« Les Aventures du capitaine Hatteras/Première partie/1 » : différence entre les versions

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« Demain, à la marée descendante, le brick le Forward, capitaine, K.Z., second, Richard Shandon, partira de New Princes Docks pour une destination inconnue. »
 
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Le départ d’un brick est un événement de peu d’importance pour le port le plus commerçant de l’Angleterre. Qui s’en apercevrait au milieu des navires de tout tonnage et de toute nationalité, que deux lieues de bassins à flot ont de la peine à contenir ?
 
Cependant, le 6 avril, dès le matin, une foule considérable couvrait les quais de New Princes Docks ; l’innombrable corporation des marins de la ville semblait
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s’y être donné rendez-vous. Les ouvriers des warfs environnants avaient abandonné leurs travaux, les négociants leurs sombres comptoirs, les marchands leurs magasins déserts. Les omnibus multicolores, qui longent le mur extérieur des bassins, déversaient à chaque minute leur cargaison de curieux ; la ville ne paraissait plus avoir qu’une seule préoccupation : assister au départ du Forward.
 
Le Forward était un brick de cent soixante-dix tonneaux, muni d’une hélice et d’une machine à vapeur de la force de cent vingt chevaux. On l’eût volontiers confondu avec les autres bricks du port. Mais, s’il n’offrait rien d’extraordinaire aux yeux du public, les connaisseurs remarquaient en lui certaines particularités auxquelles un marin ne pouvait se méprendre.
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– Vous devez avoir raison, maître Cornhill, reprit un troisième matelot. Avez-vous remarqué aussi cette étrave qui tombe droit à la mer ?
 
– Ajoute, dit maître Cornhill, qu’elle est revêtue d’un tranchant d’acier fondu
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affilé comme un rasoir, et capable de couper un trois-ponts en deux, si le Forward, lancé à toute vitesse, l’abordait par le travers.
 
– Bien sûr, répondit un pilote de la Mersey, car ce brick-là file joliment ses quatorze nœuds à l’heure avec son hélice. C’était merveille de le voir fendre le courant, quand il a fait ses essais. Croyez-moi, c’est un fin marcheur.
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– Et pourquoi cela ?
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– Parce que tu n’es pas dans les conditions requises, je me suis laissé dire que les gens mariés en étaient exclus. Or tu es dans la grande catégorie. Donc, tu n’as pas besoin de faire la petite bouche, ce qui, de ta part d’ailleurs, serait un véritable tour de force.
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– Sans doute ; il me l’a dit à moi-même !
 
– Il te l’a dit ? Johnson ?
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te l’a dit ? Johnson ?
 
– Non seulement il m’a dit la chose, mais il m’a montré le capitaine.
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– Eh bien, qu’en pensez-vous ? demandèrent les matelots à maître Cornhill.
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– Je ne pense rien, répondit brusquement ce dernier, je ne pense rien, sinon que le Forward est un vaisseau du diable, ou de fous à mettre à Bedlam !
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Le constructeur, Scott & Co., l’un des plus habiles de l’Angleterre, avait reçu de Richard Shandon un devis et un plan détaillé, où le tonnage, les dimensions, le gabarit du brick étaient donnés avec le plus grand soin. On devinait dans ce projet la perspicacité d’un marin consommé. Shandon ayant des fonds considérables à sa disposition, les travaux commencèrent, et, suivant la recommandation du propriétaire inconnu, on alla rapidement.
 
Le brick fut construit avec une solidité à toute épreuve ; il était évidemment appelé à résister à d’énormes pressions, car sa membrure en bois de teack, sorte de chêne des Indes remarquable par son extrême dureté, fut en outre reliée par de fortes armatures de fer. On se demandait même dans le monde des marins pourquoi la coque d’un navire établi dans ces conditions de résistance
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n’était pas faite de tôle, comme celle des autres bâtiments à vapeur. À cela, on répondait que l’ingénieur mystérieux avait ses raisons pour agir ainsi.
 
Peu à peu le brick prit figure sur le chantier, et ses qualités de force et de finesse frappèrent les connaisseurs. Ainsi que l’avaient remarqué les matelots du Nautilus, son étrave faisait un angle droit avec la quille ; elle était revêtue, non d’un éperon, mais d’un tranchant d’acier fondu dans les ateliers de R. Hawthorn de Newcastle. Cette proue de métal, resplendissant au soleil, donnait un air particulier au brick, bien qu’il n’eût rien d’absolument militaire. Cependant un canon du calibre 16 fut installé sur le gaillard d’avant ; monté sur pivot, il pouvait être facilement pointé dans toutes les directions ; il faut ajouter qu’il en était du canon comme de l’étrave ; ils avaient beau faire tous les deux, ils n’avaient rien de positivement guerrier.
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Un navire destiné à la recherche de l’Erebus et du Terror, et de sir John Franklin ? Pas davantage, car en 1859, l’année précédente, le commandant MacClintock était revenu des mers arctiques, rapportant la preuve certaine de la perte de cette malheureuse expédition.
 
Le Forward voulait-il donc tenter encore le fameux passage du Nord-Ouest ? À
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quoi bon ? le capitaine MacClure l’avait trouvé en 1853, et son lieutenant Creswel eut le premier l’honneur de contourner le continent américain du détroit de Behring au détroit de Davis.
 
Il était pourtant certain, indubitable pour des esprits compétents, que le Forward se préparait à affronter la région des glaces. Allait-il pousser vers le pôle Sud, plus loin que le baleinier Wedell, plus avant que le capitaine James Ross ? Mais à quoi bon, et dans quel but ?
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Après l’installation de la machine à bord, commença l’arrimage des approvisionnements ; et ce ne fut pas peu de chose, car le navire emportait pour six ans de vivres. Ceux-ci consistaient en viande salée et séchée, en poisson fumé, en biscuit et en farine ; des montagnes de café et de thé furent précipitées dans les soutes en avalanches énormes. Richard Shandon présidait à l’aménagement de cette précieuse cargaison en homme qui s’y entend ; tout cela se trouvait casé, étiqueté, numéroté avec un ordre parfait ; on embarqua également une très grande provision de cette préparation indienne nommée pemmican, et qui renferme sous un petit volume beaucoup d’éléments nutritifs.
 
Cette nature de vivres ne laissait aucun doute sur la longueur de la croisière ; mais un esprit observateur comprenait de prime saut que le Forward allait naviguer dans les mers polaires, à la vue des barils de lime-juice3, de pastilles de chaux, des paquets de moutarde, de graines d’oseille et de cochléaria, en un mot, à l’abondance de ces puissants antiscorbutiques, dont l’influence est si
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nécessaire dans les navigations australes ou boréales. Shandon avait sans doute reçu avis de soigner particulièrement cette partie de la cargaison, car il s’en préoccupa fort, non moins que de la pharmacie de voyage.
 
Si les armes ne furent pas nombreuses à bord, ce qui pouvait rassurer les esprits timides, la soute aux poudres regorgeait, détail de nature à effrayer. L’unique canon du gaillard d’avant ne pouvait avoir la prétention d’absorber cet approvisionnement. Cela donnait à penser. II y avait également des scies gigantesques et des engins puissants, tels que leviers, masses de plomb, scies à main, haches énormes, etc., sans compter une recommandable quantité de blasting-cylinders4, dont l’explosion eût suffi à faire sauter la douane de Liverpool. Tout cela était étrange, sinon effrayant, sans parler des fusées, signaux, artifices et fanaux de mille espèces.