« Reconnaissance de la région Andine, de la République Argentine » : différence entre les versions

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{{titre|Reconnaissance de la région Andine, de la République Argentine.|Francisco P. Moreno|1898}}
 
 
 
 
 
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*[[Reconnaissance de la région Andine, de la République Argentine/Appendice 2|Altitudes principales]]
 
<center>'''Planches'''</center>
*[[Reconnaissance de la région Andine, de la République Argentine/Planches 1|I. — «Cañón» de l'Atuel á Pituil.]]
*[[Reconnaissance de la région Andine, de la République Argentine/Planches 2|II. — Pont sur le Rio Grande.]]
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INTRODUCTION
 
 
 
Chargé par le gouvernement de ma patrie de diriger la
Commission technique de délimitation avec la République du
Chili, afin de mettre éf exécution les dispositions du Traite signé
en 1881 entre les deux nations, j'ai dú suspendre pour le moment
les investigations que je ne cesse de faire comme particulier,
et comme Direcleur du Musée de La Plata, depuis environ
vingt années dans la Cordillére des Andes, dans ses régions
voisines et dans les terres de Patagonie presque inconnues
jusqu'a présent. Mes nouvelles fonctions me permettront sans
doute d'augmenter ees recherches, en me fournissant des
moyens qui n'étaient pas a ma portee, et de les completar sur
des points que je n'ai pu connaitre auparavant, pour présenter
un tableau general et fidéle du territoire argentin dans les
zones indiquées. Mais, jusqu'a ce que vienne le moment de
coordonner un matériel aussi varió que celui qui est réuni, je
juge convenable, avant de me consacrer aux travaux d'expertise,
de faire connaitre, ne fut-ce que d'une maniere succinte, une
partie au moins des travaux déj& réalisés par moi ou par
Texcellent personnel qui m'a accompagné dans les reconnais-
sances faites sur le terrain pendant tant d'années. Le progrés
du pays, tous les jours plus grand, reclame ees publications
qui se rapportent á des régions á peine peuplées, peu connües,
et généralement dénigrées, et qui, en étant pour la premiére
 
 
 
— 6 —
 
fois exploitées par Thomme, ne le sont pas par ceux qui les
feront le plus produire par Tefifort du travail, au profit et á
ragrandissement de la nation.
 
II est nécessaire que nous, argentins, réagissions, le plus tót
possible, contre notre abandon de rexploitation du sol de la
République et des richeses naturelles quMl renferme. Qui pense
á cet abandon en est peinó; et si de temps en temps des ini-
tiatives isolées s'efforcent de produire une réaction bienfaisante,
ees efforts ne sont pas proteges par la connaissance préalable
du milieu oü ils s'appliquent, et alors ou ils se brisent contre
des obstacles qui les annulent, ou ils donnent des resultáis, si-
non contraires au but qu'on se propose, du moins insuffisants
pour qu'ils produisent les bienfaits qu'on en attend. II nous
manque toujours une base súre, c'est-a-dire, la complete
connaissance de la géographie, de la géologie et de la météoro-
logie, de la faune et de la flore, et nous qui travaillons a ce
que cette connaissance s'acquiere au plus tót, et qui luttons
contre Tindifférence publique, et les intéréts de quelques-uns
auxquels Tignorance du plus grand nombre procure des gains
fáciles, füt-ce aux dépens de la colleetivité nationale, nous
ne devons pas nous lasser dans cette tache, puisque nous
sommes convaincus que la République Argentine n'occupera
pas le rang auquel elle a droit dans le concert de nations, tant
que la richesse nationale ne sera pas fondee sur des bases plus
solides que les actuelles.
 
II est triste de diré la vérité sur ce qui se passe dans les
rógions que je décrirai a grands traits en racontant la recon-
naissance que j'ai faite, cet été, accompagné des topographes et
géologues du Musée de La Plata. La spéculation, surtout dans
les territoires du sud, donne une valeur fictive aux terres, qui
a en general pour base Taudace ou l'ignorance, mais elle ne
donne pas un centime de revenu au trésor national; et cette
spéculation qui ne pourra pas exister avec Texploitation de la
terre par ceux qui la labourent, est entretenue par Tignorance
de cette región de la part de ceux qui ont le pouvoir de la
mettre en valeur, et de la livrer k qui la puisse exploiter, con-
naissant d'avance les produits qu'elle peut donner.
 
L'indifférence nationale, en présence de la nécessité de con-
naitre notre sol, pourrait expliquer plus d'un phénoméne qui
s'oppose á ce que nous soyons déj& la grande nation que nous
 
 
 
— 7 —
 
devrions étre, si ron considere les tres favorables conditions du
milieu physique que nous avons hérité d'Espagne; et pour les
observateurs qui viennent ici ou qui étudient les conditions de
notre territoire, la négligence que le gouvernement et le peuple
apportent dans les investigations considérées, parmi les nations
civilisées, comme de primordiale importance pour établir, sur
des bases solides et inébranlables, les éléments de prognes du
pays, est une cause d'étonnement constant.
 
Quand viennent des temps difficiles, on entend parmi nous
des lamentations et des récriminations; on lance des jugements
téméraires, on tatonne dans Tobscurité, et au lieu d'avancer
d'un pas ferme, en se confiant en la decisión que donne la
pleine connaissance de Torigine et de la cause des difficultés
qui ne sont jamáis insurmontables, dans les limites du pouvoir
de rhomme, nous nous contentons d'attendre commodément
des jours meilleurs: esperance qui n'est que de la faiblesse
et de l'apathie.
 
Nous oublions que si c'est une question d'honneur national
que de défendre l'intégritó du sol natal, ce doit en étre une
aussi que de donner a ce sol toute sa valeur; avec cela on evite
le cas d'avoir a défendre son intégrité. Les Etats-Unis, sans
armée permanente, sans flotte qui mérite ce nom en face de
celles d'autres nations plus petites, sont en chemin d'étre la
premiére nation du monde par la connaissance qu'ont leurs fils
du sol natal, etdes ressources que leur procure le travail. C'est
le secret du prodigieux développement de la nation que nous
prótendons imiter. L'énergie, Tactivité et la forcé nord-améri-
caines ont leur origine dans la communion intime de l'homme
avec la terre qui n'est pas ingrate s'il Taime et Tarrose de sa
sueur. Les Etats-Unis recueillirent Théritage de TAngleterre,
et Taugmentérent, au lieu de le gaspiller; mais nous qui préten-
dons puérilement étre leurs égaux dans le Sud, nous n'en pou-
vons pas diré autant. Nous avons été négligents, pour ne pas
diré prodigues, avec notre héritage. Que de fois, nous qui nous
sommes préoccupés de cet abandon aux moments oü se dis-
cutaient nos frontiéres avec les voisins, le Paraguay, le Brésil,
]n Bolivie ou le Chili, avons-nous entendu des paroles comme
celles-ci: «Pourquoi nous efforcer de défendre des territoires si
lointains, si peu connus, si stériles (sans prendre la peine de
savoir sMls le sont en réalité), quand nous avons tant de terre
 
 
 
— 8 —
 
encoré s¡ peu exploitée?» Ce sont de mauvaises raisons tirées
principalement de la mollesse égoíste; elles priment le droit et la
justice; on ne s'arréte pas á examiner si c'est notre devoir ou
non de défendre ees terres, parce qu'elles sont h nous, et ceux
qui disent de pareilles non - sens, ne s"inquietent pas de com-
méttre ainsi le déüt de lése-patrie,
 
II faut le répéter constamment: nous n'avons jamáis preten-
da, nous, les argentins, étendre les limites de la République
au delá de ce que nous avions quand nous nous donnámes le
titre de nation indépendante; au contraire, nous les avons di-
minuées parfois pour former d'autres nalions, et dans d'autres
cas, par des concessions qui peut-étre n'ont pas été compléte-
ment justifiées, ou par des jugements arbitraux dont les raisons
ne sont sans doute pas étrangeres a la négligence deja signa-
lee. Mais ce que nous avons, nous devons le conserver. Quand
méme je ne crois pas qu'íi Tavenir surgissent des difficultés
avec les nations dont les frontiéres communes avec les nótres
ne sont pas encoré nettement définies, ni que de ees difficultés
puissent résulter d'in justes prétentions de notre part, comme
les recherches qui motivent cet écrit se rapportent aux terri-
toires voisins, ou comprennent des limites qui ne sont pas en-
coré définies, j'ai consideré plus que jamáis opportune cette
publication en ce moment, puisque par elle le peuple argentin
pourra mieux se rendre compte de Topération de la démarca-
tion qui se pratique en ce moment.
 
Avec la connaissance de la géographie physique des régions
andines et des voisines, se corrigeront des erreurs genérales,
regues pour la plupart comme de grandes vérités dans la con-
ception des ligues frontiéres, et je ne doute pas qu'en dissi-
pant de telles erreurs, en révélant la vérité des faits, ees publi-
cations faciliteront beaucoup la tache de ceux qui doivent tracer
ees limites, controles comme ils le seront, par tous ceux qui
s'intéressent á ce que les questions pendantes avec le Chili et la
Bolivie, se terminent au plus tót, par Tapplication de la vérité
que revele la science, et de la justice qui emane de la vérité.
 
Je ne crois pas, je le répéte, quMl surgisse de nouvelles dif-
ficultés internationales pour les questions de frontiéres; mais,
en tout cas, les difficultés s'évitent par la connaissance plus
exacte du terrain oü doivent étre menees ees frontiéres, d'ae-
cord avec les traites en vigueur. Ces questions doivent se traiter
 
 
 
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en pleine lumiére, et tous, nous devons désirer que la lumiére
se fasse le plus possible.
 
Les investigations dont je désire rendre compte aujourd'hui
se rapportent á Tétude préliminaire du territoire argenlin, á
partir du 23« degré, á la Puna de Atacama, notre limite avec la
Bolivie, d'accord avec le traite de 1893, jusqu'aux environs de
la ville de San Juan, comprenant la región montagneuse de
cette province, celle de La Rioja, celle de Catamarca et celle de
Salta, et la región andina et zones voisines des Territoires du
Neuquen, Rio Negro, Chubut, et une partie de Santa Cruz.
 
Je commence la publication de ees investigations par ees
derniéres qui présentent le plus d'intérét, maintenant que la
population s'étend vers les territoires du Sud, et doit étre
encouragée par la publication de sa géographie et des ressour-
ces naturelles qui s'oflfrent á Tactivité des colons. Vingt ans se
sont écoulés depuis le jour oü, étudiant par moi-méme le terrain
j'ai commence á insister sur la grande importance de ees ter-
ritoires, et sur le brillan t avenir qui leur est reservé comme
siége de nouvelles et riches provinces, et il m'est agréable, je
Tavoue, de rappeler aujourd'hui mon insistance d'alors pour
que ees terres soient étudiées et soient exploitées au plus tót.
J'ai toujours pensé que la population de la Patagonie doublera
notre valeur comme nation, en Téquilibrant dans ses facteurs de
progrés, et en la rendant puissante dans un j)rochain avenir.
 
• *
 
Francisco P. Moreno.
 
Octobre 1896.
 
 
 
/
 
 
 
COUP D'CEIL RÉTROSPECTIF
 
 
 
Quand, en 1873, je fis ma premiére excursión au Rio Negro,
les frontiéres au sud de Buenos Aires et de Mendoza avaient
pour centres principaux et extremes Azul, dans la province de
Buenos Aires, Rio IV dans celle de Córdoba, Villa Mercedes
el San Luis dans celle de ce nom, et San Rafael dans celle de
Mendoza. Babia Blanca était un point isolé, et il y avait danger
de mort de passer de la á Azul et au Tandil. Je me rappelle qu'un
apres-midi de mars, une beure aprés mon arrivée á Babia
Blanca, les indiens faisaient une invasión par le méme cbemin;
et les voisins, alarmes, se réunirent dans le Fort pour se pré-
parer a la défense. Quand, en 1875, je retournai a Carmen
de Patagones pour la troisiéme fois, le voyage d'Azul a Babia
Blanca était encoré tres dangereux, a tel point qu'a son retour
la messagerie, qui m'avait conduil, fut attaquée parles sauvages;
son conducteur, les peones et passagers furent assassinés. Dans
ce voyage, le fortin avancé de Babia Blanca était celui de la
Nouvelle Rome, et jamáis ne s'effacera de ma mémoire Tim-
pression que je recus en passant, avec seulement deux jeunes
gens, de ce fort au Rio Colorado, et en rencontrant les traces
des lances du cbef sanguinaire Picbun, dont les nuées de pous-
siére indiquaient mon cbemin vers le fleuve. Trois jours aprós,
ce cbef assassina sur le méme cbemin, íi Romero Grande, buit
conducteurs de bestiaux, trop conflants, avec lesquels je m'ótais
 
 
 
I
 
 
 
— 12 —
 
croisé, ce jour-lá, au fleuve, et dont je rencontrai, six mois plus
tard, les restes, en revenant par le méme chemin.
 
Avec quel enthousiasme, avec quelles agréables visions de
Tavenir de ees régions, ai-je marché cette année-lá jusqu'au pied
des Andes, en face de Valdivia, et ai-je vécu de la vie du Sei-
gneur de la Terre dans les tolderías des caciques Shaihueque et
Ñancucheo, pour nrriver ensuite au lac Nahuel-Huapi, réalisant
ainsi mon réve d'enfant! Que de doux souvenirs me laisse cette
évocation! Comme s'écoulaient les heures dans la contempla-
tion de ees paysages vierges encoré de civilisation, et que je
couvrais, dans mon imagination, de troupeaux, de semailles,
dMndustries, et de navires sillonnant fleuves et lacs!...
 
Le chemin de fer n'arrivait alors qu'á Carmen de Las Flo-
res, á 200 kilométres de Buenos Aires, et que de magnificences
naturelles étalait le territoire parcouru de cette station au grand
lacl Je ne comprenais pas qu'une nation virile, maitresse d'un
des morceaux les plus beaux et les plus fértiles de la terre ne
se préoccupat pas de Tétudier pour proHter de toutes ses res-
sources; je chercháis la cause de cet abandon, et la trouvais
dans les fáciles jouissances matérielles du grand centre —
Buenos 'Aires — oü inconsciemmenl, nous concentrions nos
aspirations, enveloppés dans le cosmopolitisme qui nous ab-
sorbait, y étalant notre vanité de maitres d'une terre genérense,
et nous contentant du souvenir des gloires passées que, dans
notre paresse, nous admirions comme des efforts d'hommes
diflférents de ceux d'aujourd'hui, sans penser un instant que
tous les hommes sont égaux quand ils aiment et vénérent de
la méme maniere le sol oü ils sont nés.
 
Un an plus tard, trouvant de nouvelles terres, des fleuves
et des lacs navigables, des foréts immenses, dans les sources
du Santa Cruz, et en traversant les terres fértiles entre ce tieuve
et Punta Arenas, comme s'élargissait mon esprit devant de telles
preuves de richesses! et quel souhait ne faisais-je pas pour que
Ion en tirát profit pour Tagrandissement de la République!
 
En 1876, je pus visiter la colonie naissante du Chubut,
oasis dans le désert, isolée a Textréme sud ü la maniere des
établissements danois dans le glacial Groenland, tant était in-
connu rintérieur de la Patagonie. Le Port Deseado se trouvait
encoré dans le méme état oü Tavait laissé Viedma, en Taban-
donnant au siécle passé, et la baie de Santa Cruz était aussi
solitaire qu'au temps oü Tamiral Fitz Roy repara la les avaries
de la vieille «Beagle», en profitant des marees qui appellent
encoré si peu Tattention pour Tutilité de nos ports. Accom-
 
 
 
— 13 —
 
pagné de Charles Darwin, Fitz Roy remonta lo puissant fleuve
jusqu'a la plaine mystérieuse, avec son beau réseau de lacs,
que je visitáis quarante ans plus tard, et dont les extrémilés
sont encoré inconnues.
 
Ce voyage avait pour objet non seulement de reconnaitre le
fleuve Santa Cruz, mais aussi de vérifier la véritable situation
de la Cordillére del Andes. En ce temps, chiliens et argén ti ns
nous nous disputions les torres de Magellan, situées á Torient
des Andes, el cette excursión confirma, dans mon opinión, notre
droit a ees torres si fértiles.
 
En 1879, je visitai de nouveau la Patagonie, toujours poussé
par les mémes idees de connaitre ees territoires jusque dans
leurs derniers recoins, et de convaincre par des preuves irrecu-
sables les incrédulos et les indifférents, que le grand facteur de
•notre grandeur sera la Patagonie, appréciée h sa juste valeur.
Le Rio Negro avait beaucoup progressé, pendant le temps écoulé
entre mon premier voyage a ses sources et le dernier que j'en-
treprenais; la ligne de frontiéres entre la civilisation et la bar-
barie avait avancé, et les campements se trouvaient deja a
Choelechoel et a Chichinal, et dans des lieux déserts que j'a vais
visites, s'établissaient des gens laborieux. Dans ce voyage
la, j'arrivai jusqu'aux belles prairies qui sont h Toccident du
Tecka, au 43*^ degré, tout prés du point oü sept ans aprés se
fonda la colonie «16 de Octubre». Je visitai de nouveau le lac
Nahuel-Huapi, reconnaissant sa rive sud jusqu'aux fjórds de
l'occident, et j'arrivai pour la seconde fois aux tolderías, aux
huttes de Shaihueque, en des conditions bien pires que quatre
ans avant, et pus étre témoin des derniers jours des tribus
nómades et sauvages, ayant alors des jours de joie, au milieu
d'autres tres pénibles, en pressentant la réalisation prochaine
de mes aspirations: Texploitation par le travail de cette Suisse
argentino, comme je Tavais appelée au retour de ma premiére
visite.
 
Je n*ai pas Tintention d'étendre ce coup d'oeil rétrospectif,
et je m'arréte avec peine, car il me serait agréable de raconter
des scénes pittoresques disparues déjá des lieux oü elles se
passerent, aujourd'hui surtout que les années ont adouci les
souvenirs, et fait oublier les amertumes; je le ferai dans les
années de repos si j'y arrive, je ferai alors le récit de mes
impressions dans les régions andinos, avant Tanéantissement
des tribus, quand on vivait comme Tindien nómade, indépen-
dant, seigneur et maitre des pampas et des montagnes, sans
autres lois que cellos que lui imposaient ses besoins limites.
 
 
 
— 14 —
 
s'alimentant des animaux, quand ce n'était pas du vol fait «au
chrétien», se vétissant des ouvrages de leurs femmes, et guer-
royant de temps en temps pour des questions de «beuverie»
ou de « sorcellerie »....
 
Comme Directeur du Musée de La Plata, et disposant déj¿i
d'autres moyens, j'ai continué, avec des collaborateurs plus ou
moins actifs, l'étude de ees territoires líi; et les galeries et les
archives de Tétablissement, au développement duquel je consacre
toutes mes forces, conserven! les résultats de ees études.
 
De nouvelles explorations au fleuve Santa Cruz firent avan-
cer nos connaissances sur la géologie, la géographie et la bio-
logie de ees territoires, et permirent de reunir des données
précieuses sur le Territoire du Chubut jusqu'au Lac Buenos
Aires. C'étaient les préliminaires d'explorations plus vastes et
détaillées qui devaient se faire en leur temps.
 
En 1893, le Gouvernement de la Nation decida de préter son
concours pour que les travaux réalisés par le Musée pour étudier
le sol argentin se réalisassent avec plus de facilité, ce qui devait
donner de meilleurs résultats. Cette année-16, s'ouvrit done une
ere nouvelle pour cet établissement; les aspirations de ses colla-
borateurs avaient été appréciées, et ils se livrérent, avec plus
d'entrain que jamáis, á Texécution du vaste programme qui con-
dense leurs efforts pour le progrés intellectuel et matériel de la
Nation. C'est ainsi que nous avons parcouru, depuis Tannée 1893
a 1895, les régions glacées de la Puna, depuis la ligne qui nous
separe de Bolivie, jusqu'au département de San Rafael dans la
province de Mendoza, étudiant la géographie, la géologie, la mi-
néralogie, etc., sur les hautes cimes et dans les vastes plaines,
et révélant pour la premiére fois la physionomie exacte de Toro-
graphie andine en une^i vaste extensión, jusqu'alors presque
totalement inconnue, regrettant que Ton n'ait pas fait plus tót
de telles études pour éviter plus d'un désordre dans le tracé des
frontiéres interna tionales.
 
Comme je Tai dit ailleurs, je renvoie á plus tard la publi-
cation des études faites en ees régions-lü.
 
A la fin de 1895 je résolus de retourner au sud, et de parcou-
rir les régions que j'avais pu visitar, et celles qu'il ne m'avait
pas été possible d'atteindre en 1875 et 1880. Je consideráis né-
cessaire, je dois diré, indispensable ce voyage lá pour com-
pléler la reconnaissance préliminaire de la región occidentale
de la République, et il m'était agréable de diriger en personne
les travaux qu'exécutaient mes dévoués collaborateurs, car, dans
cette excursión, je me proposais d'apprécier les modifications
 
 
 
— 15 —
 
qui, dans le cours de vingt années, s'étaient produites dans les
régions du Sud. Dans ees vingt années, Tlndien indompté avait
disparu; il n'y avait plus ni forts, ni fortins pour résister á ses
déprédations et lá oü autrefois se plantait le campement (la tol-
dería), oü j'avais souffert et revé pour oublier mes déboires s'é-
levaient des villages; les crís des conseils de guerre s'étaient tus
pour toujours, et les animaux qui paissaient dans ees prairies
fértiles n'étaient pas volés, mais formaient le noyau des im-
menses troupeaux de Tavenir. Je désirais voir tout cela, et
me rendre compte si Tefifort répondait á la conquéte faite sur
le sauvage, et comparant avec le passé le présent, je voulais
juger par moi-méme si le progrés revé existait en réalité, ou
s'il était retardé, et pour quelles causes? Ainsi preparé et dis-
posé, j'entrepris Texcursion que je vais raconter sans m'étendre
dans des détails qui devront étre consignes dans des mémoires
spéciaux, des que serón t coordonnés les nombreux matériaux
deja réunis.
 
 
 
II
 
 
 
PROGRAMME — SAN RAFAEL — CHOSMALAL
 
 
 
I
 
^ Mon programme comprenait lo reconnaissance géographique
 
et géologique de la zone voisirie des Andes et de la partie orién-
tale de celles-ci entre San Rafael (province de Mendoza), et le
Lac Buenos Aires dans le Territoire de Santa Cruz, et cela dans
 
f le terme exact de cinq mois. Cétait une tache tres grande, mais
 
je croyais pouvoir la mener íx bonne fin par la distribution du
travail que j'avais faite entre mes collaborateurs. Voici cette
división: les ingénieurs topographes Henri Wolff et Charles
Zwilgmeyer et le géologue Rodolphe Hauthal, accompagnés du
dessinateur paysagiste Charles e ces cordons, et dans les chaines de Catalin, dans
le Territoire du Neuquen, elles se présentent á cent kilomé-
tres a Test de la Cordillére des Andes.
 
Le chemin depuis Malargué continué au sud, prés des rives
du pittoresque Arroyo de Loncoche dont les versants pátureux,
arrondis, recouverts d'une grande quantité de blocs erratiques
volcaniques déchiquetés a peine roulés, et qui parfois atteignent
deux métres cubes, sont des preuves evidentes que lá aussi s'est
étendue Taction glaciaire.
 
 
 
— 23 —
 
Dans les euvirons de Butamallin, nous établimes ce soir-líi
noire campement. Cet endroit est dominé d'un cote par uii
pittoresque roe volcanique, enclos (con-al) naturel vers lequel
les indigénes et plus tard les gauchos chassaient les gua-
nacos, aujourd'hui encoré tres abondanls, afin qu'ils se pré-
cipitassent de la hauteur á pie, et leur fournissent une chasse
facile et productive. Les hauteurs ü forme dentelée et a teinte
vive et le beau paysage font contraste avec les tristes terres
jaunAtres du bas que nous venions de quitter, encoré envelop-
pées dans la brume de la lagune, et les trompeuses silhouettes
du mirage sur les vastes champs de sel. Le jour suivant, nous
traversons le Portezuelo (col) de Loncoche, de 2030 métres de
haut, qui separe les eaux qui coulent au nord et au sud, do-
miné par les hauteurs de Butamallin et Tronquimalal (2310 m.).
Ce cordón apparent de chaines qui se détachent de Toccident s'é-
tend ü Torient en collines et cóteaux qui, á mesure qu'ils se
rapprochent de la plaine oriéntale, diminuent de hauteur, éta-
blissant la séparation de la dépression au nord du Malargué,
et s'unissent, par des scories et de petits volcans, aux mon tagnes
longitudinales du Nevado.
 
Entre le campement et le Portezuelo, on observe de caracté-
ristiques moraines glaciaires, et au-dessous la roche néovolcani-
que qui recouvre les conches sédimentaires crétacées, lesquelles
présentent de petites bandes noires avec des fragments de charbon.
La campagne s'améliore a mesure qu'on avance au sud, malgré
la hauteur, et la conche d'humus, que nous voyons pour la pre-
miére fois, atteint en quelques points jusqu'a trois métres, couron-
née par de gaillardes cortaderas (gynerium) qui ont probablement
produit ce fertile district. A Touest, les promontoires a pie du
Cerro Butamallin sont traversas par des coulées de roches vol-
caniques, et une de celles-ci traverse verticalement les roches
sédimentaires voisines du chemin. Comme TArroyo Loncoche
court directement au nord, une fois passé le Portezuelo, nous
rencontrons la riviére de TAgua Votada qui se dirige directe-
ment au sud; les conches crétacées sont inclinées vers Touest,
et les terres sablonneuses rougeótres présentent des caracteres
métamorphiques, probablement a cause du voisinage des gran-
des masses volcaniques.
 
La riviére de PAgua Votada, en arrivant á Butalo, tourne a
Test par des terrains sablonneux, presque sans páturage; nous
la traversons pour escalader les pentes brisées et núes qui lais-
sent voir leur constitution géologique crétacée et les roches
néovolcaniques noires jusqu'a atteindre le défilé dans la chaine
 
 
 
— 24 —
 
qui vient du nord-ouest. De ce point nous avons au nord le
mont Loncoche, prés du défilé de ce nom, et le mont Lavatre au
nord-est. On descend au sud par une gorge entre de hautes
collines qui paraissent étre les contreforts de la chaine latérale
de Calqueque a l'ouest, ayant a Torient le mont Butalo.
 
La Vega de Comalleu forme une belle tache au milieu de
ce triste paysage dans lequel les couches crétacées sont recou-
vertes par des roches basaltiques noirátres, et celles-ci a leur
tour par des detritus glaciaires qui forment des moraines tres
oaractéristiques en arrivant a la vallée du Rio Grande. La vue
de ce fleuve, oü descend le chemin, est belle. Le fleuve divisé en
divers bras présente un large lit, et les vertes prairies s'étendent
jusqu'aux flanes des montagnes; on voit d'ici que le Rio Grande
a coupó la chaine latérale de Calqueque dont la formation sédi-
mentaire s'observe dans les blocs roulés fossilifóres que Ton
remarque dans les moraines.
 
Le fleuve roulait trop d'eau, et comme en ce moment il n'élait
pas guéable, nous díimes le cótoyer dans son cours general,
campant sur ses rives oú nous fumes victimes des moustiques
des jejenes et des taons qui donnent a cette región une re-
nommée méritée. A Toccident, nous avions un chainon assez
elevé qui precede les véritables Andes et d'oü descendent quel-
ques ruisseaux; ü Test les cóteaux sont bas, couverts de cailloux
roulés, et généralement constitués par des roches néovolcnni-
ques qui reposent sur des sables et des conglomeráis en posi-
tion horizontale, couches beaucoup plus modernes que celles
qui forment le cordón cité. Mais á Test s'élévent des monts
isolés, volcaniques, assez eleves.
 
La vallée est large pendant quelques vingt-cinq kilometres
jusqu'au sud-sudest qui est sa direction genérale; a cette hauleur
elle se resserre á cause des masses de scories noires qui descen-
dent des cráteres que Ion voit en ligne longitudinale a Torient,
et que domine, un peu plus a Pest, le colossal volcan moderne,
le Payen, de reputa tion légendaire pour ses richesses minerales,
mais que personne n'a vues en ees derniéres années.
 
Paysage horriblement triste. Les laves noires, se détachant
dans leurs contorsions comme une gigantesque débacle de
glagons noirs sur les sables blancs et brillants des dunes. sa-
bles qui résultent de la décomposition des tufs de ees mcmes
volcans, s'étendent en pente douce depuis les cráteres noiralres,
rougeátres qui ouvrirent leurs flanes pour laisser couler ees
torrents incandescents. Je n'ai pas vu dans toute la République
un paysage d'un caractére plus accentué de volcanisme moderne
 
 
 
- 25 —
 
que celui-Iíi. Les noires laves d'Antofagasta de la Sierra, sur la
haute Puna d'Atacama, avec ses cónes noircis, striés de rouge
etdejaune n'impressionnent pas autant; et le Payen, bien qu'il
n'atteigne pas une élévation semblable íi celles des géants de
ia Puna, impose davantage par Taspect terrible de désolation
de ce paysage, impression qui va en augmentan! quand on
passe des champs ensemencés de la large vallée aux sables et
aux laves abruptes, en apparence de fraiche date. Je désirais
beaucoup m'arréter, pénélrer dans ees labyrinthes de scories
couvertes d'écume noire, et arriver jusqu'aux cráteres qui nous
attiraient par leurs mystérieux ravinements noirs et rougeatres
jusqu'á se perdre dans la brume azurée, mais le temps nous
manquait, et nous passámes tout le jour ó escalador ees scories
jusqu'á rencontrer le fameux pont du fleuve, unique passage
pour le moment.
 
Le fleuve qui, parfois, a plus de cent métres de large, s'en-
caisse soudain dans une profonde crevasse de la lave jusqu'á
n'avoir en quelques endroits que six métres, et lá on a jeté
un pont étroit et sans balustrade, qui, bien qu'il n'oflfre pas
de danger pour ceux qui n'ont pas le vertige, n'est pas
agréable d passer quand on voit, á dix métres sous ses pieds,
le roulement écumeux des eaux sur les rochers obscurs et les
cavités des cótés á pie (planche II).
 
Le campement fut établi, cette nuit-lá, au pied d'un cratére
noir et rouge, beau et triste (1170 m.), situé au pied du chai-
non sédimentaire longitudinal. II est digne de noter que ees
volcans modernes, quand ils se présentent prés des cordons,
surgissent á leur pied comme sMls eussent profité des points
faibles des plissures que formérent les chainons.
 
Depuis le campement, nous vimes la ligne des volcans mo-
dernes de Torient, paralléle aux cordons montagneux de Toc-
cident, et se détachant au nord une grande colline d'un som-
met plus large que le Payen, qui parait appartenir ó un type
différent de celui-ci, et faire partie d'une chaine qui se pro-
longe au nord. Outre Ténorme Payen, on voit plus prés une
autre colline plus petite, qui est sans doute celle qui a déversé
les laves qui formérent la grande scorie voisine. La coupure
dans la lave est pareille á celle de TAtuel á Pituil, & travers
les montagnes du Nevado et de la Pintada; mais celle-líi s'est
faite en des roches de porphyre, tandis que celle-ci traverse des
scories modernes.
 
Depuis le pont, le chemin escalade un versant escarpé de
roches sédimentaires qui appartiennent, ce me semble, ín la for-
 
 
 
— 26 -
 
mation crétacée. Depuis cette hauteur (1970 xn.), on domine
Torient et le nord, et Ton aper^oit un long bas-fond au nord
du Payen, entre celui-ci et Textrémitó d'une chaine longitudi-
nale plus oriéntale. Mais on observe que les montagnes que
nous traversa mes, deux jours auparavanl, appartiennent a
Talignement du mont Butalo qui se prolonge par celui de Huir-
can dont nous cótoyons les flanes. Les scories arrivent jusqu'au
pied des montagnes qui, sur ce point, sont formées d'une roche
d'aspect porphyrique qui rappelle le Cerro Pan dans la Cor-
dillére de Gopiapo. Nous traversons deux ruisseaux, affluents
du Rio Grande, séparí^s par de hauls cóteaux et campons sur les
bords de la riviére Galfuco ou Covunco (1600 m.), vallée étroite
mais avec une belle végétation. Le jour suivant, 9 février, nous
nous dirigeons vers le fleuve Barrancas; au commencement le
chemin passe par des terrains volcaniques, et ensuite par des
formations sédimentaires avec inclusions volcaniques. A mi-
chemin, s'éléve un beau volcan qui a recouvert de scories le bas,
qui fut, parait-il, une ancienne lagune, et á Test-nordest et íi
Test du Rio Grande se détache un aulre beau volcan moderne,
dont la base de roches stratifiées rappelle, en son ensemble, le
Volcan Azufre de Gopiapo, bien que ses proportions soient
moindres.
 
Le fleuve Barrancas, c'est-a-dire, sa vallée abritée, est cul-
tivée; le ble et la vigne y viennent bien, ainsi que d'autres fruits.
Pour arriver á ce fleuve, il faut traverser divers défilés dont la
hauteur varié de 1500 á 1600 métres, et le passage du fleuve se
fait a 970 métres. Les bas-fonds, entre les défilés, sont tra verses
par des ruisseaux qui se dirigent tous de Touest ói Test, vers le
Rio Grande. Aprés avoir passé le fleuve Barrancas qui forme,
avec le Rio Grande, le Rio Colorado, on remonte de nouveau
sur de hauts cóteaux avec des prés naturels, comme Ranquilco
(1170 m.), et Ton arrive a Tétablissement de don Benjamin
Cuello (1390 m.) oü nous campons cette nuit-lá.
 
