« Dépêches du Duc de Wellington » : différence entre les versions

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renferment les dépêches de 1813 à 1815. Ces deux volumes devaient être publiés à Londres, au moment où M. le maréchal Soult s’y rendit, comme ambassadeur extraordinaire, pour assister au couronnement de la reine. Le duc de Wellington, par un effet de sa délicatesse de gentleman, en fit suspendre la publication jusqu’après le départ de son ancien et illustre adversaire. Cependant je n’ai découvert, dans ces deux volumes, rien d’ouvertement hostile à M. le maréchal Soult, et si, çà et là, on trouve quelques petits billets où le général anglais annonce qu’il a battu son ennemi, il se peut bien que M. le maréchal Soult ait écrit, de son côté, tout-à-fait du même ton.
 
Je me sens d’autant plus à l’aise en examinant ces gros recueils de dépêches anglaises, qu’elles me semblent ne nuire en rien à la gloire militaire de ma patrie. Un de nos hommes d’état les plus éminens, qui lit avec assiduité tout ce qui nous vient de l’Angleterre, dont il nous a expliqué avec génie la plus grande époque politique, me faisait l’honneur de me dire, il y a quelques jours, que cette collection lui représente l’œuvre de la raison la plus nette, mais en même temps la plus froide et la plus décharnée. C’est, en effet, à force d’ordre et d’ordre dans l’esprit surtout, que le duc de Wellington a triomphé de nos troupes dans la Péninsule. En lisant ses mémorandums aux cabinets et ses proclamations aux Portugais et aux Espagnols, on sent tout ce que peut le sentiment de la justice, même dans les entreprises où il semble que l’enthousiasme seul puisse avoir quelque action. Le duc de Wellington a résolu un problème qui me semblait chimérique avant la lecture de ces dépêches ; il a prouvé qu’on peut faire une longue campagne et triompher d’un gouvernement absolu comme était l’empire, en combattant sous les drapeaux d’un gouvernement constitutionnel. De ce point de vue, les dépêches du duc de Wellington ont un immense intérêt pour la France actuelle, et j’en recommande la lecture à nos officiers. Ils n’y trouveront pas des leçons de haute stratégie ; ils n’y apprendront pas l’art de frapper ces coups qui étonnent le monde, et, Dieu merci, ils n’ont pas besoin d’ouvrir les récits des campagnes des capitaines étrangers pour s’instruire des secrets de cette noble école ; mais ils verront là par quelle infatigable exactitude, par quels soins répétés, par quelle attention minutieuse donnée aux moindres opérations, au bien-être de ses soldats, à l’approvisionnement de son armée, par quelle inépuisable patience, un chef militaire peut surmonter les difficultés que lui opposent des chambres divisées, ainsi que les lenteurs d’une administration que la nature de son pouvoir rend à la fois exigeante, tracassiètracassière
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re et timide. Enfin, nos officiers apprendront, par la lecture de ce livre, comment un général en chef, s’il veut réussir sous le régime d’étroite responsabilité où nous vivons, doit savoir tenir constamment un œil ouvert sur l’ennemi et l’autre sur lui-même.
 
