« Chronique de la quinzaine - 14 avril 1839 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe (discussion | contributions)
m split
ThomasBot (discussion | contributions)
m Phe: split
Ligne 2 :
 
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/271]]==
 
<pages index==[[Page:"Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/" from=271]]= to=276 />
Parlerons-nous de la vérification des pouvoirs qui se fait depuis finit jours et plus dans la chambre des députés, de ces discussions presque toujours personnelles où les principes et les choses changent à chaque moment, selon les passions des partis : triste et longue préface d'une courte session, où rien d'utile, rien de bienfaisant ne peut avoir lieu pour la France? Entrerons-nous dans le détail des tracasseries locales, et nous ferons-nous les historiens de ces mesquines luttes où les vainqueurs viennent encore s'acharner sur les vaincus? Ces débats n'auraient pas plus d'importance que les procès communaux qui se jugent à l'ombre du clocher, s'il n'en devait résulter que quelques injustes exclusions; mais l'opposition avancée veut en faire sortir une commission d'enquête, une cour prévôtale des élections qui évoquera à elle tous les actes électoraux, et une sorte de tribunal ambulatoire qui s'arrogera le droit d'examiner toutes les archives de l'administration.
 
Les meilleures raisons ont déjà été alléguées à ce sujet. On a dit avec beaucoup de justesse qu'un tel tribunal se placerait à la fois au-dessus de la chambre élective et au-dessus des deux autres pouvoirs, et que, durant l'exercice de ses fonctions, le pouvoir exécutif et la chambre elle-même seraient comme suspendus. La coalition avait fait insérer dans tous ses journaux l'avis aux fonctionnaires de soutenir ses candidats, ou de s'attendre à une destitution le jour de la victoire; aujourd'hui, elle veut réaliser sa menace. On a beau voiler sa pensée, l'enquête n'aurait pas un autre but. Encore si ce n'était là que son seul résultat, pourrions-nous renoncer à la combattre. Nous nous sommes toujours attendus à voir l'opposition faire tout ce qu'elle avait blâmé précédemment; mais laisser suspendre le peu
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/272]]==
d'action qui reste aujourd'hui au gouvernement, laisser mettre l'interdit sur les fonctionnaires dont on ébranle déjà chaque jour les principes d'obéissance, ce serait donner les mains à la désorganisation totale du pays.
 
Nous avons été frappés des paroles qui ont été prononcées par M. Odilon Barrot à l'occasion de la vérification des pouvoirs, parce que ses vues sont les seules peut-être qui se soient élevées un peu plus haut que la région des répugnances personnelles et des caquets électoraux. Avec sa supériorité d'esprit ordinaire, M. Odilon Barrot a élargi le cercle de la discussion, et s'est attaché à la faire remonter à un principe. Comme tous les grands théoriciens, M. Odilon Barrot n'a pas eu de peine à définir les bases sur lesquelles doit s'appuyer l'élection dans un régime de loyauté et de franchise. Il a déploré que la nature du débat sur les faits eût pris une tournure aussi irritante, et eût produit des colères si puériles; et, pour remédier au mal, pour terminer d'un coup ce débat scandaleux, M. Odilon Barrot a proposé la formation d'une commission d'enquête, prise dans la chambre, et chargée d'aller, hors de la chambre, recueillir les témoignages, examiner les correspondances, interroger les fonctionnaires, en un mot, exercer une inquisition parlementaire dans les quatre-vingt-six départemens !
 
En théorie, et les pensées de gouvernement ne manquent jamais à l'illustre orateur en théorie, M. Odilon Barrot reconnaissait que la chambre doit se garder d'envahir les attributions d'un autre pouvoir, et il ajoutait que, dans sa conviction, l'autre pouvoir, comme il nomme le pouvoir royal, se trouve dans une situation telle, qu'il est urgent de lui restituer toute sa puissance, « de l'enlever à cette espèce d'abdication de fait dans laquelle il s'est placé.» Nous citons les propres paroles de M. Odilon Barrot.
 
