« La Hongrie » : différence entre les versions

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Pesth, malgré son importance actuelle, est une de ces villes qu’il faut juger plutôt encore par ce qu’elle sera que par ce qu’elle est ; elle prend un accroissement rapide auquel la navigation si active du Danube ne peut que donner une forte impulsion. C’est ici le lieu de dire quelques mots de cette magnifique entreprise qui, bien incomplète encore, est pourtant si digne d’être encouragée. Elle a été traitée trop sévèrement par des voyageurs étonnés de ne pas rencontrer sur les bateaux de Semlin et de Giurgevo le comfortable que l’on est en droit d’exiger sur ceux qui font le trajet de Paris au Hâvre.
 
Le Danube, ce fleuve magnifique qui, dans un cours de sept cents lieues, arrose la Bavière, l’Autriche, la Hongrie et les Principautés, ce fleuve qui, en cas de guerre maritime, pourrait servir de communication entre l’Europe et l’Asie, semblait, pour ainsi dire, protégé par les monstres fabuleux dont l’avait peuplé l’imagination des anciens poètes. Quelques barques, espèces de pirogues creusées dans des troncs d’arbres, se hasardaient seules à en côtoyer les rives ; mais toutes s’arrêtaient à cette ligne de rochers si pittoresquement désignée dans le pays sous le nom de ''Porte de fer''. La navigation était coupée en deux ; elle n’avait quelque activité que dans la portion méridionale du Danube, mais personne ne songeait à tirer un parti convenable du plus grand cours d’eau de l’Europe. César, Charlemagne et Napoléon conçurent, sans pouvoir l’exécuter, le vaste projet de joindre le Rhin au Danube, l’Océan à la mer Noire. César voulait ouvrir un canal de Constance à Ulm ; Charlemagne eut la pensée d’effectuer la jonction des deux grands fleuves par le Mein ; Napoléon fit commencer les travaux d’un canal qui d’Anvers aurait abouti à Cologne, et de Cologne à Neubourg sur le Danube. Les évènemens de 1814 empêchéempêchérent
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rent la réalisation de cette grande idée. Des Français, parmi lesquels il faut citer le général Pajol, chassés de la patrie pour laquelle ils avaient combattu vingt ans, voulurent tourner vers l’industrie l’activité qu’ils ne pouvaient plus déployer dans la guerre : ils songèrent à la navigation du Danube ; mais le gouvernement autrichien, par ses défiances, ajouta de nouveaux obstacles à ceux que les proscrits rencontraient déjà sur la terre d’exil, et ils durent renoncer à l’espoir de les vaincre.
 
L’honneur du succès était réservé à un Hongrois, le comte Istvan Széchényi, libéral ardent, mais éclairé. Fortement convaincu, après avoir visité la France et l’Angleterre, de l’influence civilisatrice du commerce, le comte appela de nouveau l’attention de la Hongrie sur le magnifique débouché offert par la nature à ses produits. La Hongrie qui, dans une étendue de cent soixante-dix lieues de l’est à l’ouest et de cent trente lieues du nord au sud, possède les plus belles plaines de l’Europe, était pauvre au milieu de ses richesses. Les propriétaires se bornaient à vendre à Vienne les récoltes de ces campagnes qu’une bonne culture rendrait si productives. Encore devaient-ils acquitter des droits de douane fort lourds sur les vins, le tabac, les blés et le bétail. Si on leur parlait du Danube comme de l’artère vivifiante de leur pays, ils objectaient ces mots sans réplique : « Et la Porte de fer ? » Széchényi se chargea de leur répondre ; il fit construire sur le quai de Pesth une barque légère, en annonçant à ses compatriotes qu’il voulait avec elle franchir les cataractes. Il partit. Peu de temps après la Hongrie tout entière applaudissait à son triomphe. Il y eut alors un revirement complet dans les esprits ; la nouvelle du passage du Cap ne produisit pas plus d’impression en Europe, que parmi les Hongrois celle de l’arrivée du comte Széchényi au-delà des cataractes. Dans leur orgueilleux enivrement, les Hongrois virent déjà leur capitale devenue port de mer. Une gravure (prohibée par la censure autrichienne) représenta Széchényi planant au-dessus de gros nuages échappés des cheminées de pyroscaphes anglais, russes, français, etc., rangés en bataille devant le quai de Pesth.
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Comme l’auteur le prévoyait, ce langage si noble et si vrai blessa au vif tous ceux qui, par peur, par habitude, ou par entêtement, voulaient conserver le régime de la féodalité. Le comte de Széchényi devint le point de mire des attaques des privilégiés. Par les uns, il était signalé comme un traître vendu à la cour de Vienne ; par les autres, comme un fils indigne de la noble Hongrie. Les idées françaises l’avaient entraîné dans une fausse route, et ses projets ne tendaient à rien moins qu’à exciter une révolte des chaumières contre les châteaux. Mais la violence des réfutations dont la brochure du ''Renégat'' fut l’objet ne servit qu’à étaler aux yeux de tous les profondes blessures qu’elle avait faites.
 