Ceux qui aiment les contrastes n’ont qu’à suivre à la fois, sous les mêmes dates, les mémoires ainsi que les ordres du jour du duc de Wellington, et les bulletins ainsi que les proclamations de Napoléon et de ses lieutenans. Napoléon et les généraux de son école s’adressent toujours à l’esprit du soldat ; ils lui parlent du jugement des siècles, de l’histoire ; dans quelques-unes de ses proclamations de la Pologne et de la Russie, quand les troupes sans solde manquaient de vêtemens et de chaussures, l’empereur leur promet au retour un repas public devant son palais dans Paris, où leurs concitoyens les couronneront de lauriers, et les salueront du glorieux nom de soldats de la grande-armée. Le duc de Wellington ne parle jamais de l’avenir à ses soldats et aux officiers sous ses ordres ; il leur annonce qu’une escadre anglaise qu’il attend, apporte tant de livres sterling, tant de capotes, tant de chaussures, des vivres pour les hommes, du foin pour les chevaux, et il ne leur dit pas même, comme Nelson à Trafalgar, que l’Angleterre attend d’eux que chacun fera son devoir. Le général anglais ne suppose pas qu’une armée chaudement vêtue et régulièrement nourrie puisse y manquer ! Quant à lui-même, il s’impose des devoirs d’un genre tout semblable. Il suppute, il compte avec l’exactitude d’un négociant anglais les subsides en argent qui lui arrivent, il les répartit en masses égales, il relève les erreurs de chiffres des bordereaux, et rien ne rebute son attention dans ce travail vulgaire. En un mot, le duc de Wellington pousse si loin cette qualité importante d’un grand général, que possédait aussi à un haut degré Napoléon, qu’elle absorbe un peu en lui toutes les autres. Si le duc de Wellington avait eu à combattre à la fois le maréchal Soult et l’intendant Daru, ou quelque approvisionneur de cette force, les résultats de la campagne de 1813 eussent peut-être été différens ; mais il avait devant lui des troupes dénuées de tout, qui ne pouvaient se refaire dans un pays qu’elles avaient épuisé, et son esprit d’ordre, appuyé d’un incontestable talent militaire, lui donna l’avantage partout.
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Je dirai peu de chose des volumes de la collection des dépêches du duc de Wellington qui ont rapport aux affaires militaires dont il eut la direction dans l’Inde. Nos lecteurs ont déjà pu suivre ces premières années de la carrière militaire du général anglais dans une remarquable notice publiée par la ''Revue'' <ref> Voyez la livraison du 15 novembre 1837.</ref>. On sait comment le jeune et timide lieutenant-colonel se changea en un général indifférent au danger, et déjà digne d’une haute réputation. Sir Arthur Wellesley eut affaire dans l’Inde à des chefs dont la tactique était assez semblable à celle d’Abd-el-Kader, mais dont l’habileté était plus grande, et à des troupes plus redoutables que les Arabes, car elles étaient plus nombreuses et commandées par des officiers européens. Scindiah, comme Hyder-Ali, détruisait les armées anglaises rien qu’en les fuyant, en les entraînant à sa poursuite, dans de vastes contrées sans ressources, sans herbe, sans eau, en se dérobant à elles dans des bois impénétrables, ou en les attaquant à l’improviste par les détours d’un pays qui lui était aussi connu qu’il était nouveau pour ses adversaires. C’est en le poursuivant que Wellington apprit à connaître toutes les ressources de la persévérance, ressources qu’il employa si bien depuis. C’est peut-être aussi en servant sous l’autorité suprême d’une compagnie de marchands, qu’il contracta l’habitude de régularité, la méthode de comptable, qui l’ont si bien servi dans la guerre d’Espagne. Il eut déjà l’occasion de déployer ce sentiment de justice et ce goût honorable de ponctualité dans la commission de répartition du territoire conquis dans le Mysore, dont il fit partie, et il revint en Angleterre, en 1803, avec la réputation d’homme intègre, jointe à celle de général habile, qu’il avait surtout gagnée dans l’expédition du Décan, à la meurtrière bataille d’Assye, où furent écrasés les Mahrattes.
 
