« Écrivains critiques et historiens littéraires de France - M. Villemain » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
m Typographie |
m match |
||
Ligne 1 :
{{journal|Ecrivains critiques et historiens littéraires de France - M. Villemain|[[Auteur:Charles Augustin Sainte-Beuve|Sainte-Beuve]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.5, 1836}}
==__MATCH__:[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/60]]==
Un sentiment qui semble naturel à la plupart des écrivains, critiques ou poètes, après le premier moment où l’on s’élançait avec union et enthousiasme dans la carrière, c’est la crainte d’être gêné dans sa libre expansion, d’être frustré dans sa part de louange par les hommes supérieurs qui continuent de nous primer, ou par les hommes distingués qui s’élèvent à côté de nous et nous pressent. Ce sentiment qui paraît être excité surtout aux époques de grande concurrence et de plénitude, au second ou au troisième âge des littératures très cultivées, sentiment utile et bon à vrai dire, en tant qu’il n’est qu’avertissement et aiguillon, devient faux s’il renferme une crainte sérieuse et une tristesse jalouse. A moins de venir à quelque époque encore brute, inégale et demi-barbare, à moins d’être un de ces hommes quasi fabuleux (Homère, Dante… Shakspeare en est le dernier), qui obscurcissent, éteignent leurs contemporains, les engloutissent tous et les confisquent, pour ainsi dire, en une seule gloire ; à moins d’être cela, ce qui, j’en conviens, est incomparable, il y a avantage encore, même au point de vue de la gloire, à naître à une époque peuplée de noms et de chaque coin éclairée. Voyez en effet : le nombre, le rapprochement, ont-ils jamais nui aux brillans champions de la pensée, de la poésie, ou de l’éloquence ? tout au contraire ; et, si l’on regarde dans le passé, combien, sans remonter plus haut que le règne de Louis XIV, cette rencontre inouie, cette émulation en tous genres de grands esprits, de talens contemporains, ne contribue-t-elle pas à la lumière distincte dont chaque front de loin nous luit ? Au siècle suivant de même. Et si, à un horizon beaucoup plus rapproché, et, dans des limites moindres, nous regardons derrière nous, a-t-il donc nui aux hommes qui président à cette ouverture de l’époque de la Restauration, à cette espèce de petite Renaissance, et qui composent le groupe de l’histoire, de la philosophie, de la critique et de l’éloquence littéraire, à cette génération qui nous précède immédiatement et dans laquelle nous saluons nos maîtres, leur a-t-il nui d’être plusieurs, - d’être au nombre de trois, rivaux et divers dans ces chaires retentissantes, dont le souvenir forme encore la meilleure partie de leur gloire ? Et ailleurs, dans la critique courante, dans la poésie, combien n’a-t-il pas servi aux esprits d’être en nombre, en groupes opposés ! et comme cela aide plutôt à la figure qu’à cette courte distance ils font déjà ! On est en effet, tous contemporains, amis ou rivaux, dans son époque, comme un équipage à bord d’un navire, à bord d’une aventureuse ''Argo''. Plus l’équipage est nombreux, brillant dans son ensemble, composé de héros qu’on peut nommer, plus aussi la gloire de chacun y gagne, et plus il est avantageux d’en faire partie. Ce qui de près est souvent une lutte et une souffrance entre vivans, est de loin, pour la postérité, un concert. Les uns étaient à la poupe, les autres à la proue ; voilà pour elle toute la différence. Si cela est vrai, comme nous le disons, des hautes époques et des ''Siècles de Louis XIV'', cela ne l’est pas moins des époques plus difficiles où la grande gloire est plus rare, et qui ont surtout à se défendre contre les comparaisons onéreuses du passé et le flot grossissant de l’avenir, par la réunion des nobles efforts, par la masse, le redoublement, des connaissances étendues, et choisies, et dans la diminution. inévitable de ce qu’on peut appeler proprement ''génies créateurs'' ; par le nombre des talens distingués, ingénieux, intelligens instruits et nourris en toute matière d’art, d’étude et de pensée, séduisans à lire, éloquens à entendre, conservateurs avec goût, novateurs avec décence.
Ligne 61 ⟶ 62 :
M. Villemain n’a pas fondé d’école à proprement parler. Ce mélange, cette construction élégante et savante d’idées, de faits nombreux, d’aperçus et de rapprochemens, n’avait d’unité qu’en lui, et s’est comme dispersée au moment où il s’est tu. Mais tous ceux qui en étaient dignes y ont participé par quelque endroit précieux, et quiconque l’a entendu est son élève. Parmi les hommes qui, presque contemporains de M. Villemain, semblent briller d’une nuance radoucie de son talent, je ne veux pourtant pas oublier ici un maître bien loué de ceux qui l’approchent, et qui soutient une partie du difficile héritage. M. Patin, qui analysait le cours de M. Villemain dans le ''Globe'', qui débuta après lui par des couronnes académiques, a porté dans la poésie latine qu’il professe un sel délicat et rare, une urbanité élégante et simple, une aménité de parole où l’art disparaît, pour ainsi dire, dans une décence naturelle. On peut apprécier par lui certaines qualités fines de M. Villemain, qui se trouvent là comme séparées. Pour se dire combien M. Villemain tranche par sa critique avec la manière et le fond de ’l'école philosophique du XVIIIe siècle, qu’on essaie de comparer un moment M. Patin dans sa fleur de Grèce et de Fénelon, avec les procédés et les inspirations de Victorin Fabre, dernier élève sérieux de l’autre école.
Le discours que M. Villemain a mis en tête du Dictionnaire de l’Académie<ref>Il
Ligne 67 ⟶ 68 :
SAINTE-BEUVE.
|