« Ainsi parlait Zarathoustra (édition 1898) » : différence entre les versions

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===LES DISCOURS DE ZARATHOUSTRA===
 
==__MATCH__:[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/33]]==
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/33]]==
LES TROIS METAMORPHOSES
 
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Ou bien est-ce cela: se nourrir des glands et de l'herbe de la connaissance, et souffrir la faim dans son âme, pour l'amour de la vérité?
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Ou bien est-ce cela: être malade et renvoyer les consolateurs, se lier d'amitié avec des sourds qui m'entendent jamais ce que tu veux?
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"Tu dois" le guette au bord du chemin, étincelant d'or sous sa carapace aux mille écailles, et sur chaque écaille brille en lettres dorées: "Tu dois!"
 
Des valeurs de mille années brillent sur ces écailles et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons: "Tout ce qui est valeur - brille sur moi."é
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cailles et ainsi parle le plus puissant de tous les dragons: "Tout ce qui est valeur - brille sur moi."
 
Tout ce qui est valeur a déjà été créé, et c'est moi qui représente toutes les valeurs créées. En vérité il ne doit plus y avoir de "Je veux"! Ainsi parle le dragon.
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Mais, dites-moi, mes frères, que peut faire l'enfant que le lion ne pouvait faire? Pourquoi faut-il que le lion ravisseur devienne enfant?
 
L'enfant est innocence et oubli, un renouveau et
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un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.
 
Oui, pour le jeu divin de la création, ô mes frères, il faut une sainte affirmation: l'esprit veut maintenant sa propre volonté, celui qui a perdu le monde veut gagner son propre monde.
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Ayez en honneur le sommeil et respectez-le! C'est la chose première. Et évitez tous ceux qui dorment mal et qui sont éveillés la nuit!
 
Le voleur lui-même a honte en présence du sommeil.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/37]]==
Son pas se glisse toujours silencieux dans la nuit. Mais le veilleur de nuit est impudent et impudemment il porte son cor.
 
Ce n'est pas une petite chose que de savoir dormir: il faut savoir veiller tout le jour pour pouvoir bien dormir.
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Il ne faut pas qu'elles se disputent entre elles, les gentilles petites femmes! et encore à cause de toi, malheureux!
 
Paix avec Dieu et le prochain, ainsi le veut le
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bon sommeil. Et paix encore avec le diable du voisin. Autrement il te hantera de nuit.
 
Honneur et obéissance à l'autorité, et même à l'autorité boiteuse! Ainsi le veut le bon sommeil. Est-ce ma faute, si le pouvoir aime à marcher sur des jambes boiteuses?
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Et quels furent les dix réconciliations, et les dix vérités, et les dix éclats de rire dont ton coeur s'est régalé?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/39]]==
 
En considérant cela, bercé de quarante pensées, soudain le sommeil s'empare de moi, le sommeil que je n'ai point appelé, le maître des vertus.
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Sa sagesse dit: veiller pour dormir. Et, en vérité, si la vie n'avait pas de sens et s'il fallait que je choisisse un non-sens, ce non-sens-là me semblerait le plus digne de mon choix.
 
Maintenant je comprends ce que jadis on cherchait avant tout, lorsque l'on cherchait des maîtres
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/40]]==
de la vertu. C'est un bon sommeil que l'on cherchait et des vertus couronnées de pavots!
 
Pour tous ces sages de la chaire, ces sages tant vantés, la sagesse était le sommeil sans rêve: ils ne connaissaient pas de meilleur sens de la vie.
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Bien et mal, et joie et peine, et moi et toi, - c'étaient là pour moi des vapeurs coloriées devant les yeux d'un créateur. Le créateur voulait détourner les yeux de lui-même, - alors, il créa le monde.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/41]]==
 
C'est pour celui qui souffre une joie enivrante de détourner les yeux de sa souffrance et de s'oublier. Joie enivrante et oubli de soi, ainsi me parut un jour le monde.
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Souffrances et impuissances - voilà ce qui créa les arrière-mondes, et cette courte folie du bonheur que seul connaît celui qui souffre le plus.
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La fatigue qui d'un seul bond veut aller jusqu'à l'extrême, d'un bond mortel, cette fatigue pauvre et ignorante qui ne veut même plus vouloir: c'est elle qui créa tous les dieux et tous les arrière-mondes.
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Et ce moi, l'Être le plus loyal - parle du corps et veut encore le corps, même quand il rêve et s'exalte en voletant de ses ailes brisées.
 
Il apprend à parler toujours plus loyalement,
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/43]]==
ce moi:et plus il apprend, plus il trouve de mots pour exalter le corps et la terre.
 
Mon moi m'a enseigné une nouvelle fierté, je l'enseigne aux hommes: ne plus cacher sa tête dans le sable des choses célestes, mais la porter fièrement, une tête terrestre qui crée le sens de la terre!
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Zarathoustra est indulgent pour les malades. En vérité, il ne s'irrite ni de leurs façons de se consoler, ni de leur ingratitude. Qu'ils guérissent et se surmontent et qu'ils se créent un corps supérieur!
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Zarathoustra ne s'irrite pas non plus contre le convalescent qui regarde avec tendresse son illusion perdue et erre à minuit autour de la tombe de son Dieu: mais dans les larmes que verse le convalescent, Zarathoustra ne voit que maladie et corps malade.
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Écoutez plutôt, mes frères, la voix du corps guéri: c'est une voix plus loyale et plus pure.
 
Le corps sain parle avec plus de loyauté et plus
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de pureté, le corps complet, carré de la tête à la base: il parle du sens de la terre. -
 
Ainsi parlait Zarathoustra.
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Tu dis "moi" et tu es fier de ce mot. Mais ce qui est plus grand, c'est - ce à quoi tu ne veux pas croire - ton corps et son grand système de raison: il ne dit pas moi, mais il est moi.
 
Ce que les sens éprouvent, ce que reconnaît l'esprit, n'a jamais de fin en soi. Mais les sens et l'esprit
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voudraient te convaincre qu'ils sont la fin de toute chose: tellement ils sont vains.
 
Les sens et l'esprit ne sont qu'instruments et jouets: derrière eux se trouve encore le soi. Le soi, lui aussi, cherche avec les yeux des sens et il écoute avec les oreilles de l'esprit.
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Je veux dire un mot aux contempteurs du corps. Qu'ils méprisent, c'est ce qui fait leur estime. Qu'est-ce qui créa l'estime et le mépris et la valeur et la volonté?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/47]]==
 
Le soi créateur créa, pour lui-même, l'estime et le mépris, la joie et la peine. Le corps créateur créa pour lui-même l'esprit comme une main de sa volonté.
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Mon frère, quand tu as une vertu, et quand elle est ta vertu, tu ne l'as en commun avec personne.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/48]]==
 
Il est vrai que tu voudrais l'appeler par son nom et la caresser; tu voudrais la prendre par l'oreille et te divertir avec elle.
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Autrefois tu avais des passions et tu les appelais des maux. Mais maintenant tu n'as plus que tes vertus: elles naquirent de tes passions.
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Tu apportas dans ces passions ton but le plus élevé: alors elles devinrent tes vertus et tes joies.
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Regarde comme chacune de tes vertus désire ce qu'il y a de plus haut: elle veut tout ton esprit, afin que ton esprit soit son héraut, elle veut toute ta force dans la colère, la haine et l'amour.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/50]]==
 
Chaque vertu est jalouse de l'autre vertu et la jalousie est une chose terrible. Les vertus, elles aussi, peuvent périr par la jalousie.
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Il n'y a pas de salut pour celui qui souffre à ce point de lui-même, si ce n'est la mort rapide.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/51]]==
 
Votre homicide, ô juges, doit se faire par compassion et non par vengeance. Et en tuant, regardez à justifier la vie!
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Écoutez, juges! Il y a encore une autre folie: et cette folie est avant l'acte. Hélas! vous n'avez pas pénétré assez profondément dans cette âme!
 
Ainsi parle le juge rouge: "Pourquoi ce criminel a-t-il tué? Il voulait dérober." Mais je vous
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dis: son âme voulait du sang, et ne désirait point le vol: il avait soif du bonheur du couteau!
 
Mais sa pauvre raison ne comprit point cette folie et c'est elle qui décida le criminel. "Qu'importe le sang! dit-elle; ne veux-tu pas profiter de ton crime pour voler? pour te venger?"
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Voyez ce pauvre corps! Ses souffrances et ses désirs, sa pauvre âme essaya de les comprendre, - elle crut qu'ils étaient le plaisir et l'envie criminelle d'atteindre le bonheur du couteau.
 
Celui qui tombe malade maintenant est surpris par le mal qui est le mal de ce moment: il veut faire souffrir avec ce qui le fait souffrir. Mais il y a eu d'autres temps, il y a eu un autre bien et un autre mal.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/53]]==
d'autres temps, il y a eu un autre bien et un autre mal.
 
Autrefois le doute et l'ambition personnelle étaient des crimes. Alors le malade devenait hérétique et sorcier; comme hérétique et comme sorcier il souffrait et voulait faire souffrir.
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De tout ce qui est écrit, je n'aime que ce que l'on écrit avec son propre sang. Écris avec du sang et tu apprendras que le sang est esprit.
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Il n'est pas facile de comprendre du sang étranger: je haïs tous les paresseux qui lisent.
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Je ne suis plus en communion d'âme avec vous. Cette nuée que je vois au-dessous de moi, cette noirceur et cette lourdeur dont je ris - c'est votre nuée d'orage.
Vous regardez en haut quand vous aspirez à l'élévation. Et moi je regarde en bas puisque je suis élevé.
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Qui de vous peut en même temps rire et être élevé?
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Je ne pourrais croire qu'à un Dieu qui saurait danser.
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Et lorsque je vis mon démon, je le trouvai sérieux, grave, profond et solennel: c'était l'esprit de lourdeur, - c'est par lui que tombent toutes choses.
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Mais le vent que nous ne voyons pas l'agite et le courbe comme il veut. De même nous sommes courbés et agités par des mains invisibles.
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Alors le jeune homme se leva stupéfait et il dit: "J'entends Zarathoustra et justement je pensais à lui." Zarathoustra répondit:
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Mon mépris et mon désir grandissent ensemble; plus je m'élève, plus je méprise celui qui s'élève. Que veut-il donc dans les hauteurs?
 
