« Les Victimes de Boileau/02 » : différence entre les versions

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Il faut nous arrêter un moment et étudier le mouvement intellectuel au milieu duquel Théophile, victime étourdie, se trouva jeté sans le savoir.
 
La réaction contre le spiritualisme chrétien, préparée depuis long-temps, avait éclaté au commencement du XVIe siècle : elle se continuait au XVIIe. Luther en avait été le héros, et Rabelais le bouffon. Avec les libres pensées s’introduisirent en France tous les vices de l’Italie corrompue. Le peuple se courrouça contre cette invasion. Le fanatisme de la ligue eut à combattre à la fois les impudicités de la cour, les raffinemens voluptueux des Florentins, les hardiesses théologiques de l’Allemagne et les prétentions suzeraines des gentilshommes de province. Ce ne fut donc pas seulement contre le protestantisme, mais contre l’orgueil, le luxe, la débauche, contre les poètes obscènes et les mœurs libertines, que le courroux de la bourgeoisie et des moines tonna pendant le cours du XVIe siècle et au commencement du XVIIe. Les gens de lettres furent enveloppés dans la même proscription : « A quoi servent-ils, demande Puyherbault, qui a écrit en latin, vers 1540, un livre oublié <ref> Theotimus, de tollendis malis libris ; 1549.</ref>, mais rempli de détails de mœurs nécessaires à l’histoire ? A quoi sont-ils bons, ces écrivains, copistes de l’Italie ? A nourrir le vice et les loisirs de courtisans parfumés, de femmes dissolues ; à provoquer les voluptés, à enflammer les sens, à effacer des ames tout ce qu’elles avaient de viril. Nous devons beaucoup aux Italiens ; mais nous leur avons fait mille emprunts dont nous avons à gémir. Les mœurs de ce pays sentent le parfum et l’ambre ; les ames y sont amollies comme les corps. Ses livres n’ont rien de fort, rien de digne, rien de puissant ; et plût à Dieu qu’il eût à la fois gardé ses ouvrages et ses parfums !… Qui ne connaît Jean Boccace, et Ange Politien et Le Pogge, tous plutôt païens que chrétiens ? C’est à Rome que Rabelais a imaginé son pantagruélisme, vraie peste des mortels. Que fait-il, cet homme ? Quelle est sa vie ? Il passe les journées à boire, à faire l’amour, à imiter Socrate ; il court après la vapeur des cuisines ; il souille d’éd’écrits
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crits infâmes son misérable papier ; il vomit le poison qui se répand au loin dans toutes les régions ; il jette sur tous les rangs et tous les ordres les médisances et les injures. Il calomnie les bons, il déchire la probité ; et ce qu’il y a de merveilleux, c’est que notre saint père le reçoit à sa table, cet ennemi public, cet homme hideux, cette souillure du genre humain, qui a autant de faconde qu’il a peu de sagesse. » - Voilà comment on parlait alors de Rabelais parmi les gens graves. Ne vous y trompez pas : l’opinion de Puyherbault était l’opinion populaire ; Ronsard et ses amis, ayant sacrifié un bouc tragique au dieu Bacchus, échappèrent avec peine à la vengeance catholique. La Place, dans ses excelles Mémoires sur les règnes de François et de Henri II, n’attaque pas moins vivement les Italiens, les gens de cour et les poètes, trois espèces d’hommes que la haine universelle confondait et vouait à la damnation. Henri Estienne déblatère éloquemment contre le ''langage français italianisé'' ; Feu-Ardent veut que l’on exile tous les gens de lettres aux antipodes.
 