Pour rendre justice au duc de Wellington, et la justice qui est due à son principal mérite, qui est la fermeté avec laquelle il assujettissait à
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à la discipline les troupes placées sous ses ordres, il faut faire remarquer qu’il était loin de disposer, en Espagne, des ressources qu’on lui supposait. Cette observation pourrait aussi le justifier du reproche qui lui a été fait de n’avoir pas poursuivi ses succès comme il pouvait le faire, et de s’être montré en quelque sorte inquiet d’une victoire quand il l’avait remportée. Il y avait de quoi être inquiet, en effet, avec des auxiliaires tels que les Espagnols et les Portugais, qui haïssaient un peu plus les Anglais après une victoire qu’après une défaite, et qui, à chaque retard de la solde ou des approvisionnemens, menaçaient leur allié d’une défection, comme s’ils avaient été de simples mercenaires, ou comme si l’Espagne et le Portugal n’eussent pas été plus à portée de l’armée française que l’Angleterre. Jusqu’à présent, j’avais cru que l’Angleterre avait été pour l’Espagne un banquier exact et complaisant, et que son général, lord Wellington, n’avait à maintenir dans la ligne du devoir que des hommes à qui on n’avait laissé aucun prétexte de s’en écarter ; mais il n’en a pas toujours été ainsi, et on voit, par quelques-unes de ses plaintes au gouvernement anglais, que ''l’or de l’Angleterre'' ne coulait pas aussi abondamment sur le continent que le disait le ''Moniteur''. En même temps, lord Wellington avait à lutter contre les ministres qui, jugeant mal la valeur militaire des points occupés par les troupes anglaises, croyaient faire des merveilles en envoyant trente mille hommes à Walcheren et une armée en Sicile. La lettre suivante, datée également du quartier-général de Saint-Jean-de-Luz, donne, sous ce point de vue, une idée complète des rapports du général anglais avec son gouvernement. Elle a été adressée à lord Bathurst le 13 décembre 1813.
 
« J’ai reçu la lettre de votre seigneurie, du 10, et je vous prie d’assurer l’ambassadeur de Russie que je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir dans l’intérêt des armées alliées. Je suis déjà plus avancé sur le territoire français qu’aucune des puissances alliées, et je crois que je suis mieux préparé qu’elles à prendre avantage de toute occasion de nuire à l’ennemi, soit en conséquence de ma propre situation, soit en conséquence des opérations des armées alliées.
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Heureusement, de pareils ordres de la part de lord Wellington sont rares, et de tous ceux qu’il donne chaque jour aux généraux espagnols, je n’en retrouve pas un seul qui ait ce caractère de dureté et de passion. En général, lord Wellington laissait peu à faire aux officiers sous ses ordres, et sa vigilance les suit partout. On n’élève pas une palissade, on ne construit pas une redoute, qu’il n’assiste lui-même à l’opération, ou qu’il ne vienne la rectifier ; et quand il est occupé ailleurs, il la juge de loin de son œil exercé, comme dans ce fragment de lettre au général Giron, au sujet d’un ouvrage de fortification qu’il avait fait faire sur la hauteur en arrière d’Échalar :
 
« Si vous finissez la redoute sur le plan que vous avez commencé, il faudrait faire une opération majeure pour regagner le Puerto d’Échalar, en cas que nous fussions jamais dans le cas de l’abandonner pour le moment, afin de manoeuvrer sur la droite ou sur la gauche, parce que le flanc droit de la redoute et son derrière regardent exactement les deux points d’où il faut venir pour attaquer le Puerto, si l’ennemi l’avait en sa possession. Ce que je vous conseille donc, c’est de faire les deux flancs de votre ouvrage ou d’abattis ou de palissades, et d’é
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tendreet d’étendre la ligne qui regarde vers le Puerto, prenant garde toujours qu’elle ne soit, de nulle manière, une défense pour ceux qui pourraient avancer du côté d’Échalar. »
 