Comme j'ai
Comme j'ai honte de ma montée et de mes faux pas! Comme je ris de mon souffle haletant! Comme je hais celui qui prend son vol! Comme je suis fatigué lorsque je suis dans les hauteurs!"
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honte de ma montée et de mes faux pas! Comme je ris de mon souffle haletant! Comme je hais celui qui prend son vol! Comme je suis fatigué lorsque je suis dans les hauteurs!"
 
Alors le jeune homme se tut. Et Zarathoustra regarda l'arbre près duquel ils étaient debout et il parla ainsi:
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J'en ai le coeur déchiré. Mieux que ne le disent tes paroles, ton regard me dit tout le danger que tu cours.
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Tu n'es pas libre encore, tu cherches encore la liberté. Tes recherches t'ont rendu noctambule et trop lucide.
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L'homme noble veut créer quelque chose de neuf et une nouvelle vertu. L'homme bon désire les choses vieilles et que les choses vieilles soient conservées.
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Mais le danger de l'homme noble n'est pas qu'il devienne bon, mais insolent, railleur et destructeur.
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Il y a des prédicateurs de la mort et le monde est plein de ceux à qui il faut prêcher de se détourner de la vie.
 
La terre est pleine de superflus, la vie est gâtée
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par ceux qui sont de trop. Qu'on les attire hors de cette vie, par l'appât de la "vie éternelle"!
 
"Jaunes": c'est ainsi que l'on désigne les prédicateurs de la mort, ou bien on les appelle "noirs". Mais je veux vous les montrer sous d'autres couleurs encore.
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Enveloppés d'épaisse mélancolie, et avides des petits hasards qui apportent la mort: ainsi ils attendent en serrant les dents.
 
Ou bien encore, ils tendent la main vers des sucreries et se moquent de leurs propres enfantillages: ils sont accrochés à la vie comme à un brin de paille et ils se moquent de tenir à un brin de paille.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/62]]==
de paille et ils se moquent de tenir à un brin de paille.
 
Leur sagesse dit: "Est fou qui demeure en vie, mais nous sommes tellement fous! Et ceci est la plus grande folie de la vie!" -
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Mais ils veulent se débarrasser de la vie: que leur importe si avec leurs chaînes et leurs présents ils en attachent d'autres plus étroitement encore! -
 
Et vous aussi, vous dont la vie est inquiétude et travail sauvage: n'êtes-vous pas fatigués de la
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vie? N'êtes-vous pas mûrs pour la prédication de la mort?
 
Vous tous, vous qui aimez le travail sauvage et tout ce qui est rapide, nouveau, étrange, - vous vous supportez mal vous-mêmes, votre activité est une fuite et c'est la volonté de s'oublier soi-même.
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Mes frères en la guerre! Je vous aime du fond du coeur, je suis et je fus toujours votre semblable. Je suis aussi votre meilleur ennemi. Laissez-moi donc vous dire la vérité!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/64]]==
 
Je n'ignore pas la haine et l'envie de votre coeur. Vous n'êtes pas assez grands pour ne pas connaître la haine et l'envie. Soyez donc assez grands pour ne pas en avoir honte!
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On ne peut se taire et rester tranquille, que lorsque l'on a des flèches et un arc: autrement on bavarde et on se dispute. Que votre paix soit une victoire!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/65]]==
 
Vous dites que c'est la bonne cause qui sanctifie même la guerre? Je vous dis: c'est la bonne guerre qui sanctifie toute cause.
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La révolte - c'est la noblesse de l'esclave. Que votre noblesse soit l'obéissance! Que votre commandement lui-même soit de l'obéissance!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/66]]==
 
Un bon guerrier préfère "tu dois" à "je veux". Et vous devez vous faire commander tout ce que vous aimez.
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L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids: il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche: "Moi, l'État, je suis le Peuple."
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/67]]==
 
C'est un mensonge! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour: ainsi ils servaient la vie.
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Voyez donc comme il les attire, les superflus! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/68]]==
 
"Il n'y a rien de plus grand que moi sur la terre: je suis le doigt ordonnateur de Dieu" - ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue basse qui tombent à genoux!
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L'État est partout où tous absorbent des poisons, les bons et les mauvais: l'État, où tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais: l'État, où le lent suicide de tous s'appelle - "la vie".
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/69]]==
 
Voyez donc ces superflus! Ils volent les oeuvres des inventeurs et les trésors des sages: ils appellent leur vol civilisation - et tout leur devient maladie et revers!
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Évitez donc la mauvaise odeur! Éloignez-vous de la fumée de ces sacrifices humains!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/70]]==
 
Maintenant encore les grandes âmes trouveront devant elles l'existence libre. Il reste bien des endroits pour ceux qui sont solitaires ou à deux, des endroits où souffle l'odeur des mers silencieuses.
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Avec dignité, la forêt et le rocher savent se taire en ta compagnie. Ressemble de nouveau à l'arbre que tu aimes, à l'arbre aux larges branches: il écoute silencieux, suspendu sur la mer.
 
Où cesse la solitude, commence la place publique; et où commence la place publique, commence
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aussi le bruit des grands comédiens et le bourdonnement des mouches venimeuses.
 
Dans le monde les meilleures choses ne valent rien sans quelqu'un qui les représente: le peuple appelle ces représentants des grands hommes.
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Il appelle mensonge et néant une vérité qui ne glissent que dans les fines oreilles. En vérité, il ne croit qu'en les dieux qui font beaucoup de bruit dans le monde!
 
La place publique est pleine de bouffons tapageurs - et le peuple se vante de ses grands hommes! Ils sont pour lui les maîtres du moment.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/72]]==
Ils sont pour lui les maîtres du moment.
 
Mais le moment les presse: c'est pourquoi ils te pressent aussi. Ils veulent de toi un oui ou un non. Malheur à toi, si tu voulais placer ta chaise entre un pour et un contre!
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N'élève plus le bras contre eux! Ils sont innombrables et ce n'est pas ta destinée d'être un chasse-mouches.
 
Innombrables sont ces petits et ces pitoyables;
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/73]]==
et maint édifice altier fut détruit par des gouttes de pluie et des mauvaises herbes.
 
Tu n'es pas une pierre, mais déjà des gouttes nombreuses t'ont crevassé. Des gouttes nombreuses te fêleront et te briseront encore.
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Ils pensent beaucoup à toi avec leur âme étroite - tu leur es toujours suspect! Tout ce qui fait beaucoup réfléchir devient suspect.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/74]]==
 
Ils te punissent pour toutes tes vertus. Ils ne te pardonnent du fond du coeur que tes fautes.
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Tes prochains seront toujours des mouches venimeuses; ce qui est grand en toi - ceci même doit les rendre plus venimeux et toujours plus semblables à des mouches.
 
Fuis, mon ami, fuis dans ta solitude, là-haut où
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souffle un vent rude et fort. Ce n'est pas ta destinée d'être un chasse-mouches.-
 
 
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Même dans les hauteurs de leur vertu et jusque dans leur esprit rigide, cet animal les suit avec sa discorde.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/76]]==
 
Et avec quel air gentil la chienne Sensualité sait mendier un morceau d'esprit, quand on lui refuse un morceau de chair.
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La chasteté n'est-elle pas une vanité? Mais cette vanité est venue à nous, nous ne sommes pas venus à elle.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/77]]==
 
Nous avons offert à cet étranger l'hospitalité de notre coeur, maintenant il habite chez nous, - qu'il y reste autant qu'il voudra!"
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"Sois au moins mon ennemi!" - ainsi parle le respect véritable, celui qui n'ose pas solliciter l'amitié.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/78]]==
 
Si l'on veut avoir un ami il faut aussi vouloir faire la guerre pour lui: et pour la guerre, il faut pouvoir être ennemi.
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L'ami doit être passé maître dans la divination et dans le silence: tu ne dois pas vouloir tout voir. Ton rêve doit te révéler ce que fait ton ami quand il est éveillé.
 
Il faut que ta pitiié soit une divination: afin que tu saches d'abord si ton ami veut de la pitié. Peut-êtreê
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tre aime-t-il en toi le visage fier et le regard de l'éternité.
 
Il faut que la compassion avec l'ami se cache sous une rude enveloppe, et que tu y laisses une dent. Ainsi ta compassion sera pleine de finesses et de douceurs.
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La femme n'est pas encore capable d'amitié. Mais, dites-moi, vous autres hommes, lequel d'entre vous est donc capable d'amitié?
 
Malédiction sur votre pauvreté et votre avarice de l'âme, ô hommes! Ce que vous donnez à vos
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amis, je veux le donner même à mes ennemis, sans en devenir plus pauvre.
 
Il y a de la camaraderie: qu'il y ait de l'amitié!
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Une table des biens est suspendue au-dessus de chaque peuple. Or, c'est la table de ce qu'il a surmonté, c'est la voix de sa volonté de puissance.
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Est honorable ce qui lui semble difficile; ce qui est indispensable et difficile, s'appelle bien. Et ce qui délivre de la plus profonde détresse, cette chose rare et difficile, - est sanctifiée par lui.
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"Honorer père et mère, leur être soumis jusqu'aux racines de l'âme": cette table des victoires sur soi-même, un autre peuple la suspendit au-dessus de lui et il devint puissant et éternel.
 
"Être fidèle et, à cause de la fidélité, donner son sang et son honneur, même pour des choses mauvaises et dangereuses": par cet enseignement un
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autre peuple s'est surmonté, et, en se surmontant ainsi, il devint gros et lourd de grandes espérances.
 
