« Chronique de la quinzaine - 14 mars 1838 » : différence entre les versions

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Venant à des idées plus sérieuses, ne serait-on pas tenté de s’adresser aux doctrinaires qui demandent, par la bouche de M. le comte Jaubert, et pour eux-mêmes, ''une grande influence et une haute direction'' dont la nécessité, disent-ils, se fait sentir, et de les sommer d’exposer leur système ? Nous croyons qu’ils seraient très embarrassés de le faire connaître, car, hors les mesures de rigueur, ils n’ont jamais brillé, que nous, sachions, par la décision des vues politiques. Plusieurs questions ont été soulevées, par le ministère. Il y a l’Espagne, d’abord. M. Guizot et ses amis veulent-ils ou ne veulent-ils pas l’intervention en Espagne ? Répondront-ils comme fit un jour M. Guizot, au conseil, sur cette même question : « On peut suivre l’une et l’autre voie. » Il y a Alger. Veulent-ils la possession ou l’abandon d’Alger ? Partagent-ils l’opinion de M. Thiers ? Veulent-ils étendre nos possessions ou les laisser stationnaires ? - Et la rente ? Sont-ils pour ou contre la conversion ? S’ils formaient un ministère avec M. Thiers, sur quel principe s’entendraient-ils, à propos de cette mesure financière ? Accorderaient-ils la conversion, afin que M. Thiers renonçât à l’intervention en Espagne ? Cette fois ce ne serait pas là un mariage de raison, car pour l’accomplir il se ferait, de part et d’autre, de bien grands sacrifices ; et ce serait, en réalité, le côté droit abandonné dans son principe vital, et le côté gauche privé de son idée favorite, qui payeraient les frais de la noce et les violons. Viendrait ensuite la question des chemins de fer. Les doctrinaires veulent-ils ou non les grandes lignes ? Les veulent-ils par concession directe ou par concurrence libre ? Préfèrent-ils l’exécution des travaux par l’état ? C’est seulement quand les orateurs doctrinaires se seront exprimés nettement sur ces questions, qu’on pourra leur accorder qu’ils croient sérieusement à la nécessité d’une plus ''haute direction et d’une plus grande influence politique'', quoique cette définition ne soit pas très claire. Alors seulement on saura au juste ce qu’ils demandent, et l’on ne sera pas tenté de croire que ce qu’ils voulaient uniquement, c’était le pouvoir et les fonds secrets.
 
M. de Montalivet avait bien défini la question à l’égard de M. Gisquet, déjà avant qu’une indisposition ne l’eût forcé de quitter la tribune où il était monté pour répondre aussi à M. Jaubert. M. Guizot en avait jugé ainsi quelques années auparavant. « Une fois, a dit le ministre, qu’on laisse la porte entr’ouverte, elle pourra l’être un jour tout entière. » En effet, un ancien fonctionnaire est-il le juge des révélations qu’il lui plaira de faire ? et n’est-ce pas manquer à la chambre elle-même qui a reconnu la nécessité du secret, quand elle a accordé les fonds destinés à cet emploi ? Le ministre a déclaré qu’il n’entendait pas attaquer l’indépendance du député, qu’un ancien préfet de police é
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taitétait entièrement le maître d’accorder ou de refuser les fonds secrets, un ex-directeur des ponts-et-chaussées de réduire les travaux publics, etc., mais qu’il contestait une seule liberté, celle de divulguer, sous quelque forme que ce soit, les secrets qui ont été confiés à un député, en sa qualité de fonctionnaire du gouvernement. Et à cette occasion, loin de se refuser à la discussion, M. de Montalivet, tout souffrant qu’il était visiblement, a donné quelques explications sur la nature des services qui nécessitent les fonds secrets. M. de Montalivet avait déjà produit des explications de ce genre dans les bureaux de la chambre, où elles avaient été appréciées. C’est au moment où M. de Montalivet abordait la situation actuelle, qu’il a été forcé de quitter la tribune, et d’abandonner le sort du projet de loi à M. Molé, qui l’a défendu avec une rare dignité.
 