Les champs s'améliorent notablement, et Ton peut diré
qu'ici commence la belle terre du Neuquen, si riche en promes-
ses. A travers des campagnes ondulées, pátureuses, nous con-
tinuons vers le sud le jour suivant, en traversant Butaco, cre-
vasse au milieu de roches néovolcaniques (1890 m.), par oü
coule une grande riviére, et nous commengons la descante vers
le majestueux Tromen, le volcan éteint le plus beau et le plus
imposant de la región. Le terrain devient meilleur ici; les champs
que nous traversons sont les plus fértiles que nous ayons vus
dans ce voyage. La lagune située au pied occidental du Tromen,
 
 
 
— 21 —
 
a laquelle oii arrive aprés avoir traversé une vaste étendue de
scories, est extrémement pittoresque, et ce jour-lá les eaux ver-
tes aux reflets dores et aux ombres violacées comme la poi-
trine d'un ramier, dans le fond oü s'éléve le géant gris-noir,
présentaient une teinte que je n'ai vue dans aucun de mes voya-
ges. Les cygnes blancs et les flamands roses qui abondaient
dans ees eaux ¡mmobiles, aux rives noires comme de Tencre de
Chine, rehaussaient la singuliere beauté tranquille et suave de ce
paysage. Cependant, les paysans rentraient en ce moment leurs
troupeaux; leTromen avait mugí peu de temps auparavant, et
plusieurs d'entre eux craignaient qu'il ne rentrAt en activité.
Tout le trajet, jusqu'au bourg de Chosmalal, oü nous arrivons
Taprés-midi, est beau et fertile. Les champs ostentent des bles
et des légumes dont la croissance prouve la bonté de la terre et
du climat. 11 est bien dommage que la forme imprudente d'apres
laquelle on a distribué la terre publique n'oblige pas íi la colo-
nisation immédiate. Les conce^ssions de grandes étendues serón t
toujours un discrédit pour le gouvernement argenlin et un re-
tard pour le progres du pays. Si la distribution de la terre pu-
blique eüt été faite au sud avec la connaissance préalable de ees
terrains, sa population actuelle serait cinquante fois plus forte,
et ce territoire une riche province argentine. Mais avec des es-
tancies de trente-deux lieues qui ne demandent qu'un homme
par lieue pour le soin des animaux, je crains bien que cetle
admirable región ne prospere pas rapidement.
 
Nous arrivons le 9, dans Taprés-midi a Chosmalal (790 m.),
rancien fort Cuarta División, et aujourd'hui capitale du Terri-
toire du Neuquen (planche III, fig. 1), situé au confluent du
fleuve de ce nom avec le Curileo, et nous y rencontrames Hau-
thal et Zwilgmeyer. Chosmalal progresse, mais lentement. La
distance et le manque de chemins ne sont pas les principaux
obstacles, ce sont ceux que produit Tabsence d'une bonne lé-
gislation des terres qui permette au colon de travailler son
bien des le premier moment quMl Toccupe; c'est contre cet obs-
tacle que Ton se heurte dans toutes nos localités naissantes
du sud. Ou bien le sol appartient a un particulier favoriséqui
ne le posséde pas toujours en vertu de bons titres, quand il
n'a pas été enlevé au fisc par surprise, ou gróce á Tindifférence
de ceux qui ont le devoir de veiller a Texécution des lois qui
régissent son aliénation, ou bien il appartient au fisc, et celui-
ci ne se préoccupe pas, comme il le devrait, d'enraciner le colon
en lui donnant ou en lui vendant le morceau qu'il puisse cuF^ '
tiver. Cependant, Chosmalal a un grand avenir. Sa situation
 
 
 
— 28 —
 
le permet, puisque la bifurquent des chemins de toutes les di-
rections; et les richesses minerales, abondant dans les monta-
gnes voisines, contribueront, quand viendra lejouroü nous les
exploiterons, á faire progresser les colonies agricoles et pasto-
rales qui peuvent prospérer dans les vallées fértiles. Mais au-
jourd'hui, bien rare est le colon qui se risque á peupler loin
du centre urbain; sa vie estén danger á cause des bandits qui
passent du Chili, poursuivis par la justice de ce pays. Cela
attriste de voir abandonnées de telles prairies, et de penser
qu'au temps oü l'indien sauvage occupait ees terres-la, la vie
du blanc n'avait pas plus de vicissitudes qu'aujourd'hui.
 
Je visitai aux environs de Chosmalal quelques élablissements
oú d'anciens colons chiliens cultivent la terre depuis quarante
ans. L'indien les laissa travailler en paix, et le blanc, quand
il expulsa rindien, ne les dérangea pas. De longues histoires
peuvent étre racontées par ees hommes qui ont formé líi des
familles nombreuses, témoins qu'ils ont été du pouvoir des
caciques, de leurs razzias et de leurs orgies, de leur décadence
et de leur disparition, non pas devant la civilisalion, puisqu'ils
Tavaient déjá dans les mémes conditions que Tacluel habitant
(le ees campagnes, mais devant le remington. I.e vieux fortin
qui se conserve en partie sur un rocher dominant les deux
fleuves cache je ne sais combien de tragédies dans ses fossés!
Pendant les trois jours que je demeurai a Chosmalal, je fis
diverses petites excursions qui me permirenl de connaitre ses
vallées voisines, si riches en fossiles crétacés et jurassiques,
et ses fameuses mines de sel qui approvisionnérent les indigé-
nes et approvisionneront leurs successeurs. Ce sel est tros pur,
cristalisé comme celui qu'on appelle sel de pierre, et il se Irouve
parmi des marnes crétacées melé a du gypse en lentilles plus
ou moins grandes, en forme pareille ó celle des dépóts de sel
de Wielizca.
 
La gorge de Chacay Melehué que mnlheureusement je ne
pus pas visiter, mais qu'examina Hauthal, est la plus peuplée
et la plus fertile de la región. Par elle on arrive a travers des
luzernes et des bles íi la Cordillere del Viento, chaine paralléle
aux Andes. Cette montagne pittoresque est composée de gres
et contient des minerais d'argent dont on a reconnu trois
veines de bon titre. Dans le voisinage, il y a des conches de
charbon du type Rafaelita, mais au point oú on Ta rencontré,
son exploitation serait difficile et coúteuse vu les altérations des
conches oü se trouve ce précieux combustible.
 
 
 
III
 
 
 
D£ CHOSMALAL A JUNIN DE LOS ANDES
 
 
 
Le 15 février, ayant réussi íi faire passer les bagages par les
moyens primitifs dont nous disposions, nous abandonnons de
bon matin Chosmalal pour pouvoir atteindre, dans Taprés-midi,
Ñorquin. Le trajet est beau, et se fait par une route carrossable
parfaitement tracé et qui fait honneur au lieutenant-colonel
Franklyn Ravvson, gouverneur du Territoire, á Tactivité et a la
constance duquel on le doit, de méme que celui de Chosmalal
a Pichachen, actuellemeiit en construction. Si nous employions
en routes rien que le prix du plus petit des cuirassés de
Tescadre argentine, quel profit n'en résuUerait-il pas pour des
régions si riches et si négligées! Comme je Tai dit, le trajet
de ce jour-lii fut beau; les champs s'améliorent; les laves
ct les scories ont totalement disparu; les prairies et les flanes
sont pátureux, et Taquimalal produit une bonne impression
avec les bles dores, se détachant sur la verdure des versants
qui commencent íi étre couverts d'arbres dans leur partie infé-
rieure. Du haut de la cote du Durazno, elevé de 1870 métres,
qui separe les versants du Neuquen supérieur de ceux du Rio
Agrio, on domine un immense paysage: toute la vieille vallée
prolongée de TAgrio, depuis les mon tagnes qui Tentourent au
nord appuyées aux contreforts des Andes jusqu'aux lointai-
nes montagnes au sud. Dans le bas, au loin, des points noi-
rátres disseminés sur la vaste plaine indiquent Tancien cam-
 
 
 
— 30 —
 
pement mili taire de Ñorquin qui q passé aux mains de parli-
culiers.
 
Le chemjn serpente parmi des paturages épais, et passe a
cóté d'une exploitation tres gaie oü nous voyons des plantes
grimpantes couvrant les parois et les bords du toit des pittores-
ques ranchos; des fleurs rouges de mauves animent le paysage,
et un ruisseau dont la source jaillit parmi des roseaux et des
cressons serpente au milieu de chétifs enclos de vaches, de
chcvres et de porcs. Des femmes actives lavent du linge en
chantant, et des hommes dorment sur le sol; elles plantérent
sans doute les fleurs et les plantes grimpantes; et eux héritérent
le rancho et les enclos de quelque vieux chef qui réunit líi les
animaux qui lui échurent á la répartition de la razzia {malón).
Si rindien a peu changé avec la destruction de Vadrmr (campe-
ment), ses femmes par contre ont progressé; il semble qu'au-
jourd'hui elles sont plus femmes; elles rient déjá. Nous galo-
pons depuis cet établissementjusqu'á Ñorquin oíi nous arrivons
vers le soir, sur un sol excellent; il y a des paturages qui rap-
pellent la Pampa prés de Tandil, dans la province de Buenos
Aires, et tous les cóteaux voisins verdissent.
 
Le spectacle de Ñorquin fait faire de tristes réflexions; des
rúes d'éditices en ruines, de belles casernes sans portes, des
vestiges d'un puissant campement qui n'aurait pas dú cesser
d'exister, mais toujours et partout le méme défaut national: la
négligence et Tignorance de la valeur de la terre aux dépens
du trésor commun.
 
Des centaines de mille piastres ont dú coüter ees construc-
tions qui ne sont que des ruines, quand elles auraient pu étre
la base d'opérations d'un grand centre de production, étant
données les conditions du sol, la bonté des terrains voisins et
la proximité du Chili oü conduisent de fáciles chemins.
 
Une pareille situation aux ICtats-Unis aurait été exploitée
aussi tót qu'elle aurait été découverte; on aurait déjá fondo des
villes ; la vallée serait traversée par des chemins de fer, et les
sources Ihermales voisines de Gopahué auraient une renommée
universelle. La se serait groupé tout le raffinement de la civi-
lisation moderne, tel est le pittoresque et grandiose site oü jail-
lisent les eaux miraculeuses dont la réputation attire déjá clii-
liens et argentins; mais les thermes sont déjá une proprieté
particuliere en vertu d'une concession nationale.
 
J'apprends á Ñorquin que le general Godoy doit arriver á Co-
dihué ees jours-ci, qu'il cherche un endroit convenable pour
établir le quarlier general de la división du Neuquen, d'accord
 
 
 
— 31 —
 
avec le plan de distribution des forces militaires de la Nation,
et il se trouve que celle-ci ne posséde dejó plus une lieue de
Ierre dans ees parages. Le soldat qui donna son sang pour
délivrer du sauvage cette belle región doit payer une location
pour le lieu oü il dresse sa tente!
 
Plus loin, nous rencontrons Tendroit destiné á la colonie
ogricole et pastorale «Sargento Gabral» qui est destinée a ré-
compenser le soldat qui voudrait se faire cultivateur ou berger,
quand les années Tobligeront á quitter le service de la patrie.
Lá il n'y a pas un métre carré profltable, pas méme pour les
chévres; en revanche, tout ce qu'il y a de bon autour de la
Colonie a des maitres.
 
A Ñorquin, il y a une extensión de plus de trois lieues qui
peut étre arrosée, et il faut espérer qu'il ne s'écoulera pas
beaucoup de temps avant qu'on colonise ce beau terrain dont
rirrigation est facile. Les foréts voisines fourniront en abon-
dance d'excellenls bois.
 
En passant le Rio Agrio, on penetre dans une étendue de
scories, de collines et de plateaux coupés par de profonds ra-
vins par oü courent, au milieu des arbres, de petits ruisseaux,
affluents de TAgrio, et dans le fond, on apergoit les sommets
neigeux des Andes par le Cajón de Trolope. Nous arrivons á TEs-
lancia «La Argentina», de création récente, qu'exploite deja avec
de gros bénéfices le propriétaire favorisé. L'Agrio, a cette hau-
teur, a perdu, gráce á ses affluents, Tamertume qui lui donna
son nom, et qui est dúe ü Talun des volcans andins d'oü
il sort. Ayant besoin, pour mon projet, de me faire une idee
des montagnes de Touest, je décidai que Wolff et Hauthal, de-
puis «La Argentina», suivraient cetto direction et prendraient
le chemin du fleuve Bio-Bio pour me rejoindre a Arco.
 
L'Agrio cótoie ó l'orient une montagne qui se prolonge au
nord par le Durazno, et dont font partie les chaines de la Cam-
pana — Campana Mahuida — dont les richesses minerales sont
inépuisables, au diré des habitants. II ne m'est pas possible
d'accepter ou de rejeter ees dires, mais je puis affirmer que
dans cette chaine intéressante on a découvert des minerais de
plomb et d'argent et des conches de charbon. Les formations
crétacées et jurassiques se presen tent en épaisses conches fos-
siliféres, landis qu'á Touest ont disparu, parait-il, les roches
sédimentaires. La Cordillére des Andes, avec ses chaines late-
rales, h Toccident de Tancienne vallée longitudinale, sur le cóté
oriental de laquelle coule le Rio Agrio, est déjá formée de ro-
ches ignées plus ou moins modernes, et le gneiss se présente
un peu plus au sud.
 
 
 
— 32 —
 
Ayant passé la nuit dans «La Argentina», nous arrivürnes
le jour suivant, vers les midi au fleuve Codihué oü, dans res-
táñela de don Dalmiro Alsina, je rencontrai le general Godoy
qui attendait le premier corps de la división mililaire qui devait
arriver ees jours-líi. Uarmée nationale a toujours été le point
d'appui de notre prospérité. Ses serviees aux frontiéres ne
eomptent pus en general parmi ses plus beaux ti tres de gloire,
mais ils mériteraient de Tétre. Que d"abnégationI que de saeri-
fiees obseurs!
 
Ceux qui ne se sont jamáis éloignés des grands eentres, ceux
qui n'ont pas eonnu le soldat au poste de frontiére ne peuvent
eomprendre le respect que nous avons pour lui, nous qui Pavons
vu dans ees effrayantes solitudes, toujours exposé á la mort,
aprés le martyre, et toujours prét á Tafifronter sans la eonsoln-
tion de laisser le souvenir de son saerifiee. Que de réminis-
eenees m'apporta ce groupe de vétérans bronzés! Quand nos
écrivains militaires raconteront-ils au peuple Thistoire du
vieux Ibrtin, le plus humble, qui parle plus haut du devoir
accompli que beaueoup de batailles dont nous nous enorgueil-
Ussons? Les vétérans des frontiéres sont pour moi les véritables
descendants des vétérans de Tlndépendanee.
 
A Codihué, j'envoyai la troupe dans la direction du fleuve
Caléufu, point que j'avais fixé pour que me rejoignissent Roth
et Soot, et le 18, accompagné de Zwilgmeyer, je me dirigeai h
Touest pour visiter les belles régions qu'arrosent le fleuve Alu-
miné et ses affluents. Le chemin gravit le platean central, et
de la, on a une vue étendue qui permet de distinguer clairement
les cordons montagneux; celui que eótoie TAgrio sMncline vers
le sud-est, présentant une profonde dépression par oü court ce
fleuve dans son rapide détour ói Test. Du nord-ouest on voit un
haut chainon qui s'abaisse éi mesure qu'on s'approche au sud
jusqu'á disparaitre en pentes douces, et qui est remplacé par
les chaines de Gatalin qui se dirigent aussi au sud-est. Nous
traversons un petit ruisseau, puis les gorges de TAichol, affluent
du fleuve Agrio; cet encaissement est planté de ble. Le platean,
formé de roches sédimentaires plissées, est couvert de laves
néovolcaniques ets'onduleá mesure quMl avance 6 Touest en belles
collines, au-dessus desquelles apparaissent les premiers Pe-
huenes ou Araucaria imhricata que nous ayons vus dans le voyage.
Nous nous internames dans les montagnes, et dans le ravin de
Pino Hachado oü Ton a établi une scierie qui fournit des planches
aux estancias voisines, et transforme les arbres en poteaux
pour la ligne télégraphique que Ton contruisait de General Roca
ó Ghosmalal.
 
 
 
— 33 —
 
Le Commissariat de Pino Hachado est situé dans le premier dé-
filé du ravin dans un parage pittoresque et abrité (1340 m.).
 
Le Jour suivant, nous vimes de beaux paysages; la forét
esl tres belle, la flore riche et utile; les fraisiers commencent,
el les pehuenes atteignent jusqu'á deux métres de diamétre; les
chénes australs y dominent. Les montagnes coupées á pie mon-
trent de gigantesques et merveilleux éventails en forme de feuil-
les de palmiers, formes par les laves quand elles se refroidirent
en colonnes. •
 
Méme quand la roche des monlagnes est volcanique mo-
derne, nous rencontrons des blocs détachés de granit, vestiges
de Tépoque glaciaire. Nous suivons les gorges du rio Aichol
jusqu'a la cime du chainon qui separe les eaux orientales de
celles qui descendent au sud et au sud-ouest pour alimenter l'A-
luminé. Dans cette chaine nous n'avons aperan ni arbres, ni
arbustes, mais bien de beaux póturages. Sa hauteur est rela-
tivement considerable (1670 m.). La gorge que nous descen-
dimes sert de lit a TArroyo Litran; elle est plus large, aussi belle
et fertile que Tantérieure, et débouche dans la vallée longitudi-
nale ouverte, appelée du rio Arco, premier affluent nord de
TAluminé. Prés de ses sources, au pied du Mont Batea, est situé
le Commissariat de TArco, parage que j'avais indiqué á Wolflf
et Hauthal pour nous y rejoindre. N'y rencontrant pas mes
compagnons, je résolus de les y altendre et de profiter du re-
tard pour parcourir les environs.
 
A un kilométre au nord de ce point je trouvai dans un magni-
fique pare naturel, dont les massifs sont formes par des grou-
pes á^araucarias et de chénes, et qui est limité á Test par un
pittoresque ravin boisé et tapissé de fougéres, les sources les
plus australes et orientales du Bio-Bio, ainsi que les plus bo-
reales de TAluminé; les gouttes que distille la roche parmi les
racines des fougéres glissent sur le pré doré et descendent, les
unes a TOcéan Pacifique et les autres á TOcéan Atlantique
(planche IV et V). Celui qui est accoutumé á considérer comme
une barriere abrupte et colossale la ligne de partage des eaux
continentales, et verrait ce tablean, éprouverait une profonde dé-
ception. S'il escaladait quelques métres, jusqu'á dominer Pho-
rizon au-dessus des cimes des pins qui ombragent ees sources,
il apercevrait au loin, á Toccident, les sommets neigeux andins
qui s'étendent depuis Tlsthme de Panamá jusqu'au sud, et que
les géographes de pacotille signalent en méme temps comme
étant la ligne de distribution des eaux du continent.
 
La ri viere de TArco, vers ses sources, a une altitude de
 
3
 
 
 
— 34 —
 
1200 mélres au-dessus du niveau de In mer, et glisse douce-
ment vers le sud dans la vallée formée par les cendres volca-
ñiques. Le ruisseau afflucnt du Bio-Bio est plus rapide, bondit
sur les roches de Tancienne moraine frontale du grand glacier
disparu, et se jetle dans le beau fleuve qui a son cours prin-
cipal h Toccident. Attirés par le beau paysage nous descendi-
mes la vallée voisine au grand galop, tant était douce la pente,
et traversant le fleuve, nous nous dirigeámes, sur des morai-
nes et de superbes prairies jusqu"aux rives du Lac Guayetué.
Ce lac étale ses eaux tranquillas á une grande distance, mais
le soleil couchant ne nous permit pas de voir, ni de calculer
son extrémité occidentale. Je pus cependant compter, depuis
Tembouchure du ñeuve, cinq ondulations ou cordons apparents,
et le Volcan Llaimas qui les domine á Touesl-sud-ouest. Peu
aprés étre sorti du lac, avant de tourner au nord, le Bio-Bio
regoit Tarroyo Rucunuco qui lui apporle le tribut des eaux du
lac Ycalma, situé entre le lac Guayetué et le lac Aluminé; le
monticule de la Batea se détache isolé á Torient de la ri viere,
Ainsi done les eaux du Bio-Bio naissent a Torient de ees chai-
nons andins, et les traversent ensuite pour se jeter dans le Pa-
cifique. Cette dépression semble étre le reste d'un grand bassin
lacustre antérieur dont les derniers vestiges seraient les trois
lacs cites: Aluminé, Ycalma et Guayetué. Les éruptions mo-
dernes ont formé de leurs laves le Cerro de la Batea, et ont
comblé le lac primitif de leurs tufs, lesquels furent á leur tour
détruits en partie par Térosion de Tépoque glaciaire dont on
retrouve les traces dans les moraines du haut platean. Ce pla-
teau constitue le vestige le plus considerable de Tancien lit du
grand lac dans la seconde époque du développement des glaciers
qui formérent des moraines et dont les restes existent encoré
dans les cordons monlagneux voisins. La basse vallée actuelle
mesure plus de vingt kilométres de l'est á Touest, et la popu-
lation commence h y affluer, formée d'émigrants chiliens, qui
s'éloignent de leur territoire, alarmes par les bruits de guerre,
que répandent d'autres de leurs compatriotes afin d'acquérir
ainsi, á vil prix, les champs ensemencés qu'abandonnent
ceux qui croient en cette guerre aussi impossible que prophé-
tisée sur tous les tons. Cet aprés-midi arrivérent au Commis-
sariat Wolft' et Hauthal. lis avaient fuit un intéressant voyage
et me fournirent les données genérales dont j'avais besoin. De-
puis Testancia «La Argentina», ils avaient penetré par la gorge
de Tarroyo Pailahué, et sur le platean et ses scories, s'étaient
diriges á l'ouest, traversant l'arroyo Manzano, et longeant les
 
 
 
— 35 —
 
coteaux voisins de Tarroyo Butahuao, ils avaient atteint le som-
met de la chaine par la tres belle et tres fertile gorge de Yumu-
Yumu. Cette zone montagneuse exige une étude détaillée de
son orographie et de sa géologie, que je me promets de faire
plus tard. II y a \k un plus grand développement des Andes
dans le sens transversal, un groupement de massifs volcani-
ques, comme on le voit sur d'autres points de la Cordillére.
Les roches indiquent un changement dans la formation géolo-
gique genérale des chaines plus au nord; le gneiss, le granit, le
porphyre apparaissent sous les roches néovolcaniques, et on
n'y remarque pas de conches sédimentaires. En outre, ees chai-
nes qui s'abaissent vers le sud, dévient au sud-est, et je puis
le diré déjá, ne correspondent pas, dans leur prolongation ap-
parente, á la Cordillére des Andes; mais quant á savoir si les
montagnesqu'ont tra versees mes compagnons doivent étre con-
sidéreos comme partie integrante des Andes ou non, c'est la
un problema qui ne pourra étre résolu qu'aprés une étude dé-
taillée de la región. Depuis la croupe du cordón indiqué qui
sert de ligne de partage des eaux entre le Rio Agrio et le Rio
Bio-Bio, on aperQoit á l'ouest une serie de montagnes qui se
dirigent au sud, puis au sud-sud-ouest avec une altitude plus
grande que les chainons de Yumu-Yumu, et tels que ceux-ci
se présentent depuis la gorge (cajón) de los Burros, oü coule la
riviére du méme nom, affluent du Rio Butahuao. Les eaux qui
descendent á Touest alimentent la riviére Rahué qui est cori-
sidérée comme un fleuve des qu'elle regoit les eaux de la riviére
Putul, laquelle nait au pied des glaciers de la pittoresque dé-
pression du nord, parmi les montagnes qui paraissent former líi
un grand noeud orographique. Le Rio Rahué se jette dans le
Bio-Bio á la naissance, au nord de la belle vallée de Lonqui-
mai, le joyau des vallées andines, au fond de laquelle serpenle
le Bio-Bio, parfois tranquillo, et d'autres fois formant de bril-
lantes écailles sur les pierres roulées et polies, quand son ni-
veau diminue. Je le vis ainsi du haut du chemin de l'Arco:
serpent colossal se tordant avec ses anneaux luisants dans
les prés oü les troupeaux de Texode chilienne restauraient
leurs forces épuisées dans la fuite rapide devant le spectre de
la rapiñe argentino. Dans cette vallée se trouvent les ruines
des fortins chiliens Lonquimai et Liucura, et les habitants ra-
content, avec plus ou moins d'exactitude, les chocs sanglants
qui se produisirent, durant notre campagne contre les indigénes,
entre les soldats argentins et chiliens qui considéraient chaqué
poste avancé sur le terrain d'opérations, comme appartenant — á
 
 
 
— 3G —
 
rArgenline, selon les uns, tandis que pour les autres il était
place sous la juridiction chilienne. Cette incertitude n'a pas
encoré dispara, et ne dispara! tra pas, tant que les travaux de
la délimitation des frontiéres n'atteindront pas jusque-lá. II ne
nous suffit pas, aux uns et aux autres, de diré: Ceci esta nous
pour que ce le soit; ce ne sont pas des raisons, car elles ne
sont pas fondees.
 
Le temps pressait, et nous nous dirigeames au sud, en nous
partageant la tache; Hauthal avec Wolff suivraient la basse val-
lée de TAluminó jusqu'a celle de Chimehuin, tandis qu'avec
Zwilgmeyer j'examinerais la zone ondulée qui precede la ligne
de montagnes á Touest. La vallée ouverte formée par les tufs
qui comblérent Tancienne vallée profonde et longitudinale s'in-
cline doucement depuis TArco jusqu'a ce que des collines gra-
nitiques, au milieu desquelles la riviére a creusé un profond
ravin, viennent la fermer. Le paysage est vraiment beau. Les
araucarias se présentent d'abord en bosquets entourés de prai-
ries; puis la región devient abrupte, avec des éclaircies dans
les larges cimes arrondies par les anciens glaciers, et le sen-
tier décrit des lacets au milieu des troncs-colonnes des pins
parmi lesquels se mélent déjá de nombreux cyprés. Sur ce sen-
tier, nous rencontrons, á chaqué moment, des familles chilien-
nes qui émigrent, formant de singuliers groupes avec leurs
troupeaux qui marchent lentement: vaches, chovres, brebis con-
duits par un enorme boeuf qui mugit et proteste de ce voyage
ridicule quand il traverse les zones sablonneuses et ne se tait
que quand il rougit son mufle dans les fraisiers. Nous arrivons
ainsi au sud du défilé, au vaste bassin du lac disparu, an-
cienne baie de la grande dépression lacustre dont j'ai parlé nn-
térieurement, et dans laquelle brille comme de Tacier poli le
Lac Aluminé. Nous escaladons la haule moraine qui le domine
au nord-ouest á son débouché pour avoir une impression du
paysage, et afin de pouvoir faire plus tard Tétude de ce" bas-
sin (planche VI).
 
Le lac parait se diviser en grandes baies et s'étend depuis
Touest oü je crois distinguer des étrécissures au pied des mon-
tagnes neigeuses du fond; de petites iles boisées accidenlent
sa surface faiblement ridée par la brise. Parmi les blocs erra-
tiques de la moraine prédominent le granit blanc, le rose, et les
diorites, mais je n'observe ni andésites ni aucune autre roche
volcanique. Cette moraine se trouve sur le platean general,
fond de Tancienne cavité qui repose sur le granit que Ton aper-
<joit dans Tétrécissure observée un peu plus au sud du débou-
 
 
 
- 37 —
 
che du lac. Le fleuve a deja vequ les eaux de Tarroyo Litran,
et court rapide, volumineux, déviant son cours vers le sud-est.
Nous continuons au sud, traversant des collines granitiques
recouvertes par des roches volcaniques de superficie horizon-
lale. En atteignant ees collines, nous apercevons á Touest des
inontagnes boisées, derriére celles-ci, de belles cimes neigeuses.
A Torient, sur le plateau s'élévent les montagnes qui forment
la chaine de Catalin, rocailleuses, pelees, el au nord de celles-
ci le haut plateau qui la separe des montagnes du nord de Pino
Hachado. C'est sur ce versant abrupt de la rive gauche de TA-
luminóque se trouve située la fulure colonie «Sargento Gabral»,
emplacement qui est une sanglante ironie h la bonne foi de la
Nation! Belle recompense pour le soldat fidéle dans l'accom-
plissement de ses devoirs! De tels faits inspiren! le plus pro-
fond dégoút. Pourquoi ceux qui choisirent cette zone pour la
colonisation, n'ont-ils pas arreté plutót leurs regards sur les
belles prairies et collines voisines de Pulmari, de Quillen, etc.?
 
Dans Paprés-midi du 22, nous nous arrétames á la Vega
(prairie) de Pulmari, véritable terre promise, et le lendemain,
accompagnés de Mr. Keen, ádministrateur de Testancia en voie
de formation dans ce parage, nous nous dirigeámes a Touest
pour visiter les vegas de Ñorquinco, renommées pour leur beauté,
dans le voisinage desquelles on a commencé la démarcation
de la frontiére avec le Ghili. Cette región de Pulmari et de ses
environs est une des plus belles que j'aie vues jusqu'ü cejour,
et judicieusement exploitée par la nation, elle deviendrait assu-
rément, en peu de temps, un centre d'activité si la colonisation
sefifectuait avec des éléments qui répondissent aux conditions
du sol. Mais pour cela il est indispensable de réformer nos lois
de colonisation qui eurent leur raison d'étre tant que Ton croyait
a Tuniformité du territoire argén tin fiscal, assimilé alors au
lype general de la pampa — la plaine; mais aujourd'hui que
Ton sait que nous avons des territoires si variés dans leur
constitution physique, base de futuros industries varieos qui
constitueront notre principale richesse nationale, il est néces-
saire de stimuler Texploitation rationnelle de la terre et de ses
ressources naturelles.
 
Les paysages qui se succédent sur notre chemin sont aussi
variés que beaux. Les petits lacs azures, profonds, semblables
ü des lentilles irréguliéres, festonnés par des araucarias et des
cyprés, et les blanches rives de quartz décomposé forment, vus
d'en haut, un ensemble paisible empreint d'une douce majesté,
sons tons violents, au milieu d'une nature silencieuse.
 
 
 
— 38 —
 
Nous nous trouvons brusquement plongés dans le passé,
en face de Tinanité des choses humaines, en rencontrant les
cranes blanchis et les os disperses d'un cimetiére indigéne tout
bouleversé par les chercheurs d'ornements d'argent. Aprés avoir
laissé derriére nous ce lúgubre spectacle nous pénétrons dans
une plaine magnifique oü nous aurions voulu trouver la laite-
rie qui compléterait ce tablean enchanteur. Les petits lacs de
Nompehuen et de Ñorquinco (planche VII, fig. 1 el 2) occupent
le centre, et les ruines du fortin avancé évoquent les mauvais
momenls passés. Ici flotta la banniére aimée, lors des pénibles
marches aux postes avances de nos soldats, accomplissant le
devoir sacre de défendre la patrie, sans préoccupation étrangére
a ce noble ideal. Ici sont les tombes de ceux qui furent trans-
percés par les lances des sauvages, dans leurs luttes de cent
contre un. Pauvre soldat! ton sacrifice anonyme n'a pas encoré
donné de résultat, et son souvenir en est déjá perdu
 
Nous campons au méme endroit oü la sous-commission ar-
gentino de démarcation s'est établie l'année derniére, et le len-
demain j'atteignis la Vallée de Reigolil oü se trouve Tétablis-
sement indigéne de Guranemo (planche VII, fig. 3); je visitai
la borne (1060 m.) placee ü la source des riviéres qui forment
le divorttum aquarum continental, auquel onarriveinsensiblement
cor la pente n'est pas de cinq pour mille depuis TAluminé.
 
La gorge est ininterrompue entre la plaine occidentale et
TAluminé; et difficilement on peut considérer ce parage comme
le dos d'ane andin, sans recourir a d'autres investiga ti ons. Ce
chemin de Reigolil se fait au grand galop sous des galeries
de roseaux et d'arbres fruitiers, et il est un des rares qui
puissent étre fréquentés, pendant l'hiver, jusqu'aux localités
de la vallée céntrale du Chili, Le puissant massif de Zolipulli,
qui se prolonge au nord-ouest, coupé par les eaux qui provien-
nentde la dépression oü Ton a érigé la borne -f ron tiére, parait
étre la continuation des montagnes neigeuses que j'avais aper-
cues depuis la moraine du lac Aluminé et depuis le lac Gua-
yetué. L'impression que je* regus de cette excursión est qu'il
est nécessaire de proceder á une étude tres détaillée de la con-
trée afin de pouvoir tracer avec sécurité, et d'accord avec la
lettre et l'esprit des traites, la ligne de frontiéres internationa-
les qui doit passer en cette región ou zones voisines: c'est un
nouvel et important argument de plus qui vient renforcer ma
conviction antérieure sur Tabsolue nécessité qu'il y a á efifectuer
une étude genérale en regle de la Gordillére des Andes, avant
de proceder á la démarcation en détail de la frontiére com-
 
 
 
— 39 —
 
muñe. Le lecleur ne s'étonnera pas de ce que souvent je re-
vienne h la question pendante de nos limites avec le Chili, s'il
se rappelle qu'elle a été ma constante préoccupation depuis
vingt-cinq ans, et qu'une des causes de mon voyage est d'aug-
menter mes connaissances genérales sur les Andes. La lagune
Pilhué, située non loin de la borne, est d'une beauté tranquille
indescriptible, dominée par les versants des collines couverts
de bois touffus jusqu'aux sommets. A Textrémité oriéntale se
dresse une gerbe de remarquables colonnes andésitiques caracté-
ristiques, qui augmente Fintérét de ce paysage, aujourd'hui so-
litaire, mais qui sera un des grands attraits de la región quand
le chemin de fer, actuellement en construction jusqu'á la jonc-
tion des rios Limay et Neuquen, arrivera á Temuco par la vallée
transversale de Reigolil. Les gens fatigues de la vie kaléidosco-
pique de Buenos Aires chercheront dans ees paysages merveil-
leux d'infaillibles calmants si notre gouvernement se préoccupe
de conserver ees «reserves» pour les convertir en «sanatorium»
naturels, disposant la colonisation de ees terres fiscales de ma-
niere h préserver ees belles foréts de la destruction. Le Cerro
Uriburu, manteau de lave noire táchete de jaune, rouge et lie de
vin, sur les bords du vieux cratére obstrué de scories, domine
tout Pensemble. Au nord se développent les belles gorges de
Nompehuen et de Rumeco oü méne le sentier qui conduit au
volcan Llaimas.
 