A la fin, cependant, cette inépuisable activité qui lutte tantôt contre les lenteurs du gouvernement anglais, tantôt contre les désordres de l’armée, et toujours contre la haine et les calomnies du gouvernement espagnol, se rebute et se lasse. Lord Wellington, irrité d’un manifeste publié avec l’agrément du gouvernement espagnol, où l’on flétrit la conduite des officiers alliés lors de l’assaut de Saint-Sébastien, donne sa démission qui est acceptée par la régence, et garde seulement le commandement des troupes anglaises. Mais les ordres du gouvernement anglais l’obligent bientôt à reprendre le commandement en chef des forces alliées, et on le voit recommencer avec la même patience sa pénible tâche. Aussitôt après cette affaire, Pampelune fut évacuée par les troupes françaises, et le duc de Wellington entra dans le département des Basses-Pyrénées. Sa première proclamation est du ler novembre 1813 ; la voici :
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« En entrant dans votre pays, je vous annonce que j’ai donné les ordres les plus positifs, dont il y a ci-dessus la traduction, pour prévenir les malheurs qui sont ordinairement la suite de l’invasion d’une armée ennemie, invasion que vous savez être la conséquence de celle que votre gouvernement avait fait de l’Espagne. -Vous pouvez être assurés que je mettrai à exécution ces ordres, et je vous prie de faire arrêter et conduire à mon quartier-général tous ceux qui vous font du mal. Mais il faut que vous restiez chez vous, et que vous ne preniez aucune part dans les opérations de la guerre dont votre pays va devenir le théâtre. »
 
