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{{journal|Brest à deux époques <ref> J’ai rédigé cet article sur des notes laissées par mon père, et c’est lui que je laisse parler. </ref>
 
Quoique située à l’extrémité de la Bretagne, la ville de Brest n’est pas une ville bretonne : c’est une colonie maritime composée de transfuges de toutes les provinces de la France, et dans laquelle s’est formée je ne sais quelle race douteuse sans caractère propre et sans aspect spécial. L’observateur attentif peut bien découvrir, dans cette population habillée de toile cirée et de cuir bouilli, qui vit les pieds dans l’eau et la tête dans les brumes, quelque chose des ''durs garçons de l’Armorique'' <ref> ''Pot callet deus an Arrnoricq''. (Proverbe breton.) </ref> ; mais ce n’est qu’une trace fugitive. La ville n’a Éguère mieux conservé son air matelot. On sent bien encore un peu le goudron dans le premier port de France ; on entend bien encore des marteaux de calfats sous les bassins couverts ; on rencontre bien encore, dans la rue ''des Petits-Moulins'', quelque vaillant maître au teint bistré, à la chique proéminente, aux escarpins enrubannés, venant de manger en trois jours la paie de quinze mois, et cherchant d’un œil curieux un ''pousse-cailloux à éreinter'' ; mais, à part ces quelques traits maritimes, répandus çà et là comme des vestiges d’antique beauté sur un visage décrépit, le grand port n’offre plus à l’œil rien de saillant ni d’animé. On sent que le vent de la faveur a cessé de souffler sur ce Versailles maritime, et que ses jours de splendeur sont passés. Ses longues files de vaisseaux désarmés dorment sous leurs toits peints ; ses quais, presque déserts, sont couverts d’ancres gigantesques que rouille l’eau du ciel, de canons numérotés, et de piles de boulets verdis par la mousse. À peine si, de loin en loin, quelques coups de marteaux, quelques grincemens, de fer, quelques chants de travail s’élèvent rares et solitaires dans d’immenses ateliers. De vieux gardiens, en cheveux blancs et en livrées, se promènent devant les magasins fermés, et des escouades de forçats passent lentement, avec leur cliquetis de chaînes, traînant quelques débris de navires démolis, tandis que le long du canal encombré glissent silencieusement des bateaux de passage, délavés par la mer, et conduits par des ''chalandous'' en sabots. Rien ne peut rendre la sèche et monotone tristesse de ce tableau. Cela n’a même pas la poésie des ruines ; c’est la décadence dans sa désolante laideur. En vain voit-on s’étaler sur les deux montagnes des lignes immenses d’édifices bien entretenus, des caltes, des usines, des machines somptueusement décorées de fer, de cuivre ou de plomb ; je ne sais quoi de languissant perce à travers cette magnificence arrangée. Ce qui manque au port de Brest, ce n’est ni le soin ni l’opulence, c’est le bruit, c’est le mouvement, c’est la vie. Brest rappelle la régularité de ces vieilles femmes qui, une fois leurs sourcils repeints et leur corset lacé, ont encore un faux air de vigueur et de sève. Mais, regardez dans leurs yeux : la vie y est éteinte, l’enveloppe fraîche et jeune couvre un cadavre.
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ÉMILE SOUVESTRE.
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[[Catégorie:Histoire de la Bretagne]]