« Chronique de la quinzaine - 14 juillet 1839 » : différence entre les versions

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Le discours dont nous parlons, porte entièrement sur le commerce de la France avec l’Orient ; c’est pourquoi nous le regardons comme le discours le plus véritablement politique qui ait été prononcé dans cette discussion où presque tous nos hommes d’état ont pris la parole. L’Orient, M. Denis l’a bien dit, n’a été regardé long-temps par la France que comme une suite de ports, si bien caractérisés par nous, sous le nom d’échelles du Levant, et où nous trafiquions avec plus de facilité que les autres nations européennes. C’était là tout ce qui nous intéressait en Orient. Depuis, nous avons dû nous enquérir de la vie politique, de la tendance, de l’origine des peuples d’Orient ; car le bruit des coups sourdement frappés par la Russie est venu jusqu’à nous, et nous avons été forcés de la suivre, de loin du moins, dans l’étude qu’elle fait si profondément des affaires intérieures de l’empire turc, et de l’état de ses différentes localités. Sous la restauration, une première faute a été commise, selon M. Denis, en suivant avec les puissances barbaresques, dépendantes de la Porte, un système qui a rompu et morcelé nos précieuses relations directes avec la Porte. Une faute non moins grave de la politique française a été la demande d’abolition du monopole, que la France, poussée par l’Angleterre, a sollicitée et obtenue. M. Denis a prouvé, en effet, que ce monopole était exactement celui que nous exerçons à l’égard de nos colonies, et que s’il nous semble bon de l’admettre là, il pourrait être bon de l’admettre ailleurs. Non content d’avoir nui à l’intérêt général de son commerce, le gouvernement français, toujours généreux aux dépens des intérêts de ses administrés, envoya deux escadrilles détachées de l’escadre d’Alger pour obliger les deys de Tunis et de Tripoli à accepter des traités dans lesquels la France stipulait pour toutes les nations, ne se réservant aucuns droits particuliers, contrairement aux usages suivis par toutes les puissances en pareil cas. Ces traités ruinèrent le commerce français en Afrique ; et, plus tard, le principe de l’abolition du monopole, qui était tout favorable à la France, fut invoqué partout à notre détriment par les puissances rivales. Son adoption établie, grace à nous, met aujourd’hui en péril, et a déjà frappé de décadence toutes nos relations commerciales avec l’Égypte, la Syrie, l’Asie mineure, et les autres provinces de la Turquie. Or, il s’agit d’un mouvement commercial d’exportation et d’importation qui se monte à 160 millions. Si cette source de richesse achève de se tarir, on ne saurait dire jusqu’où s’étendra la crise financière dans nos ports et nos marchés de la Méditerranée ; et c’est à notre manque de politique arrêtée en Orient, depuis un demi-siècle, que nous devons cet état de choses !
 
Ces fluctuations, et surtout les dernières, nous ont frappés d’impuissance, en Égypte d’abord. Nos consuls y ont perdu leur influence dans les conseils politiques et industriels du pacha, où les ont remplacés successivement les deux consuls russes, M. Duhamel, aujourd’hui ministre à Téhéran, et M. de Médem, agens habiles, comme la Russie en oppose partout aux nôtres, qui sont loin de les égaler. En Syrie, notre influence était telle que, naguère encore, les marchandises anglaises qu’on voulait faire accepter dans cette contrée y é
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taientétaient expédiées par Marseille. Depuis l’arrangement de Kutaya, qui remet la Syrie dans les mains du pacha d’Égypte, l’Angleterre s’est emparée des bénéfices du commerce et de presque toutes les transactions.
 
Pour Constantinople, pour Smyrne, pour la Turquie proprement dite, M. Jouffroy a pensé que, pour raviver notre commerce, une simple révision des tarifs suffirait, comme si une révision de tarifs n’était pas une affaire des plus majeures, à laquelle tous les prédécesseurs actuels de l’amiral Roussin, et l’amiral lui-même, n’ont pu parvenir, malgré le zèle de cet ambassadeur. Pour le dernier traité de commerce exigé par l’Angleterre, souscrit par la France, et auquel d’autres puissances se voient forcées d’accéder, M. Denis en juge en deux mots la portée. L’Angleterre a eu pour but de porter atteinte à notre commerce dans le Levant, et en même temps de se faire une arme contre Méhémet-Ali s’il refusait d’admettre le monopole, ou de l’affaiblir en le forçant de l’accepter. Pour les Russes, M. Denis voit également leurs projets politiques dans leurs combinaisons commerciales, et il les montre luttant habilement avec l’Angleterre à Constantinople et à Alexandrie, où notre influence politique a subi les mêmes vicissitudes que notre commerce. M. de Carné nous avait montré quels résultats matériels aurait pour nous le blocus commercial de l’Égypte par l’Angleterre ; M. Denis nous montre, en perspective, notre commerce du Levant détruit par l’occupation russe de Constantinople, nos ports de la Méditerranée déserts, l’Orient fermé à nos capitaux, et notre marine militaire, qui ne s’alimente que par notre marine marchande, réduite à un état qui ferait de nous une puissance maritime secondaire.