La cour de Henri II, celle de Henri III, même celle de Henri IV, justifiaient assez par leurs étranges déportemens la révolte fanatique et morale qui arma Jacques Clément contre Henri III, Ravaillac contre Henri IV. Au commencement du règne de Louis XIII, le mécontentement populaire n’est pas assouvi ; il se rue avec une incroyable fureur sur le maréchal d’Ancre, Italien, prodigue, licencieux, insolent, homme de cour, d’un luxe splendide, et qui d’ailleurs n’avait fait de mal à personne. A peine est-il mort, le favori de Luynes recueille à son tour cet héritage de haine ; les injures lancées contre lui en vers et en prose, recueillies en un volume qui a eu trois éditions <ref> ''Receil des pièces les plus curieuses qui ont été faites pendant le règne de M. le connétable de Luynes, 1625, pag. 125.</ref>, s’adressent à toute la gentilhommerie parée, musquée, littéraire, libertine, que Puyherbault et La Place avaient si fort maltraitée. « Bonne mine, bonne piaffe (dit un pamphlet de 1623, intitulé : ''la Pourmenade des Bonshommes ou le Jugement de notre siècle'') ; bien frisez, perruquez, goderonnez, parfumez ; le jeu et le b… fréquentez ; calomnies contre les honnestes femmes qui ne les auront voulu escouter, vantises de celles qui auront esté si sottes que de leur prester ; ne point payer ses debtes quand on est aux champs ; faire le petit roy ; lever des contributions sur ses vassaux ; faire travailler à corvées, frapper l’un, battre l’autre, faire des mariages à leur plaisir ; c’est pitié que d’avoir à vivre avec eux. La guerre vient-elle ;
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elle ; on capitule avec le roy, ne le sert qu’en payant, prend tout pour soy, appointe ces pauvres malotrus soldats (en petit nombre) à courir la poule et dénicher les cochons de nos fermes, n’y rien laisser que ce qu’ils ne peuvent avaler ou emporter ; et le pauvre manant et sa desplorable famille courbent sous ce faix insupportable. » - Ainsi parle des courtisans le bourgeois de Paris en 1623. L’homme d’église est plus sévère ; il ne prend pas la chose aussi gaiement ; il a des malédictions bien plus sérieuses contre les poètes et les courtisans, les gentilshommes et les auteurs, contre les libertins et les athées. « Allez au feu, bélîtres, dit le père Garasse, allez, disciples de ce grand buffle de Luther ; allez avec vos écrits, empoisonneurs d’ames ; vous qui dites qu’un bel esprit ne croit en Dieu que par contenance ; vous qui, dans les cabarets d’honneur, traités en princes à deux pistoles par tête (le tout pris sur la pension des seigneurs qui vous font une aumône bien mal employée), après avoir vuidé cinq ou six verres, faites fi de la théologie et de la philosophie ! Tout votre faict, tout l’objet de votre bel esprit, c’est un sonnet, une ode, une satyre, une période française, une proposition extravagante ! Allez dans le feu, méchans ! »
 
Voilà les opinions qui s’ameutèrent contre Théophile, brûlèrent son effigie, et essayèrent de le pendre.
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Ces ''méchans'', que le terrible Garasse dépêchait si vite en enfer, ces athées n’étaient, comme le dit Ménage, que de joyeux sceptiques, qui prétendaient raisonner leur nonchalance, s’amusaient de leur mieux et s’embarrassaient peu du reste. Entre les deux camps du calvinisme et de la foi catholique, était née une théorie d’insouciance dont Montaigne ne s’éloigne pas beaucoup, que Ninon et Chaulieu ont depuis professée sans péril, et que Ménage appelle « un déisme commode, reconnaissant un dieu sans le craindre et sans appréhender aucune peine après la mort. » Geoffroy Vallée, pour avoir imprimé cette opinion en 1570, avait été pendu, puis brûlé le 9 février 1574. « Homme souple et remuant, dit Garasse <ref> Doctrine curieuse.</ref>, il s’était glissé dans la familiarité de ces sept braves esprits qui faisaient la brigade ou la pléiade des poètes, dont Ronsard était le coryphée. Il avait commencé à semer, parmi eux, de très abominables maximes contre la Divinité, lesquelles avaient déjà esbranlé quelques-uns de la troupe… Ronsard cria : ''Au loup'' ! et fit son beau poème contre les athées, qui commence :
 
::O
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::O ciel ! ô terre ! ô mer ! ô Dieu, père commun ! etc.
 
« Sainte-Marthe écrivit aussi contre lui son excellente poésie iambique ''in Mezentium'', et l’on ne désista pas qu’il ne fût pendu et bruslé en place de Grève. »
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a horreur du mensonge <ref> Lettres posthumes.</ref>. » - « Toutes les promesses que vous me faites sont fausses, et vous m’obligez encore à les achepter par des prières, afin de me tromper après avec plus d’affront. Elles ne seraient point injustes si vous ne l’estiez. Vivez à vostre sorte, je ne sçaurais plus vivre à la mienne avec vous, ny me contraindre à l’advenir pour vous dire seulement après cecy que je suis, etc.. » - Tel est le pied sur lequel Théophile se maintient au Louvre et à Chantilly. Il s’arrête avec habileté dans les bornes d’une liberté fièrement spirituelle qui ne le conduit jamais jusqu’à l’impertinence, et il remet chacun à sa place, sans quitter la sienne. Le jeune duc de Liancourt avait des maîtresses et oubliait pour elles le soin de son avenir et de son nom ; Théophile, son ami intime, lui écrit cette lettre remarquable, que nous citerons presque entière :
 