Le discours de M. Molé restera comme un modèle des nobles paroles qu’un homme de cœur et de talent peut trouver dans une situation épineuse. La délicatesse la plus élevée a pu seule dicter ces mots : « Lorsqu’il s’agit de fonds dont on ne rend pas compte, il faut en poser le chiffre scrupuleusement, et se rendre à soi-même un compte sévère de l’emploi des fonds. » Après de telles paroles, on ne pouvait que conclure comme a fait M. Molé : « Je regarderais toute réduction comme un refus de confiance de votre part. C’est à vous de porter votre arrêt. » Et l’arrêt a été rendu à une majorité de 116 voix, en faveur du ministère. On ne s’attendait pas peut-être à une majorité si grande. Elle ne nous a pas étonnés après avoir entendu le discours de M. Molé. Jamais la susceptibilité de l’honneur n’avait parlé plus haut. On ne parlera plus maintenant de l’indécision du ministère, et de ses transactions avec les doctrinaires. Le divorce pour ''incompatibilité d’humeur'' répond, une fois pour toutes, aux avances et aux bouderies de M. Jaubert. M. Molé l’a rejoint sur le terrain de l’esprit et du sarcasme, et il l’a battu de ses propres armes, terrassé de ses propres argumens. Aussi M. Guizot a-t-il jugé prudent de prendre la responsabilité du discours de M. Jaubert, et de le protéger. C’est un acte de courage, un acte de courage véritable, et de courage malheureux, pour parler comme M. Guizot. Il a dû paraître au moins étrange d’entendre M. Guizot réclamer pour le gouvernement plus de grandeur morale, et exiger que la politique soit élevée, au milieu du trouble causé par son parti, par son parti seul, qui venait mettre toutes les passions en émoi pour l’intérêt personnel le moins déguisé ! L’étonnement de la chambre, sa surprise, se sont manifestés par un profond silence, - et par un vote d’approbation éclatante pour le ministère du 15 avril. Nous le répétons, M. Guizot ne s’était jamais montré plus courageux.
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Bretagne, au Canada, à la Nouvelle-Galles du sud, dans les Antilles et dans les établissemens du sud de l’Afrique. L’honorable membre proposait, en conséquence, une adresse à la reine, pour se plaindre de l’administration de lord Glenelg, et solliciter son éloignement. Il était soutenu, dans cette motion, par M. Leader et les radicaux, qui espéraient se trouver d’accord avec sir Robert Peel et le parti tory. Mais le parti tory et le parti des whigs ont donné, encore cette fois, un exemple à leurs voisins de France, du centre droit et de la gauche. Cette velléité d’alliance entre deux partis opposés a été rompue aussitôt que formée, et rompue des deux parts. Le parti tory jugea que l’alliance radicale n’était pas faite pour lui, et chargea lord Sandon de présenter un amendement à la motion de sir Williams Molesworth. Par cet amendement, tout le ministère se trouvait compris dans l’accusation de lord Glenelg. On savait d’avance que : les amis de sir Williams ne s’engageraient pas dans une telle entreprise. En effet, après deux jours de débats, la motion principale fut retirée, et 316 voix contre 287 rejetèrent l’amendement tory. Les tories et les whigs ont donc montré quelque dignité en cette affaire : les tories, en refusant de prendre le pouvoir de la main des radicaux, et en déclarant qu’ils ne rentreront aux affaires que lorsqu’ils pourront y faire triompher leurs principes ; les radicaux, en refusant de s’associer à l’amendement par lequel ils se trouvaient amenés à blâmer l’ensemble des mesures du cabinet, dont quelques-unes reposent sur leurs principes. Il y a dans tout ceci quelques notions de dignité, et des traditions de gouvernement représentatif, sur lesquelles nos hommes d’état feraient bien de méditer pendant quelques momens.
 
