« Histoire de la littérature grecque/Chapitre IV » : différence entre les versions

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Sept villes se sont disputé l’honneur d’avoir donné la naissance à Homère. Voici l’ordre où elles sont énumérées dans un vers fameux : Smyrne, Chios, Colophon, Salamine, Ios, Argos, Athènes. Mais il faut dire que la plupart de ces villes n’apportaient à l’appui de leur prétention, que des titres de seconde main ou même plus que suspects. Ainsi Athènes ne revendiquait Homère pour sien que parce qu’elle était la métropole de Smyrne. Ainsi les Colophoniens prétendaient qu’Homère leur avait été donné en otage par les Smyrnéens : c’est même de là que venait, selon eux, le nom d’Homère, †Omhrow, qui signifie en effet otage. Le débat vraiment sérieux n’est qu’entre Smyrne et Chios. C’est à Chios que florissait l’école des rhapsodes qu’on nommait les Homérides et qui se disaient les descendants d’Homère. Simonide appelle Homère l’homme de Chios. Le poète qui parle dans l’Hymne à Apollon Délien dit aux filles de Délos qu’il est l’homme aveugle qui habite dans la montagneuse Chios ; et Thucydide lui-même regarde cet hymne comme l’œuvre d’Homère. Quoi qu’il en soit de l’authenticité de l’hymne, rien n’empêche de supposer que, si Homère n’est pas né à Chios, il a passé à Chios une partie de sa vie ; qu’il est devenu citoyen de Chios, et que, quelle que fût sa vraie patrie, il a pu prendre ou se laisser donner le nom d’homme de Chios. Cela suffit aussi pour expliquer l’existence, à Chios, de la grande école des Homérides, et la croyance bien ou mal fondée que ces rhapsodes étaient les descendants d’Homère. Smyrne, de son côté, montrait le temple qu’elle avait élevé à la mémoire du poète, et où elle l’honorait comme un héros. Elle rappelait ce nom de Méonide qu’on lui donnait, c’est-à-dire d’homme du pays de Smyrne, et surtout celui de Mélésigène, appellation plus significative encore : Mélésigène, c’est le fils de Smyrne même, le fils de la ville baignée par le Mélès. La tradition des Smyrnéens a de plus l’avantage de concorder avec celle des Athéniens, et même avec celle de Colophon. Au reste, il nous importe médiocrement qu’Homère soit né à Smyrne ou à Chios. Ce qui est manifeste, même à la simple lecture de ses poèmes, c’est qu’il appartient à la Grèce d’Asie, à ce monde fortuné où se développèrent, avec une énergie si puissante, les éléments féconds apportés par toutes les familles de la race hellénique. Homère était Ionien de naissance, à en juger par mille traits significatifs. On sait, par exemple, quel rôle considérable joue dans les poèmes homériques Minerve, ou Pallas Athéné, la grande déesse des Ioniens. Il n’y a, chez Homère, aucune trace de certaines coutumes, de certains usages introduits dans la Grèce par les Doriens, tandis qu’il en a enregistré d’autres, particuliers aux cités ioniennes : ainsi la division en phratries et l’existence de la classe des thètes. Un Spartiate remarque, dans les Lois de Platon, qu’Homère a peint une société ionienne, bien plus que la manière de vivre des Lacédémoniens. Voyez d’ailleurs avec quelle exactitude géographique le poète parle, même en passant, de lieux situés dans l’Ionie du nord et dans la Méonie voisine, c’est-à-dire dans les contrées où la tradition des Smyrnéens assignait sa naissance : "Les Méoniens avaient pour chefs Mesthlès et Antiphus, tous deux fils de Taléménès, tous deux enfantés par le lac Gygée, et qui menaient les Méoniens, nés au pied de Tmolus {{Refl|27}} ." Et ailleurs : "Ta race est près du lac Gygée, là où se trouve ton domaine paternel, non loin de l’Hyllus poissonneux et de l’Hermus aux flots tournoyants {{Refl|28}} . "Et encore : "Maintenant, quelque part au milieu des rochers, dans les montagnes désertes, sur le Sipyle, là où sont, dit-on, les retraites des nymphes divines qui dansent le long des rives de l’Achéloüs ; là, tontetoute pierre qu’elle est, Niobé ressent les douleurs dont l’affligèrent les dieux {{Refl|29}} ." Tous ces noms, tous ces détails qui s’accumulent comme d’eux-mêmes, toutes ces images qui servent à caractériser les objets, témoignent qu’Homère connaissait ces contrées autrement qu’en voyageur. Je sens là comme une sorte de retour involontaire vers les scènes du pays natal, comme un souvenir des impressions du jeune âge. On pourrait justifier par une foule d’exemples le mot heureux d’Aristarque : "C’est un cœur ionien qui bat dans la poitrine d’Homère."