Nous abandonnons cette vallée, et cheminant á travers le
bois d'araucarias (planche VII, fig. 4) par des versants trans-
versaux escarpes, recouverts de blocs erratiques, nous laissons
á Touest la gorge de Coloco, au milieu de laquelle on a érigé
une seconde borne- frontiére, sur le col qui separe les eaux du
Pulmari de cellos qui vont alimenter un des nombreux tribu-
taires du Reigolil, et nous descendons la vallée du Rucachoroy,
moins pittoresque, mais aussi fertile et exploitable que celle du
Pulmari. Le temps nous manque de plus en plus, mais á me-
sure que nous avanQons et que nous reconnaissons la región,
elle éveille de plus en plus notre intérét et augmente notre
désir de la connaitre en détail; mais il nous est impossible de
nous arréter, car le programme est vaste, et je dois le remplir.
Avant d'arriver au lac Rucachoroy, nous escaladons de nouveau
le haut platean granitique, aussi recouvert de roches volcani-
ques, et nous atteignons, a la nuit tombante, la belle vallée de
Quillen, aux environs du lac de ce nom. J'espérais rencontrer
sur ses rives le campament de la 4™ sous-commission argen-
tine, et j'y réussis le jour suivant. II était établi á Tentrée du
 
 
 
— 40 —
 
bois, encadré dans un paysage idyllique. Ce coin de lac, en-
coré enveloppé d'une faible brume matinale, me rappela quel-
ques fusains d'Allongé: les jones paraissaient surgir du vide,
si profond était le calme des eaux, qui reflétaient le ciel; plus
loin, la haute futaie teignait en vert sombre les eaux couleur
de plomb, et ce n'est qu'au milieu du lac que celles-ci prenaient
une teinte bleu-ardoisé. Le Cerro Ponom étalait la curíense
décomposition de ses laves qui lui valurent sa dénomination
obscéne et au fond du tablean, le soleil levant illuminait le
magnifique volcan Lanin, aux formes symétriques, qui res-
semblait á ce moment á un fantastique cristal de rythrosou-
fre, plaque d'argent. Le Lanin est la montagne la plus carac-
téristique et dominante du Territoire du Neuquen, et c'était
pour moi une vieille connaissance que j'avais sous les yeux
depuis plusieurs jours déjá, car sa cime altiére commence fi se
révéler au voyageur depuis la chaine d'Aichol.
 
Dans le couraní de Taprés-midi, je quittai le campement de
la sous-commission, et traversant la vallée, nous nous établi-
mes á la nuit dans un lieu abrité du platean, prés des sources
du Picheleufu (1200 m.).
 
Le jour suivant, nous continuons par monts et par vaux,
traversant des gorges pittoresques et des coteaux fértiles et
boisés, et aprés avoir traversé le col granitique elevé de Hua-
huan (1500 m.), je me retrouvais encoré une fois dans le bois
d'araucarias qui recouvre le dépót glaciaire herbeux du sommet
du vieux platean granitique. Ce platean qui, comme un enorme
coin, separe les montagnes d'origine plus récente dont les chai-
nons paralléles sont si rapprochés les uns des autres, plus au
nord du Bio-Bio, et qui ont produit cette apparente solution de
continuité de la ligne des volcans de Toccident qui ont donné son
haut relief ix la Cordillére, est un fait orographique qui obli-
gera les personnes chargées de délimiter la frontiére á proceder
avec la plus grande précaution pour reconnaitre la véritable
ligne de división internationale.
 
J'ai dit que je me retrouvais, parce que c'est jusqu'ici que
je suis arrivé, en janvier 1876, lors de ma premiére excursión
dans la región andine patagonique. Du groupe d'araucarios qui
couronne la hauteur, j'emportai deux pignes comme souve-
nir, cette année-lá, regrettant ne pouvoir prendre encoré une
jeune plante qui se dressait alors au pied de ees géants-lá. Le
bourgeon rugueux de cette plante s'était déjá épanoui en une
large touffe rayonnée vert-émeraude étincellante sous la rosee
matinale, et c'était le méme paysage agreste dont je conserváis
 
 
 
— 41 —
 
le souvenir: le cóne blanchatre du Lanín au milieu des éclair-
cies du feuillage obscur des vieux de la forét, et la méme
humble source oü je me reposai avec mon bon compagnon,
le chef Nahuelpan (*) pour déjeúner avec des pignons et des
fraises (planche VIII). Lors de cette visite, les indigénes me
dirent que le sommet neigeux s'appelait Pillan ou Quetrupillan,
et je le décrivis ainsi; mais plus tard j'ai reconnu mon erreur.
Le Quetrupillan, «mon tagne tronquee», se trouve un peu plus h
Touest et n'est pas visible d'ici.
 
La riviére encaissée Pichi-Nahuelhuapi qui déverse ses
eaux dans TAluminé n'a pas droit á ce nom, quand méme
il lui est donné dans quelques cartes géographiques. II n'ap-
partient qu'á la lagune oü il prend sa source; la riviére est
anonyme, mais le passage scabreux et caché (750 m.) est dé-
nommé par les indiens Huahum.
 
Nous campómes, cet aprés-midi, dans la petite vallée de
Huahum (900 m.) que les indigénes appellent aussi Pilolil á
cause de quelques roches é cavités profondes situées sur la
rive gauche de l'Aluminé, oü la riviére débouche de a vallée.
Je découvris sur ce point des terrains sédimentaires, mais il
ne me fut pas possible d'en déterminer Táge, car le temps me
fit défaut pour rechercher des fossiles.
 
Le 27, de bonne heure, je m'engageais dans le pittoresque
chemin indigéne que j'avais parcouru si souvent auparavant,
et en peu d'heures, j'atteignis la pampa du Malleco ou Rio
Malleu, oü, á Pabri du promontoire andésitique de Pungechaf,
campait en 1876 la tribu de Ñancucheo.
 
C'est dans ce passage méme que j'eus, cette année-lá, con-
naissance de la grande invasión dans la province de Buenos
Aires, qu'avaient projetée les indiens soulevés par Namuncura
et Catriel, et c'est de lá que je résolus mon retour immédiat
pour Buenos Aires, afin d'avertir de ees préparatifs; un rude
galop de Caleufu jusqu'ó Carmen de las Flores me permit
de jeter le cri d'alarme, trois jours avant que ne s'eíTectuát la
terrible invasión qui desoía le sud de la province. De tout ce
campement il ne reste que des ossements carbonisés et les
pierres calcines des foyers, mais j'aurai toujours présent a la
mémoire les pittoresques groupes de tentes et les fétes de la
nubilité auxquelles j'assistai alors, et á l'évocation de tels sou-
venirs, je me veis me retournant et me roulant sur les coussins
 
 
 
(*) Fusillé en 1882 dans la plaine de Maipu, dans une de ees heures
sombres de cette époque de lutte oú Ton n'a pas toujours agi avec justice.
 
 
 
— 42 —
 
du grand toldo de Ñancucheo, le brave cacique de valeur pro-
verbiale, quand il regut la visite du marchand d'eau-de-vie, Ta-
raucan rusé qu¡ évoqua, en un discours de trois jours, toute
rhistoire de sa race, pour finir par recommander la liqueur
dégoútante qu'il vendait et qui Ta anéantie (*).
 
Je crois que toutes ees Ierres appartiennent encoré heureu-
sement á TEtat, qui doit les faire étudier par des hommes cons-
ciencieux, et les coloniser ensuite avec la cerlitude d'un succés
rapide et d'un bon revenu pour le trésor.
 
La large vallée du Malleco (730 m.) forme de vastes patu-
rages vers Toccident oü la riviére de ce nom recueille les eaux
de la lagune du Tromen (950 m.) située immédiatement au nord
du Lanin qui donne aussi naissance h des tributaires du Mal-
leco, et les separe de ceux du lac Huechu-Lafquen (830 m.),
situé sur son versant sud. Les collines voisines transversales
qui séparent la vallée du Malleco dans son cours supérieur, et
celle de Chimehuín, sont recouvertes d'herbes et de bois, mais
les pehuenes diminuent et disparaissent en arrivant au Chime-
huin supérieur. L'ancien chemin indigéne entre les campements
de Caleufu (cacique Shaihueque), Gollon-Cura (cacique Molfin-
queupu) et Pungechaf ou Malleco (cacique Ñancucheo) suit les
eaux de la riviére Palihué par la pampa de ce nom, et bientót
penetre dans les gorges qui communiquent avec la profonde
vallée du Gollon-Cura, traversant ainsi les chaines volcaniques
a Test du Ghimehuin, dont les sommets les plus visibles sont
celui de Tantán et celui de Los Perros; mais j'ai pris plus á
l'occident, entre le Tantán et le Gerro Trinque (1080 m.) jus-
qu'á tomber dans la belle vallée de Ghimehuin. A une époque
antérieure, toule la región a été recouverte par les glaciers, á
en juger par les detritus qui jonchent le sol. A midi, nous
fimes notre entréeá Junin de los Andes (750 m.), situé h Tan-
gió formé par le rio, modifiunt la direction qu'il suivait de-
puis son point de départ au débouché du lac Huechu-Lafquen,
pour contourner la basse chaine oriéntale, et dévier au pied du
Gerro del Perro vers le rio Gollon-Gura. II y a plusieurs années
que j'ai fait la connaissance de cette belle plaine, pendant des
chasses aux autruches avec Ñancucheo et son hóte le cacique
Quinchauala, et par conséquent je n'ignorais point quel beau
centre d'activité elle pourrait devenir un jour, une fois le nó-
made soumis ou délogé; je ne fus done pas trop surpris de me
 
 
 
(*) Viaje á la Palagonia Selentrional, Buenos Aires, 1879.
 
 
 
— 43 —
 
trouver au milieu d'un noyau de population de véritable importan-
ce. La localité compte 500 habitants, et ses rúes édifiées entourent
le fortín deja en ruines (planche III, fig. 2); mais comme tou-
jours, ees hardis colonisateurs dignes d'étre aidés par la na-
tion étaient tous des intrus. Je calculai, dans Taprés-midi, que
le capital visible des maisons de commerce dépassait 200000
piastres; il y a des édifices qui coülérent 15000 piastres; et
tout cela dépend de la bonne ou mauvaise volonté du propie-
taire privilegié qui fixa á cet endroit une concession de trente-
deux lieues, en vertu d'une de ees incrovables résolutions de
nos hommes d'état, qui sont le résultat de Tindifférence gené-
rale. Pourquoi n'avoir pas imité dans nos reconnaissances le
long de la frontiére, les soldats de la conquéte qui fondérent
des localités Ih oü ils établirenl leurs campements? Des lots
de terrain que les propiétaires de Junin ont acquis h moins
d'une piastre l'hectare, se sont déjá vendus á plus de quatre
cents piastres, d'aprés des renseignements qui m'ont été com-
muniqués aprés ma visite.
 
 
 
IV
 
 
 
DE JUNIN DE LOS ANDES A NAHUEL-HUAPI
 
 
 
A Junin de los Andes, je rencontrai Wolff et Hauthal. Le
premier avait commencé á déterminer la position astronomique
de la place publique, travail indispensable pour les investiga-
tions que j'avais ordonnées, et qui devaient s'étendre principa-
lement au sud du 40*^ de latitude. Ces observations et les sui-
vantes, effectuées par WolíT et Zwilgmeyer, donnérent comme
longitude pour Junin: 71^7' ouest de Greenwich, et 39*^57' 2"
de latitude sud.
 
Le 28, nous nous dirigeámes tous vers le lac Lacar. Nous
¡ cótoyons le Ghimehin, et suivons la large vallée au milieu de
 
f laquelle la riviére décrit son cours sinueux et se ramifie en
 
] canaux dont les mailles serrées forment des iles pittoresques.
 
' Les collines sont formées de gres et de conglomérats recouverts
 
^ de tufs, sur lesquels s'élend, en certains endroits, une couche
 
d'humus considerable. Les pommiers chargés de fruits encoré
J verts, mais déjá mangeables, nous procurérent un repos agréa-
 
; ble, au milieu d'une journée de forte chaleur et avec un ciel
 
sans nuages. Nous traversons la riviére Carhué qui sort d'un
petit lac situé á l'ouest, parmi les premieres chaines peu accen-
tuées, puis longeant la base de l'ancienne rive escarpée de la
riviére nous rencontrons peu de temps aprés son pittoresque
affluent, le Rio Quilquihué. Le jour clairet Tatmosphére trans-
parente me permirent de distinguer, depuis la hauteur, ft
 
 
 
— 45 —
 
Tombre des pommiers, le détail des bois, des canaux naturels
et des plantations dorées des rives du Chimehuin, joyau ignoré
de la región andine. Le grand platean qui s'étend au sud, íi
Touest el an nord-onest a une physionomie glaciaire des plus
accentuées, et me rappelle avec ses moraines la plaine que j'ai
apercue en 1880 £i Touest de Quelajaguetre, sur TafAuent nord
principal du Chubut, ici representé par le Rio Chimehuin. La
dépression de Farriére plan, que nous avions á Touest, et oü
nous devions rencontrer dans le courant de l'aprés-midi la vallée
de Maipu et, a son extrémité, le lac Lacar, correspond á la
vallée d'Epuyen du Sud.
 
Le Quilquihué coule sur le platean dans Tondulation for-
mée par le large cours d'eau qui a precede la riviére actuelle,
et qui est limitée au nord par des coteaux morainiques plus ou
moins eleves et étendus, recouverts de páturages, et, dans ses
dépressions, de bosquets qui accentuent davantage le caractére
glaciaire. Al Thorizon, un peu á Touest, nous apercevions la
dépression occupée par le lac Lolog, á Textrémité duquel débou-
che la riviére qui né recjoit du nord aucun affluent d'impor-
tance, dépression allongée formée á Test par des coteaux, puis
par des monlagnes peu élevées d'abord, mais dont Taltitude va
en augmentant vers l'ouest jusqu'aux contreforts de l'axe lon-
gitudinal andin érodé.
 
Nous traversons le Quilquihué en un point oü il descend
de Touest-nord-ouest, et peu de tenips aprés, nous commen-
?ons a nous rendre compte que la plaine glaciaire, á peine
élevée de quelques dix métres au-dessus du rio, dans sa partie
la plus accentuée, forme un intéressant exemple du fameux
divorUitm aquarum continental.
 
Ce point est digne d'attention, et je m'y arréte quelques
heures. La plaine est, comme je Tai dit, d'origine glaciaire, el
je la considere comme exclusivement formée par une moraine
secondaire dans une des extensions des glaciers qui occupó-
rent Templacement du lac Lolog et de la vallée de Maipu. Les
empiétements et les retraites successifs des glaciers, et leur
développement plus ou moins important, par suite de cause lo-
cales, ont modifié plusieurs fois les dépóts qu'ils laissérent
dans leurs mouvements, et les derniers de ceux-ci ont produit
le phénoméne cité. Si du chemin que nous prenons, nous
faisions un petit détour de 300 métres vers Torient nous trou-
verions une petite dépression transversale, á peine sensible á
Touest, mais limitée á Test par des coteaux qui forment une
moraine secondaire frontale. Au milieu de cette dépression ho-
 
 
 
— 46 —
 
rizontale occupée par un vert mállin ou sources, il y a quel-
ques petits monticules ou dunes qui occupent á peine vingt
métres carrés, et dont la plus grande élévalion n'atteint pas un
métre. Nous choisimes, avec Hauthal, ce parage (800 m.) pour
notre objet qui était de déterminer le point oíi s'opére la divi-
sión des eaux, et nous vimes qu'elles se confondent au-des-
sous de ce monticule. De lá nous nous dirigeámes au Quil-
quihué, suivant d'abord les eaux souterraines qui se révé-
laient, ó mesure que nous avancions, par rhumidité progres-
sive du sol, jusqu'á ce qu'elles jaillissent et aillent se jeler
au fleuve, et efifectuant ensuite la méme observation avec les
parages humides opposés. II aurait fallu disposer de niveaux
de precisión pour reconnaitre la dififérence exacte de niveau entre
le Rio Quilquihué et les eaux qui descendent au Pacifique; mais
des maintenant, je crois pouvoir affirmer qu'une vingtaine d'ou-
vriers pourraient, en vingt-quatre heures, détourner le cours du
Quilquihué, et déverser toutes ses eauxdans la plaine de Maipu.
II suffit de remuer un peu de boue et de sable, et rien de
plus (planche IX, fig. 1).
 
M. le Dr. Osear de Fischer, qui a passé par ici en 1894,
dit qu'il est complétement inexact que le Paso de Chapelco,
nom qu'il donne á ce point, et qui appartient á toute la zone
de plus de dix kilométres que la plaine glaciaire présente en
largeur, soit situé á l'orient des Andes, car il prétend que les
élévations qui se trouvent á Torient, comme le Cerro del
Perro, etc., doivent étre considéreos comme des contreforts de
la Gordillére des Andes. Les observations qu'a pu faire M.
Fischer, dans la petite zone qu'il a visitée, ne lui permettent
pas de soutenir une pareille thése, et quand ses connaissances
se compléteront sur ce point, il se convaincra qu'il a soutenu
une erreur. II n'est pas davantage admissible que cette «loma»
(colline), comme il appelle cette plaine, — laquelle, si elle parait
une colline vue de Maipu, ne l'est pas depuis le Quilquihué —
relie les extrémités de deux chainons: celui de Chapelco au
sud du lac Lacar et celui de Huahum au nord de ce réceptacle.
Le prétendu chaínon de Chapelco forme un massif separé des
chainons de l'occident qui se voient au sud-ouest et ái Touest
du lac, et il est situé h Test et au sud-ouest de celui-ci; il
en est de méme des collines et montagnes qui séparent la
vallée de Maipu et le lac Lacar du lac Lolog. Le lac Lolog se
trouve ó 890 métres au-dessus de la mer, c'est-á-dire qu'il est
plus élévé que la plaine ou «loma» dont la hauteur dans sa
dépression céntrale est de 800 métres. La carte qui accom-
 
 
 
— 47 —
 
pagne ees Notes peut donner une idee cloire des conditions oro-
graphiques de cette zone si intéressante. Mon opinión est que
Ics-lacs Huechu-Lafquen, Lolog et Lacar sont des bras d'un
grand lac qui occupait tout ce qui, aujourd'hui, s'appelle Vallée
de Chimehuin.
 
Aprós avoir traversé ce platean, on descend á l'ouest dans
la plaine de Chapaleo cu Maipu; la riviére Chapelco descend de
rorient parmi les moraines et a ses sources un peu plus au
nord-est du point culminant de ce massif volcanique (2180 m.).
La vallée qu'a laissé le grand lac qui remplissait autrefois
cette dépression aujourd'hui transformée en un si beau verger,
et qui se dessécha quand les eaux s'ouvrirent un passage á
1' Deciden t á travers les roches de Tenchainement andin princi-
pal, est étendue et utile á Tagriculture sur toute sa surface.
J'ignore si les domaines des concessionnaires de Junin de los
Andes s'étendent jusque lá, et si les colonisateurs actuéis pos-
sédent des titres de propriété; mais s'ils n'en ont pas et que
cette terre appartienne encoré á l'Etat, celui-ci doit profiter,
le plus tót possible, de ce délicieux morceau de terre, en le
colonisant. La situation abritée permet une culture facile; et
les Ierres voisines peu ven t étre exploitées pour Télevage des
bestiaux, de maniere que tout favoriserait le "développement
d'une colonie agrícola pastorale prés de Junin de los Andes
et de Valdivia.
 
Les rochers des montagnes du sud sont surtout formes de
gneiss et de granit, couronnés par des roches néoplutoniques,
et elles oíTrent des paysages variés par suite de la décomposi-
tion du granit. Des ruisseaux descendent des hauteurs, formant
de jolies cascadas au milieu des eyprés élancés, et le^ bois
devient plus touffu sur les versants. Nous dépassons le vieux
fortin Maipu, aujourd'hui inutile, situé sur les bords de la
riviére Loncohuchum, Calbuco ou Huechehuehum, autant de
noms que porte la gaie riviére; nous descendons á la seconde
dépression, et au milieu des bois et de la flore la plus variée,
nous atteignons les rancherías (cabanas) du cacique Curuhuinca.
 
Je n'avais pas connu Curuhuinca pendant mes visites de 1876
et de 1886. Lors de la premiére, il se trouvait sur le territoire
chillen; et á la seconde, ami des chrétiens comme il Tétait, il
n'avait pas voulu assister au parlement de Quemquemtreu oü
on me jugea comme ennemi des Mapuches. La ranchería élait
en apparence deserte, mais dans les huttes et sous la ramee du
chef il y avait grand mouvement. Les vieilles femmes chan-
taient en ronde, et quelques jeunes gens groupés á l'entrée se
 
 
 
— 48 —
 
montraient inquiets de la caravane qui approchait. La cause de
cette agitation était le grave état de Curuhuinca, si grave
qu'on me dit que je ne pourrais pas le voir. Cependant je péné-
trai dans son rancho-toldo (cabane-tente). L'énorme cacique était
couché sur le sol, entouré de sa famille et gémissait continuelle-
ment; mais peu de paroles suffirent ix le réanimer. Les vieux
se demandaient: Qui est cet homme qui penetre ainsi dans
la maison et parle de cette maniere au chef bien-aimé, le con-
solant dans la pénible crise qu'ils croyaient mortelle? L'air
pleureur, gémissant de cette masse, avec des modulations d'en-
fant, était affligeant. Avant de lui diré qui j'étais, je m'informai
de sa maladie. II s'agissait simplement d'une terrible indiges-
tión de vesces qui durait dejó depuis trois jours, et jeunes et
vieux, femmes de tout age, s'insinuant entre les objets de toute
nature: peaux, toiles et paniers suspendus au plafond, qui
obscurcissaient cet antre peu agréable ¿ Todorat, écoutaient
avec attention le médecin inattendu; leur surprise augmenta
quand ils surent que cet étranger n'était rien moins que Thomme
que fit prisonnier Shaihueque, et qui s'échappa sans qu'on n*ait
jamáis su comment. Le nom de Moreno était accompagné des
ah! des jeunes et des vieux, et Curuhuinca, au milieu de vomis-
sements et de contorsions, trouva les forces pour mediré qu'il
s'élait opposé á ce que la terrible sentence du cacique Chacayal
s'accomplit.
 
Shaihueque et Ñancucheo m'avaient dit plus d'une fois qu'au
pied de la Cordillére, au passage du Ghili, il y avait des caci-
ques qui rultivaient la ierre et que Tun d'eux était Curuhuinca.
Les familles indigénes groupées autour de lui cultivent la
terre: les bles enclos que nous apercevions témoignent de leur
activité; en outre, les femmes tissent, et avec toutes les ressour-
ces de cette humble ruche, ils commercent avec Junin de los
Andes et Valdivia. J'appris que tous les légumes qui se con-
sommaient ó Junin provenaient des cultures des habitants de
Curuhuinca, des champs de Trompul et de Pucará, prés du
lac Lacar, situé h quelques deux cents métres des ranchos, et
sur la rive duquel nous établissons un campement sous un
bois de pommiers centenaires, aprés avoir administré au maitre
de céans une bonne dose de sel Epsom. J'avais accompli ce
jour-líi un des objets de mon voyage.
 
Je ne pus jouir que quelques heures du tranquille paysage
du Lacar (650 m., planche IX, fíg. 2). Je dus employer tout
le bel opres-midi a préparer les inslructions relatives aux opé-
rations que devaient effectuer WolíT, Zwilgmeyer et Hauthal au
 
 
 
— 49 —
 
sud, et a recevoir la visite des indiens, dont la conversation
roula principalement sur les mouvements — pour eux surnatu-
rels— d'uii vieux troiic de cyprés, a moitié flottant depuis un
temps immémorial prés du rivage du lac, lequel devait, d'aprés
les naífs indigénes, incarner quelque esprit malin qui «faitpal-
piter violemment le coeur», et dont il fut peu aisé de leur faire
comprendre les mouvements giratoires mystérieux.
 
Dans la matinée du 29, je retournai en arriére pour attein-
dre le Rio Collon-Gura. Curuhuinca était deja complétement ré-
tabli de sa maladie, et sa bonne volonté nous était acquise
pour que mes compngnons obtinssent facilement des guides
(vaquéanos) et des aides. Bien que les indiens pénétrent peu
dans les foréts, je ne pouvais compter sur d'autres éléments,
et d'un autre cóté, je savais, par les récits des vieillards qu'il
a existe autrefois un sentier qui conduisait du lac Lacar au
Nahuel-Huapi, traversant Touest du massif isolé de Chapelco
et des volcans qui bordent de tufs le Limay de ce cóté; les
aides de Curuhuinca pourraient chercher ce sentier qui facili-
terait singulierement les travaux que je preparáis.
 
Depuis le campement du Manzanal, il n'est pas possible de
se faire une idee exacte du lac Lacar, mais, toutes proportions
gardées, Taspect general ofifre une certaine ressemblance avec
celui du lac des Quatre-Cantons (planche X).
 
Entre la surface morainique de la plaine au nord du Cha-
peleo et les eaux du Lacar. on observe trois échelons bien
marqués qui indiquent le changement de niveau du lac á une
hauteur de 140 métres. Je grimpai de nouveau sur cette mo-
raine, et longeant la rivé droite du fleuve Quilquihué qui re-
<;oit un tributaire provenant de la montagne de Chapelco, je
traversai la plaine pierreuse qui s'étend toujours a l'extrémité
des ondulations glaciaires.
 
Depuis la contiuence du Quilquihué et du Chimehuin (690
métres), le chemin continué á Torient par la vallée moderne,
et aprés avoir dépassé la montagne volcanique du Perro qui
surplombe a Pangle nord-est ce point de jonction, on penetre
complétement dans la región caractéristique des plateaux pata-
goniques formes par des gres et des detritus volcaniques en con-
ches horizontales de coloration agréable a la vue, qui égaient
le paysage monotone.
 
M. Fischer dit que «la vallée du Chimehuin est limitée a
Torient par un chainon de hauteur considerable couronné par
la coupole caractéristique du Cerro del Perro», et ajoute que
c(ce chainon qui se détache de la Cordillére au nord du Huechu-
 
4
 
 
 
— 50 —
 
Lafquen, doit, selon son opinión, étre encoré consideré comme
un contrefort de la Cordillére des Andes». Rien de plus erroné
que cette affirmation. II n'y a pas de chainon qui se détache
ainsi de la Cordillére, je puis Taffirmer, puisque j'ai traverso
la región située au nord du Chimehuin, et je n'ai rien trouvé
qui ressemblát á un chainon. Les collines qui limitent á Torient
la large vallée du Chimehuin, qui n'est pas non plus «encaissée»
entre des montagnes, comme le dit plus loin M. Fischer, sont
paralléles aux Andes; et le cerro volcanique du Perro, qui
n'atteint pas une hauteur si considerable, est une montagne
tout á fait indépendante de la Cordillére (planche XI). Des
erreurs et des confusions, comme celles que Ton rencontre
trop fréquemment dans la relation de M. Fischer, dont le texte
n'est pas toujours d'accord avec la carte qui Taccompagne,
égarent le jugement de ceux qui s'occupent de Torographie
andine et engendrent des doutes préjudiciables. Soutenir que
Junin de los Andes est situé íi l'intérieur de la Cordillére équi-
vaut a affirmer que Osorno est au ccpur des Andes. L'énorme
amplitude latérale á l'orient qu'attribue a cette cordillére, dans
sa relation et sur sa carte, le savant explorateur danois au
service du Chili, ne correspond nullement íi la vérité orogra-
phique, comme il me sera facile de le démontrer avec plus de
développement dans une autre occasion.
 
Toute la región que j'ai traversée, ce jour-ci, n'oflfre aucune
difficulté á la construction d'un chemin de fer, et ce que j'ai
vu et observé depuis le Malleu jusqu"au Collon-Cura, oú nous
arrivons vers le soir, confirme de plus en plus ma croyance
que la ligne ferrée la plus utile et la plus facile á établir entre
TAtlantique et le Pacifique, dans la región du Sud, sera celle
du port San Antonio a Junin de los Andes et Valdivia. Je
reviendrai sur ce point plus loin.
 
L'estancia Ahlenfeld (560 m.) est située prés du Rio Collon-
Cura sur rancien chemin indigéne, et j'y passai la nuit, par-
laitement accueilli par son propriétaire.
 
Schiorbeck, Soot et Roth s'étaient déjá diriges á Caleufu
pour m'y attendre, et le jour suivant j'allai les y rejoindre.
 
La large vallée du Collon-Cura est aujourd'hui moins
peuplée qu'il y a vingt ans, quand les tribus indiennes de
Molfinqueupu y avaient établi leurs toldeiias, mais il faut es-
pérer que ses propiétaires actuéis ne laisseront pas dans un
le) abandon un si beau morceau de terrain. Le fortin Sharples
est en ruines, abandonné, ayant terminé sa mission. Un sou-
vcnir á mon pauvre cousin Anselme Sharples, soldat par vo-
 
 
 
— 51 —
 
catión, mort en remplissant son devoir, et nous continuons
notre route. La formation caractéristique de cette región se
révélait dans les conches mises h nu des versants érodés des
ravins: les laves basaltiques alternent avec les tufs qui re-
célent une faune perdue des plus intéressantes, dont M. Roth
a réuni plus tard un bon nombre de représentants; le toul
recouvert de débris glaciaires. Les laves proviennent des volcans
du nord-est entre le Limay et le Col Ion-Cura, a Touest du massif
granitique que borde le Limay dans cette direction. Dans le
voisinage se trouve la pierre qui a donné le nom au parage
et ce dernier au Rio Collon-Cura, «masque de pierre», environnée,
lors de ma retraite de 1876, par les tolderías des fréres Praillan
et Llofquen. C'est sur ce point que je dus terminer ce voyage-
la, arrétó par la tribu ivre et hostile.
 
Je ne voulus pas manquer de visiter le siége des conseils
de guerre ou Aucantrahum, termines pour toujours. J'y avais
assisté deux fois, et la derniére dans de tres mauvaises cir-
constances. Le grand cercle, débarrassó d'arbustes, tracé par
les mille évolutions de la tactique indigéne durant au moins
un siécle dans ce lieu traditionnel, commen^ait á s'effacer,
mais mes impressions étaient encoré fraiches, et il me fut fa-
cile de remonter seize années en arriére. Mais les incertitudes
ont passé, et mes prophéties, qui me servirent de cuirasse en
ees moments pénibles oü le plus prudent était de paraitre
brave et de faire bonne minea mauvaisjeu, se sont accomplies.
Presque tous les vieux caciques qui m'entourérent dans cecon-
seil ont disparu; je crois qu'il ne survit que Shaihueque que
j'espére rencontrer bientót, loin de «ses champs», et «fixé» sur
les lots que j'ai obtenus pour lui et ses tribus, prés de Tecka,
le «champ» du bon cacique Inacayal déjá décédé. Quemquem-
treu, ainsi s'appelle Tendroit et la riviére voisine du plateau
des «Conseils» sera, sans aucun doute, un centre de population
une fois qu'on colonisera la vallée du Collon-Cura, et une
station du chemin de fer qui doit passer par ici au Chili.
 
Tantót cótoyant le íleuve, tantót traversant les plateaux et
les cañadones (vallées encaissées), sur les versants desquels
on voit des blocs erratiques de grande dimensión et d'épaisses
conches de cailloux roulés, comme si ees fragments eussent
été transportes par des glaces flottantes quand le plateau était
un grand lac, nous arrivons á Caleufu.
 
Le Collon-Cura a rongé les masses de gneiss-granit qui pa-
raissent former lá la base des plateaux recouverts ensuite par
des tufs el des roches néovolcaniques. La chaine de Torient,
 
 
 
— 52 —
 
Moncol-Mohuido, parait étre aussi volcanique, et le Gollon-Cura,
dans cetle región, coule a ses pieds. Je traversai le Caleufu
prés de sa confluence avec le Collon-Cura, et peu aprés, je
campai dans le méme site oii j'avais dressé ma tente en 1876
et en 1880 (planche XH). Les toUerias de Shaihueque n'avaient
laissé que des cendres d'os et les cercles de pierre ot de terre
brülée des foyers (540 m.). Par contre, en ce moment, passait
un grand Iroupeau de bestiaux qui, du Nahuel-Huapi, se diri-
geait & Victoria (Chili). La oü autrefois s'élevaient les toldos, on
a installé deux bergeries et une pulpería (un débit).
 
La vallée de Caleufu sera un centre important d'élevage et
d'agriculture, car ees terres peuvent s'arroser facilement, et la
vallée est assez large pour étre exploitée avec profit. Ses col-
lines voisines sont couvertes de paturages.
 
Le 2 et le 3 mars, j'organisai les expéditions de Wolff, Soot,
Hauthal et Roth qui devaient opérer entre Junin de los Andes
et Nahuel-Huapi, et comme une compensation des mauvais
moments passés, je refis, pendant le jour, le chemin que j'avais
parcouru, dans la nuit du 11 fevrier 1880, quand, avec mes
fidéles serviteurs le soldat José Melgarejo et Tindien Gavino,
nous nous enfuimes du campement indien, et je pus aperce-
voir a la lumiére du jour le premier rapide lateral oü nous
essuyámes notre premier échec avec notre radeau primitif.
 
Ces souvenirs sont agréables quand la comparaison du
passé avec le présent est á Tavantage de ce dernier. Cependant,
je deis ravouer, j'espérais trouver plus de progrés en ces para-
ges; mais comment Tobtenir, quand la terre, entre Junin de
los Andes et Caleufu, n'a que deux propiétaires et que la popu-
lation n'atteint pas á un homme pour cent kilométres?
 
Le 4, nous passons par Yalaleicura, tout prés de la pierre
mystérieuse que vénéraient tant les indigénes, simple conglomé-
rat détaché du versant du platean et qui domine la profonde
vallée de la riviére de ce nom. Nous rencontrons quelques pe-
titeschaumiéres abandonnées et brülées par leurs constructeurs,
les émigrants chiliens. Nous marchons d'abord par les gorges,
laissant a gauche le chemin qui va jusqu'fi la confluence du
Collon-Cura el du Limay, qui sera celui du chemin de fer. Les
plateaux appartiennent au type general, recouverts de débris de
Tépaisse conche de conglomérats qui couvre les gres et les
vieux tufs; mais en face de Yalaleicura se présente une muraille
pittoresque de basalte formant une croupe peu accentuée, et
parait correspondre á une expansión lócale de lave sous-lacustre.
Les champs deviennent plus mauvais; ils sont trop pierreux
 
 
 
— 53 —
 
et exposés aux vents, mais les versants des collines, dans les
environs des gorges et des vallées, sont riches en herbages et
en soupces. On aperroit dans les dépressions des roches
l)olies, comme si elles Teussent été par les glaces pendant la
. seconde période glaciaire, mais je n'ai pas observé de stries:
peut-ótre ont-elles été effacées par les eaux qui formérent le
lorrent poslérieur, déjá presque tari.
 
La végétation antérieure a dú étre puissante, exhubérante,
car on npercoit des couches d'humus de cinq metres d'épaisseur.
Le conglomérat est composé principalement de granit, de tra-
chite et d'andésile. Le vieux cratére qui produisit les laves
sous-lacustres, est bas, denudé et ses laves oíTrent une pente
douce; depuis son sommet on jouit d'une vue étendue du grand
plateau general. Au nord, il commence a la base extreme des
cliaines de Gatalin; ¿i Touest, il est limité d'abord par le massif
de Chapelco, puis par le versant oriental d'un chainon appa-
rent, volcanique, a en juger par la couleur et son type orogra-
phique; á Torient par les chaines de Moncol, puis par les roches
néovolcaniques qui dominent le cours du Limay sur sa rive
(Iroite.
 