« Il est permis à plusieurs de vous laisser faire des fautes, et ceux de vostre condition, à qui vostre mérite donne de la jalousie, sont bien aises de vostre ruine, et consentent, à leur avantage, que vostre vertu languisse en un désir si bas et en de si molles occupations mais moy, qui m’intéresse à vostre gloire et qui ne puis estre toute ma vie qu’une ombre de vostre personne, je ne puis laisser diminuer rien du vostre, que je n’y perde autant du mien. - Que si vous estes malade jusques à ne sentir plus vostre mal, je m’en veux ressentir pour moy, et m’en plaindre au moins pour tous deux. Connaissez, je vous prie, que vous estes en l’âge où se posent les fondemens de la réputation, et où se commence proprement l’estat de la vie. Ce que vous en avez passé jusques icy est ennuyeux et n’en vaut pas le souvenir. Il est vrai que, par les conjectures qu’on en doit tirer, vostre jeunesse est de bon présage ; et, autant que les témoignages de la minorité peuvent avoir de foy, on a jugé de vous que vous avez l’esprit beau, le courage bon et les dispositions de l’ame généreuses. Je parle sans flatterie, car je n’en ai pris, à ce propos, ny le dessein ny la matière… Je n’avais jamais veu personne se plaindre de vostre entretien ; on tirait bon augure de vostre rencontre ; et vous aviez dans la physionomie de la joye pour ceux qui vous regardaient. Ceux même à qui vous deviez la vie et la fortune, trouvaient du bonheur à vous caresser. Je ne sçais pas à quel poinct vous en estes maintenant avec eux ; mais ils font croire, ou qu’ils sont bien irrités, ou qu’ils ne vous aiment plus, et que s’ils perdent le soin de vous reprendre, ils ont perdu l’envie de vous obliger. La plupart de vos amis qui me disaient
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disaient mille biens de vous, depuis quelque temps se taisent et sont comme en doute de le dire. Ils craignent de s’estre mescontez en l’opinion qu’ils ont eue de vous, et d’avoir donné de leur réputation à faire valoir la vostre ; ainsi, comme si vous estiez incapable de la garder, ou honteux de l’avoir perdue, vous ne rendez aucun devoir à la conservation de cette bonne estime : vous n’avez plus une heure pour vos amis, ny pour vos exercices : tout se donne à une oysiveté bien nuisible à vostre avancement, et vous jouez le personnage du plus mesprisé de vostre sorte. La passion que vous eustes pour *** estait avec autant d’excez, mais avecque moins de malheur ; et puisqu’elle a sitôt cessé,vous n’en devez pas continuer une, beaucoup plus injuste. Vous verrez qu’insensiblement cette molesse vous abattra le courage : vostre esprit n’aimera plus les bonnes choses. -Tant que nous sommes dans le monde, obligés aux sentimens du mépris et de la louange, des commodités et de la pauvreté, on ne se peut passer du soin de sa condition. Remarquez, en la vostre, combien vous estes reculé de vostre devoir combien le soin que vous avez est indigne de celui que vous devez avoir. Quel est le lieu où vous faites votre cour, au prix de celui où vous la devez faire ? Quelles sont les personnes que vous aimez, au prix de celles qui vous aiment ? Il vous est facile de vous ruiner. Ne vous obstinez point mal à propos, et ne vous piquez jamais contre vous-même. Vous estes opiniastre à vous travailler, et ne sçavez pas vous donner un moment de loysir, pour examiner vostre pensée. Souvenez-vous que ce qui vous allume davantage à cette frénésie, ce n’est qu’une difficulté industrieuse qu’on vous propose pour irriter votre désir, qu’une acquisition sans peine appaiserait incontinent. Sçachez que le temps vous ostera cette fureur, et que c’est une faiblesse bien honteuse d’attendre de la nécessité des années un remède qui vous coûtera cher. » - Il ne faut pas mépriser un homme qui écrivait ainsi avant Balzac et sous Richelieu. Avant Balzac, un tel style est digne d’estime ; sous Richelieu, un pareil ton est remarquable.
 
Cette voix ferme, amicale et courageuse était assurément propre à autre chose qu’à chanter la gaudriole ou à égayer une orgie, et il y a dans toute l’existence de Théophile une verdeur de courage et une fermeté de caractère que l’on n’a pas assez louées ni remarquées. Elles contribuèrent à le ruiner et à l’envoyer avant l’âge dans une tombe autrefois infâme, aujourd’hui obscure. On eut peur de lui, et dès que sa réputation de ''libertinage'' se fut répandue, la haine et l’hostilité éclatèrent : on voyait que cet homme n’était ni un étourdi ridicule comme les petits maîtres de la cour, ni un innocent glouton
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::Les forts bravent les impuissans,
::
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::Les vaincus sont obéissans,
::La justice étouffe la rage.
::Il faut les rompre sous le faix ;
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::Autrefois (disait-il plus tard), quand mes vers ont animé la Seine
::L’
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ordre::L’ordre où j’étais contraint m’a bien fait de la peine.
::Ce travail importun m’a long temps martyré,
::Mais enfin, grace aux dieux, je m’en suis retiré.
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::Sous un climat heureux, loin du bruit du tonnerre,
::Nous passons à loisir nos jours délicieux.
::
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::Ici, jamais notre œil ne désira la terre,
::Ny sans quelque dédain ne regarda les cieux.
 