En vérité, les hommes se donnèrent eux-mêmes leur bien et leur mal. En vérité, ils ne les prirent point, ils ne les trouvèrent point, ils ne les écoutèrent point comme une voix descendue du ciel.
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Le plaisir du troupeau est plus ancien que le plaisir de l'individu. Et tant que la bonne conscience s'appelle troupeau, la mauvaise conscience seule dit: Moi.
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En vérité, le moi rusé, le moi sans amour qui cherche son avantage dans l'avantage du plus grand nombre: ce n'est pas là l'origine du troupeau, mais son déclin.
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Vous vous empressez auprès du prochain et vous
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exprimez cela par de belles paroles. Mais je vous le dis: votre amour du prochain, c'est votre mauvais amour de vous-mêmes.
 
Vous entrez chez le prochain pour fuir devant vous-mêmes et de cela vous voudriez faire une vertu: mais je pénètre votre "désintéressement".
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Je voudrais que toute espèce de prochains et les voisins de ces prochains vous deviennent insupportables. Il vous faudrait alors vous créer par vous-mêmes un ami au coeur débordant.
 
Vous invitez un témoin quand vous voulez dire du bien de vous-mêmes; et quand vous l'avez induit à
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/85]]==
bien penser de vous, c'est vous qui pensez bien de vous.
 
Celui-là seul ne ment pas qui parle contre sa conscience, mais surtout celui qui parle contre son inconscience. Et c'est ainsi que vous parlez de vous-mêmes dans vos relations et vous trompez le voisin sur vous-mêmes.
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Je vous enseigne l'ami qui porte en lui un monde achevé, l'écorce du bien, - l'ami créateur qui a toujours un monde achevé à offrir.
 
Et de même que pour lui le monde s'est déroulé,
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/86]]==
il s'enroule de nouveau, tel le devenir du bien par le mal, du but par le hasard?
 
Que l'avenir et la chose la plus lointaine soient pour toi la cause de ton aujourd'hui: c'est dans ton ami que tu dois aimer le Surhumain comme ta raison d'être.
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Mais tu veux suivre la voix de ton affliction qui est la voie qui mène à toi-même. Montre-moi donc que tu en as le droit et la force!
 
Est
Est tu une force nouvelle et un droit nouveau? Un premier mouvement? Une roue qui roule sur elle-même? Peux-tu forcer des étoiles à tourner autour de toi?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/87]]==
tu une force nouvelle et un droit nouveau? Un premier mouvement? Une roue qui roule sur elle-même? Peux-tu forcer des étoiles à tourner autour de toi?
 
Hélas! il y a tant de convoitises qui veulent aller vers les hauteurs! Il y a tant de convulsions des ambitieux. Montre-moi que tu n'es ni parmi ceux qui convoitent, ni parmi les ambitieux!
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Aujourd'hui encore tu souffres du nombre, toi l'unique: aujourd'hui encore tu as tout ton courage et toutes tes espérances.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/88]]==
 
Pourtant ta solitude te fatiguera un jour, ta fierté se courbera et ton courage grincera des dents. Tu crieras un jour: "Je suis seul!"
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Et garde-toi des bons et des justes! Ils aiment à crucifier ceux qui s'inventent leur propre vertu, - ils haïssent le solitaire.
 
Garde-toi aussi de la sainte simplicité! Tout ce
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/89]]==
qui n'est pas simple lui est impie; elle aime aussi à jouer avec le feu - des bûchers.
 
Et garde-toi des accès de ton amour! Trop vite le solitaire tend la main à celui qu'il rencontre.
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Va dans ta solitude, mon frère, avec ton amour et ta création; et sur le tard la justice te suivra en traînant la jambe.
 
Va dans ta solitude avec mes larmes, ô mon
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/90]]==
frère. J'aime celui qui veut créer plus haut que lui-même et qui périt aussi. -
 
 
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Je lui ai répondu: "Il ne faut parler de la femme qu'aux hommes."
 
"A moi aussi tu peux parler de la femme, dit-elle;
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/91]]==
je suis assez vieille pour oublier aussitôt tout ce que tu m'auras dit."
 
Et je condescendis aux désirs de la vieille femme et je lui dis:
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Que l'éclat d'une étoile resplendisse dans votre amour! Que votre espoir dise: "Oh! que je mette au monde le Surhumain!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/92]]==
 
Qu'il y ait de la vaillance dans votre amour! Armée de votre amour vous irez au-devant de celui qui vous inspire la peur.
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Et il faut que la femme obéisse et qu'elle trouve une profondeur à sa surface. L'âme de la femme est surface, une couche d'eau mobile et orageuse sur un bas-fond.
 
Mais l'âme de l'homme est profonde, son flot mugit dans les cavernes souterraines: la femme
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/93]]==
pressent la puissance de l'homme, mais elle ne la comprend pas. -
 
Alors la vieille femme me répondit: "Zarathoustra a dit mainte chose gentille, surtout pour celles qui sont assez jeunes pour les entendre.
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Un jour Zarathoustra s'était endormi sous un figuier, car il faisait chaud, et il avait ramené le bras sur son visage. Mais une vipère le mordit au cou, ce qui fit pousser un cri de douleur à Zarathoustra. Lorsqu'il eut
enlevé le bras de son visage, il regarda le serpent: alors le serpent reconnut les
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/94]]==
yeux de Zarathoustra, il se tordit maladroitement et voulut s'éloigner. "Non point, dit Zarathoustra, je ne t'ai pas encore remercié! Tu m'as éveillé à temps, ma route est encore longue." "Ta route est courte encore, dit tristement la vipère; mon poison tue." Zarathoustra se prit à sourire. "Quand donc un dragon mourut-il du poison d'un serpent? - dit-il. Mais reprends ton poison! Tu n'en pas assez riche pour m'en faire hommage." Alors derechef la vipère s'enroula autour de son cou et elle lécha sa blessure.
 
Un jour, comme Zarathoustra racontait ceci à ses disciples, ceux-ci lui demandèrent: "Et quelle est la morale de ton histoire, ô Zarathoustra?" Zarathoustra leur répondit:
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Saviez-vous déjà cela? Injustice partagée est demi-droit. Et celui qui peut porter l'injustice doit prendre l'injustice sur lui!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/95]]==
 
Il est plus humain de se venger un peu que de s'abstenir de la vengeance. Et si la punition n'est pas aussi un droit et un honneur accordés au transgresseur, je ne veux pas de votre punition.
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Un solitaire est comme un puits profond. Il est facile d'y jeter une pierre; mais si elle est tombée jusqu'au fond, dites-moi donc, qui voudra la chercher?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/96]]==
 
Gardez-vous d'offenser le solitaire. Mais si vous l'avez offensé, eh bien! tuez-le aussi!
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Tu dois construire plus haut que toi-même. Mais il faut d'abord que tu sois construit toi-même, carré de la tête à la base.
Tu ne dois pas seulement propager ta race plus loin, mais aussi plus haut. Que le jardin du mariage te serve à cela.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/97]]==
 
Tu dois créer un corps d'essence supérieure, un premier mouvement, une roue qui roule sur elle-même, - tu dois créer un créateur.
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Oui, je voudrais que la terre fût secouée de convulsions quand je vois un saint s'accoupler à une oie.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/98]]==
 
Tel partit comme un héros en quête de vérités, et il ne captura qu'un petit mensonge paré. Il appelle cela son mariage.
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Un jour vous devrez aimer par delà vous-mêmes! Apprenez donc d'abord à aimer! C'est pourquoi il vous fallut boire l'amer calice de votre amour.
 
Il y a de l'amertume dans le calice, même dans le calice du meilleur amour. C'est ainsi qu'il éveille
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/99]]==
en toi le désir du Surhumain, c'est ainsi qu'il éveille en toi la soif, ô créateur!
 
Soif du créateur, flèche et désir du Surhumain: dis-moi, mon frère, est-ce là ta volonté du mariage?
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Je vous montre la mort qui consacre, la mort qui, pour les vivants, devient un aiguillon et une promesse.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/100]]==
 
L'accomplisseur meurt de sa mort, victorieux, entouré de ceux qui espèrent et qui promettent.
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Et tous ceux qui cherchent la gloire doivent au bon moment prendre congé de l'honneur, et exercer l'art difficile de s'en aller à temps.
 
Il faut cesser de se faire manger, au moment où
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/101]]==
l'on vous trouve le plus de goût: ceux-là le savent qui veulent être aimés longtemps.
 
Il y a bien aussi des pommes aigres dont la destinée est d'attendre jusqu'au dernier jour de l'automne. Et elles deviennent en même temps mûres jaunes et ridées.
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Hélas! vous prêchez la patience avec ce qui est terrestre? C'est le terrestre qui a trop de patience avec vous, blasphémateurs!
 
En vérité, il est mort trop tôt, cet Hébreu qu'honorent les prédicateurs de la mort lente, et pour
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/102]]==
un grand nombre, depuis, ce fut une fatalité qu'il mourût trop tôt.
 
