« L’Espagne en 1835/01 » : différence entre les versions

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Mais celui de tous les détenus dont la vue m’inspira le plus de compassion, c’était un jeune homme de dix-huit ans tout au plus, qu’une passion d’amour avait jeté étourdiment dans le carlisme. Il appartenait à une famille noble, et me parut remarquablement beau, malgré le désordre de ses traits ; sa longue barbe et ses cheveux touffus encadraient d’une sombre auréole sa physionomie renversée, et en faisaient ressortir la pâleur ; ses grands yeux étaient empreints d’une mélancolie résignée. Il était vêtu de noir de la tête aux pieds : c’était porter bien tôt le deuil de ses beaux jours. Ce douloureux jeune homme me rappela un de nos amis de paris, une ame tendre et noble que nous aimons tous ; il lui ressemblait de visage, et ce souvenir affectueux me rendit plus intéressante encore l’infortune du prisonnier adolescent. Je ne craignais pas que son nom sortît de l’urne fatale, il n’était pas assez compromis ; mais je craignais toujours un massacre, et c’était bien là aussi la pensée qui dominait l’assemblée.
 
Il se fit tout à coup sur la place un grand bruit. Je crus que c’était fini, que les négociations étaient rompues, et que le carnage commençcommençait.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/744]]==
ait. Les détenus le crurent comme moi ; il y eut un long frémissement d’horreur et d’effroi ; les bancs gémirent sous les muettes convulsions des condamnés ; quelques-uns se levèrent en sursaut ; d’autres cachèrent leur tête dans leurs mains pour ne pas voir le coup qui allait les frapper. Un silence morne et profond régnait dans la salle. C’était une fausse alarme. La rumeur qu’on avait entendue annonçait l’arrivée d’un nouveau prisonnier : c’était un malade qu’on avait été chercher à l’hôpital, et qu’on amenait couché sur un chariot. Il avait l’air d’un mort, tant il était déjà décomposé ; il fallut le porter dans la salle ; on l’y coucha sur un manteau. Il faut dire que ce malheureux fut traité, par les urbains qui l’escortaient, avec humanité, et qu’il fut, de leur part, l’objet de soins empressés et d’attentions presque délicates. Du reste, je ne vis maltraiter aucun détenu ni en action ni en paroles.
 
Quand le calme fut rétabli, je vis un moine qui jetait sur ma cocarde un œil féroce. La vue des trois couleurs ranimait en lui les sanglantes passions de 1808 ; et si cet homme m’eût tenu en son pouvoir, je crois qu’il m’aurait déchiré : c’est là du moins ce que son regard me disait avec sa flamboyante éloquence. Ce moine était le père Lopez, fougueux minime, dont les prédications furibondes avaient agité long-temps la province. Son procès, à lui, était fait par l’opinion, et il l’aurait été de même par les tribunaux, s’il n’eût, à force d’argent, acheté des escribanos délais sur délais. Son sort maintenant était fixé : il ne pouvait plus échapper ; son nom sortait de toutes les bouches avec l’accent de la haine ; il ne pouvait manquer de sortir de l’urne le premier. On venait de saisir sur lui un livre qu’il cachait dans les plis de sa robe c’était le second volume d’un pamphlet monacal, tout-à-fait digne, par ses exagérations, des beaux jours de l’inquisition ; l’auteur, un certain père Vidal, en ressuscitait du moins les doctrines les plus extrêmes ; l’ouvrage avait pour titre : ''Causes des erreurs révolutionnaires, et de leurs remèdes'' ; remèdes de moine, et de moine vindicatif ! C’était là le bréviaire où s’inspirait le père Lopez, et l’on comprend que la cocarde française ne fût pas du goût d’un tel homme.
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La révolution espagnole n’a fait jusqu’ici que tourbillonner aux surfaces, et bâtir sur le sable, parce que jusqu’ici on s’est obstiné à lui refuser sa base naturelle et sa véritable assiette. La démocratie est le port des nations. Quand les dynasties ont fini leur œuvre, quand les aristocraties s’éteignent, et que le corps social paraît menacé de dissolution, alors la force de l’état se concentre tout entière au sein du peuple, comme le sang reflue au cœur dans les crises du corps humain ; traditions, vertus, honneur, tous les trésors de la pensée nationale, tous les dogmes sacrés du pays se réfugient à la fois dans ce sanctuaire inviolable. Or, l’Espagne en est aujourd’hui à cette époque de décomposition ; qu’elle obéisse donc, si elle veut renaître, aux lois providentielles ; qu’elle aille puiser la vie où Dieu l’a mise, et retremper sa vieillesse à ces sources viriles ; c’est là qu’elle lavera ses souillures ; c’est là qu’elle peut retrouver encore la vaillante épée de Rodrigue, et quelques débris peut-être du sceptre de Charles-Quint.
 
 
Charles Didier.