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::Et toujours chez autruy fait demeurer nostre ame.
::Je pense que chacun aurait assez d’esprit,
::
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::Suivant le libre train que nature prescrit.
::……
::Qui suivra son génie et gardera sa foy,
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::La peine qu’un amant soupire,
::Lui donne également à rire :
::
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::Il n’a jamais trop affecté
::Ni les biens, ni la pauvreté.
::Il n’est ni serviteur, ni maître,
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Ainsi l’on retrouve, nette et précise, cette filiation de l’épicuréisme en France : de Lucile Vanini à Geoffroy Vallée, brûlé en place de Grève, de ce dernier à Vallée Desbarreaux (son petit-neveu), puis à Théophile Viaud ; de Théophile à Lhuillier, père de Chapelle, et de là jusqu’à Molière, Ninon, Gassendi, Locke, Saint-Évremont, puis jusqu’à Fontenelle, Voltaire et aux philosophes du XVIIIe siècle ? Cette généalogie est évidente, les noms qui la composent font toujours partie de la même société, et traversent l’histoire comme un seul bataillon. Panat reçoit les leçons de Vanini et protège ensuite Théophile. Le neveu de Vallée devient disciple de Viaud. Le philosophe Gassendi est l’ami de l’enfant bâtard de Lhuillier. Ces filons d’opinions qui se propagent et se transmettent à travers l’histoire, en sont pour ainsi dire les fibres secrètes ; on ne les a pas encore analysées.
 
Voltaire a donc eu tort de présenter Théophile comme un gentilhomme étourdi, ami de la bonne chère. Voltaire n’avait pas lu celui dont il parlait. Une douzaine de libres esprits formaient le corps d’armée des ''libertins'', et Théophile se constituait, comme l’a dit Balzac, ''leur législateur''. Le jeune Desbarreaux, imagination incertaine et fougueuse, se révoltait de temps à autre contre le maître, et Théophile s’en plaint dans une lettre éloquente, adressée à Lhuillier : il accuse « l’imprudent jeune homme de lui opposer encore de vieux dictons philosophiques, » qu’il soutient avec une arrogance insupportable. « Que m’importent (s’écrie-t-il en très bon latin) les opinions de tous les anciens ? Ils ont pu s’enquérir de la nature des choses et de la création du monde ; mais jamais on n’eut aucune certitude à cet égard. Ce sont des amusettes d’école et des impostures de pédagogues mercenaires. Les hommes n’en deviendront jamais ni plus courageux, ni meilleurs… Dites donc à Vallée qu’il se débarrasse tout-à-fait des langes d’une science adultère ; qu’il ne songe qu’à vivre en paix (''quod guietem spectat, id solumn curet'') ; qu’il prenne soin de son corps et de son ame, et qu’il ne vienne plus me rompre les oreilles de ses argumens répétés dans l’ivresse et d’une voix chevrotante <ref> « Vallnus noster (qui fuit olim meus) plus quam par est sibi licere putat, et intempestivam ni fallor superbiam captat… insurgit nonnuneluam in verba et vultus mens, adeb petulanter, ut impudentem se fateri aut inimicum profiteri necesse sit. Nescio an heri adverteris quantà ferocià philosophicas illas nugas adversura me tutari se significaverit : incautus adolescens ob hujusmodi deliria, mentis bonae securam libertatem pro inscitia ducit, et quidquid garrire docet, scientiae opus existimat. Miratur et magni facit personatum illum libellum quem novus auctor de veterum philosophorum scrinio tamquam centonem suffuratus est. Quid met refert, quid aut isti prisci omnes de mundi causà investigaverint, cum plane constet nihil illos de tantà re compertum unquam habuisse ? Scholarum sunt ista ludicra et mercenariae paedagogorum fraudes. Ego homines his artibus eruditos, aut meliores aut fortiores evadere nunquam crediderim ; atque inter temulentorum loquacitatem et argutatorum strepitum parum interesse reor… Id te obsecro Vallaeum nostrum qui meus fuit olim iterum atque iterum mone, seque omnibus adulterinae scienthiae involucris totum expediat. ''Id solum meditetur quod quietem spectat. Corpus et animum curet assiduè, sibi studeat'', mihi ne ulterius obstrepat. Tinniunt etiamnunc aures mihi, hesternis aliquot conviciis quae, licet ore mussitante et fractis vocibus, intima cordis tamen perruperant. Acriore hac saevitià mihi sibique consulit ; namque illius odium et iras, neque meus amor unquam ferre, nec mea virtus mitigare unquam sustinebit. » - On voit que Théophile écrivait aussi bien en latin qu’en français.</ref>. »
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Nescio an heri adverteris quantà ferocià philosophicas illas nugas adversura me tutari se significaverit : incautus adolescens ob hujusmodi deliria, mentis bonae securam libertatem pro inscitia ducit, et quidquid garrire docet, scientiae opus existimat. Miratur et magni facit personatum illum libellum quem novus auctor de veterum philosophorum scrinio tamquam centonem suffuratus est. Quid met refert, quid aut isti prisci omnes de mundi causà investigaverint, cum plane constet nihil illos de tantà re compertum unquam habuisse ? Scholarum sunt ista ludicra et mercenariae paedagogorum fraudes. Ego homines his artibus eruditos, aut meliores aut fortiores evadere nunquam crediderim ; atque inter temulentorum loquacitatem et argutatorum strepitum parum interesse reor… Id te obsecro Vallaeum nostrum qui meus fuit olim iterum atque iterum mone, seque omnibus adulterinae scienthiae involucris totum expediat. ''Id solum meditetur quod quietem spectat. Corpus et animum curet assiduè, sibi studeat'', mihi ne ulterius obstrepat. Tinniunt etiamnunc aures mihi, hesternis aliquot conviciis quae, licet ore mussitante et fractis vocibus, intima cordis tamen perruperant. Acriore hac saevitià mihi sibique consulit ; namque illius odium et iras, neque meus amor unquam ferre, nec mea virtus mitigare unquam sustinebit. » - On voit que Théophile écrivait aussi bien en latin qu’en français.</ref>. »
 
