« Revue littéraire — 14 août 1839 » : différence entre les versions

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<center>Framens philosophiques''', par M. Cousin <ref>2 vol. in-8° ; 1839. Chez Ladrange, quai des Augustins, 19.</ref></center>
 
Il y a peu de livres de nos jours, même parmi ceux que la facilité du sujet met à la portée de. tous, qui aient obtenu un succès aussi rapide et aussi durable que les ''Fragmens philosophiques'' de M. Cousin ; publiés en 1826, les voici arrivés, en 1838, à une troisième édition. Ils ont été traduits dans plusieurs langues ; ils ont passé les mers et porté jusqu’en Amérique le nom et les idées de l’auteur. Parmi les savans dont ils attiraient l’attention, ils ont ému et arraché à son silence le plus grand philosophe actuel de l’Allemagne, Schelling ; et il s’est élevé entre M. Cousin et lui une importante polémique, qui a mis, pour ainsi dire, en présence la France et l’Allemagne philosophiques. Enfin, pour que la destinée de ce livre fût complète, il a été en butte parmi nous aux attaques des sensualistes, aux colères des théologiens, et il s’est soutenu contre les unes et contre les autres. Je ne sais si l’avenir réserve de nouveaux adversaires à l’auteur des ''Fragmens''. Il est certain qu’aujourd’hui, en France et en Europe, sa réputation n’est plus guère contestée, et ce n’est pas à lui qu’on reprochera de l’avoir acquise trop aisément, sans passer par le grand jour de la discussion et par les sévérités de la critique.
 
Il faudrait un long travail pour exposer les différentes questions sur lesquelles se sont partagés les amis et les ennemis de la philosophie de M. Cousin ; faute de pouvoir les indiquer toutes, je me bornerai à parler de la méthode qu’il a proclamée dans son livre, et de la tendance éclectique de son système. Ces deux points en comprennent beaucoup d’autres, à vrai dire, et suivant qu’on les entend de la même manière ou différemment, il y a bien des chances pour qu’on se rapproche ou qu’on se sépare sur toutes les autres questions.
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La méthode a été l’objet des premières études de M. Cousin et l’instrument de ses projets de réforme. Il a consacré à s’en faire une et à la fixer, les laborieuses années de sa jeunesse, et voici celle à laquelle il nous apprend lui- même qu’il s’est arrêté. D’abord, c’est une méthode circonspecte et sûre, qui débute par l’observation. Personne n’ignore que l’ame humaine présente, comme le monde matériel, des faits nombreux à étudier. Ces faits sont ce qui se laisse connaître d’abord et directement, et ce qui mène à connaître tout le reste, en sorte qu’en philosophie comme en tout, il faut partir de l’observation pour appuyer ensuite sur les fondemens qu’elle pose le raisonnement inductif et déductif. Néglige-t-on l’observation pour le raisonnement, c’est-à-dire, en définitive, pour l’hypothèse ? on ramène la philosophie à cette incertitude d’opinions qui lui a été si souvent reprochée, et dont les sciences physiques elles-mêmes souffraient tout récemment encore. Au contraire, se résigne-t-on à observer ? on met la philosophie dans la voie du progrès, on affermit chacun de ses pas, on la fait entrer enfin dans l’esprit de notre siècle, qui devient de plus en plus exact et positif.
 
Cette méthode, selon M. Cousin, est de plus une méthode étendue et complète, qui fait succéder le raisonnement à l’observation, la synthèse à l’analyse, et qui, sûre
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et qui, sûre de son point de départ, ne s’arrête pas qu’elle n’ait touché au but et aux limites les plus reculées que puisse atteindre l’intelligence humaine. Assurément, il n’a pas manqué jusqu’ici de philosophes qui faisaient un grand usage de la synthèse et du raisonnement, et qui s’élançaient jusqu’aux plus hauts problèmes de la science. Mais c’était leur tort d’arriver trop vite, trop directement au dernier degré de la méthode, et de commencer, comme dit M. Cousin, par la fin. Ainsi a fait Spinoza, ainsi Schelling, et tant d’autres hardis penseurs qui se sont perdus au milieu des hasards de l’hypothèse. D’autre part, c’est un penchant qui s’est rencontré chez un certain nombre de philosophes, et c’est la manie de bien des gens d’admettre les faits exclusivement, de ne pas vouloir les dépasser, et comme dit M. Cousin, de finir au commencement. Qui ne sait que Locke n’osait pas se prononcer sur la question de la nature de l’ame ; qu’Occam, au XIVe siècle, avait à peu près les mêmes scrupules, et que Reid s’est presque constamment renfermé dans des analyses psychologiques, éprouvant à s’avancer au-delà une sorte d’hésitation qui se change en erreur et en scepticisme dans les intelligences moindres. La méthode de M. Cousin s’efforce d’éviter ces deux écueils, l’hypothèse et le scepticisme. Elle donne au raisonnement la base solide de l’observation ; elle prête à l’observation la fécondité du raisonnement, et réunit ainsi pour les compléter l’un par l’autre les deux procédés qui constituent la vraie méthode.
 