Le 5, a midi, nous descendons vers la vallée du Rio Limay,
large de trois kilométres en ce lieu, déj¿ occupée par des enclos
(le bestiaux. Le grand fleuve coule au milieu de vertes prairies
((ui se resserrent, íi mesure que nous nous dirigeons au sud,
jusqu'á former les défilés qu'oflfrent les premiers rapides. Líi,
la chaine apparemment volcanique, que nous avions a Touest,
traverse le fleuve et reconvine de ses laves et tufs le plateau des
([ue Ton a dépassé Chacabuco Viejo, nom du fortin qui s'éle-
vait á Tendroit nommé aupara vant Tran Mazanageyu (630 m.).
Aprés avoir dépassé le premier défilé, j'observe de nouveau du
granit recouvert d'une roche néovolcanique rose-clair, et a
Torient, de Tautre cóté du fleuve, je crois remarquer que la
roche, qui est d'aspect volcanique probablement porphyrique
et de tufs porphyriques, est recouverte par des gres et des tufs,
et ceux-ci, ó leur tour, par du basalte plus moderne. L'absence
de grands blocs erraliques me fait supposer que le Limay a
formé la son lit a une époque postérieure aux glaciers des
vallées.
 
Dans le second défilé, aprés avoir dépassé le Pichi-Limay,
je trouve des pierres polies et des concavités circulaires dans les
roches, formées par des eaux qui passérent au-dessus, ce qui
confirme ma croyance du caractére moderne de la fissure par
oü court actuellement le Limay. De lá on domine les rapides
 
 
 
— 54 —
 
oü fit naufrage le hardi explorateur chilien Guiliaume Gox. II
me semble que ees rapides sont formes de roes détachés, peut-
étre de blocs erratiques transportes par les glaQons dans le lac
de la seconde période des glaciers, avant que les eaux ne se
soient métamorphosées en un fleuve.
 
Le paysage du Limay, a cette hauteur, est tres beau et at-
Irayant malgré les tonalités obscures des roches volcaniques:
le vert profond des cyprés, les eaux azurées, les crétes blancha-
tres des avalanches liquides sur les rapides, et les petites
oascades qu¡ tombent sur des rideaux de mousses et de fougé-
res rendent agréable la marche vers le Tra ful, principal a ffluent
du Limay au sud du Collon-Gura (660 m.). Ge fleuve, qui coule
sur un lit de golets, forme, avec sa vallée encaissée, un coude
pittoresque. Son passage a la renommée d'étre dangereux; j'ai
e\i la bonne fortune de le trouver clément les trois fois queje
Tai traversa h de grands intervalles (planche XIII). Les curieu-
ses formes que prennent les tufs par la décomposition et Téro-
sion varient á Tinfini. Quelle profusión de tourelles, d'aiguille?^
gothiques, de pyramides égyptiennes, de coupoles romaines
nu-dessus et au pied de ees enormes murailles a pie!
 
Aprés avoir tra versé un défilé si étroit qu'avec une claie
d'un métre on peut fermer le passage des troupeaux de dizaines
de lieues, nous établissons notre campement dans un bas-fond
obrité au pied de vieux cyprés et dominé par ees tours et ees
pyramides. Rien de plus hardi qu'un enorme monolithe, gigan-
tcsque obélisque de quatre métres de base sur cinquante de
haut (planche XIV). Les roches stratifiées, sur lesquelles repo-
sont les laves et les tufs, sont horizontales, et sans aucun doule
les mouvements séismiques ne sont guére violent dans cette
región quand les tufs se permetlent de telles hardiesses. Ges
derniers ne sont pas toujours degrain fin et souvent on observe
de véritables conglomérats volcaniques. Le jour suivant, nous
oontinuons a suivre la rive gauche du Limay, et, á midi, nous
sortons des défilés pour pénétrer dans une región oü la vallée,
qui s'élargit toujours dominée par le vieux tuf porphyrique,
présente de faibles ondulations; nous apereevons quelques
«tablissements sur la rive opposée; nous dépassons une belle
moraine frontale qui ferma autrefois la vallée et dans les
<lépressions de laquelle le fleuve a tracé son cours tortueux et
nous gagnames la large et grande vallée, reste du lac Nahuel-
Huapi qui se retire. Gette vallée oü, tout prés du lac, est situé
le fortín Ghacabuco (770 m.) ou plutót ses ruines, au pied de
mon tagnes volcaniques abruptes, devrait étre deja loute peuplée.
 
 
 
— 55 —
 
Cependant, nous n'y voyons que quelques juments sauvages,
des enclos et des maisons qui furent abandonnées quand se
retirérent les forces nationales. Je crois que ees Ierres sont
encoré fiscales, fort heureusement, et le gouvernement qui faci-
lilerait sa colonisation immédiate ferait une ceuvre patriotique.
A la nuit, nous arrivons á Testancia de M. Jean Jones
(820 m.)» située dans la vieille vallée morainique du lac, pro-
tégée par les bois et entourée de tres belles prairies. Les an¡-
maux de race font plaisir fi voir (planche XV, fig. 1).
 
 
 
V
 
 
 
NAHUEL-HUAPI
 
 
 
Les énergiques habitonts de cette localité industrieuse nous
firent bon accueil, et, avec leur consentemenl, je résolus d'y
élablir un campement de reserve pour les seclions du Musée
qui travailleiit dans cette zone. C'est sur ce point qu'en 1876
le cacique Inacayal avait ses tolderías; mais quand je visitai le
lac, cette année-la, Shaihueque ne me permit pas de m'appro-
cher de la toldería de Tequel-Malal, comme s'appelait alors ce
parage.
 
Le jour suivant, je me dirigeai vers la péainsule de Touest
a la recherche d'une proéminence d'oü j'eusse pu dominer le
grand lac et ses bras andins queje n'avais pas vus aupara vant.
Ce plateau est un paysage glaciaire typique extrémement fertile;
les grands blocs de graiiit se dressent dans les ondulations des
moraines au-dessus des splendides IVaisiers qui procurent á notre
palais d'agréables moments. Les moraines ont une élévalion
de cent métres au-dessus du lac, et paraissent se prolonger
en lignes paralléles de Touest-nord-ouest a l'est-sud-est magné-
tique; les plus élevées sont les plus rapprochées du lac.
 
Le granit predomine; on remarque des blocs de cent qua-
tre vingts métres cubes, une roche porphyrique et des trachytes
verdátres et rouge-sombre. Le rocher elevé, sur lequel je
grimpai pour dominer le lac, est de porphyre ou plutót d'un
granit porphyrique, le granit moderne de Stelzner. Sur ce
 
 
 
— 57 —
 
rocher, on observe clairement ie iit du glacier qui couvrit
le lac: de profondes crevasses laterales arrondies lui donnent
Taspect caractéristique de dos de baleine; les stries et les rai-
nures polies se conservent bien. Ce promontoire est situé ix
trois cents métres audessus du lac, et de lü on domine le
paysage morainique de la vallée oriéntale et une vaste étendue
du lac avec ses quatre iles et les pittoresques bras occidentaux;
sur toute la rive, aussi loin qu'atteint la vue, une ceinture
d'arbres, oú domiaent les cyprés, separe du lac la moraine
ondulée.
 
La Gordillére neigeuse, enorme, dentelée et arrondie, d'nprés
la constitution róchense de ses sommets, forme comme un
rideau sur la face ouest et sud-ouest; au nord, les bois ca-
chent les roches abruptes néovolcaniques. On voit que les
blocs de granit proviennent des chainas de Touest et du sud-
ouest, et pour arriver jusqu'au point oíi je les observe, ils ont
dü passer sur la partie du grand lac recouverte par le glacier
aujourd'hui disparu. Dans cette región, le glacier le plus rap-
proché est celui du Tronador, aux sources du Rio Frió; mais
on n'apergoit pas le géant neigeux dont la présence est revelé,
malgré la distance considerable, par des coups de tonnerre
rauques et profonds produits par la chute de la glace.
 
Je ne puis entrer maintenant dans une description de cette
partie du lac; elle se fera en son lemps, renvoyant aux photo-
graphies qui accompagnent ees Notes. Je retourne a Testancia
de Jones. II parait que, si elle produit du ble, la terre a bien
vite besoin d'engrais; mais les pommes de terre, les pois, les
féves, les oignons donnent d'abondantes recoltas.
 
Les colons du lieu sont alarmes: une bande de maraudeurs
chiliens est en train de commettre des brigandages; deuxjours
avant notre arrivée, ils ont assassiné un habitant, et plus
tard un de ceux de la méme bande pour lui voler les bottes
quMl avait prisas á sa victime. Cette partie de notre territoire
est complétement abandonnée. II est impossible qu'avec le per-
sonnel restreint dont il dispose, le gouverneur du Neuquen
puisse surveiller tout le territoire, et il serait a souhaiter que
le Ministre de la Guerre resolút d'envoyer a Nahuel-Huapi un
corps de ligne qui pourrait étre le noyau d'une colonie mili-
taire tres utile. Transportez líi la colonie «Sargento Cabral» si-
-tuée dans les «mauvaises Ierres» de Catalin.
 
Le 8, de bonne heure, nous traversons le Limay dans le
canot de Mr. Jones, en face de Testancia de Gabriel Zavaleta.
 
Le fleuve coule au milieu de la moraine tres abrupte et le
 
 
 
— 58 —
 
parage serait excellent pour y construiré un pont. A midi,
j'arrivais au campement Schiorbeck dirige par M. Bernichan
et situé au pied du ravin oíi, en 1880, j'établis mon campe-
ment dans ia hutte abandonnée de Tindien valdivien Guaito.
Les poules caquetaient el l'on entendait le beuglement des
vaches; cette hutte avait étó remplacée par de commodes mai-
sons en bois, habitation du colon don José Tauscheck (plan-
che XV, fig. 2), dont les cultures et les produits de Télevage
jouissent déjá d'une legitime renommée parmi les colons alle-
mands de Llanquihué. Mais Tauscheck, de méme que les
nutres hommes industrieux qui ont colonisé les rives du Na-
huel-Huapi, n'esl pas propriétaire du terrain qu'il a fait valoir
par ses eflforts: il fait parlie d'une de ees incroyables conces-
sions de trente-deux lieues et notre colon est exposé ii étre
délogé sans avoir droit á aucune indemnisation de la part du
propriétaire de la concession. Heureusement que tous les riva-
ges du Nahuel-Huapi n'ont pas été dilapides de cette fa^on,
et qu'il est encoré possible d^y établir la colonie que j'entre-
vois et dans laquelle le colon acquerra par le travail de ses
mains la propriété de son lot.
 
D'aprés mes instructions, Schiorbeck opérait déjái sur le lac
Gutiérrez, et je m'en allai a sa recherche. Je revis ainsi le vene-
rable du lac, le cyprés centenaire que j'avais remarqué en 1880,
prés de la riviére Niereco sur le versant de la moraine, domi-
nant la localité de San Garlos récemment fondee par les fréres
Wiederholtz, de Puerto Montt, fils d'allemands et membres de
cette race énergique et laborieuse en formation au sud du
Chili et que nous devrions tficher de former en Patagonie.
 
La maison de commerce de MM. Wiederholtz pourvoit déjíi
aux besoins d'une vaste zone et exporte ses produits á Puerto
Montt, disposant d'embarcations pour ce trafic. J'en vis lá une
de douze tonneaux que construisaient des charpentiers origi-
naires de Chiloé; ce sera la premiére embarca tion de quelque
importance qui sillonne les lacs patagoniques. Le commerce
de laines, peaux, crins, pommes de terre, fromage, beurre et
autres produits moins importants, permet d'expédier une em-
barcation tous les quinze jours a Puerto Blest, á Textrémité
occidentale du lac, d'oü ees produits sont transportes en trois
jours á Puerto Montt, tandis que pour les mener ó Viedma,
il faudrait plus d'un mois. Tant que Ton n'aura pas construit
un chemin de fer entre le port San Antonio et Junin de los
Andes avec un embranchement jusqu'au grand lac, c'est vers
le Pacifique par Puerto Montt, via Nahuel-Huapi, que s'écou-
 
 
 
— 59 —
 
leront tous les produits depuis Caleufu jusqu'á la vallée 16 de
Octubre au sud; par contre, le jour oú ce chemin de fer exis-
lera et se prolongera de Junin de los Andes ó Villarica, le
courant commercial changera. Le miel et la cire de Llanquihué
ainsi que les passagers pour l'Europe du Chili austral, h partir
de Concepción, s'embarqueront au port de San Antonio. Tout en
pensant á cet avenir de progrés déjá en voie de réalisation, je
traversai les beaux pares naturels qui entourent le lac au sud et
dont lo partie supérieure a été dévorée par un vorace incendie
qui a détruit pour des milliers de piastres de bois de cons-
truction; bienlót j'atteignis la riviére par laquelle le lac Gu-
tiérrez apporte le tribut de ses eaux au Nahuel-Huapi. C'est \h
que me rencontrérent et s'emparérent de ma personne les in-
diens envoyés par Shaihueque, en janvier 1880, au moment de
la découverte du beau lac auquel j'imposai le nom du maitre
et ami veneré, l'inoubliable Juan Maria Gutiérrez. Cette tribu
indienne avec son chef Chuaiman a totalement disparu, et en
ce lieu agreste s'éléve Thabitation du colon allemand Christian
Bach (planche XV). Sa femme me dit que son mari est avec
Schiorbeck, qu'ils se sont avances vers Touest et ont laissé un
aide pour leur transmettre mes instructions définitives; je les
leur envoie sur-le-champ. Je distribue aussi quelques jouets
oux enfants, en souvenir des miens, et ne voulant pas perdre
un moment, je retourne, satisfait, au campement Bernichan
pour aller plus au sud.
 
Comme le paysage general ne s'est pas modifié depuis 1880,
et que je n'ai pas le temps de faire une nouvelle description,
je ne crois pas hors de place les reminiscences de mon voyage
antérieur que je prends dans mon ouvrage inédit oíi il est décrit :
 
«Je passai la nuit du 17 au 18 janvier 1880 dans la gorge
en face du Cerro Tupuan; au matin je traversai la derniére ra-
mification supérieure du Chubut, arrivant peu aprés au Rio Pia
ou de la Hechicera. Je crovais trouver lá Guilto, indien de Val-
divia, interprete et secrétaire oral de Foyel; mais son pauvre
rancho no renfermait plus d'autres étres qu'un chien et Fuñique
chat apprivoisé que j'aie vu chez les indiens. Je fis Tascension
d'une plaine élevée, dominée par les plateaux et les monta-
gnes, et de cette éminence, nous aperQümes au loin, au milieu
des brumes grisátres et rosacées qui cachaient une partie des
montagnes, les eaux bleues du lac désiré.
 
Des les premiers temps de la conquéte, les régions du sud
attirérent Tattention des espagnols. Mille rumeurs de promesses
séduisantes placaient Ih les fameux Césars, création dorée de
 
 
 
— 60 —
 
rambition de nos ancétres, et dont, pour moi, la base doit
étre recherchée dans les rapports qui, des deux cótés de la
Cordillére, avaient été faits par les indigénes au sujet de cen-
tres européens qui se formaient au Ghili et dans le Tucuman,
centres qui se transforrnaient en villes presque orientales dans
Tesprit perspicace de Tindien auquel n'échappaient sans doute
pas les revés de richesses des envahisseurs blancs.
 
Les jésuites ne voulurent pas rester en arriére des soldats,
et, en 1643, ils táchérent de pénétrer le mystére et de porter a
cette cité mystique, qui avait oublié la loi de Dieu, la lumiére
de l'Evangile, parcourant plusieurs fois !a cote occidentale de
la Patagonie, mais sans trouver autre chose que des tribus
barbares.
 
En 1665, le Pére Mascardi fut le premier qui i)énétra á Test
des Andes, et comme le vaillant prétre ne trouva pas traces des
villes des Césars qu'il cherchait avec ardeur, il fit un second
voyage, guidé cette fois par quelques indiens de Torient andin,
prisonniers au Chili, pour lesquels Mascardi avait obtenu la
liberté et qui, par reconnaissance, se montrerent disposés a
écouter la Parole chrétienne et a le mettre en relation avec les
habitants de la ville enchantée. II traversa la Cordillére, et.. en
1670, il découvrit le NahuelHuapi sur la rive nord duquel il
fonda la mission jésuite de ce nom, en quoi il fut aidé par les
indigénes; cette fondation ne satistit pas entiérement son ambi-
tion de trouver les Césars, a la recherche desquels i I fit des
voyages répétés: dans Tun d'eux, il arriva par le sud-sud-ouest
au Pacifique, et mourut assassiné par les sauvages, en 1673.
 
Le Pére José de Zuñiga voulut continuer Tíjeuvre évangéli-
que de Mascardi, en fondant a Toccident de la Cordillére, prés
du lac Raneo, une seconde mission qu il abandonna en 1686,
et se rendit a Chiloé par le chemin de Nahuel-Huapi. Le Pére
Rifler et le Pére José Guillermos continuérent leurs travaux
parmi les Pehuenches; ce dernier réussit a aller de Chiloé jus-
qu'au Nahuel-Huapi á la mission que le Pére Laguna devait
restaurer. L'itinéraire que, d'aprés Cox, suivit Laguna passe
au nord du lac, ainsi que celui du Pére Guillermos.
 
Le Pére Laguna retourna á Chiloé, en traversant le lac en
radeau, et franchissant les Andes au pied du Tronador, pro-
bablement par le Passage de Pérez Rosales, ii descendit par le
Rio Puella, traversa en radeau le lac Todos los Santos, et
poursuivant son voyage au milieu de terrains marécageux, il
arriva au gol fe de Reloncavi, oü il s'embarca pour Castro.
 
II revint peu de temps aprés, par le méme chemin, accom-
 
 
 
— Gl —
 
pagué par les iadiens, avec les outils nécessaires á la conslruc-
tion de Téglise, outils qu'ils chargérent sur leurs épaules.
 
La mission de Nahuel-Huapi prospera pendant sept années;
les indiens, alors tres nombreux, accueillirent bien les mission-
naires, et ce fut a la fin de cette période que le Pere Guiller-
mos eut connaissance de Texistence du vieux cheniin de Bari-
loche, deja effacé et qui était peut-étre celui qu'avait suivi le
Pére Mascardi dans une de ses excursions; il tacha de le réla-
blir et y réussit, frayant avec la hache et le machete (long et large
coutelas) un sentier á travers le bois, vers Touest, tandis que le
Pere Gaspard López entreprenait de Tautre cóté lámeme tache,
et avec un succés tel qu'en arrivant au sommet, il rencontra
les marques que Guillermos avait gravees sur le tronc des ar-
bres dans sa marche en avant. Ce travail, qui devait donner d'im-
menses resultáis, et qui, non inlerrompu, aurait été la porte
d'entrée de la civilisation en Patagonie, fut mal vu des indiens;
ees derniers, redoutant des agressions espagnoles, incendiérent
la mission; mais le Pére Guillermos ne se découragea pas, et
acheva son oouvre aprés trois mois de travail: les mules pas-
saient en trois jours de Ralun a Nahuel-Huapi. La mort fut
toute la recompense que re^ut le missionnaire; appelé par le
cacique Manquehuanay pour confesser un malade, il mourut
empoisonné par un verre de chicha (1716) qui contenait, peut-
étre, le méme poison que, cent soixante-quatre ans plus tard
et non loin de la, nous primes, mon interprete Tindien Her-
nández et moi, offert avec des fraises, et auquel je n'échappai
qu'íi grand peine, tandis que mon compagnon en succombn.
 
Le Pére lOlguea fut assassiné dans ce parage Tannée sui-
vante et son corps brúlé en méme temps que l'église qu'avaient
élevée ees hommes infatigables; il paraít que des lors Nahuel-
Huapi ne fut plus habité par des blancs; Tindien fut le seul
habitant de ees terres aussi majestueusés que sauvages. Ce
n'est qu'en 1792 que le Pére Melendez partit a la recherche des
restes de la mission; il prit le chemin du nord, par les lacs
Calbutué et Todos los Santos, longea les versanls du Tronador,
))assa la Cordillére et, continuant au nord, arriva á un petit lac
que, dans la suito, Cox appella Lago de los Cauquenes, situé
au pied d'uno montagne élevée nommée depuis Cerro de la
Esperanza, par Vicente Gómez ; ce dernier put, en 1855, aper-
eevoir depuis son sommet, la grande surface azurée du Nahuel-
Huapi. Sur ses bords, Melendez conslruisit une pirogue (dont
les restes furent trouvós plus tard par Cox), et y naviga,
mais sans trouver les vestiges de la mission que lui indiquérent
 
 
 
— 62 -
 
quelques indiens comme étant sitúes á en virón cinq cents metras
de Tembouchure du Limav.
 
Cox dit que quelques indiens conservaient la tradition de
chrétiens qui avaient vécu prés du lac, et pendant mon pre-
mier voyage, je táchai de vérifier si parmi les indigénes il y
avait quelque chose de plus qu'un souvenir de la mission.
J'avais entendu diré qu'Inacayal gardait la cloche, mais cet
indien ne sut rien me diré líi dessus. Au commencement, iLs
niaient que les blancs eussent traversé la Gordillére, mais peu
a peu ils avouérent Texistence de la mission et Tassassinat
des missionnaires; ils me parieren t de la tradition d'une image
vétue comme une dame, et rattachaient ees souvenirs a celui
des expéditions á la recherche des Césars que, croyaient-iis, je
chercháis également.
 
Le Pére Falkner, qui n'a pas penetré en Patagonie, parle
d'une pierre qui ressemblait á une femme, et qui se trouvait
prés de Tequel-Malal, et il donne ce nom ó un des grands condes
que fait le Rio Negro avant de déboucher dans l'Atlantique.
Je crois que Falkner prit ce renseignement des missionnaires
de Nahuel-Huapi, car la figure de pierre existe réellement, mais
sur la rive du Collon-Cura.
 
Je suis arrivé ó cinquante métres de cette pierre; elle était
entourée par les toldos; je pus Texaminer, mais je dus aux
bons jarréis de mon cheval d'échapper aux assassins, le 4 fé-
vrier 1876. Le Gollon-Cura est situé á mille kilométres du point
indiqué par Falkner et c'est le plus grand des affluents du Li-
may. Tequel-Malal n'est pas a Tencoignure signalée par le jé-
suite irlandais, mais bien dans la región nord du Nahuel-Huapi,
auquel les indiens donnent aussi ce nom; il est a cent cinquante
kilométres de la pierre.
 
Avec la ruine de la mission cessérent les voyages des jé-
suites; le champ fut occupó par les explora teurs qui sont les
missionnaires de Tépoque moderne. Cette ere fut ouverte par
le pilote Villarino en 1782, et si ceux qui l'ont suivi sont alies
plus loin, aucun ne l'a dépassé en persévérance. II faut avoir
parcouru le Rio Negro et le Limay pour admirar, comme il le
mérite, ce grand voyage depuis TAtlantique jusqu'au Collon-
Cura; depuis les tristes falaises de TOcéan jusqu'aux imposants
paysages que dominent les cónes volcaniques du Quetropillan
et du Villarica, le tout effectué au moyen d'embarcations pe-
santes, souvent remorquées á travers des difficultés de tout
genre ; c'est ce qui fait que le voyage de Villarino sera toujours
cité avec honneur dans la géographie argentine.
 
 
 
~ 63 —
 
C'est au pilote espognol qu'on doit le premier croquis du'jRio
Negro et du Limay, et si, dans sa navigation, il choisit le bras
du Chimehuin ou Collon-Cura, abandonnant le grand fleuve,
cela ne diminue en rien Timportance de cette reconnaissance,
puisque, comme je Tai dit au retour de mon premier voyage, le
Limay cesse líi d'étre navigable. Villarino n'a pas atteint le
Nahuel-Huapi. Beaucoup d'années s'écoulérent avant que de
nouveaux explorateurs de l'un et de Tautre cóté des Andes
s'aventurassent dans ees parages. Au Chili, pourtant, quelques
voyageurs ajoulérent de nouvelles notions & la géographie de
la province de Valdivia, en étudiant le lac de ce nom et celui
de Todos los Santos; ce n'est qu'en 1849 que le gouvernement
chilien envoya Tofficier de marine Muñoz Garvero explorer la
Cordillére, et chercher le lac Nahuel-Huapi, mais il ne put y
réussir malgré tous ses efforts.
 
Ce fut V. Pérez Rosales, intendant de Llanquihué, qui dé-
couvrit en 1855 le passage cherché, envoyant une expédition
dirigée par Vicente Gómez, lequel réussit á distinguer les eaux
lacustres argentines oú seulement l'année suivante parvinrent
les voyageurs Fonk et Hess. Ceux-ci partirent avec treize com-
pagnons de Puerto Montt, remontérent le Rio PeuUa, traversé-
rent la Cordillére, et atteignirent le lac sur les rives duquel ils
construisirent un canot, au moyen duquel ils naviguérent — d'a-
prés eux — soixante-quinze kilométres (ce qui me parait exagéréj,
jusqu'á la Punta de San Pedro.
 
Guillaume Cox est le premier explorateur heureux du
Nahuel-Huapi; désireux d'ouvrir un chemin interocéanique
commode, en profitant des voies fluviales et lacustres situées
entre les 40® et 42^ il se lanca en personne íi la recherche
des preuves dont il avait besoin pour réaliser sa grande entre-
prise. II partit de Llanquihué en 1862, traversa le boquete
(col, passage étroit) de Pérez Rosales, et aprés un pénible
voyage, il arriva, le 28 décembre, á la rive du lac. Son journal
de voyage, malheureusement rare á Buenos Aires, contient de
tres belles pages descriptives sur ees régions. Sur remplace-
ment de son premier campement, il trouva les restes des canots
du Pére Melendez et du docteur Fonk.
 
Aprés avoir parcouru une partie du Rio Frió qui nait sur
les versants du Tronador, le 4 janvier ils lancérent le canot quMls
avaient construit, et Cox s'y embarqua avec trois compagnons,
tandis que les autres retournérent íx Puerto Montt. La «Aven-
tura» eut á lutter contre les vagues et les rochers du lac, et
})lus d'une fois elle fut sur le point de sombrer ce jour-lá et le
 
 
 
— 64 —
 
suivant et perdit des provisions. lis visitérent le promontoire
de San Pedro et apergurent sept iles dans la grande baie du
nord; ils pénétrérent dans la grande baie, et dans la descrip-
tion du voyage de cette journée je trouve indiquée la grande
ouverture du Paso de Bariloche, aussi soupgonné par Cox, mais
sans avoir pu Texplorer, et le 7 janvier, aprés avoir traverso
le lac dans toute sa largueur, ils pénétrérent dans le Limay.
 
Uenthousiasme des explorateurs ne pouvait étre plus grand,
mais les difficultés étaient insurmontables, et le vaillanl Cox
eut le malheur de perdre son canot dans les rapides du fleuve
ó quelques lieues de sa source, et se sauva a la nage avec
ses compagnons. Trouvé par les indiens et plus ou moins
bien traite, soufTrant souvent de cruelles fatigues et exposé íi
de grands dangers, il obtint qu'on lui permit d'aller au Ghili,
et de retourner aux toldos, comptant sur la promesse que lui avait
faite Inacayal de le conduire jusqu'a Patagones. Cette promesse
ne fut jamáis tenue á cause de la défiance de Shaihueque.
 
Grace ó son exploration du lac et a ses deux excursions
depuis Raneo a Caleufu, Cox fit connaitre d'une maniere assez
détaillée ees régions, si Ton tient compte du peu de ressources
dont il disposait. Si son plan éclioua, ce ne fut pas faute d'ef-
forts et moi qui ai eu le privilége de visiter ees mémes parages,
je paie ici avec plaisir un tribut de respect a mon collégue
chilien.
 
Lors méme que le capitaine de la marine chilienne Vidal
Gamaz n'a pas atleint le Nahuel-Huapi, son expédition mérito
d'étre citée pour le grand nombre de données qu'elle fournit sur
la región voisine á Toccident des Andes. Dans le but d'étudier,
en 1871, le golfe de Reloncavi et ses environs, les fleuves et
passages andins, ce marin distingué visita la región comprise
entre ce golfe et le lac Todos los Santos, en faisant un exa-
men détaillé du petit lac Cayutué, situé en face de la grande
ouverture au sud du Tronador qui renferme Tancien chemin
de Bariloche. C'est aussi mon opinión, et cette ouverture ou
gorge doit correspondre á celle du lac Gutiérrez que j'ai étudió
dans mon dernier voyage.
 
C'est á cinquante kilométres de Nahuel-Huapi qu'a passé le
capitaine Musters, le voyageur moderne qui a séjourné le plus
de temps parmi les indigénes patagons, et nous a laissé un libre
excellent sur les us el coutumes et la vie intime de Tindien,
mais qui, malheureusement, ne voyageait pas dans des condi-
tions qui lui permissent d'effecluer des observa tions géographi-
ques sur les lacs andins.
 
 
 
— 65 —
 
Tous les voyageurs cites sont parvenus au lac par le ver-
sant chilien.
 
Du 20 au 22 janvier 1876, je pus jouir de la magnifi-
cence du Nahuel-Huapi; mon assistant et moi nous sommes les
premiers blancs qui, de rAtlantique, soient arrivés á boire ses
eaux limpides; mais alors je n'avais atteint que sa rive nord.
Je m'étais done promis de visíter ses rives compliquóes du
sud et de Touest. Le rideau de brumes, qui couvrait pendant la
nuit du 18 janvier 1880 la grande scéne de cette nature puis-
sante, au lieu de se lever d'une maniere uniforme devant nos
yeux qui ne voulaient pas perdre le moindre détail de la déco-
ration, se déchira en tourbillons de tulles aceres et roses.
 
Nous donnámes un peu de repos aux chevaux et des que
fut passée la premiére impression d'admiration, nous táchámes
de voir le fond de la vallée qui s'étendait á nos pieds, h tra-
vers l'édredon de nuages froids et blanchátres que les pre-
miers feux du soleil levant ne doraient pas encoré. Tout dormait;
seules les eaux lointaines au fond des grandes baies se bergaient
mollement; de ténus fils d'or brillant ourlaient de zigzags fan-
tastiques les crétes neigeuses andines qui se détachaient sur
Tazur discret, tandis que la base était enveloppée par de grands
strates de nuages plombés plus ou moins épais et au milieu
desquels nous distinguions les cimes des cyprés. Quelques
moments aprés, de lé§ers flocons de brume commencaient a
s'élever et á se dissiper en atteignant la zone oü nous étions,
et oü soufflait déjá le vent de la pampa provoqué par Taurore,
et Tapparition, sur la ligne sombre des plateaux volcaniques,
du soleil dans toute sa magnificence, éclaira cel ensemble gran-
diosa, et détacha, au milieu des jeux de lumiéres et d'ombres,
les reliefs du terrain, des eaux et des foréts avec la netteté par-
ticuliére a un beau jour austral.
 
Ge n'est qu'alors que nous púmes nous orienter sur le ver-
sant escarpé, et, en arrivant au pied, nous nous trouvámes á
rimproviste au milieu d'un petit campement indien, occupé par
quelques araucans et valdiviens. lis étaient justement livrés
á une de ees bacchanales si communes sur les versants des
Andes, quand au printemps la fonte des neiges permet le pas-
sage des aucaches, commergants de Thorrible eau-de-vie de Tol-
ten. Deux de ceux-ci étaient arrivés cette nuit-lá avec quatre
barriques, destinées a Tachat de chevaux dans les toldet^s
de Inacayal, et qui avaient été confisquées par un lieutenant
de Shaihueque.
 
Nous restames á peine quelques minutes dans les toldos et
 
5
 
 
 
- 66 —
 
nous nous dirigeámes au nord-ouest, par une plaine tres riche
en herbages et en fraises, arrosée par plusieurs riviéres om-
bragées par de grands aibres. Aprés avoir traverso un rio
torrentueux qu¡ se verse dans le lac, nous passons par une
prairie boisée, ondulée, formée par des moraines glaciaires an-
ciennes, et un peu plus tard, nous nous trouvons au bord du
lac en face de Tendroit oü j'avais campé, en 1876, sur la rive
opposée.
 
La Patagonie est la digne rivale de la Suisse pour la magni-
ficence de sa nature.
 
J'ai visité la Suisse et ses grands lacs aprés avoir parcouru
la Patagonie, et j'estime que la Suisse est une réduction habi-
tée de la Patagonie andine; aucun de ses lacs ne peut rivaliser
avec la majesté imposante, immense du lac Viedma; aucun
de ses glaciers, avec la mer de glace semblable a un morceau
de cote groénlandaise, que domine le volcan Fitz Roy. Le lac
Argentin est plus sauvage, plus altier que celui des Quatre-
Cantons; tout ce qu'a celui-ci, il le posséde, sauf la main de
rhomme, mais sur une plus grande échelle, proporlionnée u
ses dimensions. Les montagnes sont plus élevées et plus pitto-
resques: ses foréts sont vierges, tandis qu'en Suisse on voit le
passage de la hache et de la scie; ses glaciers remplacent, par
une escadre de gla(;ons gigantesques, magiques, qui défilent
devant les foréts en fleur, les blanches embarcations ou les
vapeurs qui conduisent en Suisse le touriste. Le lac San Mar-
tin, separé des cananx andins par les monts Lavalle, n'a pas
d'égal parmi ceux de dimensions plus modestes que j'ai vus,
comme celui de Brienz; les pies neigeux des environs sont
aussi imposants que la Jungfrau. Le Nahuel-Huapi aurait de
la ressemblance avec le lac Leman, si á ce dernier on ajoutait
celui des Quatre-Gantons. Le Mont-Blanc a un frére dans le
Tronador, géant géologique toujours en colére et toujours ru-
gissant.
 
Au point que j'ai signalé, je trouvai des huttes et y campai.
Inacayal, propriétaire, selon lui, des régions du lac, avait accordé
a quelques indiens valdiviens, cultivateurs, la permission de
s'établir sur son territoire; c'étaient les premiers pas dans la
voie du progrés, si peu connue a I'indien. Les nouveaux habi-
tants avaient ébauché le modeste tracé d'une ville argentine
future, oü je trouvai des plantations de ma'ís, de Torge déjá
épié, et divers légumes qui composérent notre menú dont le
plat de résistance était la viande de cheval.
 
De ce point-lá, défendu en partie par le bois et le torrent
 
 
 
 
 
 
— 67 —
 
enchonteur, je domináis tout le lac, et sur une baile esplanade,
j'ai déployé le drapeau argentin qui, pour la deuxiéme fois, ré-
flétait ses couleurs dans les eaux et dans les glaciers andins.
 