C’est bien là le ton d’un chef de secte ; je ne doute pas que cette renommée et ce titre ne flattassent l’oreille du hardi Gascon.
 
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Mais pourquoi la persécution suit-elle Théophile de Viau en pays étranger ? On ne peut s’empêcher de soupçonner quelque cause plus réelle et plus secrète de sa disgrace. Il avoue que le roi Louis XIII était fort courroucé contre lui. « Que faire, s’écrie-t-il,
 
::
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::Aujourd’hui que Dieu m’abandonne,
::Que le roi ne me veut pas voir,
::Que le jour me luit en colère,
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Personne ne le protégeait. Le courroux du roi, quelle qu’en fût la cause, n’était pas éteint ; la jalousie des uns, la sottise des autres, les passions bourgeoises, le fanatisme ligueur, l’intérêt des jésuites, concouraient à sa perte. Le peuple, dont la haine a toujours besoin d’un lieu-commun, demandait sa mort ; les prédicateurs hurlaient contre l’athée : « Maudit sois-tu, Théophile ! s’écriait Jean Guérin dans sa chaire, maudit sois-tu, Théophile ! maudit soit l’esprit qui t’a dicté tes pensées ! maudite soit la main qui les a écrites ! Malheureux le libraire qui les a imprimées ! malheureux ceux qui les ont lues ! malheureux ceux qui t’ont jamais conçu ! Et bénit soit M. le président, et bénit soit M. le procureur-général, qui vont purger Paris de cette peste ! C’est toy qui es cause que la peste est dans Paris je diray, après le révérend père Garassus, que tu es un bélistre, que tu es un veau ; que dis-je, un veau ? d’un veau, la chair en est bonne bouillie, la chair en est bonne rostie : mais la tienne, méchant, n’est bonne qu’à estre grillée ; aussi le seras-tu demain. Tu t’es mocqué des moynes, et les moynes se mocqueront de toy. » - « O beau torrent d’éloquence ! ô belle saillie de Jean Guérin ! » s’écrie Théophile. Sans doute ; mais pour être ridicule, elle n’en était pas moins redoutable ; et le pauvre Théophile, voyant les éditeurs et les imprimeurs du ''Parnasse'' arrêtés, le peuple ameuté, le cardinal de La Rochefoucault et le confesseur du roi ligués contre lui, les seigneurs effrayés, Louis XIII irrité, ses amis froids, la maréchaussée en campagne, quitta Paris, ne sachant où il allait.
 
Ici commence une effroyable vie qui nous pénétrerait de pitié, si Théophile s’était donné la peine de l’écrire. Partout il trouvait armés le catholicisme et la bourgeoisie, ses ennemis acharnés. Pour échapper à ce réseau qui couvrait la France, l’esprit-fort se cacha dans les bois, se fit des retraites sauvages, déguisa son nom, souffrit la faim et la soir, et chercha au bout du Languedoc un toit qui voulût bien l’abriter. Hors la loi de la société chrétienne, banni, et plus que cela, frappé d’interdiction et d’anathème, tête maudite, il éprouva la haine de tous, l’ingratitude de ses amis les plus chers, et l’horrible mélange des douleurs physiques et des douleurs morales. Balzac, plus haïssable que Garasse, raconte avec une certaine joie que Théophile « ne vit plus en seureté parmi les hommes, mais qu’il est ''poursuivi à outrance''
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''à outrance comme la plus farouche de toutes les bestes''. » Quant à Théophile, il opposa un front intrépide à cette extrême infortune. « Ceux, dit-il :
 