De nombreuses circonstances avaient facilité les progrès de lord Wellington, et lui avaient ouvert la route de nos provinces. Ces circonstances sont bien connues ; mais, en lisant les proclamations où le général anglais dispose en maître de notre sol, j’éprouve le besoin de les retracer en deux mots. Des ordres mal conçus avaient été donnés après la campagne de 1812, et trois fautes, la dispersion, en cantonnemens très éloignés les uns des autres, de l’armée française en Portugal, l’envoi de la cavalerie du général Montbrun en Aragon, le départ pour Pampelune de la division du Nord, commandée par le général Dorsenne, avaient laissé le champ libre au général ennemi. Lord Wellington profita de cet état de choses pour se présenter devant Ciudad-Rodrigo dont la garnison fut forcée de se rendre, puis devant Badajoz dont la garnison eut le même sort, sans que les généraux
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néraux des autres corps eussent fait la moindre démonstration pour défendre ces deux importantes conquêtes. La guerre de Russie avait forcé Napoléon à retirer de l’Espagne ce qui restait de sa garde, les belles légions polonaises et les débris de sa cavalerie légère. Cependant le maréchal Soult tenait l’Andalousie avec quarante-cinq mille hommes, le maréchal Marmont était à Salamanque avec un corps d’armée aussi nombreux, et le général Souham occupait la Vieille-Castille avec douze mille hommes. Dans la Manche, sur le Tage, à Madrid, le roi Joseph avait sa garde et l’armée du centre ; le maréchal Suchet était maître de l’Aragon et du royaume de Valence. Malheureusement, en présence de l’ordre, de la rigidité, de la discipline et d’une direction unique, qui se trouvaient dans le camp de lord Wellington, nos maréchaux étaient en rivalité constante sous le commandement fictif du roi Joseph, et on les voyait plus occupés les uns des autres que de l’ennemi. Toutes ces dépêches de lord Wellington, ces ordres détaillés, ces recommandations répétées, qu’on peut maintenant parcourir, donnent la clé de ses succès. En voyant la constante abnégation qu’il fait de lui-même, on comprend enfin comment il a triomphé de ces grandes réputations militaires, de ces généraux tant occupés de leur personnalité. Si seulement deux de nos généraux avaient pu s’entendre dans l’intérêt de la patrie, dix fois lord Wellington, entouré de trois ou quatre armées françaises, répandues, il est vrai, sur une vaste étendue de pays, eût été coupé, enveloppé et détruit avec toute son armée, malgré tout l’appui que lui donnaient le gouvernement et le peuple espagnols. Mais quand le roi Joseph, craignant pour le corps du maréchal Marmont, vers lequel se dirigeait lord Wellington, envoyait à l’un de ses collègues l’ordre de se porter en avant, celai-ci ne faisait marcher que des forces insuffisantes, et souvent dans une autre direction que celle qui lui était indiquée. Quant au maréchal Marmont, son malheur, - et il faut bien croire à ces influences funestes, puisque tout le talent militaire, l’instruction immense, l’intrépidité et le coup d’œil parfait du duc de Raguse ne l’ont pas préservé de ses défaites, - son malheur constant le suivait en Espagne, et sa brillante valeur, trahie par l’impétuosité irréfléchie de ses généraux de division, le perdit à Salamanque. Dès ce moment, l’Espagne, on pourrait dire l’empire, fut perdu pour Napoléon. L’abandon de Madrid et de toute la Nouvelle-Castille, l’évacuation de l’Andalousie, la perte des travaux élevés à Cadix, furent les premiers résultats de la bataille de Salamanque, et il ne fut pas donné au maréchal Soult, qui se trouvait plus tard à la tête de quatre-vingt mille
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hommes sur la Tormès, de venger les armes françaises. Lord Wellington, favorisé par un affreux orage, échappa à la bataille que lui offrait le duc de Dalmatie, et bientôt l’insurrection de toute l’Espagne et le débarquement de nouvelles forces anglaises à Alicante rendirent nos affaires désespérées. Lord Wellington se trouva alors en mesure de prendre l’offensive, et la dernière faute que l’on commit en acceptant une bataille dans la mauvaise position de Vittoria acheva de le rendre maître des évènemens. Après cette affaire, l’armée française n’eut plus d’autre position militaire que sur les Pyrénées. On sait comment Napoléon, qui espérait jusqu’alors pouvoir tirer des renforts de la Péninsule, vit tout à coup ses frontières découvertes, et appela en hâte vers lui le maréchal Soult, qu’il nomma son lieutenant-général en Espagne, en remplacement du roi. Il était trop tard, et le maréchal ne put réparer, dans cette position suprême et désormais incontestée, les désastres auxquels, il faut bien le dire, avaient contribué les passions jalouses de nos maréchaux. S’il eût été seul chef des armées françaises en Espagne dès le commencement de la campagne, le maréchal Soult eût sans doute résisté à lord Wellington, et il eût donné une autre face à cette guerre ; mais le roi Joseph n’avait pas assez d’ascendant pour se faire obéir, et le maréchal Jourdan, qui commandait sous ses ordres, n’exerçant pas le pouvoir en son propre nom, ne pouvait dominer, comme il l’eût fallu, les chefs des différens corps d’armée employés en Espagne. Le maréchal Soult, je le répète, fut investi trop tard du commandement. Les rivalités des généraux les avaient déjà compromis vis-à-vis les uns des autres, et l’armée n’avait que trop suivi cet exemple d’indiscipline. Lord Wellington, seul chef des forces combinées de l’Angleterre, du Portugal et de l’Espagne, était au contraire dans une situation favorable ; et, bien que tracassé par le cabinet anglais et par le parlement, bien qu’assailli de réclamations de la part de ses alliés, rien de sérieux ne s’opposait à l’exécution de ses ordres. Ajoutons que l’amour-propre ne joua jamais le moindre rôle dans ses déterminations, que sa personnalité, toute grande qu’elle fût, s’effaça en toutes choses, et l’on comprendra qu’il a pu triompher d’un général plus renommé que lui, et justement renommé, je le dis sans crainte d’être démenti, même par le duc de Wellington.
 