Un seul des écrivains du parti stationnaire, tout en s’attaquant à la personne de Széchényi, se posa comme le défenseur des intérêts menacés ; ce fut le comte Dessewfyi. La vieille réputation du comte, l’indépendance et la fermeté de son caractère, l’amitié qui l’avait uni jadis à M. de Széchényi, appelèrent l’attention sur sa réplique. A l’époque où la révolution française atteignait sa sanglante apogée, la Hongrie envoyait aussi ses députés à une diète restée célèbre dans les fastes parlementaires de la nation. Le successeur de Joseph II n’était pas de force à soutenir l’œuvre de cet empereur, et les libéraux hongrois relevaient enfin la tête. Le comte Dessewfyi, par le courage avec lequel il défendit les droits de sa patrie ou plutôt les privilèges de la noblesse contre le pouvoir royal, mérita de devenir le chef des amis de la constitution. Depuis ce temps il a voué à la Bulle d’or un respect sans bornes ; il la regarde comme le code modèle de toutes les nations. Ce fut donc une affreuse douleur pour ce vieux patriote, que de voir les rudes coups portés par l’empereur François à l’objet de son amour chevaleresque. L’intervalle de 1812 à
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à 1825, pendant lequel tous les comitats, mis en interdit, furent gouvernés par des proconsuls autrichiens, lui parut un long supplice. Le comte Istvan Széchényi commençait alors à se faire connaître. Lui aussi rougissait de l’asservissement de la Hongrie, lui aussi regrettait les anciens jours et soupirait après la liberté perdue. Dessewfyi devint, pour ainsi dire, le patron politique du jeune magnat. Mais, depuis 1825, la cour changea de marche : M. de Széchényi visita la France et l’Angleterre, première faute aux yeux de son vénérable ami ; de plus il vanta les avantages de ces deux pays ; il admira leurs ressources financières, leur commerce, leurs nombreuses manufactures, et il voulut contribuer à faire jouir la Hongrie des mêmes richesses, dût la constitution subir quelques réformes. Dessewfyi renia dès-lors le comte comme un enfant ingrat. « Les attaques de M. de Széchényi contre les dîmes, dit-il dans sa réfutation, ressemblent aux déclamations de tous les révolutionnaires contre la propriété. Le seigneur est maître de ses terres comme le paysan de sa bêche et de sa charrue… Les corvées ne sont que le loyer des terres que le seigneur concède aux paysans. Qui donc songe en France à abolir les fermages ?… D’ailleurs, quel seigneur se refuserait à la suppression des corvées, si les paysans pouvaient les racheter ? »
 
Ce dernier paragraphe fournissait au comte Istvan des armes trop sûres pour qu’il négligeât de s’en servir. Son adversaire enfermait le débat sur la propriété du sol dans les bornes étroites d’une question financière. Consentir à transiger sur des privilèges, c’était reconnaître ce qu’ils avaient d’abusif. Les nobles français aussi firent un semblable aveu en cédant au fiévreux enthousiasme de la nuit du 4 au 5 août. Que le système féodal ait eu ses avantages, c’est ce que l’on peut soutenir ; mais, comme toutes les institutions humaines, il devait être emporté par le flot des siècles. M. de Széchényi proposa donc de racheter les corvées et les dîmes au moyen d’une banque nationale ; il cita l’exemple de l’Angleterre, qui venait précisément de rendre la liberté aux noirs de la Jamaïque en indemnisant les propriétaires d’esclaves.
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3° Une répartition plus équitable des charges et des contributions, et la diminution des impôts versés dans les caisses ''domestiques'' du comitat ;
 
ia4° La demande d’un don gratuit de la noblesse pour couvrir les dépenses nécessitées par la tenue de la diète ;
 
5° Le remboursement à l’archiduc Joseph d’un prêt de 262,606 florins.
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Le roi a proposé, à la dernière diète, l’établissement des ''contrats à perpétuité'', qui créent un mode de posséder particulier aux habitans des campagnes. L’acceptation de cette mesure est, sans contredit, l’acte le plus important de la diète de 1832-36 ; il jette en Hongrie des germes de prospérité qui, dans les conditions où ce pays se trouve enfin placé, ne tarderont pas à porter leurs fruits. Le paysan peut, aujourd’hui, au moyen d’une somme une fois payée, se racheter, à perpétuité, lui et ses héritiers, de toutes corvées, dîmes et redevances ; il a la possession pleine et entière du sol qu’il laboure et de la maison qu’il habite ; la propriété n’est plus, dans les mains du seigneur, qu’un droit nominal et stérile. Ces rachats, encouragés et facilités par la loi, donneront naissance à une nouvelle
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classe de citoyens, les campagnes prendront leur essor, et ces immenses villages de quinze à vingt mille ames, si nombreux en Hongrie, deviendront un jour des cités riches et populeuses.