::Avec qui je vis, sont étonnés souvent
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::Semblait se retirer et chasser les ténèbres
::Pour jeter plus d’effroi dans des lieux si funèbres.
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::Lune ! romps ton silence, et pour me démentir
::Reproche-moi la peur que tu me vis sentir !
::Que dus-je devenir, ce soir où le tonnerre
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::Boivent les pleurs que je répands,
::Et soufflent l’air que je respire
::
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/389]]==
 
::Dans l’effroi de mes longs ennuis.
::Dans l’horreur de mes longues nuits !
::Éloigné des bords de la Seine,
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« M’ayant promis autrefois, dit-il à Balzac, une amitié que j’avois si bien méritée, il faut que vostre tempérament soit bien mauvais, de m’estre venu quereller dans un cachot, et vous joindre à l’armée de mes ennemis, pour braver mon affliction ! Dans la vanité que vous avez d’exceller aux lettres humaines, vous avez fait des inhumanitez qui ont quelque chose de la fièvre chaude ; mais je recognois qu’en disant mal de moy, vous en avez souffert beaucoup. Vos missives
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diffamatoires sont composées avec tant de peine que vous vous chastiez vous-même, en mal faisant ; et vostre supplice est si conjoinct à vostre crime, que vous attirez tout ensemble et la colère et la pitié, et qu’on ne se peut fascher contre vous sans vous plaindre. Cet exercice de calomnies, vous l’appelez le divertissement d’un malade. Il est vray que si vous estiez bien sain, vous feriez tout autre chose. Soyez plus modéré en ce travail ; il entretient vostre indisposition ; et si vous continuez d’escrire, vous ne vivrez pas long-temps. Je sais que vostre esprit n’est pas fertile, cela vous picque injustement contre moy. Si la nature vous a mal traicté, je n’en suis pas cause ; elle vous vend chèrement ce qu’elle donne à d’autres. Vous sçavez la grammaire française, et le peuple, pour le moins, croit que vous avez fait un livre ; les sçavans disent que vous pillez aux particuliers ce que vous donnez au public, et que vous n’escrivez que ce que vous avez leu. Ce n’est pas estre sçavant que de savoir lire. S’il y a de bonnes choses dans vos escrits, ceux qui ne les cognoissent pas ne vous en peuvent point louer, et ceux qui les cognoissent sçavent qu’elles ne sont pas à vous. Vostre stile a des flatteries d’esclave pour quelques grands, et des invectives de bouffon pour autres. Vous traictez d’égal avec les cardinaux et les mareschaux de France ; en cela vous oubliez d’où vous êtes nay. Faute de mémoire qui a besoin d’un peu de jugement, corrigez et guérissez-vous, s’il est possible. Quand vous tenez quelque pensée de Sénèque ou de César, il vous semble que vous estes censeur ou empereur romain. Dans les vanitez que vous faictes de vos maisons et de vos valets, qui feroit l’éloge de vos prédécesseurs vous rendroit un mauvais office ; vostre visage et vostre mauvais naturel retiennent quelque chose de la première pauvreté et du vice qui lui est ordinaire. Je ne parle point du pillage des autheurs. Le gendre du docteur Baudius vous accuse d’un autre larcin : en cet endroict j’aime mieux paroître obscur que vindicatif ; s’il se fust trouvé quelque chose de semblable en mon procès, j’en fusse mort, et vous n’eussiez jamais eu la peur que vous faiet ma délivrance. - J’attendois en ma captivité quelque ressentiment de l’obligation que vous m’avez depuis ce voyage. Mais je trouve que vous m’avez voulu nuire, d’autant que vous me deviez servir, et que vous me haïssez à cause que vous m’avez offensé. Si vous eussiez esté assez houneste pour vous en excuser, j’estois assez généreux pour vous pardonner. Je suis bon et obligeant ; vous estes lâche et malin ; je croy que vous suivrez tousiours vos inclinations et non les miennes. Je ne me repends pas d’avoir pris autrefois l’espée pour vous venger
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vous vanger du baston ; il ne tint pas à moi que vostre affront ne fuct effacé ; c’est peut-estre alors que vous ne me crûtes pas assez bon poète, parce que vous me vîtes trop bon soldat. Je n’allègue cecy pour aucune gloire militaire, ny pour aucun reprosche de vostre poltronnerie : mais pour vous montrer que vous deviez vous taire de mes défauts, puisque j’avois toujours caché les vostres. - Je vous advoue que je ne suis ny poète, ny orateur. Je ne vous dispute point l’éloquence de vostre pays : vous estes né plus proche de Paris que moy. Je suis Gascon, et vous d’Angoulême. Je n’ay eu pour régent que des escoliers escossais, et vous des docteurs jésuites ; je suis sans art, je parle simplement et ne sçay que bien vivre. Ce qui m’acquiert des amis et des envieux, ce n’est que la facilité de mes moeurs, une fidélité incorruptible et une profession ouverte que je fais d’aymer parfaitement ceux qui sont sans fraude et sans lascheté. C’est par où nous avons esté incompatibles vous et inoy, et d’où naissent les accusations orgueilleuses dont vous avez inconsidérément persécuté mon innocence sur les fausses conjectures de ma ruine, et sur la foy du père Voisin. Soyez plus discret en vostre inimitié. Vous ne deviez point faire gloire de ma disgrace ; c’est peut-estre une marque de mon mérite. Vous n’avez esté ny prisonnier, ny banny ; vous n’avez pas assez de vertu pour estre recherché ; vostre bassesse est vostre seureté. Je ne tire point vanité de mon malheur et n’accuse point la cour d’injustice ; je me console seulement de voir que ma personne est encore bien chère à ceux qui m’ont condamné. J’ai esté malheureux, et vous estes coupable. Mais quoi ! la fortune s’irrite continuellement de quelques graces qu’il a plu à Dieu me despartir ! Si, suis-je satisfaict de ma condition, et je trouveray toujours parmi les bons assez d’honneur et d’amitié pour ne me picquer jamais de mespris et de la haine de vos semblables. Si je voulais verser quelques gouttes d’encre sur vos actions, je noircirois toute ma vie. »
 
