« Christel (éd. RDDM) » : différence entre les versions

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Que fait donc, à certains momens, le cœur, et quelles sont ses distractions étranges ! Absorbé sur un point et comme aveugle, tout à côté il ne discerne rien. Mille fois, du moins, dans ces vieux romans tant goûtés, on voit le page, messager d’amour, dans sa grace adolescente, faire oublier à la dame du château celui qui l’envoie. Les brillans ambassadeurs des rois, près des belles fiancées qu’ils vont quérir aux rivages lointains, ont souvent touché les prémices des cœurs. Ici, c’est près du jeune homme qu’une belle jeune fille est messagère ; élégante, légère, demi-penchée, émue et alarmée, lisant, depuis des mois, la mort ou la vie dans son regard, et il ne l’a pas vue. Il est vrai qu’elle ne lui apparaît qu’en toilette simple, sans autre fleur qu’elle-même, derrière des barreaux non dorés, dans une chambre étroite que masque un bureau obscur : mais est-ce qu’elle ne l’éclaire pas ?
 
Christel avait d’affreux momens, des momens durs, humiliés, amers ; la langueur et la rêverie premières étaient bien loin ; le souvenir de ce qu’elle était la reprenait et lui faisait monter le sang au front ; elle se demandait, en se relevant, pour qui donc elle se dévorait ainsi. Elle faisait appel dans sa détresse, oh ! non plus à ses goûts anciens, à ses gracieux amours de jeune fille, à ses lectures chéries (tout cela était trop insuffisant et dès long-temps flétri pour elle), mais à des sentimens plus mâles et plus profonds, comme à des ressources désespérées,… à son culte de la patrie par exemple. Elle se représentait son père, le drapeau sous lequel il avait combattu, le deuil de l’invasion ; elle excitait, elle provoquait en elle l’orgueil blessé des vaincus ; elle cherchait à impliquer, dans l’inimitié de ses représailles, le jeune noble royaliste, le mousquetaire de 1814, mais en vain ; le ressort sous sa main ne répondait pas ; l’amour, qui aime à
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à brouiller les drapeaux, se riait de ces factices colères. L’Empereur évoqué en personne sur son rocher n’y pouvait rien. - Elle voulait voir du mépris de la part d’Hervé, de la fierté insolente dans cette inattention soutenue, et tâchait de s’en irriter ; mais non, c’était moins et c’était pis, elle le sentait bien ; ce prétendu dédain s’enfonçait plus cruel, précisément en ce qu’il était plus involontaire ; c’était de l’oubli.
 
Comment donc oublier à son tour ? Comment se fuir elle-même, s’isoler contre l’incendie intérieur qui s’acharnait ? Elle jetait dans un coin ces lettres odieuses, et se jurait de ne les plus voir ni toucher. Si elle avait pu, du moins, sortir, se distraire par le monde, vivre de la vie de bal et s’étourdir comme la plus frivole dans le tourbillon insensé ; ou mieux, s’échapper et courir par les bois, biche légère, et chercher, s’il en est, le dictame dans les antres secrets, au sein de la nature éternelle !