Aussitót aprés avoir installé le camp et avoir monté le théo-
dolite, je regus quelques indiens qui venaient voir le chrétien.
Pour le moment, il n'y avait pas grand danger; l'instrument
leur inspirait du respect, car ils le considéraient comme une
arme puissante, et, en outre, mon armée de cinq hommes mon-
tait tour ó tour la garde sur la hauteur, le remington á Té-
paule, car nous nous trouvions á une journée et demie des
tolderías de Shaihueque. Je suis resté lá jusqu'au 22 janvier,
ayant eiffectué, le 20, une reconnaissance á la source du Limay
que je connaissais depuis son embouchure dans l'Atlantique,
Ce grand fleuve du sud nait á 728 métres (*)au-dessus du ni-
neau de la mer, et se lance avec une grande rapidité dans un
canal de cent métres de large.
 
Au pied de Pesplanade, oíi abondent les fraises, entourée de
bois eleves et de la vegétation qui s'étend jusqu'au lac, la rive
est couverte de grands blocs erratiques mollement caressés par
les eaux paisibles, mais contre lesquels se brisent avec iracas
les vagues les jours d'ouragan.
 
Les eaux du lac sont d'un bleu obscur au centre, comme
celles du lac de Genéve, azurées, d'un blanc opaque, puis cou-
leur d'argent liquide prés de la plage oíi miroitent les paillettes
de mica et le quartz blanc cristallin.
 
Les petits torrents qui naissent sous bois, parmi les racines
des vieux tronos et qui descendent en pente raide, serven t, avec
les arbres qui les ombragent, de petits enclos de propriétés oü
les valdiviens avaient construit leurs chaumiéres á Tabri des
élégants maitenes.
 
Vers le nord-est, en suivant les rives lacustres, Tancienne
moraine s'infléchit á Test, en laissant un marécage traversé
par des ran^ées d'arbres. G'est une plaine sablonneuse, de for-
mation récente, recouverte de blocs erratiques et qui s'est for-
mée des detritus que la riviére Ñirehuau, qui la traversé, a
entrainés des montagnes voisines. Cette riviére, de cinquante
métres de large, et tres bien ombragée, descend d'une gorge obs-
cure dominée par de grands rochers íi pie, de deux cents mé-
tres de hauteur, et couronnés par des cyprés pointus obscurs
 
 
 
(*) D'aprés mes observations de 1880; mais celles du dernier voyage,
effectuées dans la station météorologique, placee sous la direction de M. Ber-
nichan, ont donné 740 métres.
 
 
 
— es-
quí font contraste ovec le jaune des versants. Je gravis, un
jour, ees rochers, et découvris quelques cavernes qui ont servi
d'habitations humaines. Dans Tune d'elle, formée par deux
piéces complétement obscures, j'ai creusé au hasard, et ai ex-
trait un cráne huma¡n;sur les murs des autres, ¡1 y avait des
peintures et j'y découvris les mémes objets de pierre et de bois
que dans les cavernes du centre du territoire. Uaspérité du
terrain demontre que les habitants des grottes avaient cherché
lá un refuge et peut étre était-ce le dernier domicile d'une tribu
persécutée dans ees luttes pseudo-religieuses qu'engendre dans
ees contrées Texploitation des devins. Le promontoire est do-
minó par une montagne sur les flanes de laquelle on voit diver-
ses conches de phonolithes, el á ses pieds se déroulent les trois
baies qui précédent la sortie du Limay. C'est probablement la
que la general Villegas fit déployer le drapeau national deux
ans plus tard. Les eaux du lae forment, en sortant, des ondes
violentes, et sur les bords il y a des pierres erratiques qui
donnent naissance á de petits rapides, mais au centre il n'y a
pas d'obstacle; par la passa le canot de Cox.
 
Les eaux sont bienes, mais deviennent bleu-verdátre ¿ un
coude brusque oü elles se précipitent avec grand bruit; elles se
dirigent d'abord au sud-sud-est, puis au nord-nord-ouest ; sur
ce dernier point, le Limay a soixante-quinze métres de large
et est bordé de collines glaciaires. Du fleuve, au nord, une se-
rie de collines plus ou moins élevées avec des paturages et des
massifs de bois limite le lae, et, a leur pied, on apercoit une
bande étroite de végétation touffue.
 
La rangée d'arbres de couleur vert-plomb s'étend le long des
jolies baies, au milieu d'un paysage semblable ó eelui du lae de
Genéve du cote de la Savoie, jusqu'á un promontoire qui res-
serre le grand bassin. Vers l'ouest se détache de la rive une
petite ile boisée. Les collines sont dominées au nord par d'autres
dont Télévation augmente par des gradins recouverts, en partie,
de bois et couronnés de laves anciennes qui paraissent des for-
teresses détruites. Les monts dévient vers l'ouest avec de nom-
breuses gorges, et á travers leurs ouvertures profondes, on en
distingue d'autres plus eleves, jaunátres, neigeux qui sont sepa-
res des premiers par un bras du lae. Du campement, on par-
vient á voir des ondulations jaunátres, vert-pale et grises, qui
s'élévent comme de grands mamelons depuis le promontoire
couvert de bois. L'ensemble ofiFre un coup d'oeil pittoresque,
surtout vers le soir quand les ombres du jour, qui avancenl,
graduent les tons chauds et vifs du milieu de la journée, et.
 
 
 
— 69 —
 
bien qu'effa^nnt les détails, détachent en demi-teintes, insen-
siblement graduées, les silhouettes des grandes masses (plan-
che XVII).
 
Le panorama est sauvage, solitaire, et le silence de la na-
lure augmente encoré la solennité de ce lieu.
 
Au fond du grand bassin, quelquefois orageux, sombre, pri-
son de vagues á crétes écumeuses, et parfois 1 impide comme un
miroir, on voit des iles presque circulaires et d'autres longues
comme d'énormes baleines.
 
Derriére ees iles, au loin, s*éléve la sévére et grandiose
Cordillére avec ses pies hardis et ses massifs boisés et neigeux,
de teintes verdátre, rougeátre, noirátre, bleue et blanche vers les
cimes, loute IVacturée par de profondes gorges, véritables fjórds
norvégiens dont le principal, tres étendu, est limité par une
montagne toute blanche, mystérieuse ot pleine d'attraits pour
le voyageur.
 
Des deux cotes du grand fjórd, s'élevent des montagnes á pie;
mais celles du cóté nord sont moins accidentées. Au premier
plan, au fond sud-ouest, les belles montagnes ü cime aigué
apparaissent comme un immense coutelas, couvertes de neiges
éternelles, et auxquelles j'ai donné le nom de Vicente López,
rimmortel auteur de l'hymne national argentin. Le versant
opposé au nord est rougeatre et boisé; celui de Test — qui est
celui que j'ai signalé — peu incliné, concave, recouvert de neige
fraichement tombée sur Tozur des glaces perpétuelles, est une
merveilleuse represen tation naturelle du pavillon argentin.
 
Un peu plus loin s'a vanee un autre massif boisé qui cache
de hautes montagnes couronnées de neiges éternelles. Le Trona-
dor n'élait pas tres visible depuis le campement, mais bien depuis
Tembouchure du Limay, avec son sommet presque toujours en-
veloppé de nuages.
 
Une grande coUine ou montagne peu élevée avec un ver-
sant tres abrupt recouvert de foréts, dont la base baigne dans le
lac, masque une vallée qui s'éteud enlre elle et les montagnes an-
térieures, et au-devant de celte vallée vers Test sud-est s'éléve un
autre massif de sommets plus arrondis qui cache le Tronador.
 
Un pie dont le versant abrupt opposé au sud-est est cou-
vert de neige et de foréts domine une gorge profonde qui va
a Touest-sud-ouest et est fermée au nord-ouest par d'autres
montagnes. Aprés cette grande gorge, il y a quelques montagnes
plus basses qui vont de Test á Touest, limitant de ce cóté le
grand lac etson ancienne vallée glaciaire, traversant paralléle-
ment aux Andes par des moraines formées de blocs anguleux
 
 
 
— 70 —
 
de grande dimensión et presque recouvertes de la nouvelle terre
qui se forme par la décomiiosition des roches et la végétatioa
qui les recouvre.
 
Prés de la rive sud du lac, depuis la pointe siluóe en face de
la petite ile du nord, il y a trois iles dont Torienlale est la plus
petite. Ge cóté du lac est plus elevé et plus pittoresque que l'au-
tre; les gorges, les foréts, les anciennes moraines avec leurs prai-
ries naturelles et leurs bosquets, forment un tablean sans rival.
 
Nous sommes restes jusqu'au 22, ai-je dit, dans le campc-
mént; j'aurais désiré y séjourner davantage pour exécuter
— appuyé sur une triangulation détaillée — un levé plus com-
plet du lac, mais les indigénes prenaient une atlitude chaqué
jour plus menaganle.
 
Uestafette envoyée par le cacique Inacayal a Shaihueque
n'avait pas voulu aller jusqu'aux tolderías de celui-ci, craignant
d'étre porteur «de mauvaises paroles» qui auraient pu lui faire
passer un mauvais quart d'heure.
 
On me prévint qu'aux environs s'était établi un groupe im-
portant de guerriers qui nrépiaient, et comme, cejour-lá, j'avais
risqué étre cerne avant d'arriver a l'extrémité ouest du lac oü
je désirais aller, je levai le camp a midi, en emportant toutes
les collections, et me dirigeai dans cette direction-ló.
 
Je voulais suivre toute la rive sud du lac el tácher d'arriver
a Tecka, par la Cordillére, dépistant ainsi les Mapuches. Le
chemin, que j'ai parcouru ce jour-lá, est le plus beau dont je
conserve le souvenir dans ma vie de voyageur. Les Fitx.-roya
patagónica et les Liboced?^ chilensis, les deux beaux et útiles
coniféres antarctiques, croissent en profusión et promettent
grande fortune aux scieries de Tavenir. J'ai mesuré, ce jour-la,
un des premiers: son tronc, á la hauleur d'un homme á cheval,
avait plus de huit métres de circonférence (M, et ees arbres,
dans quelques parages, sont si nombreux qu'il est impossible
de passer á travers. Les coikués de trente-cinq métres de haut.
ombragent le bord des riviéres et forment parfois des ponts
naturels. Les maitenes constituent d'épais bosquets.
 
Dans les pittoresques prairies, tapissées de gazon el de frai-
siers, alternent le chéne, le cannellier, le laurier et le pommier.
 
Nous passons la nuit sous un grand cyprés, au bord d'un
torrent, dans une plaine entourée de bois, a quelques centaines
de métres au-dessus du lac. Dans le torrenl, j'ai trouvé des
roches carboniferes avec des restes fossiles de végétaux.
 
 
 
(*) II domine aujourcrhui le village de San Carlos.
 
 
 
— 71 —
 
Le lendemain, nous trouvons un sentier indien entre la fo-
rét et les mon tagnes; les arbres sont si épais que le cheval ne
peut passer, et d'autres fois nous marchons sous d'obscures
galeries vegetales.
 
Nous arrivons ainsi á une riviére qui descend du sud-sud-
ouest, et prés d'un champ de ble, propriété de Taraucan chilien
Colomilla, limité par des terres couvertes de tourbe qui, étant
inondées ainsi qu'une partie de la forét, nous empéchent de mnr-
cher a Touest.
 
Nous campons aux bords de la riviére, sous un coihué
touffu entouré de bambous dont les indiens font des lances.
En face, nous avons la presqu'ile San Pedro que Cox prit pour
une ile, oü le pére Melendez, je crois, arriva. au siécle passé,
et devant elle, au nord, trois iles. La presqu'ile va de Touest-
sud-ouest á Test-nord-est avec des indentations capricieuses en-
tourant une grande baie qui en temps d'étiage se transforme,
me parait-il, en lagune. Sa pointe oriéntale avance couverte de
bois, formant de profondes indentations qui lui donnent Tas-
pect d'une gigantesque étoile de mer vert-obscure. A Tarriére-
plan s'allonge le fjórd profond par oü descendit, du col Pérez
Rosales, l'explorateur Cox, et le beau Mont López dominant le
tout de ses neiges blanches et de ses verles foréts, ü moitió dé-
truites a leur base par un incendie récent.
 
Je laissai mes gens dans le campement et j'avan(jai avec
un homme au sud-ouest á la recherche d'un passage. Le sol
était tres boisé et extrémement friable, et les arbustes épineux
tres touffus, ce qui nous obligeait k entrer dans le torren t et
á avancer ainsi péniblement, parfois presque h la nage. Heureu-
sement, un peu plus loin, je découvris de petits prés sitúes
au fond d'une vallée cachee derriére la montagne boisée et peu
élevée qui limite de ce cóté le lac, et qui precede un nouveau
lac dont j'ignorais Texistence; ce nouveau bassin lacustre pré-
sente une surface tranquille, encadrée par une nature des plus
pittoresques, et s'interne vers le sud-ouest entre des hauteurs
peu accentuées.
 
Vers Test, je voyais une grande gorge par oü Ton distinguait,
au loin, le grand promontoire des cavernes situées prés du Li-
may. Les arbres arrivaient jusqu'á Teau, et il nous fut impossi-
ble de marcher, un seul moment, sur le rivage. Au point oü
les eaux de ce lac s'écoulent par le torrent, je trouvai quantitó
de grandes pierres disposées par des hommes, dans Tinten-
tion d'empécher la sortie rapide de l'eau, et profitant des petits
canaux ainsi artificiellement créés pour la peche; et sur les
 
 
 
— 72 —
 
rives, de grands pieux travaillés, avec des marques de hache
et de foret tres anciennes. Ces pieux et d'autres que j'observai
durant rexcursion de ce jour-lá, formérent, peut-étre, il y a des
années, les radeaux des missionnaires jósuites qui mainte-
naient par lá des Communications avec le Chili.
 
Je n'ai pas le moindre douLe d'avoir trouvé, ce jour-lü, le
fameux «Paso de Bariloche»; toutes les notices anciennes que
j'ai examinées concordent parfaitement avec mes observations.
Le chemin des jésuites cótoyait ce lac (que ne mentionnent
pas, il est vrai, les anciennes chroniques qui ne contiennent
que des détails insignifiants sur le paysage); il gravissait une
basse mon tagne et descendait au couchant des Andes proba -
blement au lac Calbutué, étudié par le capitaine Vidal Gormaz
qui mentionne, á Torient du dit lac, une grande gorge par oü
passe le chemin en question. C'est ainsi qu'un chilien et un
argentin ont sígnale les deux sections extremes de l'ancien
chemin qui, une fois rétabli, mettra en communication les deux
pays, et établira de tres importantes relations commerciales.
Une des plus grandes compensa tions de ma vie de voyageur
a été cette décou verte, en songeant aux avantages enormes
qu'elle pourra rapporter quand la civilisation explorera en détail
ces región s.
 
Je marchai dans Teau cristalline en suivant le bord du pré-
cipice inondé, Fuñique chemin qu'il fallait suivre presque á la
nage, obstrué qu'il était par de grands troncs submergés et
des blocs erratiques. Quand il fut impossible d'avancer á che-
val, je laissai ma monture dans une clairiére, et pénétrai, avec
Tassistant, pendant trois heures, dans cette forét splendide que
masquaient les roches du versant. Les arbres les plus eleves
étaient brúlés, et d'aprés les indigénes que je consultáis plus
tard, rincendie provenait du Chili, puisque eux-mémes n'a-
vaient jamáis penetré jusque lá. A. cinq heures de Taprés-midi,
il était déjá impossible d'avancer u travers les arbres, les bam-
bous et les troncs corpulents pourris de l'intérieur, d'oü jail-
lissaient des sources. Nous n'avions pas de hache pour nous
ouvrir le passage, et plusieurs fois nous dúmes nous frayer un
passage au-dessus des tiges entrelacées des bambous.
 
De ce point-lá, á deux cent cinquante métres au-dessus du
petit lac, nous n'apercevons plus de montagnes á Touest; le
lac s'étendait dans cette direction sans que nous pussions voir
son extrémité, et ses rives continuaient d'étre bordees par des
coUines élevées qui précédaient de grandes montagnes neigeuses.
 
Ce ne sont done pas les rochers ni les neiges qui empé-
 
 
 
— 73 —
 
chent le passage au territoire chilien, muis les foréts que la
hache peut abattre.
 
Je reculai avec regret, me promettont de revenir le lende-
main avec lous mes gens pour passer par lá au gol fe de Re-
loncavi, et étre les premiers á ouvrir la communication ¡nter-
nationale désirée.
 
Ma mauvaise prose ne 'donnera qu'une faible idee de ce
paysage que ni'a rappelé plus tard, toutes proportions gardées,
le fond du lac des Quatre-Cantons lá oü est située la chapelle
de Guillaume Tell, quoique je trouve le lac patagonique plus
pittoresque et plus gai. Quel spectacle enchanteur que celui de
ees arbres gigantesques oü dominent les cyprés et les coihués,
sous les branches desquels croissent les fougéres presque ar-
borescentes, les aljabas couvertes de grappes de fleurs rouges,
et les plantes grimpantes qui emprisonnent dans les maules de
leur réseau toute la flore arborescente australe, les eaux du lac
colorees par le reflet de la forét, les roches rugueuses, détachées
en promontoires blancs, gris, noirs, sanguins et verdátres, á
cause des fougéres parasites, les mousses et les roseaux que
plie le vent#andin! le tout sous un ciel sans nuages qui faisait
ressortir davantage la blancheur de la glace éternelle.
 
Ces eaux n'avaient pas encoré de nom: dans le catalogue
des dénominations que la science a le droit de choisir pour
indiquer ses conquéles en des régions vierges, il me vint h la
mémoire un nom veneré, celui de D. Juan Maria Gutiérrez.
Quand j'étais enfant, le vieillard de ce nom m'enchanlait par
ses magistrales descriptions de la nature américaine qu'il com-
prenait si bien, et dont il était une des plus belles et des plus
fécondes émanations; plus tard, son amitió me fut précieuse,
et ses paroles d'encouragement ne me manquérent jamáis;
comme tribut d'admiration et de gratitude, je donnai son nom
á ce lac paisible et beau comme son esprit; le lac Gutiérrez,
ainsi nommó en mémoire du venerable et inoubliable recteur
de rUniversité de Buenos Aires, philosophe, littérateur, poete,
savant, figure des ce jour sur la carte du monde.
 
De retour au campement, je le trouvai occupé par soixante-
cinq guerriers araucans, commandés par Chuaiman, fils ainé
du cacique Molfinqueupu, «silex sanglant», mon ami autrefois,
et mon ennemi á cette époque. Ce fut un terrible moment que
celui oü j'entrevis la possibilité de Fanéantissement, par cette
poignée de sauvages, de Toeuvre des efiForts péniblement pour-
suivis en vue du rétablissement de la communication transan-
 
 
 
— 74 —
 
diñe par Bariloche, dont les resultáis pouvaient étre si féconds
pour Tavenir.
 
Mes pauvres compagnons m'attendaient convaincus de la
situation critique, quoique préts h raffronter. Les indiens étaient
armes de lances, de bolas, de frondes et de quelques armes a
feu. Nous célébrumes un «parlement», et les indiens me dirent
qu'iis venaient me chercher pour m'emmener aux tolderías de
Shaihueque, afin que de lá j'intercódasse auprés du gouverne-
ment national en faveur de soixante-huit indiens assassins que
le colonel Villegas avait fait prisonniers. A la maniere dont
ils exprimaient leur désir qui était un ordre, et d'aprés les
avis que j'avais regus, je compris qu'iis nous tendaient un
piége a moi et h toute la caravane, et que je n'en sortirais que
par beaucoup de prudence. Je n'étais pas en état de résister
par la forcé; je savais que si je me sauvais une fois, je ne
tarderais pas á élre repris, car les araucans avaient déjá occupé
tous les chemins, et je résolus d'employer la ruse, feignant
ne pas deviner le sort qui m'attendait, et j'acceptai de marcher
á la toldería. »
 
 
 
VI
 
 
 
DE NAHÜEL-HUAPI A LA VALLEE i6 DE OCTUBRE
 
 
 
Mardi 10 avril, nous avangons plus au sud. Le lac a rorient
est entouré de moraines dominées par le noir promontoire vol-
canique de Tequel-Malal, dans les cavernes duquel j'ai décou-
vert, dans mon voyage antérieur, comme je Tai dit plus haut,
un curieux cimetiére indigéne; aprés avoir passé ees moraines
et le large lit pierreux de Tarroyo torrentueux Ñirehuau qui
se jette dans le lac, nous pénétrons dans la belle plaine verte
qui s'étend au sud-est jusqu'aux hautes coUines morainiques de
la premiére extensión glaciaire. II est évident que dans la Cor-
dillére des Andes, il s'agit de deux periodos glaciaires, et rien
ne le prouve mieux que les dépressions occupées aujourd'hui
par les lacs. Ceux-ci sont entourés de moraines relativement
basses; ils sont suivis d'une vaste plaine, comme si ce fussent
les moraines frontales et laterales du glacier, plaine qui part
du lac aujourd'hui desséché. Puis une autre rangée de hautes
collines, qui sont les moraines plus importantes de la premiére
époque, denote une plus grande durée du glacier. Get intervalle
plat, entre les deux lignes de moraines, est généralement culti-
vable dans tous les bas-fonds lacustres que j'ai vus jusqu'ici,
et il y court souvent de grosses riviéres qui ne débouchent
pas toujours dans les lacs actuéis.
 
La partie sud-est de la vallée du lac Nahuel-Huapi (820 m.)
a de riches prairies et des ruisseaux bordes de bosquets qui
 
 
 
— 76 —
 
fournissent un abri aux bestiaux, durant Fhiver, et de Tom-
bre dans les jours de chaleur comme celui-c¡. Les transí tions
de tempéralure dans les zones voisines des montagnes, dont le
régime météorologique varíe considérablement suivant leur
orientation et leur altitude, en raison de leur proximité de la
zone humide de Touest, sont Irés violentes dans les plaínes
ouvertes, mais les vallées abritées entre les versants du haut
plateau ondulé doivent jouir d'un climat temperé durant toule
Fannée. On gagne le sud par des versants escarpes recouverts
de blocs erra tiques et de gravier glaciaire, fournissant d'excel-
lents páturages. Au nord, la vallée est dominée par des pies
volcaniques, et on distingue un chainon qui va du nord au
sud-est, coupé par la haule vallée antérieure ó Tactuelle. Le
haut plateau ondulé, que limite au sud et au sud-est la vallée
basse, est formé par le plus elevé des quatre degrés qui sont
probablement des vestiges des lignes de niveau successivement
abandonnées par Tancien lac, dans son mouvement de retrait.
Ces coteaux (1170 m.) sont de roches sédimentaires, composées
de gres gris et jaunatres, d'argiles plombées et de conglomérats,
le tout recouvert par le detritus glaciaire qui ressemble en partie
a la terre de la pampa, meis avec de petites conches de cailloux
roulés.
 
Peu aprés, nous Iraversons Pichileufu ou Curruleufu ou
Fia ou Rio de los Hechiceros (1080 m.), autant de noms qu'a
l'affluent le plus austral du Rio Limay, dans lequel il se jette
presqu'en face de Col Ion-Cura.
 
Les conches sédimentaires sont horizontales, et, au sud du
fleuve, elles commencent ü élre recouvertes de laves noira-
tres et qui proviennent des volcans de l'orient qui constituent
le chainon cité. Aprés avoir traversé TArroyo de las Bayas,
affluentdu Curruleufu (1120 m.), laissant au couchant le som-
met de ce nom (1400 m.), formé par une expansión volcanique,
nous descendons par une gorge herbeuse et nous campons á
la nuit, ái Chenqueg-gueyu, au pied du ravin sédimentaire ter-
ciaire (1150 m.). J'incline á croire que lá existait autrefois un
lac terciaire; les cailloux roulés de son conglomérat sont petits
comme des noix. Les moraines recouvrent les flanes, et, parmi
les detritus noiratres de la belle végétation passée, apparaissent
des blocs blanchdtres de granit erratique.
 
Les collines que nous traversons entre Las Bayas et Chen-
queg-geyu forment la ligne de división entre les eaux qui ali-
mentent le Rio Negro et celles qui se dirigent au Rio Chubut,
se dirigeant de lá les unes au nord, les autres au sud au
 
 
 
— Ti —
 
pied du chainon volcanique qui, depuis le Limay, se détache
au sud-sud-est.
 
A Test, on voit un volcan éteint et derriére celui-ci, au sud-
est, se trouvent les salines de Calgadept et ses sources ther-
males que j'ai visitées en décembre 1879. Les plateaux sont
caractérisliques comme dans les environs du fleuve Santa Cruz;
les supérieurs forment le fond de Tancienne mer intérieure qui
s'étendit entre le chainon granitique des Andes et celui du
centre de la Patagonie, avant que les forces néovolcaniques et
les glaciers eussent produit le paysage géologique actuel. Les
gigantesques glaciers de la premiére extensión couvrirent toute
cette región intermédiaire et y semérenl les dépouilles des
hautes cimes andinas: granits, porphyres et roches volcaniques
plus modernes. A Toccident du chemin, les terrasses sont lé-
gérement inclinées et, bien que les roches qui entrent dans leur
formation aient également leur plan de déclivité dans la méme
direction, Tinclinaison principale de la surface est düe h l'épais-
seur considerable des dépóts glaciaires de Touesl; dans la zone
oriéntale, la conche de galets et de sables n'a pas plus de trois
métres d'épaisseur.
 
Aprés Ghenqueg-gueyu, le platean s'éiéve de nouveau (1430
métres), coupé par des cafíadones qui se dirigent á l'orient, do-
mines par la hauleur voisine du Cerro Quemado au pied du-
quel on descend, par des gorges abritées et fértiles, dans la
vallée de TArroyo Chacayhué-ruca (1200 m.) qui coule ¿ Test
pour s'unir au Chenqueg-gueyu et plus bas au Ftatemen. Aprés
avoir dépassé cette fertile vallée, on gravit de nouveau le pla-
tean dont Télévation commence h diminuer (1390 m.) et on
arrive a la longue cluse ou combe de Ftatemen (1060 m.), dé-
pression longítudinale pittoresque située entre les plateaux de
Torient et le massif volcanique d'Apichigqui la domine á Toe-
cident, et dont les ravins, en partie denudes, promeltent aux
paléontologues un vaste champ d'exploration.
 
Tout le terrain entre Nahuel-Huapi et Ftatemen est abon-
dant en páturages et pourra servir á Télevage des troupeaux
appartenant aux espéces bovines et ovines qui, en hiver, trou-
veront un abri dans les foréls de la vallée; le ble et d'autres
plantes se développent bien dans quelques endroits abrités.
A Ftatemen, nous trouvons du poisson et du gibier en abon-
dance: des truites et des canards; mais nous n'avions pas le
temps de nous reposer, et á peine fit-il jour que nous mon-
tAmes de nouveau sur le platean, laissant éi Test la vallée du
rio pour redescendre á Touest. k la gorge d'Apichig (ou Ap'gtr),
 
 
 
— 78 —
 
par laquelle, aux lemps glaciaires, fit irruption un des bras
du glacier colossal qui a modelé toutes ees vallées préandines.
Les moraines situées a diverses hauteurs indiquent les aller-
natives d'envahissements, de retraits et Fépaisseur du glacier,
et sur le gradin supérieur du massif volcanique qui precede
la breche d^Apichig (960 m.), á cinq cents métres au-dessus de
la plaine, on observe, parmi de plus petits, un beau bloc erra-
lique de granit qui mesure neuf métres de long, six de lerge
et cinq de haut. De la, on a une forl belle vue: des plateaux
au paysage banal que Ton achéve de gravir, on passe, sans
transition, au revers de ce parage monótona; les prés rever-
dissent jusqu'aux flanes des montagnes boisées, et la gorge
basse de Touest, qui correspond á la cluse transversale d'Api-
ehig, laisse voir au couehant une ligne de montagnes couron-
nées do fils neigeux, aux versants couverts de foróts dans
lesquelles le jaune a été remplacé par le vert dans toutes ses
tonalitós.
 
Lá se ferme a peu prés complétement la grande vallée lon-
gitudinale du sud, qui s'étend depuis les moraines de Sunica-
paria, en face du Tecka, jusqu'aux ruisseaux dont les mille
lacets au milieu des arbres et des herbages laissent apercevoir,
de place en place, leur eau limpide qui miroite au soleil com-
me des pailletles d'argent sur un velours vegetal verdátre et
forment les sources du principal affluent nord du Rio Chubut,
qui pourrait s'appeler Rio Maiten, nom de la ferme établie sur
la rive.
 
C'est dans cette gorge que j'ai campé en janvier 1880, et lá
tomba malade mon bon guide, le pauvre indien Hernández
qui mourut dans les toldos voisins, victime de sa confiance en
la guérisseuse de la tribu. Beau sujet, pour un Jacques, le trou-
peau de moutons pampas que je vis á cette époque-lá prés des
toldos, se détachant en blanc avec leurs longues toisons táche-
teos d'or par les rayons du soleil qui étincelaient sur les neiges
fraíchement tombées sur la créte altiére loinlaine, tandis que
sur nous il pleuvait nuit et jour, gráce & un violent orage de
Touest, qui, en se précipitant par la gorge andino du Puelo,
nous arrivait du Pacifique.
 
Le bosquet de ce triste campement avait été brúlé, et les
tolderías disparu avec leurs habitants, disperses aux quatre
vents. Pauvres indiens qui n'ont jamáis fait de mal h personne
et qui n'ont commis d'autre crime que celui de naitre indiensf
 
Dans la terrible guarro faile aux indigénes, on n'a pas
commis peu d'injustices et avec la connaissance que j'ai de ce
 
 
 
— 79 —
 
qui s'est passé alors, Je declare qu'il n'y eut aucune raison
d'anéantir les indiens qui habitaient au sud du lac Nahuel-
Huapi; je puis diré que si Toa eut procede avec clémence, ees
indiens auraient été nos grands auxiliaires pour la colonisation
de la Patagonie, comme le sont aujourd'hui les restes errants
de ees tribus, journellement délogés par les placeurs de «certi-
ficats» avec lesquels on recompensa leur destruction. II y avait
plus d'habitants dans les tolderías indigénes soumises aux caci-
ques Inacayal et Foyel qu'aujourd'hui dans la región andine du
Chubut, malgré les vastes zones soUicitées et concédées á la
colonisation.
 
Le Rio Mailen nait á vingt-cinq kilométres au nord de
Apichig, prés du point oü prennent leurs sources le Curruleufu,
affluent du Limay, et le Manso, affluent du Puelo; il re<joit
dans ce parcours les eaux d'un chainon montagneux qui, h
Torienl, limite la belle vallée longitudinale, vallée intermédiaire
entre la zone montagneuse des Andes proprement dites et ce
chainon dont la plus grande altitude est de 1910 métres, et
qui s'interrompt á Touest d' Apichig, pour donner issue aux
eaux du Rio Maiten, lesquelles descendent des coteaux larges
et peu eleves (800 m.) qui séparent les eaux de la vallée du
Puelo et celles du Maiten. Ces coteaux sont de 160 métres
moins hauts que le col d'Apichig.
 
Nous déjeünons au pied de la haute muraille volcanique,
en face des cavernes oü, suivant les vieux indigénes, hurle
continuellement un chien qu'ils n'ont jamáis vu, et oü, par
suite de leur décomposition, les roches affectent des formes
capricieuses ; la plus remarquable est un bloc qui ressemble
au buste de Louis XIV, incrustó dans une niche de roche
rougeátre. Quand vint la nuit, nous campámes prés du lieu oü
mon bon compagnon Utrac établit sa toldería, et oü Hernández
et moi fumes empoisonnés par une de ses femmes (^). II va
sans diré qu'il n'existe plus un seul toldo; une pauvre hutte
(rancho) abrite quelques indiens qui soignent les bestiaux de
la Compagnie anglaise des terres du Sud.
 
Dans ce parage, prés de Caquel-Huincul, ainsi appelé en
raison d'une élévation d'origine volcanique recouverte par des
detritus glaciaires que croise la vallée longitudinale, le fleuve
Mailen a trente métres de large dans son bras principal, avec
une profondeur de deux métres en mars; il coule au pied de
la muraille volcanique oriéntale, tandis que la vallée s^étend á
 
 
 
(*) Recuerdos de viage en Patagonia, Montevideo 1882.
 
 
 
— 80 —
 
Touest (700 m.). La colline noirúitre, jaunálre, se détachant sur
la plaine verdoyante (820 m.), mesure plus de cinq kilométres
du nord au sud, et forme un excellent belvedere (820 m.) qui
permet d'embrasser un paysage étendu jusqu'aux gorges de
Toccident, et tandis que la caravane chemine lentement vers le
sud, je la gravis pour rafraichir mes souvenirs.
 
Dans des publica tions antérieures, depuis 1880, j'ai men-
tionné les intóressants traits orographiques qui s'observent de
lá. Comme je Tai déjá dit plus haut, le fleuve est dominé á Test
par le massif volcanique du sud d'Apichig, limité au sud par
une large ouverture qui conduit d la belle vallée de Queluja-
quetre, ü la confluence de TArroyo Lelej et du Rio Maiten (Chu-
but), et prés de la stalion (paradero) de Cushamen oü passa la
nuit le capitaine Musters dans son memorable voyage de Punta
Arenas h Carmen de Patagones. Au nord, on voit descendre le
Maiten, depuis le chainon longitudinal d'une certaine élévation
situé au nord ouest. Plus prés, on observe la gorge située en
face d'Apichig, oü sort d'une moraine frontale secondaire la
riviére qui donne le nom au fleuve; puis vient un pittoresque
massif aux deux liers boisé et dont le sommet le plus elevé
(1990 m.) se trouve en face de Caquel-Huincul; au pied de ce
massif, se trouve la grande plaine glaciaire qui remplace le
glacier disparu avec les débris andins que celui-ci laissa. La
colline de Caquel-Huincul est semée de blocs erratiques qui
mesurentjusqu'a cinquante métres cubes. A Touest de la plaine
morainique, qui commence au pied de la colline, les eaux des-
cendent á l'occident, et la dépression que j'aper^us, en 1880, á
travers le défilé correspond, non pas au lac Puelo, comme je le
supposai alors, mais au lac Epuyen qui débouche dans celui-lá.
 
Plus au sud, derriére la haute moraine appelée Cabeza de
Epuyen, s'élévent les cimes neigeuses de Tres Picos (2500 m.)
qui précédent la haute chaina neigeuse correspondant proba-
blement á Tenchainement central des Andes, á en juger par
les publications des explorateurs chiliens. Au sudsud-ouest, on
apercoit la longue dépression de la región de Cholila ou Cho-
lula, la terre des Chululakenes de la tradition; lá commence
la serie des lacs qu'alimentent le Fta-Leufu, et que doit recon-
nailre M. Lange.
 