Voilà pour la théorie. Comme application, M. Odilon Barrot propose en conséquence de créer un comité d'enquête, c'est-à-dire de diminuer encore les autres pouvoirs en s'emparant, pour la chambre élective, d'une puissance que ne lui donne pas la constitution. Mais, dit M. Barrot en citant un mot déjà connu, « en matière de vérification de pouvoirs, la chambre est souveraine; elle ne relève, elle ne peut relever que d'elle-même! »
 
Le moment est singulièrement choisi, on en conviendra, pour appuyer sur cette souveraineté de la chambre, et en exagérer l'exercice, quand on reconnaît soi-même que le pouvoir royal, qui s'efface de son gré devant la chambre, a besoin qu'on lui rende son influence et sa force ! C'est quand la chambre, qu'on a déjà grisée (qu'on nous passe le terme) de ce mot ''souveraineté'', est dans l'embarras de la puissance dont elle dispose, qu'on veut étendre cette puissance hors de son sein; c'est quand des obstacles sans nombre compliquent la situation des affaires politiques, qu'on propose à la chambre de procéder à l'œuvre la plus inextricable et la plus compliquée! Et le tout pour restituer au pouvoir royal la puissance qu'il semble avoir un instant abdiquée, afin de laisser plus de latitude au pouvoir parlementaire! Franche:vert, il y a là un trop grand contraste entre la théorie et l'application,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/273]]==
et malgré tous nos efforts, il nous est impossible de nous joindre à ceux qui vantent les progrès que fait chaque jour M. Odilon Barrot dans les idées de gouvernement.
 
Nous voyons qu'il est question de porter M. Odilon Barrot à la présidence de la chambre des députés. Personne, plus que nous, ne rend justice à la loyauté de M. Odilon Barrot, à son talent, à la gravité de son caractère qui semble l'appeler aux situations élevées; mais nous ne pouvons juger des vues politiques de M. Odilon Barrot que par ses discours, et en vérité, le dernier discours qu'il a prononcé nous semble mal s'accorder avec la candidature de son auteur à la présidence de la chambre. M. Odilon Barrot veut restituer la puissance au pouvoir royal, et en même temps il veut qu'on institue une commission d'enquête. C'est justement parce que M. Odilon Barrot et ses amis ont toujours voulu des choses incompatibles, qu'ils se sont vus écartés du pouvoir. Il se peut que la chambre nomme M. Odilon Barrez à la présidence; mais alors, à moins que la chambre ne veuille, comme M. Odilon Barrot, des choses inconciliables, elle se déclarera en même temps pour l'enquête, et l'enquête, nous le disons à la chambre, n'est pas le moyen de rétablir l'équilibre des pouvoirs, ni surtout de restituer au pouvoir royal l'influence qu'il a abdiquée, au dire de M. Odilon Barrot.
 
La candidature de M. Odilon Barrot a déjà été un sujet de division entre le centre gauche et le centre droit, c'est-à-dire entre les élémens modérés de gouvernement, dont la réunion est si désirable pour arrêter les envahissemens de la gauche. M. Thiers, qui mieux que personne pourrait arrêter ces envahissemens de la gauche et la modérer, insistait pour la nomination de M. Odilon Barrot; il demandait en sa faveur l'appui de tous ses nouveaux collègues, et en cela M. Thiers, on ne peut que l'en louer, se montrait délicatement fidèle, non pas à des engagemens, mais à la communauté qui s'était établie entre le centre gauche et la gauche dans la dernière lutte. Cet appui forcé donné par M. Thiers à M. Barrot n'est pas, à nos yeux, une des moindres calamités qui aient résulté de la coalition. Mais il se peut qu'en outre des égards qui lui semblaient commandés pour l'un des plus éminens coalisés, M. Thiers ait pensé qu'en plaçant M. Barrot dans une situation aussi éminente il lui donnerait l'occasion de se livrer à ce penchant gouvernemental que ses nouveaux amis croient reconnaître en lui. A notre sens, le centre gauche commet une erreur à l'égard de M. Odilon Barrot; et, tout en reconnaissant l'étendue de son mérite, il nous semble que l'honorable député de la gauche est d'autant moins gouvernemental qu'il croit l'être plus. A ne prendre que le dernier discours de M. Odilon Barrot, dont l'esprit offre une analogie frappante avec tous ceux qu'il a prononcés auparavant, on voit tout de suite que la pensée de M. Barrot part d'un point de vue gouvernemental pour arriver involontairement bien loin de là. C'est ainsi que la nécessité de rétablir l'influence du pouvoir royal le mène droit à l'enquête, et nous ne serions pas étonnés si c'était M. Barrot qui eût rêvé le premier l'alliance de la monarchie
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/274]]==
avec les institutions républicaines. Avec un langage empreint de mesure et de modération réelle, M. Odilon Barrot ne parle jamais que pour désorganiser, car c'est désorganiser que proposer des mesures contradictoires. On nous répondra que M. Dupin a dit aussi quelques paroles en faveur de l'enquête; mais, depuis sa dernière candidature, nous ne nous chargeons plus d'expliquer les paroles de M. Dupin.
 