En vain Balzac répondit-il que « la bouche de Théophile était moins sobre que celle d’un Suisse… qu’il était sorti de Paris par une brèche, et que la vérité ne pouvait se placer sur des lèvres impures. » La lettre de Théophile reste, et condamne le lâche et disert personnage, qui choisit un tel moment pour se venger d’un malheureux.
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::''Par qui le Trepied Tymbrean''.
 
« Il semble qu’il se veuille rendre inconnu pour paraître docte, et qu’il affecte une fausse réputation de nouveau et hardy escrivain. Dans ces termes estrangers, il n’est point intelligible pour les François. Ces extravagances ne font que desgouter les sçavans, et estourdir les foibles. On appelle cette façon d’usurper des termes obscurs et impropres, les uns barbarie et rudesse d’esprit, les autres pédanterie et suffisance. Pour moy, je crois que c’est un respect et une passion que Ronsard avoit pour ces anciens, à trouver excellent tout ce qui venoit d’eux, et chercher de la gloire à les imiter partout. Un prélat homme de bien est imitable à tout le monde ; il faut estre chaste, comme luy charitable, et sçavant qui peut ; mais un courtisan, pour imiter sa vertu, n’a que faire de prendre ny le vivre, ny les habillemens à sa sorte ; il faut, comme Homère, faire bien une description, mais non point dans ses termes ny avec ses épithètes. Il faut escrire comme il a escrit. C’est une dévotion louable et digne d’une belle ame, que d’invoquer au commencement d’une œuvre des puissances souveraines ; mais les chrestiens n’ont que faire d’Appollon ny des Muses ; et nos vers d’aujourd’huy, qui ne se chantent point sur la lyre, ne se doivent point nommer ''lyriques'', non plus que les autres ''héroyques'', puisque nous ne sommes plus au temps des héros ; toutes ces singeries ne font ny le plaisir, ny le profit d’un bon entendement. Il est vray que le desgout de ces superfluitez nous a fait naistre un autre vice ; car les esprits foibles que l’amorce du pillage avoit jetez dans le mestier des poëtes, n’estant pas d’eux-mesmes assez vigoureux ou assez adroits pour se servir des objets qui se présentent à l’imagination, ont cru qu’il n’y avoit plus rien dans la poésie, et se sont persuadez que les figures n’en estoient point, et qu’une métaphore estoit une extravagance. » Il admet donc la richesse et la fécondité du style ; il veut la simplicité, la fermeté ; il blâme l’imitation servile et l’afféterie ridicule ; il s’élève contre la sécheresse et la fausse élégance. « L’élégance ordinaire de nos escrivains (dit-il) est à peu près selon ces termes : - ''L’aurore tout d’or et d’azur, brodée de perles et de rubis, parroissoit aux portes de l’Orient ; les estoilles esblouyes d’une plus riche clarté, laissoient effacer leur blancheur, et devenoient''
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''devenoient peu à peu de la couleur du ciel ; les bestes, de la queste, revenoient aux bois, et les hommes à leur travail ; le silence faisoit place au bruit, et les ténèbres à la lumière''. - Et tout le reste, que la vanité des faiseurs de livres fait esclater à la faveur de l’ignorance publique. » Critique excellente. Théophile attaquait à la fois les interminables descriptions de l’Astrée et la copie des formes grecques, recommandée par Ronsard. Cette intelligence nette et précise avait deviné le grand style de Pascal, le style rapide et nu de Voltaire, cette excellente prose française, à la marche vive, souple, et nerveuse.
 