Au sud on apercoit la continuation de la vallée longiludi-
nale et la dépression de Lelej. MM. Fischer et Stange, qui tra-
versérent au sud par Cushaman qui est le chemin ordinaire
entre le Rio Tecka, 16 de Octubre et Nahuel-Huapi, décrivent
ce parage de la maniere suivante: Le premier (d'a prés l'expres-
 
 
 
- 81 —
 
sion du docteur StefiFen) dit que «la vallée de Lee- Lee íLelej)
coupe un chainon peu elevé dans la direction du nord-est pour
se reunir bientót ói la vallée du Rio Chubut qui descend au loin
du nord-ouest, encaissé entre des sommets denudes de couleur
plombée. La vue était interceplée dans cette méme direction
par rimposante cordillére neigeuse dans laquelle M. Fischer
crut distinguer les ciines caractéristiques du Centinela et de
rObservador, situées immédialement au sud de Tembouchure
etdela vallée du Rio Bodudalmé». Parlant de la méme región,
le second s'exprime en ees termes: «D'ici, un embranchement
du chemin conduit á l'estancia Fofo-Cawello, sur la rive gauche
du rio Chubut; Tautre traverse des chaines parmi lesquelles on
distingue uno colline plañe, tres étendue el stérile faute d'eau...
De ce point se présente ó Touest la Cordillére des Andes avec
des crétes tres bizarres, et vers Test les monts de Fofo-Cawello.
Dans la cordillére, nous distinguons une grande ouverture par
oü doit se trouver un chemin aux canaux de Chiloé» (^).
 
J'ai fait ees citations pour signaler les différences qu'il y a
entre les observations des deux explorateurs. Je ne m'explique
pas comment M. Fischer a pu voir le rio Chubut descendre
encaissé entre des sommets denudes de couleur plombée lá oü
M. Stange distingue une colline plañe et plus étendue, depuis
calle que présenle a l'ouest la Cordillére des Andes. Comme
il a traverse la región entre Lelej et Cushamen, il a dú voir,
si d'épais brouillards ne lui ont pas masqué le paysage de
Touest, une plnine morainique s'étendant des sommets d'Epu-
yen vers Fofo-Cahuallo, et formant toule la plaine nord-est de
Lelej et celle de Cushamen et Quelujaguetre; et forcément il
n'a pu apercevoir le rio Chubut encaissé entre des montagnes,
puisqu'il n'y a la pas d'autres élévations que la moraine basse
á travers laquelle le fleuve s'est frayé un cours. Ces imperfec-
tions ou erreurs dans les observations de M. Fischer se répétent
dans sa carte de la región oü Ton a dessiné un haut chainon,
qui n'existo pas, au lieu de la plaine qui mesure des dizaines
de kilométres du nord au sud et de Test ix Touest. La grande
gorge qu'a vue M. Stange correspond aux gorges d'Epuyen
et du Puelo.
 
C'est á cette plaine glaciaire que je me referáis en faisant
la description de la plaine de méme origine, située entre le
rio Quilquihué et la ri viere ChapeLo; ce phénoméne se répéte
fróquemment vers le sud, comme je Tindiquerai plus loin.
 
 
 
(*) Expedición exploradora del Rio Palena, Santiago, 1895.
 
 
 
— 82 —
 
Ici, á Caquel-Huincul et á Cholila, existait autrefois un im-
mense bassin lacustre anlérieur á la grande extensión des gla-
ciers, et dont les vestiges actuéis sont les chapelets de lacs
appartenant au systéme du rio Puelo et du rio Fta-Leufu,
bassin commun qui s'est separé á mesure que l'érosion, le
climat et peut-étre les phénoménes volcaniques ont produit les
écoulements de l'ouest á travers la Cordillére. Dans la premiére
période glaciaire, une conche de glace recouvrait toute la re-
gión andine de l'orient et les cours d'eau auxquels elle donnait
naissance se dirigeaient vers TAtlantique. Ainsi s'expliquent
les larges vallées avec les conches de cailloux roulés andins qui
les recouvrent, vallées par lesquelles courent aujourd'hui íes
affluents du Chubut. La plaine est formée des restes d'une des
vieilles moraines frontales de ce grand lac disparu.
 
Plus loin je m'occuperai de nouveau du paysage embrassé
du coteau d'oü je descends en toute hate, menacé par Tincen-
die des champs, provoqué par les bouviers afln qu'il reverdis-
sent. Avant de me voir enveloppé dans la fumée, "mon atlen-
tion avait été sollicitée par la beauté du paysage et le colorís
spécial du rio, de la plaine et de la montagne: Les sommets
rapprochés á Torient avec leurs roches volcaniques verdátres,
rougeátres, violettes et lie de vin, comme de gigantesques cail-
lots de sang, blessures produites par Tirrésistible forcé d'im-
pulsion du glaciar qui pulvérisa et désagrégea ees laves; puis,
h leur pied, le fleuve serpentant, noir dans Tombre, argenté
par la lumiére du ciel limpide á Torient, bordé d'arbres obscurs,
de hautes herbes et de ehilcales vert-clair, qui contrastaient avec
le jaune et le gris des moraines arides. A Tarriére-plan, sur-
gissant au-dessus des dépressions mystérieuses avec de la
fumée d'encens, les hauts sommets colores de lie de vin et
de noir avec des reliefs de nacre produits par la neige sur ees
cimes aux tons d'acier, au milieu des nuées mena^antes de
l'orage prochain sur le glacier caché, tres loin vers le cou-
chant... Mais le temps pressait, et je désirais arriver á Lepa
pour la nuit.
 
La plaine glaciaire s'éléve á peine á dix métres au-dessus du
Maiten; elle est coupée par des lits de ri vieres, secs en été, mais
qui, au printemps, apportent au Mailen les eaux de Thiver, tout
prés des ruisseaux tributaires d'Epuyen. En cótoyant ses bords,
nous nous rapprochons de la troupe en marche, arrivée déjá au
pied des sommets qui, á l'ouest, limitent la vallée de Lelej. Mus-
ters n'a pas de paroles assez élogieuses pour décrire la beauté de
cette yallée qu'il appelle un paradis, et qui mérite bien cette
 
 
 
— 83 —
 
qualification du voyageur anglais (*). Cette vallée est, sans doute,
avec les reserves de Lepa, la región la mieux appropriée á
un grand établissement d'élevage. Nous la trouvons peuplée de
bestiaux; et aprés nous étre fourni de viande dans les maisons
de Y estancia (610 m.), nous traversons les coteaux d'origine vol-
canique qui séparent la vallée de Lelej de la vallée de Lepa
oü Ténorme quantité de detritus glaciaires indique que les
roches de ceux de l'occident consistent surtout en granits, por-
phyres et andésites; on ne voit pas de morceaux schisteux.
 
La vallée de Lepa est aussi belle que celle de Lelej; nous
y passámes la nuit (740 m.); la riviére sort d'une gorge pitto-
resque, profonde entaille dans la roche gris-claire, d'aspect
granitique á distance; et elle regoit les eaux de PArileufu, cours
d'eau moins important qui descend du sud-ouest (760 m.).
 
Tout le terrain est ondulé par les glaces; les hauteurs de
Test sont recouvertes de roches volcaniques, mais les dépres-
sions et les plateaux qui se prolongent au sud entre les chaines
de Touest, et les hauts coteaux de Porient, traversées par les
mémes riviéres transversales que nous franchissons, sont for-
mées de roches sedimenta i res, probablement de miocéne, á en
juger par quelques molusques lacustres que j'ai trouvés & Pi-
chileufu (790 m.). Le Mayuleufu, auquel s'unit le Pichileufu,
a un lit profond et court au sud, 6 travers une vallée étroite
et pierreuse jusqu'au point oü il regoit le tribut des eaux du
premier; il était á sec á Tépoque de notre passage. Dans les
dépressions recouvertes de foréts, on trouve des blocs errati-
ques de deux cents métres cubes dont la roche est un conglo-
mérat volcanique. Aprés avoir dépassé le vallon encaissé du
Temenhuao ou Tameñao, comme on l'appelle généralement,
nous entrons dans ce que Ton peut considérer comme les pam-
pas d'Esguel, proprement dites, succession de petits plateaux
(780 m.), coteaux et marécages, entiérement habillés de vert,
dont l'altitude varié de 700 á 800 métres au-dessus de la mer,
et qui s'étendent entre les versants des montagnes au couchant,
et le haut platean (970 m.) couronné de laves au levant. Au
pied de ce platean, au fond de la plus grande dépression, se
trouvent trois lagunes sans issue oü viennent se perdre des
ruisseaux qui sourdent de la mon tagne opposée. II s'agit, sans
doute, du lit d'un ancien lac disparu dont il ne reste que les
lagunes (740 m.). II n'y a pas un métre de Ierre stérile; Ther-
bage recouvre tout; et sur les petites éminences formées par
 
 
 
(^) G. C. MüSTERs: At home tcith the Patagonians. Londres, 1871.
 
 
 
- 84 —
 
ragglomération des detritus glaciaires, on aperQoit des grou-
pes d'arbustes qui fourniront aux futurs colons d'abondant
combustible. Nous rencontrons quelques milliers de tetes de
bétail appartenant á la Compagnie anglaise citée, qui descen-
daient des plaines de Touest et cherchaient un abri dans les
prairies voisines de \a lagune, inais nous n'avons pas vu un
seul homme. Uexploitation de pareils terrains n'est pas chére
dans ees conditions-líi, mois elle ne favorise guére Tindustrie
humaine.
 
Dans ees pampas d'Esguel, nous retrouvons de nouveau le
divortium aquarum interocéanique, toujours produit par la cause
déjá citée: Taction glaciaire. Ici aussi, les eaux qui descendaient
de la Cordillére vers TAtlantique se sont vues obligées a chercher
une issue par le Pacifique, á la suite de Tobstruction de leurs
canaux naturels par les immenses moraines qui couvrent au-
jourd'hui la contrée. Le grand glacier de Touest, se frayant un
passage entre les gorges des montagnes qui précédent le pre-
mier plissement longitudinal paralléle au cliainon central andin,
a recouvert de ses moraines toute la vallée entre le nord d'Api-
chig et le Mont Thomas, comblant cette dépression avec d'autres
branches du glacier disparu du Tecka. Dans la relation de mon
voyage de 1880, j'ai mentionné cet enorme dépót glaciaire et
rintéressante moraine frontale du Tecka, au point de conver-
gence des deux cluses: celle d'Esguel et celle de Tecka. Les
monticules glaciaires augmentent en altilude vers le sud, en
face de la gorge de Pouesl.
 
Aprés avoir cheminé plus devingt kilométres a travers uno
plaine a peine ondulée oú, sans instrumenls de precisión, il
n'est pas possible de déterminer oü commencent les cours d'eau
qui se rendent au Pacifique et ceux qui scnt tributaires de TAt-
lantique, plaine oü Ton cliercherait en vain ce qui pourrait étre
consideré comme une «croupe andino diviseur des eaux», on
descend la grande moraine frontale par la gorge ou Touverture
(abra) d'Esguel (col — &02?¿6/e — d'aprés la carte de M. Fischer)
et on arrive á une autre terrasse de Tancien lac disparu dont
le lit est occupé íi Touest et au sud-ouest par la Colonie 16 de
Octubre.
 
Dans son journal de la « Expedición exploradora del Rio
Palena», M. Stange dit (pag. 157): que les montagnes situées
ái l'ouest et au sud de la plaine d'Esguel forment «la ligne de
división entre les eaux chiliennes et les argentinos, c'est-iVdire,
entre celles qui vont au Pacifique et cellos qui se versent dans
TAtlanlique». Ce n'est pas le moment de disculer si ees eaux
 
 
 
— 85 —
 
sont chiliennes ou argentines, parce qu'elles coulent dans telle
ou telle direction, mais je puis affirmer que M. Stange commet
une erreur dans ce paragraphe, résultat sans doute des obser-
vations Irop hátives auxquelles ¡1 fut contraint par son voyage
precipité. Les eaux qui descendent h l'est et a Touest ont leurs
sources íi Test et au nord de ees montagnes dans la plaine; il
n'y a pas la non plus de chaine qui aille de Touest au sud-
est, comme le dit le méme voyageur. Puisque cette erreur se
répéte sur la carte dessinée par M. Fischer, sur laquelle sont
consignes les résultats de Pexploralion, et qui est absolument
dél'ectueuse, je ne dois pas aller plus loin sans signaler ce fait
il Tütlention, car de telles erreurs contribuent a fausser le juge-
ment de ceux qui se préoccupent de Torographie de la región
auslrale de ce continent.
 
Si une crúe anormale, qui peut se produire un hiver quel-
conque, augmentait le volume des eaux de la plaine d'Esguel,
le divorihtm aqtiarum interocéanique s'éloignerait á Torient du
point oü il s'opére maintenant et ne serait plus formé par les
monts d'Esguel ni par la plaine. Dans ce cas, le platean orien-
tal deviendrait, suivant les théories de MM. Sleffen, Fischer et
Stange, «renchainement de la Cordillére qui divise les eaux»,
pendant une saison de Tannée, tandis que le reste du temps
cet «enchainement» se trouverait dans la plaine.
 
Par ici passe le chemin carrossable qui met la capitale du
Territoire du Chubut en communication avec la Vallée 16 de
Octubre dont nous nous rapprochons. Les blocs erratiques sont
de grandes dimensions, et un grand nombre, formes prin-
cipalement par du granit blanchátre, ont un volume de cent
métres cubes. La roche des sommets au sud-ouest est por-
phyrique, pareille a celle que j'ai observée sur le Limay.
 
Aprés avoir dépassé la gorge, et poursuivant notre marche
au sud, nous dressons nos tentes prés des ranchos du chef in-
digéne Nahuelpan, dans un tres beau pré, parage que j'avais
déjéi parcouru en 1880. La moraine qui limite la vallée d'Es-
guel au sud á 770 métres au-dessus de la mer; et á Tendroit
oü nous la traversons naít l'affluent nord du fleuve Corintos.
Le jour suivant, nous passons par la superbe gorge peuplée par
les colons de la vallée 16 de Octubre, d'une fertilité exhubérante.
Le massif de l'ouest, appelé Cerro Plomo ou Nahuelpan, d'ori-
gine volcanique et le Cerro Thomas (1650 m.), de méme cons-
titution geólogique, forment un digne portique á la grande
vallée que le gouverneur Fontana a baptisé de la date de la
loi qui crea les territoires nationaux. Cette terre est assurément
 
 
 
~ 86 —
 
une merveille de fertilité, et le choix qu'on fit de ce point pour
y établir une colonie rt'eut pas pu étre meilleur. Quand, en 188í),
je revins de ees rógions, et décrivis sa fertilité, personne ne
crut á mes affirmations: la routine voulait que Patagonie fút
synonyme de stérilité, et comment voulez-vous que Fon se fie
aux enthousiasmes des voyageurs qui disent le contraire? Mais
les établissements des colons constituent la meilleure preuvede
la qualité du sol et de son rendement, si on le cultive avec
persévérance. II y a de Taisance dans ees humbles cabanes, et si
les colons qui s'y établirent, des 1888, eussent regu en propriété
le lot qui leur fut promis et qui ne leur a pas encoré été ac-
cordé, la Colonie 16 de Octubre serait aujourd'hui la plus impor-
tante de la Patagonie; malheureusement les obstacles qu'ils
rencontrent á leurs efforts et á leurs désirs sont nombreux,
car les terres qui entourent la vallée ont déjá étó « placees »
depuis Buenos Aires, et les plaintes que j'entends contre les en-
vahissements des nouveaux propriétaires m'affligent. Comment
développerons - nous le peuplement de la Patagonie, si, aprés
de louables initiatives, on dicte des mesures qui les annulent?
 
J'ai recu plus d'une demande de ees pauvres colons pour
qu'on ne réduise pas le périmétre de la colonie, mais que faire?
quand on n'écoute pas de si loin les réclamations et qu'on
procede d'une maniere si contraire aux intéréts du pays! Une
résolution genérale du Gouvernement de la Nation, ordonnanl
la suspensión de toule adjudication de terrains en Patagonie,
jusqu'á ce qu'on en connaisse l'exacte valeur et la meilleure
maniere d'en tirer parti, ne manquerait pas d'avoir les meil-
leurs résultats.
 
A midi, nous entrons dans la chacra (propriété) de M. Martin
Undervvood (260 m.), commissaire de la Colonie 16 de Octubre,
et un des hommes les plus entreprenants de la contrée. La
je me rencontrai avec don Juan Murray Thomas, le plus aclif
des fondateurs de la colonie du Chubut, et le plus enthousiaste
partisan de la colonisation de la región andine, enthousiasme
qu'il communiqua au commandant Fontana, et dont surgit la
fondation de la colonie, á la suite de la memorable expédition
oü il servit de guide intrépide.
 
La vallée 16 de Octubre occupe la dépression produite par
Térosion, dans la vieille vallée intermédiaire placee entre les
hauteurs de Test et la chaine íi laquelle, en 1870, je donnais le
nom de notre illustre Rivadavia (^). Cettevallée intermédiaire se
 
 
 
(*) Lire les journaux de Buenos Aires du mois de mars 1880.
 
 
 
— 87 —
 
prolonge au nord, avec ses ondulations glaciaires, jusqu'ii Cho-
lila, s'abaissant graduellement du nord (1880 m.) jusqu'aux vas-
tes plaines á rorient du lac General Paz ou Corcovado, source
principale du Carrenleufu, appelé improprement par les colons
Rio Corcovado, nom qui appartient au fleuve qui coule au pied
du Cerro Corcovado, situé prés de la cote de TOcéan Pacifique,
á Touest de la vallée 16 de Octubre.
 
Je séjournai dans la vallée du 15 au 18 au matin pour cher-
cher un guide en vue de mon excursión au lac Buenos Aires,
ainsi que pour compléter les instructions des topographes qui
deja opéraient dans leurs sections respectivos, aprés avoir tous
exécuté fidélement mes ordres. Je parcourus ees jours-la la val-
lée et pus me rendre compte exactement de sa grande impor-
tance comme base de la colonisation de nos terres andines. Si
ees colons, sans secours officiel d'aucun genre, avec la perpé-
tuelle incertitude de savoir s'ils travaillent la terre pour leurs
enfants ou pour quelques potentats de Buenos Aires, arrétés
fréquemment dans leurs travaux par les rumeurs qui leur par-
viennent de temps en temps sur une spoliation possible, sur
des changements de lot, sur Tabsence de tout droit á les occu-
per, puisqu'il n'existe pas de loi nationale qui prévoie ees ini-
tiatives audacieuses; si ees hommes laborieux ont pu se dé-
brouiller avec plus ou rnoins d'habileté, et méme, dans certains
cas, réaliser leurs désirs en défrichant et cultivant de belles
chacras dont les produits sont les preuves irrefutables de l'excel-
lence de la terre et du climat, que ne pourrait-on obtenir avec
des mesures de previsión qui assurassent Tavenir du travailleur,
et avec des moyens de communication qui peuvent se creer faci-
lement? En char, on met un mois environ entre la vallée et
la capitale du Chubut, et, malgró cela, le colon trouve une com-
pensation a un si long voyage, tel est le rendement du sol.
Mais je n'ai pas l'intention de m'étendre maintenant sur ce
sujet intéressant que je dois laisser pour une autre occasion.
 
 
 
. VII
 
 
 
DE LA VALLÉE i6 DE OCTUBRE AU LAC FONTANA
 
 
 
Le 18, de bonne heure, je laissai le campement central établi
prés du Commissariat et je me dirigeai & Tecka, accompagné
du colon nordaméricain Nixon, type du pioneer, qui connaissait
le territoire jusqu'aux environs de TAysen. La charriére monte
des coteaux glaciaires tres herbeux qui dominent le cours en-
caissé du rio Corintos, puis elle tourne un peu vers Sunicaparia,
marécage fertile au bord duquel s'opére, encoré une fois, la di-
visión des eaux continentales dans la moraine latérale du bras
transversal de Tancien glacier d'Esguel. Lá, un simple monti-
cule de pierres entrainées, de moins de quatre métres de haut,
separe dans la plaine les eaux qui vont au Tecka de celles qui
s'écoulent dans le Corintos.
 
Aprés avoir dépassé les hautes collines, on descend dans
la vallée de ce fleuve, et, par des coteaux volcaniques et gla-
ciaires, on arrive aux gradins ou terre-pleins du cours supérieur
du rio Corintos qui descend du sud entre d'énormes dépóts gla-
ciaires tres caractéristiques. Le paysage qu'on a devant soi est
essentiellement glaciaire, et les huit plateaux échelonnés indi-
quent autant de niveaux de Tancien et immense lac. La grande
quantité de cailloux roulés provient indubitablement des char
nons andins de Touest. A Test, la vallée est dominée par des
monts composés de schistes et de gres métamorphiques.
 
Dans une inflexión des monts se trouve la lagune Crono-
metro, sans débouché lors de mon passage, mais qui, autre-
 
 
 
 
 
 
— 89 —
 
fois, se déversait dans le Tecka, puis dans le rio Corintos,
dans lequel elle finirá par se vider tout-ó-fait des qu'une crúe
violente ou Térosion aura détruit la minee paroi qui aujourd'hui
retient les eaux. On tra verse ensuite un défilé de 1120 métres
de hauteur pour descendre á la vullée de Tecka si renommée
parmi les indiens et les blancs.
 
Dans les diverses vallées que nous avons traversées, depuis
le Commissariat, j'ai observé les mémes dépóts sédimen taires
de Pichileufu qui, á mon avis, sont miocénes. Les coteaux
herbeux et abrites, oü abondent les guanacos et oü les pumas
causent de grands dégáts dans les Iroupeaux des nouveaux ha-
bitants qui commencent á arriver, sont en pentes douces.
 
Nous passámes la nuit au bord de la riviére Caskeil ou Ga-
quel — selon la prononciation. On voit apparaitre de nouveau les
blocs de granit qui ne se trouvent pas sur les cimes du petit
chainon, et qui me paraissent provenir du mont granitique Ca-
quel, aujourd'hui peu elevé, mais qui a été détruit par les glaces.
Nous rencontrons des ravins de roches sédimentaires, proba-
blement tertiaires, dans lesquelles quelques colons ont recueilli
des restes fossiles de mammileres que, malheureusement, je n'ai
pas pu voir. Tout le territoire que nous traversons jusqu'íi la
vallée du fleuve est fertile.
 
Dans la maison de commerce de la vallée m'altendait le
cacique Sharmata et peu aprés arriva le vieux cacique Foyel,
mon bote du Musée pendant plusieurs années, qui a préféró
retourner a la chasse (lá las boleadas) des guanacos et des au-
truches. Musters nous raconte Thabileté de Foyel á la chasse,
et plus d'une fois, ce septuagénaire m'a procuré avec ses sures
boleadoras (boules) des autruches et des guanacos. Foyel m'attend
pour m'accompagner; Sharmata ou Sacamata, chef acluel de
la tribu, regrette de ne pouvoir aussi se joindre á nous; son
pére, mon vieil ami Pichicaia, doit venir á ma rencontre dans
les environs de Gennua. Je suis heureux de revoir ees indigé-
nes aprés tant d'années, et de constater leur adaptation, bien
lente, il est vrai, á la civilisation. S'il était possible de défen-
dre la vente de Peau-de-vie a ees pauvres indiens, les estancie-
ros auraient des servileurs de premier ordre dans les descen-
dants des tribus qui furent maitresses de ees terres et qui
aujourd'hui errent sans patrie. Musters en a rencontre quel-
ques uns á Tecka, en 1871, j'y ai vécu en 1880 avec Inncayal
et Foyel, et ce dernier y a encoré ses tentes; mais on Ta déjá
averti qu'il devra déloger de la vallée, parce qu'elle est acquise
par un «monsieur» de Buenos Aires.
 
 
 
— 90 —
 
A midi, je campe u quelques métres des toldos, ou méme
point oú je m'étais arrété dans mon voyage précédent. Le ca-
cique Shaihueque n'est pas encoré arrivé avec sa tribu, mais
il a prévenu qu'il approche. J'ai choisi les lots que le gouver-
nement de la Nation lui destinait provisoirement, jusqu'á ce que
le Congrés lui donne des terres comme á Namuncura et á d'au-
tres caciques qui y avaient moins de titres, parmi les lots libres
voisins de la vallée du Tecka; mais il resulte, d'aprés les rap-
ports que je reQois, que les lots choisis dans le plan qui s'ap-
pelle «ofHciel» ne correspondent d'aucune maniere au terrain
choisi; au lieu d'étre prés du rio Tecka et de comprendre une
partie de la vallée, ils sont sitúes sur les monlagnes & l'ouest
de celle-ci. 11 semble incroyable que la división (la ubicación)
de la terre fiscale soit faite d'aprés des documents aussi in-
complets, et dans lesquels Torographie et l'hydrographie sont si
éloignées de la vérité. Je connais beaucoup de déceptions parmi
ceux qui ont acquis des terres, en se fiant au dessin de ce plan.
 
Nolre systeme de división et de distribution de la terre pu-
blique dans les lerritoires nationaux n'est pas basé sur un plan
exact et détaillé qui contienne les données nécessaires pour
assigner au lerrain sa véritable valeur; il ne peut étre plus pré-
judiciable, et arrétera assurément le progrés de ees territoires.
La négligence actuelle du personnel des bureaux chargés de
Tadministration des terres publiques est impardonnable. Les
travQux d'arpentage exécutés d'aprés leurs ordres ne contien-
nent pas les éléments nécessaires pour apprécier la topographie
des terrains, ou les plans qui consignent les résultats sont mal
dessinés. La responsabilité de ees erreurs retombe sur ceux
qui livrent k la publicité de semblables données en leur impo-
sant un caractére officiel;ce sont les seuls renseignements sur
lesquels puissent se baser les calculs de la plus grande partie
de ceux qui désirent acquérir des terres nationales. II circule
dans la République une volumineuse publication officielle, avec
un titre polichrome, intitulée: Atlas des cohnics officielles de la
Répiíbliqus Argentine, et dans laquelle figure, comme premiére
carte, celle de la République, déterminant Templacement des
colonies nationales, en tenant compte des fleuves, chemins de
fer et points principaux, dressée par le Département de Terres,
Colonies et Agriculture (1895); échelle 1:3000000! Cette carte
discrédite le burean qui l'a publiée, et elle est le comble de
rinexactitude en matiére de géographie officielle. Ceux qui Tont
construite ont oublié qu'en Patagonie il y a deux grands fleu-
ves qui sappellent rio Santa Cruz et rio Gallegos; que le Dé-
 
 
 
— 91 —
 
partement de Terres, etc., a approuvé les mesures du terrain
oü doit se fonder la colonie San Martin, qui figure sur le plan
au milieu d'un grand espace laissé en blanc; qu'il s'y trouve
un lac que s'appelle Nahuel-Huapi, et que dans ce lac nait le
fleuve Limay, etc., ele. Par contre, on a représente la colonie
16 de Octubre arrosée par le rio Chubut, au pied d'une haute
montagne qui la limite au sud, tandis que la pampa la limite
au nord, et le rio Aluminé se déversant directament dans le
Limay, baignant dans son cours une montagne prodigieusement
élevée qui occupe tout le territoire compris entre ce fleuve, les
Andes, le rio Neuquen et le Limay.
 
La plupart des acheteurs de terres dans les territoires du
sud jouent á la loterie, en choisissant les números de leurs
lots sur les plans officiels; de la le bas prix relatif qu'atteignent
les ventes; de la aussi les facilites pour quelques uns d'obte-
nir de grandes étendues de terre dont la nation ignore la valeur,
tout en consacrant des sommes considerables a ees mesures
de terrains, qui donnent des résultats si visiblement incomplets.
 
Rappelons la colonie Sargento Cabral et ia colonie indigéne
San Martin dont la terre est exploitable pour une bonne partie,
mais qui a été désignée sans aucune étude préalable, puisque son
périmétre ne contient pas un seul arbre qui puisse étre utilisé
pour des constructions, ni davantage de bois en quantité néces-
saire á une colonie étendue, quand á peu de distance se trouvent
des terrains convenables, qui ont été laissós de cote, et qui, mal-
heuseusement, se trouvent déj& dans les mains de particuliers.
 
La vallée du Tecka et les vallons plus ou moins étendus
des plateauxqui Tentourent pourront, dans la suite, servir de
páturages a des troupeaux de moutons qui se compteront par
centaines de mille, et réunissent de meilleures conditions pour
y établir de grandes colonias que d'autres terrains de 1 'intérieur
de la République ayant deja été colonisés. S'il est certain que
la región comprise entre la colonie- capi tale du Chubut et les
monts Gualjaina et Quichaura á Torient du Tecka est tres pau-
vre en páturages étendus, en revancha, on peut diré que la
zone qui s'étend de ees chaines, dans la direction de Touest,
est continuellement fertile.
 
Le 20, ayant obtenu les peones indigénes dont j'avais besoin,
et aecompagné de Foyel, je continuai Tascension de la vallée
du Tecka, de plus en plus fertile. Une ceinture verte indique
sur le flanc du platean la ligne qui separe les roches sédimen-
taires tertiaires des dépóts glaciaires, fo'rmant une serie de
sources pittoresques.
 
 
 
— 92 —
 
Nous vimes les choines de Gualjaina ou Tecka oriental se
prolonger au nord, depuis la gorge transversale que croise le
chemin de Chubut á la vallée 16 de Octubre, et au sud de la
chaine de Quichaura dont Tarroyo principal, qui court du sud
au nord, n'arrive pas a se déverser dans le rio Chubut. Ges
deux chaines correspondent á celles de Torient de Chenqueg-
geyu, et, a mon avis, sont la continuation orographique des
chaines de Moncol, situées ix Tangle du Collon-Curá et du Li-
may. De notre point d'observation, vers le sud, je remarque
que les chainons se séparent, s'éloignant de plus en plus ó
Torient. La reconnaissancc de cette partie du territoire neren-
tre pas dans mon programme actuel, et je renvoie a plus tard
la publica lion des données que posséde le Musée sur cette
región.
 
Une protubérance volcanique dont les laves couvient les gres
et les conglomérats du Tecka supérieur, étrécit la vallée sur
un parcours de quelques centaines de métres, en forme de
pittoresque «cnñon»; c'est jusqu'ici queje suis arrivé en 1880,
lors de ma visite au cacique Pichicaia. Aprés ce défilé, la val-
lée s'élargit doucement sur ses cotes par de vastes moraines
que domine le Mont Edwin. C'est la zone si vantée des laveries
d'or. Cette vallée a quelques dizaines de métres du sud au
nord. Le fleuve descend de Touest entre des pentes douces; au
nord se trouve le Mont Edwin (2000 m.), et le Mont des Mi-
nes (1790 m.).
 
Au milieu de ce paysage glaciaire, le Tecka et quelques ruis-
seaux affluents du Carrenleufu prennent naissance dans les
ondulations morainiques oú Ton remarque souvent de petites
lagunes. Nous montons vers le sud-sud-ouest par les coteaux cou-
verts de laves et caches sous les dépóts glaciaires, puis nous
descendons a Torigine des eañadones (vallées étroites) qui amé-
nent des eaux au rio Gennua, et Ih nous trouvons une lagune qui
fournit d'excellent sel aux indigénes. Ces lagunes sont au nom-
bre de quatre, mais une seule est salee, elle a environ deux
kilometres dans son plus grand diamétre. Les eaux coulent au
Tecka du pied ouest de la colline a travers des gorges ouvertes
dans la lave. Au sud de la Saline, une colline granitique se-
pare les eaux qui descendent au Gennua, de celles qui vont
au Carrenleufu. Les collines sont peu élevées, avec de légeres
ondulations couvertes de dépóts glaciaires. Pour recueillir des
exemplaires pétrographiques, nous campons dans un pittores-
que bosquet parmi des roes capricieux de granit décomposé.
 
Le 21, de bonne heure, nous continuons la marche dans la
 
 
 
— 93 —
 
mémedirection sud-sud-ouest, par des coteaux en pentes douces
et des lagunes du paysage glaciaire. La roche qui constitue les
cimes de ees collines est volcanique, et j'observe qu'elle o été
striée en parlie par le glacier dispara. Le reste du terrain est
totalement recouvert par des sables et du gravier glaciaire, avec
une grande quantité de roches erratiques. II ne m'a pas été
possible de me rendre un compte exact de la maniere dont
s'opére la división des eaux des affluents du Tecka, du Gennua
et du Garrenleufu. II n'y u pas líi de croupe orographique bien
définie; les dépóts glaciuires et ceux de Térosion postérieure
ont obstrué les anciens canaux qui mettaient en communica-
tion les nombreux lacs de la región, et cela me fait Timpres-
sion d'un ancien fond de lac desséché avec des restes d'ilots.
 
Brusquement, nous trouvons u Touest la grande vallée du
Garrenleufu, qui traverse la plaine en immenses zigzags, bor-
dant parfois le versant morainique de Test et du nord, et d'au-
tres fois la base des plateaux qui précédent les montagnes de
Touest. II est facile d'observer deux lignes de niveau de ran-
cien grand lac sur les deux plateaux qui dominent le beau
fleuve. Je m'établis sur ses bords, car je désirais parler a M.
Kastrupp, qui devait se trouver dans les environs, aprés avoir
traversa depuis la colonie 16 de Octubre la moraine qui separe
les deux val lees.
 
La vallée du Garrenleufu est aussi belle et aussi fertile que
celle du 16 de Octubre; et sa richesse en alluvions auriféres est
connue. 11 ne faut que de Ténergie, de la prudencc et de la cons-
tance pour la mettre en valeur et transformer cette región en
un centre industrieux de premier ordre. Nous trouvons les bor-
nes des diverses propriétés miniéres, mais le prospector n'est
pas constant; s'il n'obtient pas un résultat de loterie, il aban-
donne la tuche, et comme il parait que les alluvions des envi-
rons du Garrenleufu ne peuvent donner un gros bénéfice que
sMls sont laves sur une grande échelle, les mineurs les ont
abandonnés aussitót aprés les avoir découverts.
 