Nous voilà revenus au moment où furent écrites les différentes lettres que j’ai citées, par lesquelles lord Wellington défendait le pillage, et prenait des mesures pour punir les coupables. C’est alors qu’il écrivait à tous les chefs sous lesquels servaient ces pillards espagnols : «
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« Je ferai pendre tous ceux que j’attraperai. » Pour la vingtième fois, il reprend la plume sur cette matière : « Je ne viens pas en France pour la piller, écrit-il au général don Emmanuel Freyre ; je n’ai pas fait tuer et blesser des milliers d’officiers et de soldats pour que les restes des derniers puissent piller les Français. J’ai vécu assez long-temps parmi les soldats, et j’ai commandé assez long-temps les armées pour savoir que le seul moyen efficace d’empêcher le pillage, surtout dans les armées composées de différentes nations, est de faire mettre la troupe sous les armes. La punition ne fait rien, et d’ailleurs les soldats savent bien que, pour cent qui pillent, un est puni, au lieu qu’en tenant la troupe rassemblée, on empêche le pillage, et tout le monde est intéressé à le prévenir.
 
« Si vous voulez avoir la bonté de demander à vos voisins les Portugais et les Anglais, vous trouverez que je les ai tenus sous les armes des journées entières, que je l’ai fait cinq cents fois, non seulement pour empêcher le pillage, mais pour faire découvrir par leurs camarades ceux qui ont commis des fautes graves, qui sont toujours connus du reste de la troupe. Jamais je n’ai cru que cette disposition était d’aucune manière offensante pour les généraux et les officiers de l’armée ; jamais, jusqu’à présent, elle n’a été censée telle, et je vous prie de croire que, si j’avais quelque motif de censurer la conduite des généraux ou des officiers, je le ferais avec la même franchise que j’ai donné ces ordres que je crois les meilleurs pour empêcher le pillage.
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l’aristocratie, écartée du pouvoir, a commencé une guerre ouverte avec la couronne, et l’on a entendu sortir de la bouche des lords des menaces qu’ils semblent avoir recueillies de leurs aïeux, au temps du roi Jean. L’Angleterre tout entière s’est émue à la mort de la malheureuse lady Flora Hastings, tuée par une calomnie du parti tory, et la lettre que la marquise de Hastings écrivit à la reine pour l’exhorter à défendre sa fille contre les imputations dont elle était l’objet, a montré en même temps quelle puissance est une aristocratie qui peut encore tenir un pareil langage. Qui peut avoir oublié les termes de cette lettre où lady Hastings dit à la reine que les châteaux de leurs ancêtres ont été bâtis à la même époque, que leurs privilèges ont été les mêmes, et qu’une femme qui a tenu la reine d’Angleterre enfant sur ses genoux, peut bien l’avertir qu’un jour, moins jeune et plus expérimentée, elle saura que le moindre geste, la moindre parole d’un souverain de l’Angleterre, agitent toutes les fibres du peuple anglais ? Et tandis que l’aristocratie se livre ainsi combat sur les marches même du trône, et lève souvent la tête au-dessus de l’enfant qui l’occupe, les doctrines démocratiques les plus violentes agitent l’Angleterre. Sans doute, l’Angleterre a subi souvent de telles crises, et elle en est sortie glorieusement ; mais elle avait alors à sa tête des Pitt et des Canning. Qui s’opposera, d’un côté, aux violences des chartistes et des radicaux, et, de l’autre, aux résistances dangereuses de la chambre haute ? Le duc de Wellington, l’homme le plus modéré de son parti, et en même temps le plus ferme dans ses principes, est peut-être destiné à rendre encore, dans ses vieux jours, cet éminent service à l’Angleterre ; du moins le voit-on aujourd’hui, à demi éteint, cassé et rongé par la goutte, employer le reste de son activité à opérer un rapprochement entre les hommes modérés des divers partis. Le tory qui a fait l’émancipation catholique réussira-t-il à soumettre le parti aristocratique à ses vues, et le plus constant adversaire des whigs parviendra-t-il à les calmer au nom de l’intérêt général du pays ? C’est ce qui est douteux ; mais, après avoir lu les lettres de lord Wellington, on ne saurait douter qu’il ne soit le seul homme qui puisse entreprendre une telle tâche. S’il réussit à l’accomplir, il aura rendu à sa patrie un service non moins grand que celui qu’il lui rendit autrefois à Waterloo.
 
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