Il ne connaissait encore que les larmes et la tristesse de l'Hébreu, ainsi que la haine des bons et des justes, - cet Hébreu Jésus: et voici que le désir de la mort le saisit à l'improviste.
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Que dans votre agonie votre esprit et votre vertu jettent encore une dernière lueur, comme la rougeur du couchant enflamme la terre: si non, votre mort vous aura mal réussi.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/103]]==
 
C'est ainsi que je veux mourir moi-même, afin que vous aimiez davantage la terre à cause de moi, ô mes amis; et je veux revenir à la terre pour que je retrouve mon repos en celle qui m'a engendré.
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Lorsque Zarathoustra eut pris congé de la ville que son coeur aimait, et dont le nom est "la Vache multicolore", - beaucoup de ceux qui s'appelaient ses disciples l'accompagnèrent et lui firent la reconduite. C'est ainsi qu'ils arrivèrent à un carrefour: alors Zarathoustra leur dit qu'il voulait continuer seul la route, car il était ami des marches solitaires. Ses disciples, cependant, en lui disant adieu, lui firent hommage d'un bâton dont la poignée d'or était un serpent s'enroulant autour du soleil. Zarathoustra se réjouit du bâton et s'appuya dessus; puis il dit à ses disciples:
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/104]]==
 
Dites-moi donc, pourquoi l'or est-il devenu la plus haute valeur? C'est parce qu'il est rare et inutile, étincelant et doux dans son éclat: il se donne toujours.
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Il y a un autre égoïsme, trop pauvre celui-là, et toujours affamé, un égoïsme qui veut toujours voler, c'est l'égoïsme des malades, l'égoïsme malade.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/105]]==
 
Avec les yeux du voleur, il garde tout ce qui brille, avec l'avidité de la faim, il mesure celui qui a largement de quoi manger, et toujours il rampe autour de la table de celui qui donne.
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Mes frères, prenez garde aux heures où votre esprit veut parler en symboles: c'est là qu'est l'origine de votre vertu.
 
C'est là que votre corps est élevé et ressuscité;
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/106]]==
il ravit l'esprit de sa félicité, afin qu'il devienne créateur, qu'il évalue et qu'il aime, qu'il soit le bienfaiteur de toutes choses.
 
Quand votre coeur bouillonne, large et plein, pareil au grand fleuve, bénédiction et danger pour les riverains: c'est alors l'origine de votre vertu.
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Ici Zarathoustra se tut quelque temps et il regarda ses disciples avec amour. Puis il continua à parler ainsi, - et sa voix s'était transformée:
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/107]]==
 
Mes frères, restez fidèles à la terre, avec toute la puissance de votre vertu! Que votre amour qui donne et votre connaissance servent le sens de la terre. Je vous en prie et vous en conjure.
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Que votre esprit et votre vertu servent le sens de la terre, mes frères: et la valeur de toutes choses se renouvellera par vous! C'est pourquoi vous devez être des créateurs.
 
Le corps se purifie par le savoir; il s'élève en
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/108]]==
essayant avec science; pour celui qui cherche la connaissance tous les instincts se sanctifient; l'âme de celui qui est élevé se réjouit.
 
Médecin, aide-toi toi-même et tu sauras secourir ton malade. Que ce soit son meilleur secours de voir, de ses propres yeux, celui qui se guérit lui-même.
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Quand Zarathoustra eut prononcé ces paroles, il se tut, comme quelqu'un qui n'a pas dit son dernier mot. Longtemps il soupesa son bâton avec hésitation. Enfin il parla ainsi et sa voix était transformée:
 
Je m'en vais seul maintenant, mes disciples! Vous aussi, vous partirez seuls! Je le veux ainsi.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/109]]==
Vous aussi, vous partirez seuls! Je le veux ainsi.
 
En vérité, je vous conseille: éloignez-vous de moi et défendez-vous de Zarathoustra! Et mieux encore: ayez honte de lui! Peut-être vous a-t-il trompés.
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En vérité, mes frères, je chercherai alors d'un autre oeil mes brebis perdues; je vous aimerai alors d'un autre amour.
 
Et un jour vous devrez être encore mes amis et les enfants d'une seule espérance: alors je veux être
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/110]]==
auprès de vous, une troisième fois, pour fêter, avec vous, le grand midi.
 
Et ce sera le grand midi, quand l'homme sera au milieu de sa route entre la bête et le Surhumain, quand il fêtera, comme sa plus haute espérance, son chemin qui mène à un nouveau matin.
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"-
"-et ce n'est que quand vous m'aurez tous renié que je reviendrai parmi vous.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/111]]==
et ce n'est que quand vous m'aurez tous renié que je reviendrai parmi vous.
En vérité, mes frères, je chercherai alors d'un autre oeil mes brebis perdues; je vous aimerai alors d'un autre amour."
 
Zarathoustra,
De la vertu qui donne.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/112]]==
 
L'
L'ENFANT AU MIROIR
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/113]]==
ENFANT AU MIROIR
 
 
Ligne 1 894 ⟶ 2 014 :
"O Zarathoustra - me disait l'enfant - regarde-toi dans la glace!"
 
Mais lorsque j'ai regardé dans le miroir, j'ai poussé un cri et mon coeur s'est ébranlé: car ce
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/114]]==
n'était pas moi que j'y avais vu, mais la face grimaçante et le rire sarcastique d'un démon.
 
En vérité, je comprends trop bien le sens et l'avertissement du rêve: ma doctrine est en danger, l'ivraie veut s'appeler froment.
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Je puis redescendre auprès de mes amis et aussi auprès de mes ennemis! Zarathoustra peut de nouveau parler et répandre et faire du bien à ses bien-aimés!
 
Mon
Mon impatient amour déborde comme un torrent, s'écoulant des hauteurs dans les profondeurs, du lever au couchant. Mon âme bouillonne dans les vallées, quittant les montagnes silencieuses et les orages de la douleur.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/115]]==
impatient amour déborde comme un torrent, s'écoulant des hauteurs dans les profondeurs, du lever au couchant. Mon âme bouillonne dans les vallées, quittant les montagnes silencieuses et les orages de la douleur.
 
J'ai trop longtemps langui et regardé dans le lointain. Trop longtemps la solitude m'a possédé: ainsi j'ai désappris le silence.
Ligne 1 928 ⟶ 2 052 :
Je veux passer sur de vastes mers, comme une exclamation ou un cri de joie, jusqu'à ce que je trouves les Iles Bienheureuses, où demeurent mes amis: -
 
Et mes ennemis parmi eux! Comme j'aime maintenant chacun de ceux à qui je puis parler! Mes ennemis, eux aussi, contribuent à ma félicité.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/116]]==
ennemis, eux aussi, contribuent à ma félicité.
 
Et quand je veux monter sur mon coursier le plus fougueux, c'est ma lance qui m'y aide le mieux: elle est toujours prête à seconder mon pied: -
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Maintenant, dans sa folie, elle parcourt le désert stérile à la recherche des molles pelouses - ma vieille sagesse sauvage!
 
C'est sur la molle pelouse de vos coeurs, mes amis! -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/117]]==
sur votre amour, qu'elle aimerait à abriter ce qu'elle a de plus cher! -
 
 
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Sauriez-vous créer un Dieu? - Ne me parlez donc plus de tous les Dieux! Cependant vous pourriez créer le Surhumain.
 
Ce ne sera peut-être pas vous-mêmes, mes frères! Mais vous pourriez vous transformer en pères et en
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/118]]==
ancêtres du Surhumain: que ceci soit votre meilleure création! -
 
Dieu est une conjecture: mais je veux que votre conjecture soit limitée dans l'imaginable.
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Dieu est une conjecture: mais qui donc absorberait sans en mourir tous les tourments de cette conjecture? Veut-on prendre sa foi au créateur, et à l'aigle son essor dans l'immensité?
 
Dieu est une croyance qui brise tout ce qui est droit, qui fait tourner tout ce qui est debout. Comment?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/119]]==
Le temps n'existerait-il plus et tout ce qui est périssable serait mensonge?
 
De telles pensées ne sont que tourbillon et vertige des ossements humains et l'estomac en prend des nausées: en vérité de pareilles conjectures feraient avoir le tournis.
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En vérité, j'ai suivi mon chemin à travers cent âmes, cent berceaux et cent douleurs de l'enfantement. Mainte fois j'ai pris congé, je connais les dernières heures qui brisent le coeur.
 
Mais ainsi le veut ma volonté créatrice, ma destinée. Ou bien, pour parler plus franchement: c'est cette destinée que veut ma volonté.destiné
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/120]]==
e. Ou bien, pour parler plus franchement: c'est cette destinée que veut ma volonté.
 
Tous mes sentiments souffrent en moi et sont prisonniers: mais mon vouloir arrive toujours libérateur et messager de joie.
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Maintenant mon marteau frappe cruellement contre cette prison. La pierre se morcelle: que m'importe?
 
Je veux achever cette statue: car une ombre m'a
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/121]]==
visité - la chose la plus silencieuse et la plus légère est venue auprès de moi!
 
La beauté du Surhumain m'a visité comme une ombre. Hélas, mes frères! Que m'importent encore - les Dieux! -
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Et c'est pourquoi l'homme noble s'impose de ne pas humilier les autres hommes: il s'impose la pudeur de tout ce qui souffre.
 
En vérité, je ne les aime pas, les miséricordieux
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/122]]==
qui cherchent la béatitude dans leur pitié: ils sont trop dépourvus de pudeur.
 
S'il faut que je sois miséricordieux, je ne veux au moins pas que l'on dise que je le suis; et quand je le suis que ce soit à distance seulement.
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De grandes obligations ne rendent pas reconnaissant, mais vindicatif; et si l'on n'oublie pas le petit bienfait, il finit par devenir un ver rongeur.
 
"N'acceptez qu'avec réserve! Distinguez en prenant!" - c'est ce que je conseille à ceux qui n'ont rien à donner.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/123]]==
c'est ce que je conseille à ceux qui n'ont rien à donner.
 
Mais moi je suis de ceux qui donnent: j'aime à donner, en ami, aux amis. Pourtant que les étrangers et les pauvres cueillent eux-mêmes le fruit de mon arbre: cela est moins humiliant pour eux.
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Mais la petite pensée est pareille au champignon; elle se dérobe et se cache et ne veut être nulle part - jusqu'à ce que tout le corps soit rongé et flétri par les petits champignons.
 
Cependant, je glisse cette parole à l'oreille de celui qui est possédé du démon: "Il vaut mieux laisser
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/124]]==
grandir ton démon! Pour toi aussi, il existe un chemin de la grandeur!"
 
Hélas, mes frères! Chez chacun il vaudrait mieux ignorer quelque chose? Et il y en a qui deviennent transparents pour nous, mais ce n'est pas encore une raison pour que nous puissions pénétrer leurs desseins.
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Ainsi me dit un jour le diable: "Dieu aussi a son enfer: c'est son amour des hommes."
 
