« Portraits de Rome à différents âges/01 » : différence entre les versions

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'''Les fils de Ragnar forment le projet de prendre la ville de Rome'''
 
 
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« Mettez aussi la chaudière vide sur les charbons ardens, afin qu’elle s’échauffe, que l’airain brûle, que son ordure se fonde au dedans, et que la rouille se consume. »
 
A ces terribles images, le saint évêque s’interrompit, et, par un rapide et touchant retour sur la ville désolée, il s’écria : « Mais de quelle manière est tombée Rome, qui semblait autrefois la souveraine du monde ? c’est ce que nous voyons avec nos propres yeux : elle est frappée de mille façons par un inépuisable malheur, par le deuil de ses citoyens, l’oppression de ses ennemis, la multitude de ses ruines, de sorte que nous voyons accompli sur elle ce que le prophète Ezéchiel avait prophétisé sur Samarie Où est le sénat ? où est le peuple ? Toute splendeur de gloire terrestre est éteinte en elle ; et nous en petit nombre, nous qui restons encore, chaque jour l’épée nous presse, chaque jour d’intarissables calamitécalamités
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s fondent sur nous. Placez la chaudière vide sur les charbons ardens, dit le prophète… Rome brûle maintenant comme une cité vide. Mais que parlons-nous des hommes, quand nous voyons les monumens eux-mêmes écrasés par les ruines qui s’amoncellent chaque jour ? »
 
C’est là une peinture déjà bien lugubre de Rome ; et que de maux l’attendent encore !… que d’incendies, d’inondations, de tremblemens de terre, de troubles intérieurs ! que de causes de misère et de ruine ! Peu de villes ont autant souffert dans le moyen-âge ; et chacune des catastrophes qu’elle a traversées a contribué à lui donner ce caractère sévère et triste qui perce encore sous les embellissemens magnifiques dont on a voulu la décorer et la rajeunir. C’est ce qui, pour nous, contemplateurs oisifs, produit un charme mélancolique dont nous ne nous rendons pas toujours compte ; mais cette malheureuse ville a payé cher notre rêverie, et il a fallu, dans le passé, bien des désastres et bien des douleurs réelles pour amener les élégies sentimentales de notre temps.
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Jusqu’ici Hildebert exprime seulement une tendre commisération pour les ruines qu’il a devant les yeux, et un noble respect pour la gloire ancienne de Rome. Mais voici ce qu’il ajoute, et ce qui pour un évêque est peut-être un peu plus extraordinaire : « Ici les dieux eux-mêmes admirent les formes des dieux, et ils voudraient ressembler aux traits que l’art leur a prêtés. La nature n’a pu créer des dieux égaux en beauté aux images merveilleuses que l’homme a faites ; ces dieux semblent respirer, ''et on les honore plutôt pour le talent des artistes que pour leur propre divinité''.
 
Dans ces vers où une expression malhabile s’efforce de rendre un sentiment profond, d’exprimer, comme en tâtonnant, l’admiration des chefs-d’œuvre de l’art antique ; dans ces vers n’est-il pas curieux de voir les dieux du paganisme, évoqués pour ainsi dire, et comparés,
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et comparés, comme des êtres réels, avec leurs images ? Plus tard, quand nous rencontrerons ce culte de l’antiquité romaine, poussé, jusqu’à la superstition, nous ne nous en scandaliserons pas trop, car nous nous rappellerons les paroles de l’évêque du XIIe siècle. De même, l’âpreté des sarcasmes des âges suivans contre le pouvoir des papes dépassera difficilement l’amertume de deux vers qui suivent ceux que nous venons de citer. « Heureuse ville si elle manquait de maîtres, ou s’il était honteux à ses maîtres de manquer de foi ! »
 
