« Du gouvernement représentatif en France/03 » : différence entre les versions

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La France pense-t-elle posséder deux chambres législatives parce que des messagers d’état voyagent cérémonieusement d’un palais à un autre ? Ne voit-t-elle pas toute la plénitude du pouvoir ballottée depuis neuf ans entre la royauté et la chambre élective, puissantes toutes deux, et peut-être à l’égal l’une de l’autre ?
 
Les conséquences d’un tel état de choses apparaîtront chaque jour plus redoutables, en admettant que les perturbations de ces dernièdernières
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res années ne suffisent pas pour en constater dès à présent toute la gravité. La division du pouvoir législatif est un axiome dans tous les états libres : s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer, ne fût-ce que pour la France, pays d’entraînement et de fougue, qui doit surtout se prémunir contre ses premiers mouvemens. La nation n’a pas, on doit le croire, reculé depuis l’an III. Ce que décréta la convention nationale elle-même, comme un premier hommage à l’expérience de tous les peuples, n’a pas cessé d’être une nécessité de premier ordre, une question de vie ou de mort pour le système représentatif.
 
Ceci, monsieur, n’est nié par personne. Il n’est pas un membre de l’opposition, jusque dans ses rangs les plus avancés, qui comprenne la monarchie constitutionnelle avec une seule chambre. Au sein même du parti républicain, les hommes dont l’opinion peut être de quelque poids, et je citerai ici Carrel, ont toujours reconnu, encore qu’ils ne l’aient pas toujours confessé, la convenance d’une division dans le pouvoir législatif, et la nécessité d’un sénat, dépositaire spécial des traditions gouvernementales. Il n’est donc pas dans le monde politique de doctrine plus universellement professée que celle-là.
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Vous connaissez la France et vous savez si elle ne donne pas, à bien peu de chose près, tout ce qu’elle est actuellement en mesure de donner ; vous savez surtout qu’en faisant des électeurs, on ne fait pas des éligibles. Il est bien difficile de croire qu’en modifiant en quelque chose le cens électoral, qu’en le combinant avec certaines catégories de capacités exprimant des intérêts analogues à ceux que représente le cens lui-même, on arrive à des résultats notablement différens, soit pour la nomination de la chambre élective seule, soit pour la formation de deux assemblées politiques. En livrant la formation d’une pairie élective au corps électoral, on le mettrait probablement dans le cas de renvoyer la législature actuelle en partie double, et la France aurait alors deux assemblées à peu près identiques, et séparées par une simple cloison de sapin. Mieux vaudrait, au reste, cet état de choses que celui dont nous sommes menacés ; et je suis, pour ce qui me concerne, tellement préoccupé de l’anéantissement politique de la première chambre, que j’irais, je crois, jusqu’à subir même la gérontocratie de l’an III.
 
Notre unité gouvernementale interdit le mode d’élection du sénat américain, auquel chaque législature envoie deux membres. Demander, comme la Belgique et comme l’Espagne, le choix de nos sénateurs à des assemblées provinciales, soit directement, comme le fait l’une <ref> En Belgique, les sénateurs sont élus dans la même forme et par les mêmes électeurs que les représentans, sous condition d’être âgés de quarante ans et de payer au moins
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l’une <ref> En Belgique, les sénateurs sont élus dans la même forme et par les mêmes électeurs que les représentans, sous condition d’être âgés de quarante ans et de payer au moins 1,000 florins de contributions directes. (Loi élect. belge, art. 42.) </ref>, soit par voie de candidature, comme procède l’autre <ref> Les sénateurs espagnols sont nommés par le roi sur une liste de trois candidats, proposés par les électeurs qui nomment les députés aux certes. (Constit. de 1837, tit. III, art. 15.)</ref>, serait rendre inévitables des choix purement locaux, alors que le but essentiel de l’institution devrait être d’y introduire des notabilités nationales pour faire de la chambre haute comme un degré supérieur, d’initiation à la vie politique. En présence de ces difficultés, on pourrait être conduit à placer l’élection de la pairie au centre même des trois pouvoirs législatifs, comme l’essaya la constitution de l’an VIII pour son sénat conservateur <ref> « La nomination à une place de sénateur se fait par le sénat, qui choisit entre trois candidats, présentés, le premier par le corps législatif, le second par le tribunat, le troisième par le premier consul.</ref>
<small>« Il ne choisit qu’entre deux candidats, si l’un d’eux est présenté par deux des trois autorités présentantes ; il est tenu d’admettre celui qui serait présenté à la fois par les trois autorités. » (Constit. de l’an VIII, tit. II, art. 16.)</ref>
. Peut-être ne jugerait-on pas impossible de concéder à la chambre inamovible le droit de se renouveler elle-même, avec un certain concours attribué à la royauté. Les corps les plus puissans par la pensée politique se sont ainsi perpétués par leur énergie propre. Rien n’habitue mieux qu’un tel principe à discerner les supériorités, sitôt qu’elles se produisent au dehors, pour les absorber dans son sein ; c’est à lui que toutes les sociétés savantes doivent leur puissance sur l’opinion, et nul ne se mettrait plus naturellement en harmonie avec une société aussi avide d’hiérarchie que d’égalité, depuis si long-temps tourmentée du besoin de concilier enfin cette redoutable antithèse.
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Dans sa fureur contre la chambre élective, dans son indignation surtout contre l’alliance qui avait introduit de si graves perturbations dans son sein, c’était à la pairie seule qu’il commettait pour l’avenir le soin de fournir des ministres à la royauté ; là seulement il trouvait et l’esprit et les conditions d’un gouvernement, et dans ses élucubrations législatives, je crus comprendre que la mission de la chambre des députés se dessinait, pour lui, d’une manière analogue à celle du tribunat. Il était plein d’admiration pour Sieyès, dont il venait d’étudier la pyramide constitutionnelle ; il déclarait que ni cet homme ni son œuvre n’avaient été compris ; et que, quelque affamée que la France pût être de repos, elle serait bientôt conduite à remanier ses lois pour les mettre en harmonie avec ses intérêts comme
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avec ses moeursmœurs. Peut-être, retiré dans ses terres, M. de N… nous prépare-t-il aujourd’hui une constitution.
 
J’espère que nous n’en aurons pas besoin, et qu’il en sera pour ses peines. Pensez-vous cependant que de telles idées traversant une haute et sympathique intelligence, que d’autres rêves plus hardis conçus par des ames plus ardentes ne donnent pas beaucoup à réfléchir ? A l’aspect des désordres qu’entraîne chaque année le jeu de nos institutions, n’est-on pas conduit à se préoccuper de l’avenir, et lorsqu’on voit la machine politique fonctionner à si grand’peine dans un temps prospère et par des jours de calme, ne doit-on pas trembler en songeant à la première tempête ?