Les journaux ont parlé d’un démêlé entre M. de Flahault et M. le général Beaudrand, premier aide-de-camp de M. le duc d’Orléans. Tout ce qui touche au prince royal offre un degré d’intérêt qui ne permet pas de traiter ce débat comme une affaire tout-à-fait insignifiante, et nous croyons qu’elle mérite d’autant plus d’attention, qu’on a semblé insinuer que M. le duc d’Orléans avait sacrifié M. de Flahault au général Beaudrand. Le caractère de M. le duc d’Orléans éloigne cette pensée ; mais M. Beaudrand est le précepteur de M. le duc d’Orléans ; sa place est marquée près de lui, et ce n’est pas M. de Flahault, dont la loyauté et le caractère sociable sont si connus, qui pourrait désirer l’éloignement de M. le général Beaudrand. Le débat roulait sur un fait qu’il n’était au pouvoir de personne de changer. M. de Flahault, premier écuyer du prince, a vingt ans de grade de lieutenant-général de plus que le général Beaudrand. Il s’ensuivait que M. Beaudrand, plus ancien dans la maison du prince, se trouvait naturellement amené à céder le pas à M. de Flahault dans toutes les solennités militaires. Toutes les difficultés semblaient aplanies par M. de Flahault, qui avait consenti à se mettre sur un pied d’égalité, si M. le général Beaudrand n’eût rédigé un traité précédé de considérations auxquelles M. Flahault ne pouvait souscrire. M. de Flahault a donc donné sa démission, emportant avec lui l’estime et l’amitié du prince royal. Tout serait dit si nous ne voulions faire justice d’une accusation banale portée contre M. de Flahault. On a avancé quelque part qu’il avait voulu introduire un esprit d’aristocratie et d’étiquette dans la maison du duc d’Orléans. C’est mal l’apprécier. L’aristocratie du mérite a toujours été la seule qu’il ait voulu reconnaître dans toutes les invitations qu’il a données pour M. le duc d’Orléans, et en cela il était d’accord avec le prince, si bon appréappréciateur
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ciateur des talens. Il suffirait, au reste, d’entrer dans la maison de M. de Flahault pour se convaincre que cette règle le guide aussi dans le choix de la société qui l’entoure. C’est une justice qui sera rendue à M. de Flahault par tous ceux qui le connaissent.
 
 
La question de la propriété littéraire qui intéresse à tant de titres les esprits sérieux, et dont la législation actuelle est si incomplète et si insuffisante, a été, il y a quelques jours, au conseil d’état, l’objet d’une longue discussion dont M. de Salvandy peut revendiquer la plus notable part. A l’aide d’une certaine manière distinguée et personnelle qui le caractérise comme écrivain, et qui vient à propos se joindre à la dignité de pensée, M. de Salvandy a singulièrement éclairé cette question obscure de la propriété littéraire. Il était difficile de jeter sur un point aussi ardu un jour plus net et plus vif. Enfin un remarquable talent d’application pratique, une perspicacité ingénieuse, ont présidé à cette discussion et en ont de beaucoup hâté la solution, nous l’espérons.
 
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— Le cours de M. Sainte-Beuve à l’Académie de Lausanne sur Port-Royal, sans être arrivé à sa fin, approche pourtant du terme qui rendra à la ''Revue'' la présence d’un collaborateur aimé, dont, mieux que personne, elle a senti l’éloignement. Presque toute la littérature du XVIIe siècle aura donc été soumise de nouveau à l’appréciation élevée et délicate de M. Sainte-Beuve, et sa critique, qui, dans sa première vivacité, avait abordé naguère l’art du règne de Louis XIV au point de vue polémique, aura sans doute, du haut de ce cloître austère et calme de Port-Royal, trouvé encore de graves et ingénieux aperçus sur les écrivains du grand siècle. Nourri ainsi d’un long et assidu commerce avec le génie sévère de Pascal, la poésie de Racine, et la théologie d’Arnauld et de Nicole, M. Sainte-Beuve nous reviendra avec des qualités nouvelles, qui, jointes aux finesses habituelles de sa manière, ne seront que plus précieuses chez un écrivain possédant à un si haut degré la science difficile du style. M. Sainte-Beuve détachera bientôt, pour la ''Revue'', une de ses études sur Port-Royal, que la fréquence de son cours l’avait jusqu’ici empêché d’écrire.
 
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Le nouveau poème de M. Edgar Quinet, ''Prométhée'', vient de paraître, Le temps et la place nous manquent pour parler aujourd’hui de cette œuvre remarquable, que nous apprécierons prochainement.