Et dernièrement je l'ai entendu dire ces mots: "Dieux est mort; c'est sa pitié des hommes qui a tué Dieux." -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/125]]==
est mort; c'est sa pitié des hommes qui a tué Dieux." -
 
Gardez-vous donc de la pitié: c'est elle qui finira par amasser sur l'homme un lourd nuage! En vérité, je connais les signes du temps!
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Ils sont de dangereux ennemis: rien n'est plus vindicatif que leur humilité. Et il peut arriver que celui qui les attaque se souille lui-même.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/126]]==
 
Mais mon sang est parent du leur; et je veux que mon sang soit honoré même dans le leur." -
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Car leur croyance ordonne ceci: "Montez les marches à genoux, vous qui êtes pécheurs!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/127]]==
 
En vérité, je préfère voir un regard impudique, que les yeux battus de leur honte et de leur dévotion.
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L'esprit de ces sauveurs était fait de lacunes; mais dans chaque lacune ils avaient placé leur folie, leur bouche-trou qu'ils ont appelé Dieu.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/128]]==
 
Leur esprit était noyé dans la pitié et quand ils enflaient et se gonflaient de pitié, toujours une grande folie nageait à la surface.
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En vérité, il y eut des hommes plus grands et de naissance plus haute que ceux que le peuple appelle sauveurs, ces tourbillons entraînants!
 
Et il faut que vous soyez sauvés et délivrés d'hommes plus grands encore que de ceux qui étaienté
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/129]]==
taient les sauveurs, mes frères, si vous voulez trouver le chemin de la liberté.
 
Jamais encore il n'y a eu de Surhumain. Je les ai vu nus tous les deux, le plus grand et le plus petit homme: -
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Vous voulez encore être payés, ô vertueux! Vous voulez être récompensés de votre vertu, avoir le ciel en place de la terre, et l'éternité en place de votre aujourd'hui?
 
Et maintenant vous m'en voulez de ce que j'enseigne
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/130]]==
qu'il n'y a ni rétributeur ni comptable? Et, en vérité, je n'enseigne même pas que la vertu soit sa propre récompense.
 
Hélas! c'est là mon chagrin: astucieusement on a introduit au fond des choses la récompense et le châtiment - et même encore au fond de vos âmes, ô vertueux!
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Et toute oeuvre de votre vertu est semblable à une étoile qui s'éteint: sa lumière est encore en route, parcourant sa voie stellaire, - et quand ne sera-t-elle plus en route?
 
Ainsi la lumière de votre vertu est encore en route, même quand l'oeuvre est accomplie. Que l'oeuvre
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/131]]==
soit donc oubliée et morte: son rayon de lumière persiste toujours.
 
Que votre vertu soit identique à votre "moi" et non pas quelque chose d'étranger, un épiderme et un manteau: voilà la vérité sur le fond de votre âme, ô vertueux! -
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Et il en est d'autres qui sont semblables à des pendules que l'on remonte; ils font leur tic-tac et veulent que l'on appelle tic-tac - vertu.
 
En vérité, ceux-ci m'amusent: partout où je rencontrerai de ces pendules, je leur en remontrerai
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/132]]==
avec mon ironie; et il faudra bien qu'elles se mettent à dodiner.
 
Et d'autres sont fiers d'une parcelle de justice, et à cause de cette parcelle, ils blasphèment toutes choses: de sorte que le monde se noie dans leur injustice.
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Et il en est d'autres de nouveau qui croient qu'il est vertueux de dire: "La vertu est nécessaire"; mais au fond ils ne croient qu'une seule chose, c'est que la police est nécessaire.
 
Et quelques-uns, qui ne savent voir ce qu'il y a
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/133]]==
d'élevé dans l'homme, parlent de vertu quand ils voient de trop près la bassesse de l'homme: ainsi ils appellent "vertu" leur mauvais oeil.
 
Les uns veulent être édifiés et redressés et appellent cela de la vertu et les autres veulent être renversés - et cela aussi ils l'appellent de la vertu.
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Ils jouaient près de la mer, - et la vague est venue, emportant leurs jouets dans les profondeurs. Les voilà qui se mettent à pleurer.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/134]]==
 
Mais la même vague doit leur apporter de nouveaux jouets et répandre devant eux de nouveaux coquillages bariolés.
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Le fruit devient douceâtre et blet dans leurs mains; leur regard évente et dessèche l'arbre fruitier.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/135]]==
 
Et plus d'un de ceux qui se détournèrent de la vie ne s'est détourné que de la canaille: il ne voulait point partager avec la canaille l'eau, la flamme et le fruit.
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Et j'ai tourné le dos aux dominateurs, lorsque je vis ce qu'ils appellent aujourd'hui dominer: trafiquer et marchander la puissance - avec la canaille!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/136]]==
 
J'ai demeuré parmi les peuples, étranger de langue et les oreilles closes, afin que le langage de leur trafic et leur marchandage pour la puissance me restassent étrangers.
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Tu jaillis presque avec trop de violence, source de joie! Et souvent tu renverses de nouveau la coupe en voulant la remplir!
 
Il faut que j'apprenne à t'approcher plus modestement: avec trop de violence mon coeur afflue à ta rencontre: -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/137]]==
avec trop de violence mon coeur afflue à ta rencontre: -
 
Mon coeur où se consume mon été, cet été court, chaud, mélancolique et bienheureux: combien mon coeur estival désire ta fraîcheur, source de joie!
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Et nous voulons vivre au-dessus d'eux comme des vents forts, voisins des aigles, voisins du soleil: ainsi vivent les vents forts.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/138]]==
 
Et, semblable au vent, je soufflerai un jour parmi eux, à leur esprit je couperai la respiration, avec mon esprit: ainsi le veut mon avenir.
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Mais je finirai par révéler vos cachettes: c'est pourquoi je vous ris au visage, avec mon rire de hauteurs!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/139]]==
 
C'est pourquoi je déchire votre toile pour que votre colère vous fasse sortir de votre caverne de mensonge, et que votre vengeance jaillisse derrière vos paroles de "justice".
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Ce que le père a tu, le fils le proclame; et souvent j'ai trouvé révélé par le fils le secret du père.
 
Ils ressemblent aux enthousiastes; pourtant ce
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/140]]==
n'est pas le coeur qui les enflamme, - mais la vengeance. Et s'ils deviennent froids et subtils, ce n'est pas l'esprit, mais l'envie, qui les rend froids et subtils.
 
Leur jalousie les conduit aussi sur le chemin des penseurs; et ceci est le signe de leur jalousie - ils vont toujours trop loin: si bien que leur fatigue finit par s'endormir dans la neige.
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Il en a qui prêchent ma doctrine de la vie: mais ce sont en même temps des prédicateurs de l'égalité et des tarentules.
 
Elles parlent en faveur de la vie, ces araignées
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/141]]==
venimeuses: quoiqu'elles soient accroupies dans leurs cavernes et détournées de la vie, car c'est ainsi qu'elles veulent faire mal.
 
Elles veulent faire mal à ceux qui ont maintenant la puissance: car c'est à ceux-là que la prédication de la mort est le plus familière.
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Bon et mauvais, riche et pauvre, haut et bas et tous les noms de valeurs: autant d'armes et de symboles cliquetants pour indiquer que la vie doit toujours à nouveau se surmonter elle-même!
 
La vie veut elle-même s'élever dans les hauteurs avec des piliers et des degrés: elle veut scruter les horizons lointains et regarder au delà des beautés bienheureuses, - c'est pourquoi il lui faut des hauteurs!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/142]]==
bienheureuses, - c'est pourquoi il lui faut des hauteurs!
 
Et puisqu'il faut des hauteurs, il lui faut des degrés et de l'opposition à ces degrés, l'opposition de ceux qui s'élèvent! La vie veut s'élever et, en s'élevant, elle veut se surmonter elle-même.
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"Il faut que l'on punisse, il faut que justice soit faite - ainsi pense-t-elle: ce n'est pas en vain que tu chantes ici des hymnes en l'honneur de l'inimitié!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/143]]==
 
Oui, elle s'est vengée! Malheur! elle va me faire tourner l'âme avec de la vengeance!
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Le chasser de sa cachette - c'est ce que le peuple appela toujours le "sens de la justice": toujours il excite encore contre l'esprit libre ses chiens les plus féroces.
 
"Car la
"Car la vérité est là: puisque le peuple est là! Malheur! malheur à celui qui cherche!" - C'est ce que l'on a répété de tout temps.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/144]]==
vérité est là: puisque le peuple est là! Malheur! malheur à celui qui cherche!" - C'est ce que l'on a répété de tout temps.
 
Vous vouliez donner raison à votre peuple dans sa vénération: c'est ce que vous avez appelé "volonté de vérité", ô sages célèbres!
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Dans le sable jaune brûlé par le soleil, il lui arrive de regarder avec envie vers les îles aux sources abondantes où, sous les sombres feuillages, la vie se repose.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/145]]==
 
Mais sa soif ne le convainc pas de devenir pareil à ces satisfaits; car où il y a des oasis il y a aussi des idoles.
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Et vraiment, sages illustres, serviteurs du peuple! Vous avez vous-mêmes grandi avec l'esprit et la vertu du peuple - et le peuple a grandi par vous! Je dis cela à votre honneur!
 
Mais vous restez peuple, même dans vos vertus, peuple aux yeux faibles, - peuple qui ne sait point ce que c'est l'esprit!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/146]]==
peuple aux yeux faibles, - peuple qui ne sait point ce que c'est l'esprit!
 