En passant et repassant quelquefois á la nage la riviére
tortueuse et volumineuse, j'arrivai a surplomber, dans sa plus
grande largeur, la vallée dans laquelle le fleuve descend de
l'ouest, depuis la dépression oú brillent les eaux du lac Gene-
ral Paz, pittoresque encoignure, siége assuré d'une ville future.
Par la descendeht de Test deux riviéres du haut platean, et
au sud on remarque le méme platean qui se détache des ver-
sants des chainons dont les cimes sont recouvertes de larges
taches de neige. Je remarquai des deux cotes du lac, le sur-
 
 
 
— 94 —
 
plombant, les versants et les sommets des montagnes, taillées
comme les croupes d'énormes pachydermes, et base du glaciar
disparu. Par ees croupes on peut acceder aux éclaircies de la
forét et mon intention était que Kastrupp en fit Tascension afin
de pouvoir explorer la región montagneuse de Touest encoré
inconnue. En réponse au signal convenu entre les explora-
teurs, nous apercümes peu aprés des fumées, et bientót arriva
un envoyé de Kastrupp, dont le campement était établi prés du
lac, oü je le trouvai le lendemain matin. Comme je Tai dit, il
avait exploré la región qui s'étend au sud de 16 de Octubre
et relevé le cours du Carrenleufu jusqu'au lac General Paz que
nous visitons l'instant d'aprés (900 m.); par suite du manque
d'embarcation, il ne m'a pas été possible d'étudier sa limite
occidentale. Au nord se trouvent trois autres petits lacs. Les
eaux du lac General Paz pénétrent dans des baies profondes,
et il est possible que les riviéres qui Talimentent aient leurs
sources plus prés du chainon central auquel parait appartenir
la haute montagne neigeuse connue sous le nom de Monte
Serrano. Les données de Kastrupp confirment mon impression;
dans cette región, il n'y a rien qui puisse étre consideré comme
un chainon á Test du fleuve, et ce que MM. Serrano et Steffen
ont pris pour tel, du point extreme de leurs explorations, n'est
que le versant du hout platean patagonique. Cette erreur, qui
en a entrainé une autre, consistant dans Taffirmation que le
fleuve Carrenleufu ou Palena a toutes ses sources dans la Cor-
dillére, s'explique par la distance.
 
A midi, je levai le campement et me dirigeai au sud-est par
les cañadones et les moraines pour traverser le haut plateau
qui separe le bassin du Carrenleufu de celui du fleuve de Las
Vacas. De beaux champs précédent la forét qui couvre le pla-
tean, et celle-ci, que nous traversons avec quelque difficulté k
cause de la quantité d'arbres morts tombés entre les blocs erra-
tiques, est également tres belle. Les hueinulss {Cevwis Chilensis)
qui abondent ne fuyaient pas devant nous, et l'un d'eux nous
fournit de la viande fraiche. C'était un plaisir de les voir s'arré-
ter devant la mulé, bondir, nous regarder et brouter de nou-
veau rherbe rase, tranquillos, ignorant le danger si proche. Si
le huemul est tranquilla tant quMl ignore le péril, rien n'égale
sa rapidité íi fuir des qu'il en a conscience; il semble á premiére
vue impossible qu'un animal aussi lourd puisse faire preuve
d'une telle agilité, et vaincre si facilement les obstadas de la
forét australe.
 
Nous errons égarés pendant quelques heures au milieu das
 
 
 
— 95 —
 
arbres et des buissons de ñires, et nous nous estimons heureux
de les trouver aussi épais, car plus d'une fois ils nous sou-
tiennent au-dessus des précipices qui se caclient sur le versant.
Une fois sur le versant sud, nous avons devant nous le vaste
panorama de la plaine glaciaire que j'étais désireux de connai-
tre depuis tant d'années, mais la nuit avance, et nous devons
camper, sans atteindre notre troupe, mouillés jusqu'aux os.
Nous trouvons une compensation á ees désagréments dans le
savoureux filet de huemul, et dans l'agréable perspective du len-
demain, car elle devait, une fois de plus, confirmer mon opinión
relativement á l'existence de grandes dépressions continentales
transversales, antérieures á la période glaciaire, qui mettaient
en communication TAtlantique avec le Pacifique, et dans les-
quelles s'est formé le curieux divoriium aquarum,
 
Notre troupe avait pris depuis le Carrenleufu un autre che-
min, et ce n'est que le lendemain á midi que nous la rejoigni-
mes á Torigine d'un des ruisseaux qui forment plus h Touest
la r¡ viere Pico (840 m.).
 
M. Serrano Montaner dit dans son opuscule intituló: Lími-
tes con la República Argentina, publié en 1895: a II n^exisie pos
un seiil fleiive tributaire du Pacifique qui ait son origine á Vest des
Andes, il n^y a pos davantage un seul tributaire de CAtlantique dont
les sources se trouvent á Touest de cette Cordillere. II peut arriver,
et il arrive effectivement, qu'il y ait des fleuves du Pacifique
dont les sources se trouvent dans les chainons orientaux des
Andes, mais toujours dans ees mémes Cordilléres; de méme il
existe des fleuves argentins, tributaires de TAtlantique, qui
naissent h une portee de canon des cotes du Pacifique, mais
sans sortir non plus des limites de ees montagnes. Nous pour-
rions signaler une a une les sources de tous les cours d'eau
argentins ou chiliens, et nous n'en trouverions pas un seul qui
fasse exception aux regles que nous avons établies.»
 
Ce sont, sans doute, des informations erronées qui ont été
données au distingue marin chilien, dont les explorations,
d'aprés ce que je crois, ne se référent qu'aux environs des ca-
naux voisins du 52^ de latitude, et á la reconnaissance de la
moitié inférieure du cours du rio Palena, et de quelques par-
ties des rios Corcovado et Reñihué; il n'a done pas atteint per-
sonnellement les sources d'aucun de ees fleuves. Je ne doute
pas que sMl eul examiné les points que j'ai visites au cours
de mon voyage, il n'aurait pas fait cette affirmation qui a si
fortement contribué á aigrir les controverses dans Fárdente
discussion publique suscitée au sujet de la démarcation des
 
 
 
- 96 —
 
limites entre la République Argentine et le Chili. Je ne sais a
quelle source il a pris le renseignement suivant: «Le Palena
a son origine dans une vallée de la C-ordillére limitée á l'orient
par un chainon qui ne manque pas de sommets neigeux, et
qui se trouve uni au reste de la Cordillére par divers chainons
transversaux.» Comment prouve-t-il que le cas du Palena et
du Corcovado (nom qu'il donne par erreur au Fta-Leufú, et
non au fleuve Corcovado qui débouche dans le Pacifique, au
nord du Palena) «est exactement le méme que celui de Los
Patos ou de Son Juan, aux environs de TAconcagua ». Les
faits, tels qu'ils se presen ten t dans la nature, sont absolument
contraires a la maniere dont nous les dépeint M. Serrano Mon-
taner.
 
La reproduction photographique (planche XVIII) du paysage
voisin de mon campement, á Touest des sources du Pico, affluent
sud du Palena, dont le bassin hydrographique comprend une
bonne zone des plaines patagoniques situées á Test du chainon
central des Andes (consideré tel par M. StefTen), et des chai-
nons latéraux, en dit plus contre Taffirmation de M. Serrano
que les descriptions que je puis faire á la légére; en outre, la
carte qui accompagne ees notes, préliminaire d'une autre plus
détaillée qui paraitra plus tard, présente les faits exacts.
 
Sur le chemin que je parcours, il n'y a rien qu'on puisso
prendre pour un chainon, bien qu'on i)rétende élargir latérale-
ment la Cordillére des Andes. Une vaste dépression transver-
sal s"étend entre les roches éruptives ix Touest du Tecka, et
le large massif qui le separe du bassin du Senguerr supé-
rieur, resserrée a Test par les collines qui précédent les monts
du rio Gennua, et couverte des moraines étendues entre les-
quelles Térosion a formé de profonds cañadones et des vallées
herbeuses, arrosées par une infinité de ruisseaux qui alimen-
tent les sources des rios Pico et Frias, affluents du rio Claro
(et, par conséquent, du Palena), et le Cherque, TOmckel et TAp-
peleg, affluents du Gennua et du Senguerr qui formo le bras
sud du rio Chubut; cette dépression est située á Torient do
la Cordillére des Andes, cela est hors de doute, et c'est ce que
tout géographe, qui visitera ees parages, ne pourra que re-
connoitre. La Cordillére, précédée par des montagnes boisées,
se voit a rhorizon avec de vagues contours qui ne sont défi-
nis que sur les hautes crétes neigeuses. La colline des Ba-
guales (1334 m.), située au centre de la dépression h Touest
de mon chemin, domine les sources des riviéres citées et est
un resto de Tancien platean détruit presque entiérement par
 
 
 
]
 
 
 
— 97 —
 
rérosion. Dans les falaises des riviéres, on note la présence
de sables et d'argiles lacustres, probablement miocénes.
 
On observe des stries glaciaires sur le basalte, et j'ai compté
dix échelonnements ou terre-pleins, índices correspondants de
niveaux du lac aujourd'hui disparu. J'ai cherché en vain le
lac Henno signalé sur la carte d'Ezcurra; les topographes du
Musée ne Tont pas rencontré non plus.
 
J'établis le campement du 23 dans un bosquet de la mo-
raine voisine, prés d'une source qui fournit de Teau aux deux
océans et oíi les moustiques firent passer de mauvais moments
ix gens et bétes.
 
La pluie de la nuit augmenta les difficultés de la nnarche
le jour suivant, inondant les hccutitcales oü, & chaqué instant,
s'enfoncaient les mules. Un dépót glaciaire avec de grands
blocs erratiques divise les eaux du Cherque de celles qui des-
cendent au rio Frias, dominé par la roche néovolcanique qui
couvre les cimes du plateau oriental (1176 m.).
 
Le 24, nous campons aux bords de la riviére Omckel, dans
la station indigéne de Shaama (distincte de celle de Shamen),
dans une belle vallée transversale dont les moraines laterales
renferment une grande quantité de blocs erratiques d'andésite
qui proviennent incontestablement des montagnes du sud-ouesl;
la vallée se prolonge plus de vingt kilométres ái Torient, tou-
jours herbeuse, bien arrosée et ahondante en bois. Aprés avoir
dépassé le plateau denudé du sud, le jour suivant nous traver-
sons une autre vallée herbeuse et exploitable malgré Touver-
ture transversale qui regoit les vents froids de la Cordillére par
la gorge rectiligne du rio Frias. Dans la gorge qui descend du
sud du massif cité, et qui distribue des eaux á TAppeleg, on
pourrait établir une colonie abritée qui exploiterait les vallées
pittoresques et fértiles du massif dont la limite oriéntale est le
Mont Payahuehuen.
 
Nous passons la nuit du 25 dans la montagne, au pied du
col qui separe les eaux du nord et du sud, de 1700 métres
d'altitude, formé par les schistes et les quartzites, parage ex-
trémement pittoresque oü abondent les huemules.
 
Dans cette gorge, les conches de gres ont une allure presque
horizontale, un peu relevées au sud, couvertes de laves qui ont
métamorphisé les conches voisines. Nous disputons, cet aprés-
midi, un beau huemul, le plus grand du voyage, k un puma
et aux condors hardis qui, par douzaines, attaquérent Tanimal
blessé, quelques moments avant que nous ne nous en empa-
rions sur la moraine inégale et accidentée.
 
 
 
— 98 —
 
Aux environs, j'observai beaucoup de galets porphyriques.
Les gres et les quarzites ne sont pas plissés; ils se présentent
en couches horizontales á peine soulevéos vers Test. Les quart-
zites et les schistes sont au-dessous des gres á gros grain, et
le tout est croisé par des filons de porphyres argileux qui vont
de Test á l'ouest. Les bois fossiles qui y abondent proviennent
des gres. Vers le sommet du col prend sa source une riviére
pittoresque qui court au sud, et qui traverse des roches volcu-
niques et sablonneuses, plissées, presque verticales, recouver-
tes de laves et de collines ondulées oú pullulent les autruches.
G'est une des régions favorites des indigénes pour leurs chasses
á cause de la résistance du sol. La vallée de Tarrovo del Gato,
qui rcQoit les eaux du centre du massif, sera assurément un
jour le siége d'une colonie prospere si le Gouvernement de la
Nation prend des mesures dans ce but. II y a lá de grandes
zones de páturages, de nombreuses vallées abritées, et au Mu-
sée nous possédons des exemplaires de minerais de plomb,
d'argent et de fer, ainsi que des alluvions auriféres, échantillons
des richesses qu'elles renferment. L'arroyo del Gato nait íi
Touest-nord-ouest d'un petit lac situé á Tintérieur des monta-
gnes, au milieu de gres traversés par des andésites. Les galets
de granit sont rares. Au lieu de suivre la riviére jusqu'au Sen-
guerr, nous gravissons la montagne par une gorge herbeuse oü
rhumus se change en tourbe élastique. Tout au sommet, parmi
les gres horizontaux, nous trouvons une laguna pittoresque au
milieu des moraines d'un glacier disparu, prés du point qui
domine la vallée du Senguerr, et d'oü nous distinguons le lac
Fontana, et les cimes neigeuses qui limitent & Touest la dé-
pression dont il occupe une des extrémités.
 
La moraine latérale de la vallée du Senguerr, oü nous des-
cendons, a environ cent cinquante métres au-dessus du fleuve,
et les blocs granitiques témoignent de la roche predominante de
la Gordillére neigeuse. Les páturages sont excellents pour Téle-
vage. Nous traversons facilement le Senguerr dont le petit vo-
lume me surprend; j'en conclus au peu d'importance des cours
d'eau tributaires du lac — ou plutót des lacs, car les employés
du Musée Steinfeld et Botello, qui parvinrent jusqu'á ses rives
en 1888, découvrirent é Touest un autre lac en apparence plus
étendu, s'unissant au lac Fontana par un large canal et auquel
fut donné le nom de Lac La Plata. Le fleuve mesure á peine
trente métres de large á cet endroit, et ce jour-lá sa profondeur
ne dépassait pas soixante-dix centimétres. Nous campons au mi-
lieu des collines glaciaires, & quelques kilométres au sud de la
 
 
 
— 99 —
 
vollée, dans un beau cañado?i, au bord d'un torrent bruyant qui
descend du plateau du sud. La pampa du Senguerr commence
a quelques quinze kilomélres á Test.
 
Le 27, de bon matin, je me dirige vers le lac. Toute la
vallée du Senguerr et ses coteaux voisins sont recouverts par
les débris glaciaires et ees derniers par une herbé exhubérante.
L'aspect du lac, en cette belle matinée, est enchanteur: les
capricieuses indentations de la cote, la presqu'ile étroite qui se
projette, avec ses promontoires tapissés de vert-foncé, sur les
eaux azurées, laissent une impression durable. Ce spectacle m'a
rappelé des reproductions coloriées des lacs alpins italiens (plan-
che VII, fig. 2).
 
Sur la rive, je trouvais le char des expéditionnaires et un
batean détruit, ce qui m'indiqua qu'ils avaient penetré á Pouest.
Aprés avoir exécuté le signal convenu, nous apergúmes bientót
les fumées qui nous répondaient sur la cote lontaine, et peu
aprés se presenta un des hommes laissés lé par Arneberg pour
m'attendre. Quinze jours s'étaient écoulés depuis qu' Arneberg
et Koslowsky s'étaient engagés h Pintérieur, sur un batean
abandonné par les mineurs, et il était probable qu'ils avaient
atteint Textrémité du lac La Plata, suivant les instructions que
je leur avais données. Ges lacs occupent une profunde fissure
transversale de la Cordillére, et leurs rives occidentales doivent
étre tres rapprochées de l'Océan Pacifique.
 
Satisfait de ce que j'avais vu et entendu, et aprés avoir
amplifié mes instructions, je revins, sans perdre de temps, á
mon campement pour continuer la marche. Les gres prédomi-
nent dans les plateaux, et s'étendent, parait-il, jusqu'á Touest,
au pied des monts neigeux. Une protubérance porphyrique per-
fore les gres sans altérer leur position, et il est probable que
ce n'est que l'érosion qui a donné le relief ondulé actuel á ees
roches.
 
 
 
VIII
 
 
 
DU LAC FONTANA AU LAC BUENOS AIRES
 
 
 
Je ne devais pas me reposer un inslanl, car je voulais
atteindre le lac Buenos Aires, et revenir au Senguerr á temps
pour me rencontrer avec les expéditionnaires du lac. Dans
l'aprés-midi, nous gravimes la hauteur qui separe le Senguerr
de TArroyo Verde el nous passámes la nuit sur ses rives, dé-
busquant un couple de pumas qui y avaient établi leur repaire
et leur garde-manger.
 
L' Arroyo Verde nait au pied sud-est du pittoresque Mont
Katterfeld (1800 m.) et descend du sud-ouest par une gorge
étroite qui serpente sur un cóne de dejections qui a rempli de
ses débris la grande vallée si fertile.
 
Tous ees terrains sont auriféres, et il se trouve de Tor,
m'a-t-on dit, sur la montagne elle-méme dans les alluvions gla-
ciaires qui la recouvrent. Si la chose est exacte, on doit re-
trouver les veines auriféres dans la grande Cordillére, dans les
montagnes inconnues qui limitent la dépression du lac La Plata
et dont les enormes glaciers, qui se voient dans le lointain
depuis le Cerro Katterfeld, formérent, k Tépoque de leur plus
grande extensión, les sédiments auriféres.
 
Le lendemain, nous retournons aux olaines ondulées de la
Patagonie; de ees petites élévations, on distingue une fissure
longitudinale á l'ouest, et nous trouvons une autre dépression
peu accentuée comme celle de l'Arroyo Piro, mais encoré plus
 
 
 
— 101 —
 
ouverle á Test et á Touest, dépression qui forme une vallée
large, verdoyante, oü paissent les troupeaux et dont nous ne
pouvons distinguer rextrémité occidentale, qui s'interne évi-
demment au milieu des montagnes plus au moins élevées qui
précédent les Andes de plus en plus neigeuses. C'est la vallée
du Goichel, riviére considerable qui descend du Cerro Katter-
feld, d'abord au sud-sud-est pour lourner ensuite brusquement
á rouest-nord-ouest jusqu'aux montagnes.
 
Du promontoire volcanique qui, au nord, domine la vallée
dans laquelle j'ai découvert un ancien cimetiére indigéne formé
par une reunión de monticules de pierre, et dont je n'ai pu
extraire qu'un cráne bien conservé et quelques pointes de fle-
ches de pierre, on embrasse entiérement la región. Je recom-
mande ce belvedere á ceux qui croient que TAysen a ses sour-
ces á l'intérieur de la Cordillére des Andes (planche XIX).
 
Ce n'est que la vaste plaine qu'on a devant soi, á peine
limitée á l'est par de petites protubérances glaciaires, et dans
laquelle on apergoit encoré le lit desséché du fleuve qui, á une
époque relativement récente, recevait les eaux des lagunes de
Coyet, encoré existantes aujourd'hui, mais fort réduites, dans
les plaines de Test.
 
Les personnes qui connaissent la región comprise entre le
Rio Colorado et le Rio Negro, dans la province de Buenos Aires,
pourront se représenler la vallée de Coyet qui rappelle la par-
tie située entre le Colorado et les Primeros Pozos, avec cette
différence que la vallée patagonique est beaucoup plus her-
beuse. Au sud de cette vallée, établissant la división des eaux
interocéaniques, s'éléve le plateau classique qui, avec une décli-
vité genérale graduelle, s'étend d'un extreme á Tautre de la
Patagonie, plateau toujours coupé par les dépressions trans-
versales, dépressions qu'on pourrait appeler continentales, car
elles paraissent traverser le continent.
 
Dans la vallée de Goichel, á peine séparée par quelques
métres de hauteur de la moitié oriéntale du Coyet, s'est établi
un hardi colon de Chubut, Mr. Richards, dont les troupeaux
prospérent admirablement.
 
Le capitaine Simpson, commandant de la corvette chilienne
«Chacabuco», pendant sa memorable exploration de TAysen en
1870, laissa derriére lui la Cordillére des Andes, comme il le
décrit en ees termes:
 
«19 décembre (1871). — Temps pluvieux. — A trois milles de
notre campement, nous arrivons á un point plus escarpé que
les antérieurs, oü nous montons á grand peine, nous acero-
 
 
 
— 102 —
 
chant aux racines pour ne pas glisser. Sur ce point, le plus
elevé de la montagne, je fis monter quelques individus, lesquels
bientót m'a ver tiren t, par de grands gestes, que nous étions deja
á la sortie de la Cordillére, et qu'á Test seulement on voyait
deux monts isolés, tout le reste de la región étant constitué
principalement par des terrains ondules. Encouragé, je montai
jusqu'au point oú ils se trouvaient, et reconnus qu'en efTet,
nous étions au pied du versant oriental de la Cordillére.
 
« Au devant de nous, on apercevait seulement & peu de dis-
tance deux sommets isolés, dont le plus rapproché, elevé de
quatre cents métres, se trouvait á environ trois milles et avait
sa partie supérieure dénudée et striée horizontalement; le se-
cond était plus éloigné et moins elevé. Les autres terrains con-
sistaient en coteaux ondules, couverts de bois épais, mais Tat-
mosphére tres dense limitait notre vue á moins de dix milles.
A nos pieds, le fleuve encaissé entre des bords escarpes de
cinquante métres de hauteur, se dirigeait á angle droit vers le
sud jusqu'á une pointe de la Cordillére située á environ deux
milles, puis, rectifiant son cours á Test, se perdait dans celte
direction, paraissant passer au pied du mont strié...»
 
«20 décembre. — Pluies. — Quelques uns des nótres s'occu-
pérent á construiré un radeau par traverser le fleuve et éviter
au retour les derniers accores, car nous avions remarqué que
sur la rive opposée les terrains étaient plats sur une distance
considerable. Le reste du personnel s'occupait á raccommoder
ses vétements. Nos figures étaient déjá si lamentables qu'on
nous eut pris pour des mendiants et, d'aprés Tarmement, pour
des bandits en déroute; nous nous trouvions, en oulre, tout dé-
figurés et pleins de contusions; et pourtant Tallégresse se pei-
gnait sur tous les visages. Nous avions atteint le but de tant
de privations et de travaux, car nous avions tra versé la grande
chaine des Andes, par le 45** de latitude sud, prouesse que jus-
qu'á présent personne n'avait exécutée, et d'autant plus remar-
quable que chaqué pas avait été une découverte, sans aucun
renseignement antérieur qui pút nous guider, car oü il n'y a
pas d'habitants, il n'y a pas non plus de vestiges ni de tradi-
tions. En entreprenant Texpédition nous savions seulement que
la Cordillére des Andes avait des limites, et nous y étions
arrivés.
 
«J'estime, en conséquence, qu'ayant traversé plus de cent
milles de Cordillére avec les seules ressources d'un navire et
sans bétes de somme, sans aucun secours, et en transportant,
ó dos d'homme, á grande distance, nos vivres et nos eífets.
 
 
 
— 103 —
 
nous avons réalisé une entreprise peu commune, résultat de
trois années de tentatives, qui ont prouvé jusqu'au dernier
moment notre résolulion et notre constance. Que rexpérience
faite ne se perde done pas, et que notre gouvernement profite
bientót des grands avantages que lui procure cette nouvelie voie
en plaQant une immense contrée sous Tempire eífectif des lois
de notre République. »
 
Dans une autre partie de son Iravaii, á propos du rio Avsen,
il dit:
 
«Les eaux des autres riviéres que nous avons parcourues sont
noires, couleur résultant de la fonte des neiges á travers les
terres vegetales des versants des montagnes; et les lacs, auxquels
elles servent de débouchés et qui constituent probablement la
división des eaux, ne pouvaient pas étre bien loin, tandis que
celles de TAysen sont vert-laiteuses, ce qui prouve leur origine
distincte et la nature argileuse des terrains qu'elles traversent
au-delá des montagnes.»
 
Parlant de la géologie des mémes parages et de Tarchipel
voisin, il ajoute: «Mon idee est que la limite de Tancien con-
tinent sud-américain, c'est-á-dire la Cordillére des Andes, quand
les pampas étaient encoré submergées, était TAysen ou ses
environs, raison pour laquelle n'offre rien d'extraordinaire Topi-
nion a peu prés confirmée qu'il existe des riviéres qui traver-
sent la Cordillére depuis Test....»
 
«Dans Taprés-midi, arrivérent les explorateurs (ceux de
TAysen), maigres et extenúes mais contents, car ils avaient
avancé Tespace de quatre á cinq lieues á Tintérieur d'un pays
fertile et boisé, recouvert d'une épaisse conche d'humus, sur les
rives du fleuve. Leur itinéraire s'était effectué, tantót en suivant
les hauteurs dominant le fleuve dont le cours s'inclinait un
peu au sud, tantót en longeant ses plages auxquelles nous
pouvions acceder de temps en temps.
 
«Du point extreme oü ils étaient arrivés, ils avaient vu der-
riére eux la Cordillére bien dégagée, ce qui prouvait que nous
Tavions entiérement tra versee.... En amont, le fleuve presen tait
des rapides et des récifs avec un lit tres encaissé, en sorte
qu'il n'est pas navigable, pas méme á partir de l'endroit oü
nous nous trouvions; il serait plus facile d'établir le chemin á
Test en suivant la limite supérieure des talus.»
 
Le point oü parvint le marin distingué ne correspond d'au-
cune maniere aux régions que j'ai traversées, car s'il les eut
atleintes, il aurait dit qu'il était arrivé aux plaines du Goichel
et j'incline á croire qu'il n'a pas avancé dans d'aussi fortes
 
 
 
— 104 —
 
proportions qu'il le calcule, induit probablement en erreur par
les rudes fatigues de rexploration pénible qu'il effectua.
 
II ne me fut pas possible, en raison du peu de temps dis-
ponible, de visiten les batiments de Festancia, placee en dehors
de mon itinéraire. Nous allons plus au sud, et aprés avoir dé-
passé la colline dans une dépression du plateau sédimentaire,
recouvert de sable et de gravier glaciaire oü Ton remarque
d'énormes blocs de granit et de plus petits de gneiss, nous
trouvons la profonde breche caractéristique et ancien lit d'un
immense glacier par oü court le rio Mayo, affluent du Sen-
guerr, et d'oü nait aussi, separé par de simples moraines, le
rio Coihaike, affluent de rAysen. Dans ses moraines, se repro-
duit un nouveau cas de divortium aquarum interocéanique á
Forient de la Cordillére des Andes. La photographie, que je
donne de ce parage si intéressant, ne laisse aucun doule sur
Texactitude de mon opinión publiéc il y a quelque temps,
que quelques-uns de ees cours d'eau opposés surgissent dans
de grandes failles profondes, dominées par les plateaux faible-
ment inclines de l'ouest a Test (planche XX, fig. 1).
 
Si ees intéressants phénoménes eussent. été examines par
MM. Monlaner, San Román, Fischer, Stange, et autres qui ont
soutenu que cidivortia aquarum continental» est synonyme de
iidivortia aquarum de la Cordillére des Andes», il ne se serait
assurément pas produit les mésintelligences que déplorent ceux
qui connaissent de visu les régions australes, et la discussion
déla ligne de frontiéres ne nous aurait pas amenes, argentins
et chiliens, jusqu'á nous exposer á oublier que nous sommes
fréres. En réduisant á ses justes proportions la question si dé-
battue des limites, je crois que nous Teussions résolue déjá
d'une maniere satisfaisante pour les deux nations.
 
Je possédais déjá des données exactes sur cette dépression
du rio Mayo, que m'avaient communiquées MM. Steinfeld et
Botello, quand, en 1888, je leur confiai la mission d'explorer la
región comprise entre le lac Buenos Aires et le lac Fontana,
et je suis heureux de reconnaitre ici Texactitude de ees obser-
vations. Ces deux fleuves ont leur origine dans la dépression
transversale du Coihaike et du Mayo, autour d'une insigni-
fiante élévation volcanique qui occupe le centre d'une source
dans le cañadon commun.
 
Nous établissons le campement dans la pittoresque dépres-
sion, aprés une deséente rendue difficile par l'escarpement des
pentes des versants boisés et pierreux, et, le 29, suivant le lit
du Mayo, je pus examiner la Casa de Piedra, cáveme formée
 
 
 
— 105 —
 
dans la lave noire et rougeiUre. Les versants denudes laissent
apercevoir les gres et les argiles tertiaires recouverts par une
couche glaciaire de trente métres d'épaisseur et celle ci par le
humus. Gravissant á nouveau ees versants, nous relrouvons
le platean toujours plus ondulé par Térosion poslérieure au
dépót glaciaire qui le recouvre. La marche a travers la forét
et les marécages fut pénible, mais bien compensée par le
spectacle d'une si belle región. Le temps était menagant; il gré-
lait, et nous nous décidámes á dresser nos tentes de bonne
heure aux bords de la riviére Chalia pour donner un temps
de repos aux vaillantes mules.
 
Le lendemain, peu aprés avoir avancé au sud-ouest, nous
nous trouvons sur le platean en face d'une nouvelle dépression
transversale, beaucoup plus large que celle du rio Mayo, ex-
trémement pittoresque, par laquelle la vue pénétrait h Tocci-
dent á une grande distance dans la gorge, et de laquelle s'échap-
pait dans cette direction, en tra^ant mille sinuosités, un fil
d'argent, riviére paisible probablement. Le lieu oü s'effectua
notre deséente coíncidait avec un autre cas de la división des
eaux continentales: deux ruisseaux naissent des sources du
versant nord du platean dans une verte prairie inclinée au
milieu de graviers glaciaires, se dirigeant l'un á Torient, Tautre
á Toccident (planche XXI, fig. 1). A peu de distance a Test,
se trouve la Laguna Blanca (640 m.), ainsi nommée par Stein-
feld, á cause de la couleur de ses eaux, produite par son peu de
profondeur et son lit de boue glaciaire. La lagune a son écou-
lement oriental déjá obstrué comme le lac de Coyet, mais, au
printemps, á Tépoque de la fonte des neiges, Tancien lit, au-
jourd'hui á sec, donne généralement passage aux eaux jusqu'á
une courte distance de la riviére Chalia. La riviére qui descend
du versant du platean & Touest (620 m.), ainsi qu'une autre qui
prend sa source sur le versant opposé du platean sud, tout prés
d'une troisiéme qui se jette aussi dans la Laguna Blanca, for-
ment les affluents les plus orientaux du bras sud du Rio Aysen.
 
Dans la plaine glaciaire, entre ees riviéres, Nixon tua, dans
une jonceraie, le puma de plus belle taille que j'aie vu en Pa-
tagonie, vieux carnassier qui. venait de chasser un guanaco
encoré agonisant. Dans ce parage, la plaine est parsemée de
centaines de blocs erratiques enormes (planche XXII). Les frag-
ments que Ton voit disséminés aux alentours sont si volumineux
que je ne puis affirmer si celui que je reproduis est le plus
considerable. La partie de cette roche qui effleure de terre a
six cents métres cubes (planche XXIII).
 
 
 
— 106 —
 
Le docteur Florentin Ameghino a nió, plusieurs fois, dans
ses publications, la présence de phénoménes glaciaires dans
les plaines et sur les plateaux patagoniques, mais il suffit de
donner la représentation de ce bloc erratique et celle des autres
paysages glaciaires pour démontrer Tinconsistance de ses affir-
mations qui n'ont d'autre base que sa manie de diré noir quand
les autres disent blanc.
 
II ne me fut pas possible d'atteindre aujourd'hui le lac Bue-
nos Aires, point extreme de mon voyage, et nous passámes
la nuit auprés d'un affluent du Guenguel. Le plateau au sud
présente une grande protubérance formée par un amoncelle-
ment de cailloux roulés, qui mesure, en certains endroits, une
quarantaine de métres d'épaisseur, et tous, jusqu'aux plus
grands, ont leurs anglas arrondis, se distinguant en cela des
blocs erratiques des fractures transversales.
 
Du haut du plateau, nous apercevons brusquement la grande
dépression lacustre, peut-étre la plus grande de Patagonie,
aprés celle du lac Viedma. Le plateau s'abaisse presque per-
pendiculairement, et nous avons peine & trouver la descente.
Le versant denudé permet de reconnaitre sa constitution géo-
logique, composée d'abord d'une conche de cailloux roulés de
cinquante métres d'épaisseur, puis de strates horizontaux, de
gres, d'argile et de conglomérats. Le talus a environ 400 mé-
tres de hauteur et domine un paysage glaciaire, le plus gran-
diosa que j'aie observé en Patagonie et qui occupe plus de la
moitié de la largeur de la dépression. Ces amoncellements de
pierres de -toute dimensión sans orientation apparente vus d'en-
bas, mais qui, observes de la hauteur, se divisent en deux
series, denoten t Tactivité prolongée du grand glacier, retiré
aujourd'hui á Textrémité occidentale de la dépression du lac,
et qui se distingue dans la brume dans le lontain, au pied
d'une chaina orientée du nord au sud.
 
Le lac Buenos Aires n'a pas la magie du lac Nahuel-Huapi,
ni celle du lac Fontana, mais il est plus imposant (planche XX,
fig. 2). La grande anse oriéntale n'a pas de foréts et dans les
moraines croissant tout au plus quelques petits buissons; ce
n'est que prés d'un lac accessoire, belle darse de cette mer
douce, qu'on distingue des silhouettes d'arbres. Ge bassin est
dominé par les montagnes élevées d'un massif aux neiges éter-
nelles, des glaciers duquel nait le rio Fénix qui descend juste
au pied du plateau dans la dépression comprise entre les deux
lignes principales de moraines, ligues semblables á celles que
j'ai observées au Nahuel-Huapi, au lac General Paz, et dans
 
 
 
— 107 —
 
les autres dépressions lacustres. Ce fleuve décrit mille sinuo-
sités vers le sud-est, selon les caprices des monticules morai-
niques, pour retourner brusquement & Touest se jeter daiis le
lac, aprés un cours de plus de cinquante kilométres au milieu
des moraines (planche XXI, fig. 2). II se présente ainsi un
autre cas, et le plus intéressant, de la división des eaux. Le
rio Fénix qui coulait avant constamment vers TAtlanlique, a
été interromrpu dans son cours par un de ees phónoménes com-
muns aux tleuves qui traversent des terrains meubles, prin-
cipalement glaciaires. Un simple éboulement de pierres déta-
chées a dévié une grande partie de son cours, et Ta ameno au
lac dont j'ignore encoré le débouchó, tandis qu'á Torient l'eau
ne reparait qu^ pendant les grandes crües oü il déborde; il
s'établit alors un petit courant dans Tancien lit, aujourd'hui
presque comblé; cependant, il suffirait la d'un travail de quelques
heures pour que ees eaux reprissent leur direction primitive
et coulassent toutes au rio Deseado. Les cartes géographiques
anciennes indiquen t le rio Deseado comme tres volumineux
et il est probable qu'il Tétait au temps oú il fut exploré par
les premiers voyageurs dont les observations méritent, en ge-
neral, plus de crédit qu'on ne leur en accorde. En 1876, j'ai
visité ce fleuve, ou plutót son ancien lit á Fembouchure dans
le port du méme nom; et n'y ai trouvé que de petites sources,
phénoméne dont Texplication reside dans les faits que nous
avons signalés au sujet du rio Fénix et d'autres cas analogues.
Si j'avais disposé de plus de temps, j'aurais ramené á son lit
primitif rancien courant, car, chaqué jour, les capteurs {torneros)
exécutent des travaux plus considerables sur les rios de San
Juan, Mendoza, etc., pour Firrigation des terres.
 