Au moyen-âge on ne voyageait pas pour voyager ; on n’allait pas à Rome pour admirer les antiquités, pour rêver sur les ruines ; mais il y avait une classe d’hommes qui apportaient dans la ville apostolique une imagination ouverte aux impressions solennelles des lieux, avide surtout de légendes saintes, mais curieuse aussi, de merveilles de tous genres. C’étaient les pélerins.
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On ne pouvait représenter d’une manière plus vive, et par une plus sanglante ironie, le scandale de la corruption romaine, et le danger où le spectacle de cette corruption mettait les croyances. La conversion du juif, ainsi motivée, faisait pressentir la séparation de la moitié de l’Europe ; bien avant que Luther eût commencé à son insu cette séparation en attaquant les indulgences, Chaucer, l’ami et le complice de l’hérésiarque Wiklef, leur avait porté de rudes coups dans la personne de son ''pardoner'' (indulgencier), l’un des personnages grotesques de ses ''Contes de Canterbury''.
 
Le ''pardoner'' vient de Rome, tout chargé d’indulgences, et portant dans sa valise grande provision de reliques, au nombre desquelles se trouvent un morceau de la robe de la sainte Vierge, et un lambeau de la voile du bateau de saint Pierre, pauvre nef que l’on commençait, alors à dépecer. Ce personnage, dont les anciens manuscrits offrent la représentation figurée, paraît souvent dans les moralités dramatiques, autre forme de la satire au moyen-âge ; c’est un type du pèlerin venant de Rome, telle que la malice populaire l’avait souvent observé. Enfin, dans cette grande épopée satirique, dont le Renard est le héros, le voyage de Rome est parodié comme les tournois de la chevalerie, les cérémonies de la religion, l’autorité de la justice féodale, comme la société de ce temps tout entiè
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reentière. Renard échappe à la potence, que ses méfaits lui avaient bien méritée, en alléguant un vœu qu’il a fait d’aller à Rome ; mais avant de partir, il trouve moyen de se faire tailler, pour son pèlerinage, des sandales et un capuchon dans la peau de ses ennemis.
 
Après avoir dit un mot de la Rome des pélerins, il fallait bien parler des grotesques portraits, des'' charges'' moqueuses qu’en traçait la malignité contemporaine.
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de trois lances de lansknets. Intérieurement révolté de tout ce qu’il voyait, il quitta Rome dans une situation d’esprit bien différente de celle qu’il y avait apportée ; il s’agenouillait alors avec la dévotion des pélerins, maintenant il s’en retournait dans une disposition analogue à celle des frondeurs du moyen-âge, mais plus sérieuse que la leur. Cette Rome dont il avait été dupe, et dont il était désabusé, devait entendre parler de lui ; et il devait un jour, parmi ses joyeux propos de table, s’écrier jusqu’à trois fois : Je ne poudrais pas pour mille florins n’avoir pas été à Rome, car j’aurais toujours l’inquiétude d’avoir fait une injustice au pape.
 
Après Luther, Rabelais, cet autre adversaire du passé, Rabelais, l’héritier direct de toute la gausserie du moyen-âge, bouffon, enfroqué, qui raille son siècle en langage burlesque pour être compris, en langage allégorique pour ne pas être brûlé ; Rabelais, comme tous ses devanciers des fabliaux et des moralités, Rabelais en veut surtout à l’église ; on n’est jamais trahi que par les siens ; nul ne persiflle bien que ce qu’il connaît par expérience. Le chevaleresque Cervantes fera une parodie sublime de la chevalerie, et le curé de Meudon tracera la satire la plus sanglante du clergé ; mais pour qu’il remplît complètement sa mission, il fallait qu’il fût â Rome, et le sort l’y envoya. Il y trouva double pâture : pour sa verve moqueuse, la cour du pape ; pour son ardeur de savoir, les antiquités romaines ; car Rabelais n’avait pas seulement, de son siècle, l’audace de l’esprit et la licence du langage : il en avait encore l’érudition universelle, et ce goût délicat d’antiquité, qui imprègne son style d’atticisme, lors même que sa pensée est la plus grossière. Il est assez curieux que sa première publication ait été une édition de la Topographie de Rome de Marliani. Du reste, chez le joyeux auteur de Gargantua, on ne voit nulle trace d’une impression grave reçue en présence des débris qu’il avait étudiés en érudit, mais dont il ne pouvait sentir la sérieuse poésie. Tout ce que la tradition a conservé de ce voyage, ce sont des anecdotes ou des paroles bouffonnes, attribuées à Rabelais, et portant toutes ce caractère de raillerie licencieuse contre la cour de Rome, qu’on trouve surtout répandue dans les derniers livres de Pantagruel. C’est là qu’il faut chercher l’impression de la Rome papale sur cet esprit bizarre et hardi ; lui aussi, après tout le moyen-âge, semoquera se
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moquera des pélerins romipètes, comme les appellent les canons, et des saintissimes décrétales. C’est lui qui parle, cette fois, comme souvent, par la bouche de Panurge, quand il dit : « Oui dea messieurs, j’en ai vu trois (papes) à la vue desquels je n’ai guères profité. »
 