Si ce talent n’a pas obtenu sa gloire méritée, il a remporté un autre triomphe. La dignité, la franchise et l’adresse de ses défenses rendirent à Théophile la vie et la liberté. Le parlement n’osa toutefois ni le justifier complètement, ni lui donner raison contre les pères Guérin, Voisin, Garasse et le cardinal de la Rochefoucault. On lui ouvrit les portes de la Conciergerie en lui assignant quinze jours pour quitter Paris. - « Vous m’avez retiré de la mort, écrivait-il à un de ses juges, mais non pas encore de la prison. Depuis les quinze jours que M. le président me donna, je suis contraint de me cacher, et n’ay différé mon partement que par la nécessité de pourvoir à mon voyage. Je suis sorti du cachot avec des incommodités et de corps et de fortune, que je ne puis pas réparer aisément, ni en peu de temps. Ce que j’avois d’argent en ma capture ne m’a point été rendu. » - A un seigneur de la cour, il écrivait : - « Je vous supplie de disposer M. le procureur général à se relascher un peu de la sévérité de sa charge, et de me laisser un peu de liberté pour solliciter mes affaires ; je ne demande point la promenade du Cours ou des Tuileries, ny la fréquentation des lieux publics, mais seulement quelque cachette où mes ennemis ne puissent avoir droit de visite. »
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::Garasse,
::Et le gaillard père Guéri
::
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::Dont les trois diverses folies,
::Aux plus noires mélancolies,
::Dérideront le front hideux :
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::Et jamais mon esprit ne trouvera bien sain
::Celuy-là qui se plaist d’un fantosme si vain,
::
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::Qui se laisse emporter à de confus mensonges,
::Et vient, même en veillant, l’embarrasser de songes.
 
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::Cependant flatteront un peu ma resverie
::……
 
::
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::O nuict (s’écrie ensuite Thisbé), je me remets enfin sous ton ombrage,
::Pour avoir tant d’amour, j’ay bien peu de courage !
 
Une de ses odes, ''à une maîtresse endormie'', serait parfaite, si une teinte plus délicate eût adouci, sans la voiler, la passion qui l’a dictée <ref>……<br />
 
::A genoux auprès de ta couche,
::Pressé de mille ardens désirs,
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:Imite qui voudra les merveilles d’autrui.
::
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::Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui :
::::Mille petits voleurs l’écorchent tout en vie ;
::Quant à moi, ces larcins ne me font point d’envie ;
::J’approuve que chacun écrive à sa façon ;
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Sa ''Solitude'', son ''Ode'' à son frère, ses ''Elégies'', qui ne sont en général que des causeries agréables, offrent des beautés du même genre, de l’esprit, de l’incorrection, toujours du bon sens, et cette verve forte, un peu dure, quelquefois farouche, que l’on pourrait nommer la verve du prosateur.
 
C’est à sa prose en effet qu’il faut revenir ; c’est elle qu’il faut lire avec soin pour savoir ce dont ce malheureux jeune homme, enlevé par une mort prématurée, aurait pu être capable. Sa prose latine est une heureuse étude faite d’après Pétrone et Tacite. Il aimait le tour incisif et la concentration ardente que la langue des Romains favorise. ''Larissa, Theophilus in carcere'', ses ''Lettres'' latines, se rapprochent de Juste-Lipse et de Strada. Le mérite de ses apologies françaises est déjà connu du lecteur ; il faut y joindre une préface également apologétique. J’ai donné des fragmens curieux de ses lettres posthumes. Enfin il s’est amusé, en un jour de verve, à esquisser tous les caractècaractères
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res principaux de son époque, non dans des cadres séparés, œuvre trop facile, mais dans un petit roman dont nous ne possédons que la première partie. Le pédant, l’Allemand, l’Italien, le débauché, l’homme du monde, le voluptueux, se jouent dans cette œuvre charmante avec une facilité et une vérité dignes de Lesage. Au moment même, où ses contemporains admiraient le travestissement burlesque et l’idéalisation extravagante, il dessinait les originaux d’après nature et copiait la réalité.
 
On e donc été très injuste en oubliant son rare mérite. C’est que, parmi nous, il ne suffit pas de prouver son talent, ni même de le rendre utile. Le caractère français veut des œuvres achevées ; il les exige sous une certaine forme, qui produise illusion et qui paraisse complète ; il aime mieux beaucoup d’alliage, avec une apparence d’ensemble, de poids et de gravité. Sa légèreté se contente de cette soumission à la règle. Faire jaillir de sa pensée, comme d’un fer brûlant, des étincelles éblouissantes, ne laisser après soi que des parcelles d’or pur, c’est perdre sa gloire, s’exposer à n’avoir point de juges, et blesser l’humeur nationale. Théophile semble n’avoir rien produit, parce qu’il n’a rien concentré, rien coordonné. Ce roman dont j’ai parlé tout à l’heure est sans titre et n’est pas achevé ; aussi ne le lit-on pas.