt, à cette époque, d’une maladie opiniâtre, étroite, fanatique, et comme d’un nerf convulsif de l’esprit humain, les Mémoires de Trévoux, dans les portions qui confinent le plus au XVIIe siècle, offrent un fond mélangé d’instruction et de goût, le vrai monument de la littérature des jésuites en français, et qui, ainsi qu’il sied à ce corps obéissant et dévoué à son seul esprit, n’a porté à la renommée le nom singulier d’aucun membre <ref> Je suis tenté vainement de citer le nom de Tournemine comme se rattachant le plus en tête à la rédaction des Mémoires de Trévoux : Tournemine a-t-il obtenu ou gardé quelque chose qui ressemble à de la gloire ? </ref>. Il serait fastidieux d’énumérer, et moi-même je n’ai jamais traversé ces pays qu’en courant ; mais un jour il m’est arrivé aux champs, dans la bibliothèque d’un agréable manoir, de rencontrer et de pouvoir dépouiller à loisir plusieurs années de cette considérable et excellente collection intitulée ''l’Esprit des Journaux'', laquelle, commencée à Liége en 1772, s’est poursuivie jusque vers 1813. Je ne revenais pas de tout ce que j’y surprenais, à chaque pas, d’intéressant, d’imprévu, de neuf et de vieux à la fois, d’inventé par nous-mêmes hier. Cet ''Esprit des Journaux'' était une espèce de journal (
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(disons-le sans injure) voleur et compilateur, qui prenait leurs bons articles aux divers journaux français, qui en traduisait à son tour des principaux journaux anglais et allemands, et qui en donnait aussi quelques-uns de son cru, de sa rédaction propre. Voilà un assez bel idéal de plan, ce semble. ''L’Esprit des Journaux'' le remplissait très bien. Que n’y ai-je pas retrouvé dans le petit nombre d’années que j’en ai parcourues ! Nous allons oubliant et refaisant incessamment les mêmes choses. Cette toile de Pénélope, dans la science et la philosophie, amuse les amans de l’humanité, qui s’imaginent toujours que le soleil ne s’est jamais levé si beau que ce matin-là, et que ce sera pour ce soir à coup sûr le triomphe de leur rêve. Savez-vous qu’on était fort en train de connaître l’Allemagne en France avant 89 ? Bonneville et d’autres nous en traduisaient le théâtre. Cette Hroswita, si à propos ressuscitée par M. Magnin, était nommée et mentionnée déjà en plus d’un endroit ; sans l’interruption de 89, on allait graduellement tout embrasser de l’Allemagne, depuis Hroswita jusqu’à Goethe. Les poésies anglaises nous arrivaient en droite ligne ; les premiers poèmes de Crabbe étaient à l’instant analysés, traduits. Savoir en détail ces petits faits, cela donne un corps vraiment à bien des colères de La Harpe, aux épigrammes de Fontanes. ''L’Allemagne'' de Mme de Staël n’en est pas moins un brillant assaut, pour avoir été précédé, avant 89, de toutes ces fascines jetées dans le fossé. Mon ''Esprit des Journaux'' me rendait sur Buffon <ref> Juin et juillet 1788.</ref> des dépositions originales qui ajouteraient un ou deux traits, je pense, aux complètes leçons de M. Villemain. Dans une préface de Mélanges tirées de l’allemand, Bonneville (et qui s’aviserait d’aller lire Bonneville si on ne le rencontrait là ?) introduisait dès-lors cette manière de crier tout haut famine et de se poser en mendiant glorieux, rôle que je n’avais cru que du jour même chez nos grands auteurs. Jusqu’à plus ample recherche, c’est Bonneville qui a droit à l’invention. Mais on était encore en ces années dans l’âge d’or de la maladie, et un honnête homme, Sabatier de Cavaillon, répondant d’avance au voeu de Bonneville, adressait, en avril 1786, comme conseils au gouvernement, des observations très sérieuses ''sur la nécessité de créer des espions du mérite'' <ref> ''Esprit des Journaux'', avril 1786 (extrait du ''Journal Encyclopédique''.)</ref>. « Épier le mérite, le chercher dans la solitude où il médite, percer le voile de la modestie dont il se couvre, et le forcer de se placer dans le rang où il pourrait servir les hommes, serait, à mon avis, un emploi utile à la patrie et digne des meilleurs citoyens. Ce serait une branche de police qui produirait des «
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« fruits innombrables… » Voilà l’idée première et toute grossière, me disais-je ; celle de se dénoncer soi-même et de s’octroyer le bâton n’est venue qu’après.
 
En somme pourtant, cette histoire des journaux français avant 89 ne serait pas infinie. Les Beuchot, les Brunet, les Quérard, doivent en posséder par devers eux la plupart des élémens positifs. Je sais dans la bibliothèque de Besançon une chambre pas très grande et qui n’est garnie que des collections de ces vieux journaux littéraires ; en s’enfermant là pendant quelques mois, et non sans le docte Weiss (''genius loci''), on ferait beaucoup.