L'esprit, c'est la vie qui incise elle-même la vie: c'est par sa propre souffrance que la vie augmente son propre savoir, - le saviez-vous déjà?
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Mais en toutes choses vous m'avez l'air de prendre trop de familiarité avec l'esprit; et souvent vous avez fait de la sagesse un hospice et un refuge pour de mauvais poètes.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/147]]==
 
Vous n'êtes point des aigles: c'est pourquoi vous n'avez pas appris le bonheur dans l'épouvante de l'esprit. Celui qui n'est pas un oiseau ne doit pas planer sur les abîmes.
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Il fait nuit: voici que s'élève plus haut la voix des fontaines jaillissantes. Et mon âme, elle aussi, est une fontaine jaillissante.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/148]]==
 
Il fait nuit: voici que s'éveillent tous les chants des amoureux. Et mon âme, elle aussi, est un chant d'amoureux.
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Ils prennent ce que je leur donne: mais suis-je encore en contact avec leurs âmes? Il y a un abîme entre donner et prendre; et le plus petit abîme est le plus difficile à combler.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/149]]==
 
Une faim naît de ma beauté: je voudrais faire du mal à ceux que j'éclaire; je voudrais dépouiller ceux que je comble de mes présents: - c'est ainsi que j'ai soif de méchanceté.
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Injustes au fond du coeur contre tout ce qui est lumineux, froids envers les soleils - ainsi tous les soleils poursuivent leur course.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/150]]==
 
Pareils à l'ouragan, les soleils volent le long de leur voie; c'est là leur route. Ils suivent leur volonté inexorable; c'est là leur froideur.
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Un soir Zarathoustra traversa la forêt avec ses disciples; et voici qu'en cherchant une fontaine il parvint sur une verte prairie, bordée d'arbres et de buissons silencieux: et dans cette clairière des jeunes
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/151]]==
filles dansaient entre elles. Dès qu'elles eurent reconnu Zarathoustra, elles cessèrent leurs danses; mais Zarathoustra s'approcha d'elles avec un geste amical et dit ces paroles:
 
"Ne cessez pas vos danses, charmantes jeunes filles! Ce n'est point un trouble-fête au mauvais oeil qui est venu parmi vous, ce n'est point un ennemi des jeunes filles!
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Et c'est les yeux pleins de larmes qu'il doit vous demander une danse; et moi-même j'accompagnerai sa danse d'une chanson:
 
Un air de danse et une satire sur l'esprit de la
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/152]]==
lourdeur, sur ce démon très haut et tout puissant, dont ils disent qu'il est le "maître du monde". -
 
Et voici la chanson que chanta Zarathoustra, tandis que Cupidon et les jeunes filles dansaient ensemble:
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Et comme je parlais un jour en tête-à-tête à ma sagesse sauvage, elle me dit avec colère: "Tu veux, tu désires, tu aimes la vie et voilà pourquoi tu la loues!"
 
Peu s'en fallut que je ne lui fisse une dure réponse
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/153]]==
et ne dise la vérité à la querelleuse; et l'on ne répond jamais plus durement que quand on dit "ses vérités" à sa sagesse.
 
Car s'est sur ce pied-là que nous sommes tous les trois. Je n'aime du fond du coeur que la vie - et, en vérité, je ne l'aime jamais tant que quand je la déteste!
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Peut-être est-elle mauvaise et perfide et femme en toutes choses; mais lorsqu'elle parle mal d'elle-même, c'est alors qu'elle séduit le plus."
 
Quand j'eus parlé ainsi à la vie, elle eut un méchant sourire et ferma les yeux. "De qui parles-tu donc? dit-elle, peut-être de moi?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/154]]==
chant sourire et ferma les yeux. "De qui parles-tu donc? dit-elle, peut-être de moi?
 
Et quand même tu aurais raison - vient-on vous dire en face de pareilles choses! Mais maintenant parle donc de ta propre sagesse!"
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==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/155]]==
LE CHANT DU TOMBEAU
 
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Je suis toujours l'héritier et le terrain de votre amour, je m'épanouis, en mémoire de vous, en une floraison de vertus sauvages et multicolores, ô mes bien-aimés!
 
Hélas! nous étions faits pour demeurer ensemble, étranges et délicieuses merveilles; et vous ne vous êtes pas approchées de moi en de mon désir,
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/156]]==
comme des oiseaux timides - mais confiantes en celui qui avait confiance!
 
Oui, créés pour la fidélité, ainsi que moi, et pour la tendre éternité: faut-il maintenant que je vous dénomme d'après votre infidélité, ô regards et moments divins: je n'ai pas encore appris à vous donner un autre nom.
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Le mal que vous m'avez fait est plus grand qu'un assassinat; vous m'avez pris l'irréparable: - c'est ainsi que je vous parle, mes ennemis!
 
N'avez vous point tué les visions de ma jeunesse
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/157]]==
et mes plus chers miracles! Vous m'avez pris mes compagnons de jeu, les esprits bienheureux! En leur mémoire j'apporte cette couronne et cette malédiction.
 
Cette malédiction contre vous, mes ennemis! Car vous avez raccourci mon éternité, comme une voix se brise dans la nuit glacée! Je n'ai fait que l'entrevoir comme le regard d'un oeil divin, - comme un clin d'oeil!
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Un jour, j'ai fait voeu de renoncer à tous les dégoûts, alors vous avez transformé tout ce qui m'entoure en ulcères. Hélas! où donc s'enfuirent alors mes voeux les plus nobles?
 
C'est un aveugle que j'ai parcouru des chemins bienheureux: alors vous avez jeté des immondices
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/158]]==
sur le chemin de l'aveugle: et maintenant je suis dégoûté du vieux sentier de l'aveugle.
 
Et lorsque je fis la chose qui était pour moi la plus difficile, lorsque je célébrai des victoires où je m'étais vaincu moi-même: vous avez poussé ceux qui m'aimaient à s'écrier que c'était alors que je leur faisais le plus mal.
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Chanteur meurtrier, instrument de malice, toi le plus innocent! Déjà j'étais prêt pour la meilleure danse: alors de tes accords tu as tué mon extase!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/159]]==
 
Ce n'est qu'en dansant que je sais dire les symboles des choses les plus sublimes: - mais maintenant mon plus haut symbole est resté sans que mes membres puissent le figurer!
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==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/160]]==
DE LA VICTOIRE SUR SOI-MÊME
 
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Les simples, cependant, ceux que l'on appelle le peuple, - sont semblables au fleuve sur lequel un canot vogue sans cesse en avant: et dans le canot sont assises, solennelles et masquées, les évaluations des valeurs.
 
Vous avez lancé votre volonté et vos valeurs sur
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/161]]==
le fleuve du devenir; une vieille volonté de puissance me révèle ce que le peuple croit bon et mauvais.
 
C'est vous, ô sages parmi les sages, qui avez placé de tels hôtes dans ce canot; vous les avez ornés de parures et de noms somptueux, - vous et votre volonté dominante!
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Et voici la seconde chose: on commande à celui qui ne sait pas s'obéir à lui-même. C'est là la coutume de ce qui est vivant.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/162]]==
 
Voici ce que j'entendis en troisième lieu: commander est plus difficile qu'obéir. Car celui qui commande porte aussi le poids de tous ceux qui obéissent, et parfois cette charge l'écrase: -
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Et comme le plus petit s'abandonne au plus grand, car le plus grand veut jouir du plus petit et le dominer, ainsi le plus grand s'abandonne aussi et risque sa vie pour la puissance.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/163]]==
 
C'est là l'abandon du plus grand: qu'il y ait témérité et danger et que le plus grand joue sa vie.
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"Et toi aussi, toi qui cherches la connaissance, tu n'es que le sentier et la piste de ma volonté: en vérité, ma volonté de puissance marche aussi sur les traces de ta volonté du vrai!
 
"Il n'a assurément pas rencontré la vérité, celui qui parlait de la "volonté de vie", cette volonté - n'existe pas.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/164]]==
qui parlait de la "volonté de vie", cette volonté - n'existe pas.
 
"Car: ce qui n'est pas ne peut pas vouloir; mais comment ce qui est dans la vie pourrait-il encore désirer la vie!
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Et celui qui doit être créateur dans le bien et dans le mal: en vérité, celui-là commencera par détruire et par briser les valeurs.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/165]]==
 
Ainsi la plus grande malignité fait partie de la plus grande bénignité: mais cette bénignité est la bénignité du créateur. -
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Orné d'horribles vérités, son butin de chasse, et riche de vêtements déchirés; il y avait aussi sur lui beaucoup d'épines - mais je ne vis point de roses.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/166]]==
 
Il n'a pas encore appris le rire et la beauté. Avec un air sombre, ce chasseur est revenu de la forêt de la connaissance.
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Il y a encore du mépris dans ses yeux et le dégoût se cache sur ses lèvres. Il est vrai qu'il repose maintenant, mais son repos ne s'est pas encore étendu au soleil.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/167]]==
 
Il devrait faire comme le taureau; et son bonheur devrait sentir la terre et non le mépris de la terre.
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Le bras passé sur la tête: c'est ainsi que le héros devrait se reposer, c'est ainsi qu'il devrait surmonter son repos.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/168]]==
 
Mais c'est pour le héros que la beauté est la chose la plus difficile. La beauté est insaisissable pour tout être violent.
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==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/169]]==
DU PAYS DE LA CIVILISATION
 
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Et avec cinquante miroirs autour de vous, cinquante miroirs qui flattaient et imitaient votre jeu de couleurs!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/170]]==
 
En vérité, vous ne pouviez porter de meilleur masque que votre propre visage, hommes actuels! Qui donc saurait vous - reconnaître?
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C'est pour moi l'amertume de mes entrailles de ne pouvoir vous supporter ni nus, ni habillés, vous autres hommes actuels!
 
Tout ce qui est inquiétant dans l'avenir, et tout ce qui a jamais épouvanté des oiseaux égarés, inspire
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/171]]==
en vérité plus de quiétude et plus de calme que votre "réalité".
 