Qui croirait en France que tant de circonspection et de hardiesse à la fois n’a pas trouvé grace devant le rationalisme de Schelling, et s’est confondu à ses yeux avec l’empirisme ? En revanche, les Allemands auraient peut-être de la peine à comprendre que cette méthode si sincèrement expérimentale ait été soupçonnée en France et en Angleterre de tendre au rationalisme. Chose curieuse ! les deux écoles entre lesquelles M. Cousin se plaçait, lui ont reproché précisément les excès qu’il s’efforçait de combattre et de corriger. Les rationalistes lui ont dit : vous êtes empirique ; les empiriques : Vous êtes rationaliste. Il eût été plus juste de reconnaître qu’il était ces deux choses dans une mesure convenable. Mais les partis en philosophie comme ailleurs se persuadent volontiers qu’on est exclusif autant qu’eux, et que chercher à étendre et à compléter leurs doctrines, c’est les abandonner pour passer sous le drapeau contraire. M. Cousin a, du moins, tiré des accusations contradictoires dont il a été l’objet un avantage, c’est qu’en les réfutant, il lui a suffi de les opposer les unes aux autres ; ce sont ses adversaires qui se sont chargés eux-mêmes de sa justification.
 
La direction éclectique de M. Cousin a donné lieu, comme sa méthode, à des objections de plusieurs sortes. On a dit souvent : « La philosophie éclectique est irrationnelle, elle roule dans un cercle vicieux ; car elle est la recherche d’une doctrine qui se fonderait sur des emprunts faits au passé. Or, pour faire ces emprunts avec discernement, il faudrait avoir déjà une doctrine à soi. » Voilà une objection spécieuse sans doute, et qui a l’air d’être sans réplique ; je soupçonne pourtant qu’elle n’a pas dû trop embarrasser M. Cousin, et qu’il l’avait même prévue. Je lis dans un de ses écrits : « Nous persistons à considérer comme utile et féconde l’opinion qui commence à se répandre aujourd’hui, que toute école exclusive est condamnée à l’erreur, quoiqu’elle contienne nécessairement quelque élément de vérité. De là, l’idée d’emprunter à chaque école, sans en excepter aucune. Cette impartialité, qui étudie tout, ne méprise rien et choisit partout, avec un discernement sévère, les vérités partielles que l’observation
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l’observation et le sens commun ont presque toujours introduites dans les systèmes les plus défectueux, est ce qu’on est convenu d’appeler d’un nom en lui-même aussi bon qu’un autre : ''éclectisme'' ; le mot n’est rien, la chose est tout. Or, il n’y a rien qui n’ait ses mauvais et ses bons côtés, ses périls comme ses séductions : la séduction est ici dans l’étendue et la richesse des matériaux… Mais là aussi est le danger : il faut savoir discerner les vérités des erreurs qui les entourent, et on ne peut le savoir qu’autant qu’on a fait soi-même une étude suffisante des problèmes philosophiques, de la nature humaine, de ses facultés et de leurs lois. C’est quand une analyse scientifique, patiente et profonde, nous a mis en possession des élémens réels de l’humanité, que nous pouvons reconnaître ce que les systèmes des philosophes possèdent et ce qui leur manque, discerner en eux le vrai et le faux, négliger l’un, nous approprier l’autre… Alors seulement vient le tour de l’analyse historique. »
 
Ce passage prouve que l’éclectisme, dans la pensée de son plus illustre représentant, ne peut s’établir qu’à deux conditions : l’une, psychologique, qui est l’observation des phénomènes de l’ame ; l’autre, historique, qui est l’étude du passé, entreprise dans le but de compléter et de confirmer la psychologie. Si la critique supprime la première de ces conditions, il est clair qu’alors elle réduit les philosophes éclectiques à l’absurde ; mais ceux-ci peuvent se défendre, en dissipant le malentendu sur lequel porte l’objection qu’on leur fait, et en montrant, par tous leurs écrits, qu’ils n’ont jamais songé à se passer, en histoire, d’un critérium fourni par la psychologie. Et comme c’est de la supposition qu’ils n’ont pas ce critérium, qu’on est parti pour les accuser de tenter une chose irrationnelle et impossible, et que cette supposition devient fausse, il s’ensuit que l’objection tombe pour M. Cousin, et que son éclectisme est, ainsi mis d’accord avec la logique.
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Bien que le système de M. Leo soit plus que contestable, bien que la science positive des textes fasse tomber un grand nombre de ses assertions, il convient de reconnaître en ce livre de remarquables qualités d’intelligence et d’exposition. Les opinions hasardées que M. Leo a émises sur l’influence bienfaisante de l’église dans le mouvement communal, appellent un sévère examen. Elles ne paraissent pas être seulement chez lui la conséquence d’un catholicisme prévenu, et l’auteur prend volontiers parti pour les hérétiques ; à cette phrase, par exemple : « Dieu l’aida parce qu’il s’était aidé lui-même, » on pourrait juger avec raison qu’il est plus près du scepticisme que de la foi. Mais il est bien loin d’avoir gardé, en toute chose, cette indépendante liberté de jugement qui échappe à la haine comme aux affections. M. Leo est Allemand, et, par patriotisme sans doute, il prête aux Germains des instincts civilisateurs. C’est là, selon nous, une erreur grave, et bien que M. Leo puisse invoquer d’importantes autorités, nous n’hésitons pas à dire que l’Italie n’a reçu, à toutes les époques, des invasions germaniques que la misère et l’oppression.
 
 
— La librairie est toujours dans le même état de langueur ; elle n’a publié, en nouveautés littéraires, cette quinzaine, qu’un seul ouvrage qui mérite d’être remarqué. C’est ''Valdepeiras'' <ref>2 vol. in-8°, chez Dumont, au Palais-Royal.</ref>, par Mme Ch. Reybaud. Ce livre se compose d’une série de petits romans liés entre eux, pleins d’intérêt et de charmantes qualités ; nous en reparlerons.