Quand on a entendu les mille cloches de Rome, dont le retentissement ne cesse pour ainsi dire jamais, et accompagne si bien la rêverie que cette ville inspire, on comprend pourquoi Rabelais, qui ne prenait pas les choses par le côté de la rêverie, frappé à sa manière de ce bruit perpétuel de cloches, a appelé Rome l’île sonnante, pourquoi il dit : « Nous entendions un bruit de loin, venant fréquent et tumultueux, et nous semblait, à l’ouïr, que ce fussent cloches, grosses, petites et médiocres ensemble, sonnantes comme l’on fait à Tours, à Paris, à Nantes et ailleurs ès jours de grandes fêtes ; plus nous approchions, plus nous entendions cette sonnerie merveilleuse. »
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Montaigne est le premier voyageur, proprement dit, qui ait écrit sur Rome ; son voyage en Italie est, comme ses Essais, un ''livre de bonne foi'' ; il n’y embouche point sans cesse la trompette de l’admiration, comme se sont crus obligés de le faire tant d’autres voyageurs ; il parle froidement des choses qui ne l’émeuvent point. Ainsi il ne dit pas un mot de Raphaël, ni de Michel-Ange ; il ne sent point la campagne de Rome avec son grand caractère de sublime solitude, avec la splendeur de ses teintes, la tristesse de ses ruines, la beauté de ses horizons, telle qu’elle s’est révélée au pinceau du Poussin, et mieux encore au pinceau de Chateaubriand. La campagne romaine n’a inspiré à Montaigne que cette description plus exacte que poétique : « Nous avions, loin sur notre main gauche, l’Apennin, le prospect du pays, mal plaisant, bossé, plein de profondes fandasses, incapable d’y recevoir nuls gens de guerre en ordonnance ; le terroir nud, sans arbre, une bonne partie stérile ; le pays fort ouvert tout autour, plus de dix milles à la ronde, et quasi tout de cette sorte, fort peu peuplé de maisons. »
 
Dans tout ce qu’il dit de Rome, il conserve en général ce ton tranquille ; il paraît plus curieux que transporté ; mais ses impressions sont justes, et l’expression, pour être simple, ne manque pas d’énergie, quand il dit, par exemple, du quartier montueux qui était le siège de la vieille ville, et où il faisait tous les jours mille promenades et visites, qu’il est « ''scisi'' (coupé) de quelques églises et anciennes maisons rares, et jardins des cardinaux ; » quand il dit «
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« qu’on marche sur la tête des vieux murs que la pluie découvre, etc. »
 
Il y a pourtant un morceau assez ambitieux qui tranche sur le ton général par un tour légèrement déclamatoire ; on voit que Montaigne, se sentant à Rome, a voulu dire sur Rome quelque chose de beau, et que, dans un moment d’enthousiasme un peu forcé, il a dicté à son secrétaire cette tirade, où il y a, parmi de l’enflure, quelques traits assez beaux, et qui se trouvent là un peu étrangement jetés dans son journal, entre le récit de sa bourse perdue et celui de quelques accidens de santé, qu’il ne manque jamais d’enregistrer.
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::Ici de mille fards trahison se déguise :
::Ici mille forfaits pullulent à foison.
 
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::Ici ne se punit l’homicide ou poison,
::Et la richesse ici par usure est acquise.