Pour M. Odilon Barrot, quelque désir que nous avons de voir un homme aussi probe et aussi loyal se rattacher au gouvernement, nous ne serions pas sans craintes en le voyant à la tête d'une chambre où les idées de conservation ne nous semblent pas encore dominer. Qui sait où irait une assemblée vacillante avec un guide dont les théories, toujours sincères, dévient si singulièrement dans la pratique ? Le parti doctrinaire refuse, dit-on, pour la seconde fois, de porter M. Odilon Barrot à la présidence de la chambre. Nous ne savons quels sont les motifs de ce parti, puisque c'est un de ses membres, M. Piscatory, qui a fait le premier la proposition d'une enquête; mais quant à sa décision, nous ne pouvons la brimer. Si M. Odilon Barrot échoue au premier tour de scrutin, le centre gauche et le centre droit, appuyés de tous les hommes modérés de la chambre, soutiendront sans doute la présidence de M. Passy, et ce sera le premier nœud d'une majorité appelée à mettre fin au désordre général des esprits. Le centre gauche, qui est de tous les partis celui qui a le plus marqué dans les élections, aura de la sorte la part qui lui revient dans la victoire, et cette victoire ne sera pas fatale aux principes de conservation. M. Thiers aura rempli, et au-delà, tous ses engagemens avec la gauche, et il pourra figurer dans une combinaison où l'absence de ce chef d'un parti parlementaire puissant serait au moins étrange. On ne nous persuadera jamais que l’existence politique de M. Thiers tient à celle de M. Odilon Barrot, et que les deux programmes sont les mêmes. M. Thiers lui-même le tenterait par un excès d'égards, qu'il n'y réussirait pas, et nous le tiendrions pour un esprit gouvernemental, malgré lui, et en dépit de ses velléités révolutionnaires, tout comme nous regardons M. Odilon Barrot comme un esprit uniquement révolutionnaire, malgré la modération de son caractère, et sa volonté bien prononcée de se montrer et de se faire homme de gouvernement.
 
En conséquence, nous faisons des vœux pour la nomination de M. Passy à la présidence de la chambre. M. Dupin a longtemps présidé la chambre avec beaucoup d'éclat, avec une impartialité remarquable, et les inégalités de ses opinions ne nous empêcheront pas de lui rendre justice. Mais la nomination de M. Dupin ne remédierait en rien aux embarras qui nous assiègent. Rien ne serait jugé entre les partis par ce vote que l'incertitude même de la situation politique de M. Dupin rendrait encore plus équivoque, et l'on se verrait forcé de remettre la répartition des voix à un autre vote, à un vote sur une question politique sans doute, ce qui ne ferait qu'irriter davantage les partis. Espérons donc que le choix du président sera d'une nature assez
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/275]]==
décisive pour terminer les incertitudes, et amener la formation immédiate d'un cabinet. On dit bien, il est vrai, que M. Dupin a déclaré que, s'il était nommé, il donnerait sa démission pour former un ministère; mais le ministère sera bien plus tôt formé, si le choix de la chambre tombe sur M. Passy, lui est de la nuance de M. Thiers, et qui paraît devoir s'entendre aussi avec M. Guizot. D'ailleurs, M. Dupin, une fois assis dans le fauteuil du président, pourrait y rester par habitude, et rien ne se trouverait terminé.
 
Or, le temps presse, la France souffre, nos ports marchands se remplissent de navires qu'on ne songe plus à expédier, les ateliers se vident, les capitaux se cachent, et les faillites s'enregistrent chaque jour dans une effrayante progression. Au dehors, on perd toute confiance dans l'avenir de la France. Les agens étrangers, qui ne voient que la surface de l'esprit public, écrivent à leurs gouvernemens respectifs, que la république frappe aux portes de la monarchie. Les communications deviennent plus difficiles, et chaque jour ajouté à cette crise complique les embarras du dedans et du dehors. Il y a cependant de grands intérêts à régler. Un plus long retard dans la solution de la législation des sucres peut compromettre les produits des douanes et achever la ruine de nos colonies. Les travaux des chemins de fer sont suspendus, et des milliers de malheureux attendent, sans pain, que la chambre s'occupe de leur donner du labeur. La question, de Belgique, qui semblait terminée, se trouve subitement suspendue, et le parti de la résistance belge s'organise de nouveau, dans l'espoir qu'il trouvera de l'appui près d'un nouveau cabinet. Enfin, ici même, à propos de nous ne savons quelle décision de peu d'importance, une feuille de la coalition annonce que la chambre ne sanctionnera aucune des mesures et aucun des choix du ministère actuel, « qui est si peu responsable et qui n'est pas sérieux. »
 