Car c'est ainsi que vous parlez: "Nous sommes entièrement faits de réalité, sans croyance et sans superstition." C'est ainsi que vous vous rengorgez, sans même avoir de gorge!
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Ah! comme vous voilà debout devant moi, hommes stériles, squelettes vivants! Et il y en a certainement parmi vous qui s'en sont rendu compte eux-mêmes.
 
Ils disaient: "Un dieu m'aurait-il enlevé quelque
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/172]]==
chose pendant que je dormais? En vérité, il y aurait de quoi en faire une femme!
 
La pauvreté de mes côtes est singulière!" ainsi parla déjà maint homme actuel.
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Je n'aime donc plus que le pays de mes enfants, la terre inconnue parmi les mers lointaines: c'est elle que ma voile doit chercher sans cesse.
 
Je veux me racheter auprès de mes enfants
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d'avoir été le fils de mes pères: je veux racheter de tout l'avenir - ce présent! -
 
 
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Les pas d'un homme loyal parlent; mais le chat marche à pas furtifs. Voyez, la lune s'avance, déloyale comme un chat. -
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Je vous donne cette parabole, à vous autres hypocrites sensibles, vous qui cherchez la "connaissance pure"! C'est vous que j'appelle - lascifs!
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"Et voici ce que j'appelle l'immaculée connaissance de toutes choses: ne rien demander aux choses que de pouvoir s'étendre devant elles, ainsi qu'un miroir aux cent regards." -
 
Hypocrites
Hypocrites sensibles et lascifs! Il vous manque l'innocence dans le désir: et c'est pourquoi vous calomniez le désir!
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sensibles et lascifs! Il vous manque l'innocence dans le désir: et c'est pourquoi vous calomniez le désir!
 
En vérité, vous n'aimez pas la terre comme des créateurs, des générateurs, joyeux de créer!
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Mais mes paroles sont des paroles grossières, méprisées et informes, et j'aime à recueillir ce qui, dans vos festins, tombe sous la table.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/176]]==
 
Elles me suffisent toujours - pour dire la vérité aux hypocrites! Oui, mes arêtes, mes coquilles et mes feuilles de houx doivent - vous chatouiller le nez, hypocrites!
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Regardez-la donc! Elle est là-haut, surprise et pâle - devant l'aurore!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/177]]==
 
Car déjà l'aurore monte, ardente, - son amour pour la terre approche! Tout amour de soleil est innocence et désir de créateur.
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Après quoi, elle s'en alla, dédaigneuse et fière. Voilà ce qu'un enfant m'a raconté.
 
J'aime à être étendu, là ou jouent les enfants, le long du mur lézardé, sous les chardons et les rouges pavots.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/178]]==
long du mur lézardé, sous les chardons et les rouges pavots.
 
Je suis encore un savant pour les enfants et aussi pour les chardons et les pavots rouges. Ils sont innocents, même dans leur méchanceté.
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Semblables à ceux qui stationnent dans la rue et qui bouche bée regardent les gens qui passent: ainsi ils attendent aussi, bouche bée, les pensées des autres.
 
Les touche-t-on de la main, ils font involontairement de la poussière autour d'eux, comme des sacs de farine; mais qui donc se douterait que leur
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poussière vient du grain et de la jeune félicité des champs d'été?
 
S'ils se montrent sages, je suis horripilé de leurs petites sentences et de leurs vérités: leur sagesse a souvent une odeur de marécage: et, en vérité, j'ai déjà entendu les grenouilles coasser dans leur sagesse!
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Ils savent aussi jouer avec des dés pipés; et je les ai vus jouer avec tant d'ardeur qu'ils en étaient couverts de sueur.
 
Nous sommes étrangers les uns aux autres et
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leurs vertus me sont encore plus contraires que leurs faussetés et leurs dés pipés.
 
Et lorsque je demeurais parmi eux, je demeurais au-dessus d'eux. C'est pour cela qu'ils m'en ont voulu.
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"Depuis que je connais mieux le corps, - disait Zarathoustra à l'un de ses disciples - l'esprit n'est
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plus pour moi esprit que dans une certaine mesure; et tout ce qui est "impérissable" - n'est aussi que symbole."
 
"Je t'ai déjà entendu parler ainsi, répondit le disciple; et alors tu as ajouté: "Mais les poètes mentent trop." Pourquoi donc disais-tu que les poètes mentent trop?"
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La foi ne me sauve point, dit-il, la foi en moi-même moins que toute autre.
 
Mais, en admettant que quelqu'un dise sérieusement que les poètes mentent trop: il aurait raison, - nous mentons trop.
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que les poètes mentent trop: il aurait raison, - nous mentons trop.
 
Nous savons aussi trop peu de choses et nous apprenons trop mal: donc il faut que nous mentions.
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Et qu'elle se glisse à leur oreille pour y murmurer des choses secrètes et des paroles caressantes. Ils s'en vantent et s'en glorifient devant tous les mortels!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/183]]==
 
Hélas! il y a tant de choses entre le ciel et la terre que les poètes sont les seuls à avoir rêvées!
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Un peu de volupté et un peu d'ennui: c'est ce qu'il y eut encore de meilleur dans leurs méditations.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/184]]==
 
Leurs arpèges m'apparaissent comme des glissements des fuites de fantômes; que connaissaient-ils jusqu'à présent de l'ardeur qu'il y a dans les sons! -
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Le buffle regarde avec colère, son âme est tout près du sable, plus près encore du fourré, mais le plus près du marécage.
 
Que lui importe la beauté et la mer et la splendeur du paon! Tel est le symbole que je dédie aux poètes.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/185]]==
du paon! Tel est le symbole que je dédie aux poètes.
 
En vérité leur esprit lui-même est le paon le plus vain entre tous les paons et une mer de vanité!
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Il y a une île dans la mer - non loin des Iles Bienheureuses de Zarathoustra - où se dresse un volcan perpétuellement empanaché de fumée. Le peuple, et surtout les vieilles femmes parmi le peuple, disent de cette île qu'elle est placée comme un rocher devant la porte de l'enfer: mais la voie étroite qui descend à cette porte traverse elle-même le volcan.
 
A cette époque donc, tandis que Zarathoustra séjournait dans les Iles Bienheureuses, il arriva qu'un vaisseau jeta son ancre dans l'île où se trouve la montagne fumante; et son équipage descendit à
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terre pour tirer des lapins. Pourtant à l'heure de midi, tandis que le capitaine et ses gens se trouvaient de nouveau réunis, ils virent soudain un homme traverser l'air en s'approchant d'eux et une voix prononça distinctement ces paroles: "Il est temps il est grand temps!" Lorsque la vision fut le plus près d'eux - elle passait très vite pareille à une ombre dans la direction du volcan - ils reconnurent avec un grand effarement que c'était Zarathoustra; car ils l'avaient tous déjà vu, excepté le capitaine lui-même, ils l'aimaient, comme le peuple aime, mêlant à parties égales l'amour et la crainte.
 
"Voyez donc! dit le vieux pilote, voilà Zarathoustra qui va en enfer!" -
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Ainsi se répandit une certaine inquiétude; mais après trois jours cette inquiétude s'augmenta de l'histoire des marins - et tout le peuple se mit à raconter que le diable avait emporté Zarathoustra. Il est vrai que ses disciples ne firent que rire de ces bruits et l'un d'eux dit même: "Je crois plutôt encore que c'est Zarathoustra qui a emporté le diable." Mais, au fond de l'âme, ils étaient tous pleins d'inquiétude et de languer: leur joie fut donc grande lorsque, cinq jours après, Zarathoustra parut au milieu d'eux.
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Et ceci est le récit de la conversation de Zarathoustra avec le chien de feu:
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Je te tiens tout au plus pour le ventriloque de la terre, et toujours, lorsque j'ai entendu parler les démons de révolte et d'immondice, je les ai trouvés semblables à toi, avec ton sel, tes mensonges et ta platitude.
 
Vous vous entendez à hurler et à obscurcir avec des cendres! Vous êtes les plus grands vantards
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et vous connaissez l'art de faire entrer la fange en ébullition.
 
Partout où vous êtes, il faut qu'il y ait de la fange auprès de vous, et des choses spongieuses, oppressées et étroites. Ce sont elles qui veulent être mises en liberté.
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Elle se relève maintenant avec des traits plus divins et une souffrance plus séduisante; et en vérité! elle vous remerciera encore de l'avoir renversée, destructeurs!
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Mais c'est le conseil que je donne aux rois et aux Églises, et à tout ce qui s'est affaibli par l'âge et par la vertu - laissez-vous donc renverser, afin que vous reveniez à la vie et que la vertu vous revienne! -
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Et, afin que je garde raison, laisse-moi t'entretenir d'un autre chien de feu: celui-là parle réellement du coeur de la terre.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/190]]==
 
Son haleine est d'or et une pluie d'or, ainsi le veut son coeur. Les cendres et la fumée et l'écume chaude que sont-elles encore pour lui?
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Pourquoi donc le fantôme a-t-il crié: "Il est temps! Il est grand temps!"
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Pour quoi peut-il être - grand temps?" -
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Toutes les fontaines se sont desséchées pour nous et la mer s'est retirée. Tout sol veut se fendre, mais les abîmes ne veulent pas nous engloutir!
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"Hélas! où y a-t-il encore une mer où l'on puisse se noyer?" ainsi résonne notre plainte - cette plainte qui passe sur les plats marécages.
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Mais voici le discours que leur tint Zarathoustra lorsqu'il se réveilla; cependant sa voix leur semblait venir du lointain:
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Ecoutez donc le rêve que j'ai fait, mes amis, et aidez-moi à en deviner le sens!
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Mais c'était plus épouvantable encore, et mon coeur se serrait davantage, lorsque tout se taisait et que revenait le silence et que seul j'étais assis dans ce silence perfide.
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C'est ainsi que se passa le temps, lentement, s'il peut encore être question de temps: qu'en sais-je, moi! Mais ce qui me réveilla finit par avoir lieu.
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Ainsi Zarathoustra raconta son rêve, puis il se tut: car il ne connaissait pas encore la signification de son rêve. Mais le disciple qu'il aimait le plus se leva vite, saisit la main de Zarathoustra et dit:
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"C'est ta vie elle-même qui nous explique ton rêve, ô Zarathoustra!
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En vérité, tu les as rêvés eux-mêmes, tes ennemis: ce fut ton rêve le plus pénible!
 