Voyez où en sont venues les choses, et avec quelle rapidité marchent les idées de désorganisation! La coalition a attaqué le ministère du 15 avril en disant qu'il n'était pas parlementaire, quoiqu'il eût la majorité dans les deux chambres, et maintenant on attaque le ministère en disant qu'il n'est pas responsable. Or, sait-on qui se trouve responsable, quand le ministère ne l'est pas? C'est le roi! Nous voilà tout à coup reportés du milieu du régime représentatif au lendemain des journées de juillet ou aux doctrines de 1792, à la responsabilité du roi, et à l'omnipotence de la chambre, à laquelle on propose de casser les actes du gouvernement!
 
Qu'on nous dise s'il n'est pas temps: que tous les hommes d'état qui veulent sérieusement le gouvernement représentatif, se réunissent et se liguent pour arrêter le mouvement ? Et nous ne craignons par d'adjurer tous ceux qui ont le pouvoir ou la mission de former un cabinet, quels qu'ils soient, de jeter les yeux sur ce qui se passe, et de se demander si le concours de tous les hommes capables et modérés n'est pas nécessaire en cette difficile circonstance. Depuis un mois qu'on s'agite, on n'a pas fait un pas dans la voie d'une conciliation d'où dépend, à nos yeux, le repos du pays. Au contraire, depuis
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/276]]==
quelques jours, le centre gauche et le centre droit semblent plus que jamais se défier l'un de l'autre. Nous concevons que dans le centre gauche on puisse s'alarmer d'un rapprochement entre les doctrinaires et les anciens 221. Mais le centre gauche, - nous parlons de sa partie modérée, - ne serait-il pas appelé à jouer le grand rôle dans cette majorité, s'il y prenait place? Sans doute, quelques-uns des 221 refuseront de s'y joindre, et resteront à part avec quelques doctrinaires peut-être; mais M. Thiers et M. Guizot, placés dans une combinaison ministérielle, n'importe avec quelle présidence, auraient maintenant pour les soutenir leurs propres partis, et une importante fraction de l'ancienne majorité. En même temps, cette réunion offrirait des garanties et à ceux qui veulent le maintien des idées de modération, comme à ceux qui demandent à grands cris un ministère parlementaire. Qu'on y pense, c'est une forte digue qu'il faut pour arrêter le torrent; et à moins de se boucher obstinément les oreilles, il est impossible de ne pas entendre son bouillonnement qui augmente chaque jour.
 
Renouvellera-t-on de nouveau l'impossible et interminable mission du maréchal Soult, qui offrait, il y a quelques jours, le ministère des affaires étrangères au duc de Bassano, au refus de M. le duc de Broglie, dont on cite ces paroles : « Je ne voudrais pas faire partie d'un cabinet où je serais exposé à être protégé, à droite, par M. Guizot, et à être attaqué, à gauche, par M. Thiers? » - Mais la seule illustration du maréchal, toute grande qu'elle est, ne suffirait pas à parer aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Il ne s'agit pas ici d'une répression militaire. L'émeute n'est pas dans les rues. Elle y a passé, il est vrai, quelques momens; mais elle s'est hâtée de disparaître. L'émeute est dans les esprits; elle y travaille en sûreté; c'est là qu'il faut la poursuivre. Or, l'épée du maréchal Soult est impropre à cela. M. le maréchal Soult est une grande personnalité, mais il ne représente ni un parti, ni une opinion, ni même un système; car, après avoir refusé de soutenir le ministère du 15 avril en s'y adjoignant, il semble aujourd'hui vouloir le reconstruire. Chef d'un cabinet et médiateur entre des chefs politiques, le maréchal jouerait un grand rôle; tout autre ne lui convient pas, et, au rebours des autres hommes politiques, son importance décroîtrait en raison du peu d'importance de ses collègues. D'ailleurs, et pour terminer en un mot, la crise a lieu dans la chambre, dans l'administration et dans la presse; la bataille se livre à la tribune, dans les conseils-généraux, tandis que le pays est matériellement tranquille. Il ne s'agit pas de vaincre les hommes, mais de ramener les esprits, et ce n'est pas l'épée, mais la plume et la parole qui peuvent accomplir une pareille mission.