Mais comme tu t'est réveillé d'eux et que tu es
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revenu à toi-même, ainsi ils doivent se réveiller d'eux-mêmes - et venir à toi!" -
 
Ainsi parlait le disciple; et tous les autres se pressaient autour de Zarathoustra et ils saisissaient ses mains et ils voulaient le convaincre de quitter son lit et sa tristesse, pour revenir à eux. Cependant Zarathoustra était assis droit sur sa couche avec des yeux étranges. Pareil à quelqu'un qui revient d'une longue absence, il regarda ses disciples et interrogea leurs visages; et il ne les reconnaissait pas encore. Mais lorsqu'ils le soulevèrent et qu'ils le placèrent sur ses jambes, son oeil se transforma tout à coup; il comprit tout ce qui était arrivé, et en se caressant la barbe, il dit d'une voix forte:
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Un jour que Zarathoustra passait sur le grand
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pont, les infirmes et les mendiants l'entourèrent et un bossu lui parla et lui dit:
 
"Vois, Zarathoustra! Le peuple lui aussi profite de tes enseignements et commence à croire en ta doctrine: mais afin qu'il puisse te croire entièrement, il manque encore quelque chose - il te faut nous convaincre aussi, nous autres infirmes! Il y en a là un beau choix et, en vérité, c'est une belle occasion de t'essayer sur des nombreuses têtes. Tu peux guérir des aveugles, faire courir des boiteux et tu peux alléger un peu celui qui a une trop lourde charge derrière lui: - Ce serait, je crois, la véritable façon de faire que les infirmes croient en Zarathoustra!"
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Mais, depuis que j'habite parmi les hommes, c'est pour moi la moindre des choses de m'apercevoir de ceci: "A l'un manque un oeil, à l'autre une oreille, un troisième n'a plus de jambes, et il y en a d'autres qui ont perdu la langue, ou bien le nez, ou bien encore la tête."
 
Je vois et j'ai vu de pires choses et il y en a de
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si épouvantables que je ne voudrais pas parler de chacune et pas même me taire sur plusieurs: j'ai vu des hommes qui manquent de tout, sauf qu'ils ont quelque chose de trop - des hommes qui ne sont rien d'autre qu'un grand oeil ou une grande bouche ou un gros ventre, ou n'importe quoi de grand, - je les appelle des infirmes à rebours.
 
Et lorsqu'en venant de ma solitude je passais pour la première fois sur ce pont: je n'en crus pas mes yeux, je ne cessai de regarder et je finis par dire: "Ceci est une oreille. Une oreille aussi grande qu'un homme." Je regardais de plus près et, en vérité, derrière l'oreille se mouvait encore quelque chose qui était petit à faire pitié, pauvre et débile. Et, en vérité, l'oreille énorme se trouvait sur une petite tige mince, - et cette tige était un homme! En regardant à travers une lunette on pouvait même reconnaître une petite figure envieuse; et aussi une petite âme boursouffée qui tremblait au bout de la tige. Le peuple cependant me dit que la grande oreille était non seulement un homme, mais un grand homme, un génie. Mais je n'ai jamais cru le peuple, lorsqu'il parlait de grands hommes - et j'ai gardé mon idée que c'était un infirme à rebours qui avait de tout trop peu et trop d'une chose.
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Lorsque Zarathoustra eut ainsi parlé au bossu et à ceux dont le bossu était l'interprète et le mandataire, il se tourna du côté de ses disciples, avec un profond mécontentement, et il leur dit:
 
En vérité, mes amis, je marche parmi les hommes comme parmi des fragments et des membres d'homme!
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comme parmi des fragments et des membres d'homme!
 
Ceci est pour mon oeil la chose la plus épouvantable que de voir les hommes brisés et dispersés comme s'ils étaient couchés sur un champ de carnage.
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Est-il poète ou bien dit-il la vérité? est-il libérateur ou dompteur? bon ou méchant?
 
Je marche parmi les hommes, fragments de l'avenir: de cet avenir que je contemple dans mes visions.
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de cet avenir que je contemple dans mes visions.
 
Et toutes mes pensées tendent à rassembler et à unir en une seule chose ce qui est fragment et énigme et épouvantable hasard.
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Vouloir délivre: qu'imagine la volonté elle-même pour se délivrer de son affliction et pour narguer son cachot?
 
Hélas! tout prisonnier devient un fou! La volonté prisonnière, elle aussi, se délivre avec folie.
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prisonnière, elle aussi, se délivre avec folie.
 
Que le temps ne recule pas, c'est là sa colère; "ce qui fut" - ainsi s'appelle la pierre que la volonté ne peut soulever.
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Et comme chez celui qui veut il y a de la souffrance, puisqu'il ne peut vouloir en arrière, - la volonté elle-même et toute vie devraient être - punition!
 
Et ainsi un nuage après l'autre s'est accumulé sur
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l'esprit: jusqu'à ce que la folie ait proclamé: "Tout passe, c'est pourquoi tout mérite de passer!"
 
"Ceci est la justice même, qu'il faille que le temps dévore ses enfants": ainsi a proclamé la folie.
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Jusqu'à ce que la volonté créatrice ajoute: "Mais c'est ainsi que je le veux! C'est ainsi que je le voudrai."
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A-t-elle cependant déjà parlé ainsi? Et quand cela arrivera-t-il? La volonté est-elle déjà délivrée de sa propre folie?
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"Pourquoi Zarathoustra nous parle-t-il autrement qu'à ses disciples?"
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Zarathoustra répondit: "Qu'y a-t-il là d'étonnant? Avec des bossus on peut bien parler sur un ton biscornu!"
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C'est à l'homme que s'accroche ma volonté, je me lie à l'homme avec des chaînes, puisque je suis attiré vers le Surhumain; car c'est là que veut aller mon autre volonté.
 
Et c'est pourquoi je vis aveugle parmi les hommes, comme si je ne les connaissais point: afin que
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ma main ne perde pas entièrement sa foi en les choses solides.
 
Je ne vous connais pas, vous autres hommes: c'est là l'obscurité et la consolation qui m'enveloppe souvent.
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La vanité blessée n'est-elle pas mère de toutes les tragédies? Mais où la fierté est blessée, croît quelque chose de meilleur qu'elle.
 
Pour que la vie soit bonne à regarder il faut que son jeu soit bien joué: mais pour cela il faut de bons acteurs.
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son jeu soit bien joué: mais pour cela il faut de bons acteurs.
 
J'ai trouvé bons acteurs tous les vaniteux: ils jouent et veulent qu'on aime à les regarder, - tout leur esprit est dans cette volonté.
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Je suis bienheureux de voir les miracles que fait éclore l'ardent soleil: ce sont des tigres, des palmiers et des serpents à sonnettes.
 
Parmi les hommes aussi il y a de belles couvées d'ardent soleil et chez les méchants bien des choses merveilleuses.
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d'ardent soleil et chez les méchants bien des choses merveilleuses.
 
Il est vrai que, de même que les plus sages parmi vous ne me paraissaient pas tout à fait sages: ainsi j'ai trouvé la méchanceté des hommes au-dessous de sa réputation.
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Votre âme est si loin de ce qui est grand que le Surhumain vous serait épouvantable dans sa bonté!
 
Et vous autres sages et savants, vous fuiriez
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devant l'ardeur ensoleillée de la sagesse où le Surhumain baigne la joie de sa nudité!
 
Vous autres hommes supérieurs que mon regard a rencontrés! ceci est mon doute sur vous et mon secret: je devine que vous traiteriez mon Surhumain de - démon!
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L'HEURE LA PLUS SILENCIEUSE
 
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L'aiguille s'avançait, l'horloge de ma vie respirait, jamais je n'ai entendu un tel silence autour de moi: en sorte que mon coeur s'en effrayait.
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Soudain j'entendis l'Autre qui me disait sans voix: "Tu le sais Zarathoustra." -
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Et je répondis: "Que n'a pas déjà supporté la peau de mon humilité! J'habite eux pieds de ma hauteur: l'élévation de mes sommets, personne ne me l'a jamais indiquée, mais je connais bien mes vallées."
 
Alors l'Autre reprit sans voix: "O Zarathoustra,
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qui a des montagnes à déplacer, déplace aussi des vallées et des bas-fonds." -
 
Et je répondis: "Ma parole n'a pas encore déplacé de montagnes etce que j'ai dit n'a pas atteint les hommes. Il est vrai que je suis allé chez les hommes, mais je ne les ai pas encore atteints."
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Alors l'Autre me dit encore comme en un murmure: "Ce sont les paroles les plus silencieuses qui apportent la tempête. Ce sont les pensées qui viennent comme portées sur des pattes de colombes qui dirigent le monde.
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O Zarathoustra, tu dois aller comme le fantôme de ce qui viendra un jour; ainsi tu commanderas et, en commandant, tu iras de l'avant." -
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Cependant je vous ai aussi appris à savoir quel est toujours le plus discret parmi les hommes - et qui veut être discret!
 
Hélas! mes amis! J'aurais encore quelque chose à
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vous dire, j'aurais encore quelque chose à vous donner! Pourquoi est-ce que je ne vous le donne pas? Suis-je donc avare?
 
Mais lorsque Zarathoustra eut dit ces paroles, la puissance de sa douleur s'empara de lui à la pensée de bientôt quitter ses amis, en sorte qu'il se mit à sangloter; et personne ne parvenait à le consoler. Pourtant de nuit il s'en alla tout seul, en laissant là ses amis.
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=== no match ===
 
LE VOYAGEUR