Si la Nation décidait la création d'une colonie dans ce pa-
rage, j'ai la conviction qu'il ne lui coüterait pas un centime de
ramener les eaux du rio Fénix et celles du rio Deseado su-
périeur jusqu'á TAtlantique et les résultats pratiques de cette
entreprise seraient considerables; en profitant de ce beau port,
on établirait une communication facile avec la región andine
si fertile et Ton converLirait cette baie, aujourd'hui solitaire,
en station de premier ordre pour l'escadre nationale.
 
Dans la dépression, au nord du lac, on distingue cinq lignes
de moraines laterales, et les blocs erratiques prédominants
sont composés de granits, de diorites et de pori)hyres, roches
néovolcaniques et calcaires noirs.
 
J'avais rempli mon programme qui était de connaitre per-
sonnellement d'une maniere genérale la zone andine pour Tétu-
 
 
 
— 108 —
 
dier ensuite en détail, car il me serait plus facile ainsi de donner
des instructions precises á mon personnel et me rendre compte
de rimportance de ses travaux. Je résolus de retourner au
nord, ie I®"" avril, remettant h une autre occasion l'examen de
la región comprise entre le lac Buenos Aires et le lac San
Martin, pour lequel il m'eut fallu disposer de temps et de santé,
ce qui n'était malheureusement pas le cas, car je recommen^ais
á souflfrir d'une ancienne indisposition.
 
 
 
IX
 
 
 
RETOUR A LA VALLEE i6 DE OCTUBRE
 
 
 
Je me proposais d'étudier, au retour, comment se présentent
les plateaux dans leur déclivité graduelle vers TAtlantique,
formant les gradins gigantesques qui précédent la Cordillére des
Andes, et qui provoquérent á un si haut point Tadmiration de
Darwin et dont Torigine est encoré un probléme. Depuis le 48<*
de latitude sud jusqu'aux chaines qui limitent au sud la grande
ile de Id Terre de Feu, ees plateaux arrivent jusqu'á la mer,
traversas seulement par les dépressions transversales qui, en
Patagonie, renferment les lits des grandes fleuves, et plus au
sud le détroit de Magellan, ayant formé en outre le détroit,
aujourd'hui obstrué, qui a existe entre Babia Inútil et Babia
San Sebastian, dans la Terre de Feu; mais au nord du 48^ les
gradins ne sont pas si continus. Nous avons une forma-
tion genérale sédimentaire semblable au sud du Rio Colo-
rado, jusqu'á Tancienne dépression longitudinale paralléle au
Rio Negro qui débouche dans le golfe San Antonio; mais,
déjá á Balcheta, apparaissent les roches éruptives et vers
l'ouest-sud-ouest s'éléve, au centre du territoire, un massif
montagneux assez considerable, composé de roches éruptives
anciennes et modernes, avec une élévation máxima d'envi-
ron 1700 métres qui precede la chaine qui va de Gollon-
Cura vers le sud-sud-est, et se perd dans les environs des
lacs Coluhuapi et Musters. Comme je ne connais pas ees
 
 
 
— lio —
 
montagnes au sud du 43° 30', je ne puis diré si les plateaux
s'échelonnent aussi depuis lá jusqu'au couchant, en formant
une dépression longitudinale entre les plateaux de Touest et de
Test, ou si la pente est genérale depuis le voisinage de la
Cordillére jusqu'á TAtlantique, mais ce que je puis affirmer,
c'est que les terrassements ne sont pas uniformes: j'incline a
croire qu'il ne s'agit pas de ligues de soulévement, el que vrai-
semblablement Taction glaciaire, qui jadis recouvrit d'une im-
mense calotte de glace toute la Patagonie, comme aujourd'hui
les terres polaires, est celle qui a intervenu dans la formation
du relief actuel, de méme que Térosion prolongée et active de
Tépoque postérieure. 11 serait difficile d'expliquer autrement que
par rintervention glaciaire directe la présence de roches pata-
goniques dans les formations cótiéres de la province de Buenos
Aires, depuis Tembouchure du Rio Salado au sud.
 
Les manifestations colossales de l'érosion en Patagonie doi-
vent étre étudiées avec soin pour que Ton puisse distinguer
les chaines véritables, tectoniques, des montagnes modelées par
Taction des eaux; mais les phénoménes qui ont produit la
curieuse división des eaux h Touest et & Test, et qui actuelle-
ment se reproduisent avec fréquence pour des causes identi-
ques ou analogues, n"ont qu'une insignifiante valeur orogra-
phique, lors méme que les géographes chiliens aient voulu lui
assigner une haute signification polilique. La protubérance
formée dans la plaine située entre Chapelco et Quilquihué,
celle de la Laguna Blanca ainsi que celle du rio Fénix peu-
vent disparaitre par un travail de quelques heures et ees acci-
dents orographiques ne peuvent assurément étre consideres
comme des traits géographiques permanents et encoré moins
conslituer un «axe andin».
 
Le soir, nous établissons notre campement sur les bords
de Tarroyo Guenguel, á un coude qu'il décrit á sa sortie dans
la grande plaine oriéntale oü il se réunit au rio Mayo, el
sur laquelle s'élévent de petits restes de bas plateaux. Prés du
campement, apparaissent de nouveau les laves basaltiques et
Ton aperQoit au nord de la vallée deux ligues de plateaux,
landis quMl n'y en a qu'une au sud, dans lesquels les gres gris
et bleuátres avec conglomeráis, qui entrent dans leur composi-
tion, se présentent en conches horizontales. La surface descend
en pente douce de Test á Touest, et il ne serait pas étonnant
que la ligne de talus de chaqué platean fút formée par la dé-
nudation de conches moins consistanles, travaillées par Téro-
sion durant la période de Textension du glacier continental.
 
 
 
— 111 —
 
Les indiens du cacique Kankel, frére d'un des guides, chas-
saient dans le voisinage; et le lendemain, de bonne heure,
nous passions en face de la tolderia établie dans la pittoresque
vallée du Chalia, á peu de distance de la Laguna Blanca, excel-
lente región pour une colonie d'élevage oü pourraient s'établir
d'une maniere permanente les indigénes qui Toccupent depuis
un temps immémorial, sans craindre d'étre délogés par les
acheteurs de « Certificáis de la Compagnie du Rio Negro». La
Nation a le devoir de donner en propriété des terres aux indi-
génes.
 
Les plateaux continuent á descendre graduellement vers
Torient, toujours herbeux, et recouverts de cailloux roulés et
Ton n'y remarque pas de grands blocs erratiques. Nous sui-
vons le bord du platean de Touest, sur la plaine qui corres-
pond á Tancienne vallée du lac Buenos Aires, et sur laquelle
se dressent isolés, des fragments du platean plus elevé. A une
distance d'environ soixante-dix kilométres, on distingue á Torient
une chaine apparente composée de montagnes peu élevées, qui
doit étre celie située á Test du rio Senguerr, dans sa déviation
au sud.
 
Nous campons prés de la riviére Chalia par une pluie torren-
tielle qui nous incommoda tout le jour suivant, en rendant
infranchissables les tticu- incales, Nous marchons au nord pre-
miérement par la vallée du Chalia oü il y a de petites moraines,
jusqu'á sa confluence avec le rio Mayo, á Tendroit dénommé
Yolk, oü se trouve une gorge herbeuse qui nous conduisit sur
le platean précédant celui que nous avons traversé en allant au
lac Buenos Aires. Ce platean est horizontal comme les pam-
pas, et sa végétation a perdu le caractére andin, h tel point
que, le soir, le bois vint á nous faire défaut quand nous éta-
blimes notre campement dans le site connu sous le nom de
A'Ash, au bord d'une lagune qui me rappela celles de Test de
la province de Buenos Aires avec ses totorales et son manque
de bords définis. Une élévation d'une vingtaine de métres,
choisie par les anciens indigénes pour cimetiére et formée
des restes d*une moraine, vestige des premieres extensions des
glaciers, domine une plaine plus basse, celle des lagunes de
Coyet, qui se perd a l'orient, plaine limitée au nord par une
petite colline, versant du platean general. Des fumées qui s'éle-
vaient de ce versant appelérent notre attention, et vers le mi-
lieu du jour suivant nous arrivámes aux trois toldos du chef
gennaken Maniquiquen, établis vers les sources qui jaillissent
á cet endroit. Le cours d'eau qui passait ici á une époque
 
 
 
— 112 —
 
antérieure, avant de dévier vers le Pacifique, et qui creusa cetle
vailée, fut aussi important que celui qui forma la vallée du
Rio Negro.
 
Dans les environs de ce poirit appelé Gapperr, se trouvait
la fameuse pierre dont parle MusLers, que je soupQonnais,
d'aprés d'autres descriptions, étre un météorite, et avais rinten-
tion d'emporter pour les collections du Musée. Nous la trou-
vons á quelques vingt kilométres de la tolderia, sur le plateau,
au pied d'un buisson de Berberís^ précisément le plus grand
des environs. Peut-étre les indiens ont-ils toujours respecté ce
buisson dans les incendies qu'ils provoquaient si fréquemment,
afin qu'il leur servit de point de repére pour retrouver la pierre
mystérieuse. C'était, en eflfet, un beau météorite, du poids de
cent qurttorze kilogrammes. Comme il n'était pas 'possible de
le charger sur une mulé, je dus le laisser momentanément,
envoyantplus tarda sa recherche un des charriots d'Arneberg.
Ce météorite, qui présente á Textérieur avec une nettetó admi-
rable les figures de Widenmanstütten sera Tobjet d'une étude
spéciale par une personne compétente (planche XXIV).
 
Musters dit dans son intéressant ouvrage: «...Dans le pa-
rage que les indiens appellent «Amakaken» se trouve un grand
bloc sphéroidal de marbre que les indiens ont Thabitude de
soulever pour éprouver leurs forces. Casimir me dit que cetle
pierre est lá depuis bien des années, et que cette coutume est
fort ancienne. Elle était si volumineuse et si pesante que je pus
á peine la prendre dans les bras, et la soulever jusqu'á la hau-
teur des genoux; mais quelques indiens pouvaient la soulever
á la hauteur des épaules...» II est singulier que le distingué
explorateur ait pris ce météorite si caractéristique pour un
morceau de marbre; il est évident quMl a fait cette confusión,
car les indigénes ne mentionnent aucune autre pierre semblable.
 
Le lendemain, nóus traversons ce plateau et arrivons éi
Barrancas Blancas, dans la vallée du rio Senguerr. Le plateau
est plus elevé au sud qu'au nord, ou plutót, dans cette direc-
tion, il n'existe pas de plateau bien défini; on monte insensi-
blement íi la pampa, depuis la vallée proprement dite. Quel-
ques baures aprés, je rejoignis Arneberg et Koslowsky dans
Tétablissement de M. Antoine Steinfeld, ex-employé du Musée
de La Plata, et actuellement éleveur du Senguerr.
 
L'exploration qu*ils avaient realisée avait été profitable.
 
Le 26 février, ils arrivérent au lac Fontana. Le jour suivant,
ils essnyérent d'y naviguer dans Tembarcalion amenée de Chu-
 
 
 
-i
 
 
 
— 113 —
 
but, mais elle était trop petite pour résister sur des eaux aussi
agitées; heureusement, ils en trouvérent une autre construite
lá méme par les chercheurs d'or, et qu'ils se réservérent d'em-
ployer, s'il n'était pas possible de pénétrer par terre jusqu'au
fond du lac. Ils reconnurent Tembouchure du Senguerr qui a,
en cet endroit, environ vingt-cinq métres de large; il coule en-
tre des rives de dix métres de hauteur et son courant est tres
rapide. Aprés avoir terminé les observations astronomiques et
trigonométriques, ils entreprirent la marche vers Touest par
le cóté sud. Ils trouvérent des travaux de niines, surtout dans
une gorge qui descend au sud ouest du Mont Katterfeld. II y
a la de Tor, de Targent et du fer. Koslowsky put recueillir
des échantillons de charbon, d'intéressantes plantes fossiles et
des ammonites. Ces fossiles sont bien conserves et appar-
tiennent probablement h la formation jurassique inférieure ou
au lias. Cette formation a déjá été observée dans les régions
du Carrenleufu, dans les montagnes de Touest de la vallée, et
on la rencontre également á Touest du Lac Argentino. Les ro-
ches observées sont des quartzites, des gres, des grauwakes,
des porphyres et des andésites, mais il doit s'y trouver aussi
du granit, puisque j'en ai trouvé a Tétat fragmentaire dans les
moraines á Torient du lac. De ló, á Touest, leur marche fut ren-
due pénible par les rives pierreuses ou dans le bois incommode
dont les arbres atteignaient jusqu'á quinze métres de hauteur
(planche XXV); de sorte qu'aprés deux jours ils se virent
obligas de laisser leur pesant bagage pour pouvoir aller plus
loin. Au sud du lac, se présentent de petites collines couvertes
de bois touffus et séparées par des marais et des riviéres qui
descendent de montagnes assez élevées déjá couvertes de neige.
Ils continuérent ainsi deux autres jours pendant lesquels le
temps pluvieux rendit la marche plus pénible jusqu'á ce qu'ils
arrivérent á un point impossible ó dépasser avec des charges.
Ayant fait Tascension d'une des hauteurs voisines, Arneberg
vit que le lac qu'il avait á ses pieds n'était pas le lac Fontana,
mais celui de La Plata (ce qui confirmait la découverte de
Steinfeld et Botello), et que ce bassin lacustre s'internait profon-
dément 6 Touest. A quelque dix kilométres de distance, une
montagne neigeuse, dont les versants descendaient á pie, ren-
dait impossible la marche sur la rive, ce qui les obligea á re-
venir au cumpement general pour continuer Texploration par
eau dans le batean des mineurs. Le 10, ils atteignirent la hutte
abandonnée par ceux-ci et réparérent le batean assez endom-
magé. Occupés a faire le relevé du lac Fontana, ce n'est que
 
8
 
 
 
— 114 —
 
le 16 quMls purent de nouveau avancer á rintérieur. Dans le
canot s'embarquérent Arneberg, Koslowsky et deux aides et h
grand peine ils arrivérent, le 21, jusqu'á Tembouchure du fleuve
qui unit les deux lacs.
 
II fut tres difficile de remonter le fleuve á cause du courant
et á peine furent-ils arrivés au lac La Plata, que les vagues
rejetérent le bateau contre les rochers, et ils durent faire de
grands eíforts pour le sauver.
 
Le 23, ils parcoururent un court trajet le long de la cote
sud, mais le temps était mauvais: i!, pleuvait, neigeait et faisait
des ouragans, en sorte qu'ils laissérent le bateau, et continué-
rent á pied sur la cote nord qui leur parut d'un accés plus
oisé. Ils commencérent leur itinéraire terrestre le 26, traversant
un torren t sur les rives duquel ils trouvérent des filons de
minerai de fer. Le 27, le chemin devint plus mauvais: ils pas-
sérent une autre riviére sur un trono, et, le 28, en découvrirent
une troisiéme qui en cette saison avancée n'avait que cinq
métres de large; son courant est tres rapide et au printemps
elle doit charrier un volume d'eau considerable; elle descend
du nord-nord-ouest en formant de petites cascades, par une
gorge tres étoite, mais au loin on apergoit un grand évidement
au nord. Le 29, fií la nuit, ils atteignirent Textrémité du lac
dans son angle nord-ouest. En cepoint ils découvrirent une ri-
viére de dix métres de lorge dont la profondeur atteignait íi un
métre et animé d'un fort courant. Elle provient du nord et
descend par une vallée étroite entre des sommets neigeux
relativement bas.
 
II ne leur fut pas possible d'avancer plus loin par suite du
manque de vivres et du mauvais temps, et ils durent retroceder.
Le lac La Plata a une cinquanlaine de kilométres de long de
l'ouest á l^est, et il est entouré á Touest, au nord et au sud
par des montagnes élevées aux sommets neigeux. Les plus
eleves de ceux-ci se trouvent en face Tun de Tautre, 6 peu
prés au milieu du lac, oü son axe s'incline au nord-ouest, de
sorte que la ligne des hauts sommets, qui parait suivre une
direction méridienne, est interrompue par ce lac si allongé.
Les explorateurs supposent que Textrémité du lac doit étre
tres rapprochée de la cote du Pacifique vers le canal de Cay.
 
Le 2 avril, ils arrivérent au campement general, et, le 3, á
Tétablissement de Steinfeld oü, suivant mes instructions, ils
devaient m'attendre jusqu'au 5.
 
Je décidai qu' Arneberg reconnaitrait la región au sud; il
devait aller le plus loin possible par la vallée du Goichel, vers
 
 
 
— lis-
ie bras transversal nord de TAysen; il exécuterait un levé rapide
des sources de ce fleuve, du Coihaike, du Mayo, du bras sud de
TAysen qui pourrait bien étre le Rio Huemules dont le cours
supérieur était inconnu; il s'avancerait le plus possible a Touest
du lac Buenos Aires, étudiant au retour le coude du fleuve Fé-
nix á Parihaike: vaste programme qu'il réalisa heureusement,
 
Ses observa tions coíncident avec les miennes et les com-
plétent. II examina TAysen jusqu'au point oü il penetre dans
de profundes gorges oü commencent les chaínes dont les som-
mets les plus eleves se trouvent plus á Touest; il parait que
la vallée supérieure est froide en hiver et que la neige arrive
a demi-métre, mais les troupeaux trouvent de la nourriture et
un abri dans les bois.
 
Arneberg reconnut ensuite le fleuve Coihaike a ses sources
dans la moraine que j'ai deja mentionnée. II faut observer que
presque toutes les sources des fleuves patagoniques, qui se
déversent dans le Pacifique, se dirigent d'abord 6 Test pour
tourner brusquement á Touest, comme le Coihaike. L'explora-
teur descendit ce fleuve pendant deux jours, et, du haut d'une
montagne, il put voir qu'il recevait du sud un autre cours
d'eau, et qu'il tournait brusquement au nord. II aperQut, h
Touest de ce coude, le chainon neigeux le plus elevé. II attei-
gnit, le 19 avril, le bras austral de TAysen, aprés avoir examiné
les sources du rio Mayo dans les mémes parages ondules qui
donnent naissance aux rios Goichel et Coihaike; ees ondulations,
cpnstituées par des moraines, forment un réseau serré de sour-
ces entre ees deux derniers cours d'eau. II étudia les origines
de ce bras austral situé, comme il a été dit, prés des sources
qui alimentent la Laguna Blanco, et s'y arréta quelques jours
pour topographier cette región si intéressante. — Singuliére sépa-
ration de systémes hydrographiques opposés, me dit Arneberg,
dans son rapport, que celle oü Ton passe d'un bassin á Tautre
sans apercevoir aucun changement de niveau, et cela dans la
plaine, á une grande dislance, ü Torient des Andes.
 
La vallée transversale penetre jusqu'aux monts neigeux de
l'ouest qui séparent le bassin de TAysen de celui du lac Bue-
nos Aires, et sur tout le parcours Texplorateur remarqua d'ex-
cellents páturages pour les troupeaux, et des endroits abrités
aptes pour la culture. II penetra environ quarante kilómetros 6
Touest, en passant par des marais et des moraines, et en lais-
sant au sud et au sud-ouest les sommets neigeux qui se rap-
prochent du fleuve jusqu'á ne former qu'une étroite gorge par
laquelle celui-ci s'échappe avec rapidité.
 
 
 
— IIG —
 
II est tres probable que le rio Huemules, exploré par les
marins chiliens, n'a pas ses sources á l'orient des hauts choi-
nons des Andes, et que celles-ci sont formées principalement
par le grand glacier qui a été vu de loin ; et il ne serait pas impos-
sible non plus que l'Aysen regoive un tribut du méme glacier.
 
Le 24, il traversa le platean qui separe la large et profonde
vallée du lac Buenos Aires, plus á l'ouest que je ne Tavais
fait; il reconnut la baie fermée ou darse naturelle dont Tentrée
est tres étroite, mais il ne put aller plus loin, car sa marche
fut arrétée par le rio Ibañez, nom d'un mineur du Chubut qui
avait été lá Tannée antérieure. Ce fleuve est tres volumineux,
et est alimenté par les glaciers voisins du nord; sa largeur, a
son embouchure dans le lac, est d'environ cent métres. Le lac
Buenos Aires avance á Touest-sud-ouest á une grande distance,
mais il ne réussit pas non plus á apercevoir son extrémité, son
débouché, par conséquent. Ayant retrocede, Arneberg parcourut
le cours du Fénix jusqu'á son embouchure dans le lac, et aprés
un rapide nivellement, il put se convaincre qu'en efifet le fleuve
a toujours coulé, dans les temps modernas, á Torient.
 
Je donnai également mes instructions pour que Koslowsky
étudiát les monts sitúes au nord du Senguerr, aprés avoir re-
cueilli le précieux aérolithe, et pour qu'il examinát, aussitót
aprés le retour d'Arneberg, et en compagnie de ce dernier, le
cours de ce fleuve jusqu'aux lacs Colhué et Muslers. De lá
Arneberg devait se diriger vers TAtlantique á la recherche d'un
chemin par lequel on put établir une communication rapide et
peu coúteuse entre Tilly Road, dans le golfe de San Jorge, et
les fértiles régions andines; cela fait, ils devaient s'embarquer
á Chubut pour Buenos Aires. Ces instructions furent accom-
plies d'une maniere satisfaisante. Les résultats m'autorisent á
conseiller la création, dans la vaste vallée qui s'étend au sud
de ces lacs, de colonies par lesquelles on commencerait la fon-
da tion méthodique et süre des colonies des val lees transversa-
les voisines des Andes.
 
Si l'on procédait avec prudence á cette colonisation, je ne
doute pas qu'elle deviendrait un fait accompli á bref délai, et
qu'en peu d'années, la Nation compterait une nouvelle et riche
province de plus, surtout quand un chemin de fer mettrait en
communication les fértiles régions andines avec PAtlantique
par Tilly Road ou un autre point du golfe San Jorge.
 
Le 6 avril, je continuai ma marche au nord, m'établissant
dans Taprés-midi sur la rive de Tarroyo Appeleg; le trajet se
 
 
 
— 117 —
 
flt par la plaine qui fut sans aucun doute occupée aulrefois
par un lac. Les chaines du massif du Gato s'élévent graduelle-
ment vers Touest, et se terminent au nord de TApeleg par
de petites prolubérances volcaniques. Au nord-est, on voit des
fragments de plateaux formes par des roches sédimentaires et
recouverts de laves. Le lendemain, nous poursuivons notre
chemin dans la méme direction nord par la pampa. Nous Ira-
versons, á midi, Tarroyo Omckel, prés de la seconde station
indigéne de Shama, dans le voisinage de laquelle se termine
la pampa, limitée par de petites protubérances volcaniques re-
cou verles de gravier glaciaire; avant le coucher du soleil, nous
campons pour recevoir quelques indiens qui vinrenl me saluer
sur les bords de la Saline de Tegg ou Tequerr. Télacha et Tu-
puslush, purs gennakenes, ne voulaient pas se reunir aux au-
tres indigénes, parce qu'ils se disaient descendre de grandes
familles, et ils me demandérent de leur obtenir des lots dans
la nouvelle colonie San Martin qui s'établira dans le Gennua.
 
Le paysage est tout a fait différent de ceux du sud et de
Touest. La formation géologique a changé; on voit des gres et
des^ conglomérats de petits cailloux roulés tres compacts qui
ont la méme apparence que ceux du Limay, aux environs de
Picun-leufu.
 
Le páturage est excellent et la chasse abondante. Nous
étabüssons notre campement dans une vallée abritée, et, le jour
suivant, de bonne heure, nous passons la créte du chainon de
collines (cerríllada) composé de granit, oü s'inclinent les gres;
la roche néovolcanique apparait en promontoires isolés. Dans la
vaste et fertile vallée de Cherque, je rencontrai Kastrupp qui
s'occupait de topographier la región. Au nord, la vallée es limi-
tée par la base du platean oú coule TafAuent nord du Gen-
nua, dans la vallée de Putrachoique. Les detritus glaciaires
couvrent les bas-fonds et les collines, et le loess noir apparait
sur de vastes extensions. Les blocs erratiques ne dépassent
guére deux métres cubes; mais vers le nord-ouest leur dimen-
sión augmente et atteint jusqu'á cinq métres; les roches qui
prédominent dans ees blocs sonl de granit, de quartzite, de gres,
de basalte et de porphyre. Cette región, de méme que celle qui
s étend sur le Senguerr et le Tecka, est tres mal représentée
sur les cartes officielles; le cours et la direction de plusieurs
des riviéres qui y figurent sont fort différents dans la réalité,
et la représentation de Torographie est absolument défectueuse.
 
Le terrain entre Putrachoique et le Tecka n'est pas unifor-
me; de belles vallées bien arrosées alternent avec des plaines
 
 
 
— 118 —
 
rocailleuses oü Therbe est rare. Nous continuons notre marche
á rorient de la vallée du Tecka pour avoir une impression
complete de la región. Les dépóts glaciaires recouvrent tout,
jusqu'aux versants des monlagnes de Gualjaina. Aprés avoir
dépassé la station indigéne de Teppel, nous descendons á la
gorge abritée et fertile de Aueyen pour arriver á la belle vallée
de Tecku á laquelle un petit promontoire volcanique, qui s'éléve
ou centre, donne son nom.
 
Nous prenons congé du bon Foyel en face de ses toldos^ et,
á la tombée de la nuit, nous atteignons la gorge abritée de
Caquel, afin de pouvoir arriver le jour suivant au Commissariat
de 16 de Octubre; j'y parvins malgré le mnuvais état de nos
montures.
 
Le 11, je pris les dispositions nécessaires pour qu'á leur
retour Lange et Waag se dirigeassent au Rio Negro, le pre-
mier par Mackinchau et Balcheta et le second par le sud de
la plaine de Yannago jusqu'aux chaines de San Antonio, en
examinant la baie du méme nom. Von Platten et Kastrupp
avaient ordre de retourner a Chubut; le premier par Cherque
dans la montagne, et le second par Gennua. Moretean devait
conduire les véhicules & Chubut et étudier ainsi, en disposant
de plus de temps, le chemin jusqu'á l'Atlantique. Ce jour-lá,
je fis une excursión jusqu'au rio Fta-Leufú pour reconnaitre
toute la vallée 16 de Octubre. Le fleuve sort, en décrivant un
coude brusque, de la dépression située k Toccident de la chaine
du cerro Situación, pour pénétrer dans la vallée oriéntale, et
son cours se détourne ensuite au couchant pour truverser les
montagnes boisées qui forment un chainon entre ce fleuve et
le Palena ou Carrenleufu, á Toccident des grands sommets
neigeux dont on aper<joit les crétes depuis la vallée.
 
Au point oü nous examinons le Fta-Leufu, il re^oit le tri-
but des eaux du rio Corintos. II a, en cet endroit, cent vingt
métres de largeur sur huit de profondeur máximum; le cou-
rant était d'un métre par seconde.
 
Dans cette petite excursión, depuis la hauteur des collines
du sud, j'ai pu me rendre compte de la facilité que présente-
rait Touverture d'une charriére á travers la forét jusqu'ó la val-
lée Carrenleufu; ainsi se facilitera son exploitation. Les colons
de 16 de Octubre méritent bien toute la protection que peut leur
^issurer la Nation. Je ne crois pas que le gouvernement ait des-
tiné méme la somme la plus infime á la formation de cette co-
lonie, car jusqu'aux frais de Texpédition Fontana ont été cou-
verts par les colons, selon ce qui m'a été rapporté. Je crois
 
 
 
— 119 —
 
qu'il suffirait d'une somme de cinq mille piastres pour faciliter
cxtrémement les Communications dans cetle vaste vallée longi-
tudinale, et unir ses fractions aujourd'hui séparées par Téro-
sion des moraines et par la forét.
 
Quand je revins le soir á uíon campement, j'eus le plai-
sir d'y retrouver Lange qui venait de rentrer avec des obser-
vations intéressantes obtenues au prix de dures fatigues. Je
re?us aussi des nouvelles de Waag qui est déjá en chemin de
retour.
 
Lange, qui avait dirige la section de Chubut, aprés avoir en-
voyé les autres explorateurs á leurs zones d'opérations respectives
pour proceder d'accord avec les instructions que j'avais données
a La Plata, entreprit ses intéressants et difficiles travaux, le
29 février. II emmenait trois hommes avec lui, et, comme élé-
ments de Iransport, cinq chevaux et neuf mules, plus quatre
charges avec les instruments, les vivres et le matériel de cam-
pement. II se dirigea vers le nord, en traversant la belle vallée
abritée par des bois sitúes sur les bords de Tarroyo suivi par
les explorateurs, et par des buissons dont étaient couverts les
versants des moraines. La región connue des colons ne s'étend
pas au delá de dix kilométres du Commissariat. II passa la nuit
k cette limite voisine de quelques petites lagunes dont les eaux
paraissent s'écouler vers le Fta-Leufu.
 
Le jour suivant, il descendit au rio Perzey qui sort en cet
endroit d'une gorge étroite á bords perpendiculaires, et prend
sa source dans une moraine ancienne que les colons galléis
ont appelé, á cause de sa cime horizontale: «Terre-plein de che-
min de fer». Ce l'ut un jour de malheur; les charges se mouil-
lérent, et la plus grande partie des plaques photographiques
turen t perdues.
 
Le 2, Lange fit une reconnaissance sur la moraine, vers
Touest, et put jouir de la vue des lacs dans une plaine ouverte,
marécageuse, limitée au nord et a Test par des montagnes éle-
vées. Le Terre-plein y forme une división des eaux tres cu-
rieuse. Des versants est et nord de la Sierra Situación des-
cendent des riviéres volumineuses qui tournent á Touest, et se
réunissent au cours d'eau qui sort de la plaine marécageuse
oü se trouvent les logunes. Les deux jours suivants se passé-
rent en reconnaissances vers Touest, rendues extrémement pé-
nibles par Tabondance des roseaux sauvages, le marécage et
le passage de grosses riviéres dans lesquelles les animaux ris-
quérent de se noyer. Ges fatigues furent compensées par la vue
 
 
 
— 120 —
 
d'un beau et vaste lac, entouró de collines basses a Test et au
nord, et plus élevées a Touest et au sud. De Tangle sud-ouest
se détache un étroit canal, qui constitue probablement la con-
tinuation du lac; ce dernier ne peut étre que celui qui, selon
les indigénes, se trouve íi Tintérieur des montagnes et dans
lequel sejette le Fta-Leufu qui en ressortaprés Tavoir traversa.
Ce lac est le Fta-Lafquen. II est á regretter que les moustiques,
qui y abondent, empéchent de jouir de ees beaux paysages.
 
De retour au rio Perzey, le 5, Lange decida d'alléger ses
bagages ; dans ce but, il envoya Rufin Vera, indien araucan
que j'ai connu comme interprete d'Inacayal, en 1880, et qui est
au service du Musée depuis plusieurs années, avec la troupe
par le chemin d'Esguel et Lelej, pour qu'il Tattendit dans la
station indigéne de Cholila. Cela fait, le 8, il se dirigea au nord
par la vallée du rio Perzey. II observa un certain parallélisme
dans la formation des collines qui borden t le fleuve; la roche
vive se compose en parlie de gres et de conglomérats. Toute la
forét de la región de Touest avait été incendiée les années pre-
cedentes et les tronos blanchatres attristent le paysage.
 
Le 9 et le 10, il continua la marche dans la méme vallée.
Le chemin était difficile. Sur les coteaux, la forét formée de
grands arbres n'oppose pas d'obstacle au passage des montu-
res ; mais sur les versants, les buissons de ñires rendent par-
fois ce passage impossible, et il faut se frayer un chemin á
Taide du machete et de la hache. Des coteaux de Touest des-
cendent des riviéres qui se joignent au rio Perzey, tandis que
les gorges de Test, dependa ntes des monts d'Esguel, sont sans
eau. Du haut du coteau, auquel les aides donnérent le nom de
Peladito (1340 m.), on jouit d'un panorama superbe. Cette élé-
vation est située sur le versant occidental des monts d'Esguel,
au milieu des premieres déclivités appartenant au systéme du
rio Perzey. De lá, on domine a Test les monts d'Esguel, d'une
élévation peu considerable, la continuation de la chaine du
cerro Situación au couchant, et plus a Touest, dcrriére ce
chainon, les pies neigeux de la Cordillére des Andes proprement
dite, avec ses immenses glaciers; cette región figure dans la
carte de Steffen et Fischer sous le nom de «Chaines boisées»;
au sud la vallée du Perzey, et tout prés, du nord-est á Touest,
les chutes de la large et caractéristique dépression de Cholila,
aussi fertile et aussi belle que la dépression opposée du Per-
zey. La marche est commode et agréable a Tombre de la forét
et sur rherbe d'un vert d'émeraude qui recouvre le sol; la mo-
notonie de Tombre est coupée par les plantes grimpantes et
 
 
 
— 121 —
 
les fougéres, ainsi que par la présence de huemules curieux.
Aprés avoir fait les observations nécessaires, Lange descen-
dit, le 11, vers la large vallée de Cholila oü il n'arriva que le
lendemain, en profitant des sentiers traces par les troupeaux
sauvages.
 
Dans les rapports détaillés de la Section topographique qui
se publieront plus tard, le lecteur trouvera tous les détails que
donne Lange sur la physionomie d'une región aussi intéres-
sante. Dans ees notes qui sont extraites de son rapport, je
dois me contenter de diré qu'il étudia le terrain compris entre
la lagune qui re?oit le tribut des eaux provenant des monts de
l'ouest appartenant á la chaine de Lelej; et qu'il suivit au
nord-nord-ouest par la spacieuse vallée formée par une autre
riviére descendant dans cette direction, et dominant á Pest la
moraine; á Pouest, un coteau peu elevé suit la direction du nord
au sud et separe la premiére lagune d'une autre plus étendue.
 
Le 13, il atteignit la cote (780 m.) qui separe les eaux de
Cholila de celles de la vallée d'Epuyen, au point appelé Cabeza
de Epuyen, et qui, de temps en temps, est habité par quelques
indiens. II y rencontra un des hommes qui accompagnaient
Rufin Vera, et il établit un campement pour alléger le bagage
qu'il emportait dans sa marche á piad.
 
Devant lui s'étendait la plaine glaciaire depuis le rio Mai-
ten á Touest, point tres important pour l'étude de la división
des eaux continentales; lá, les cours d'eau qui forment la riviére
Epuyen surgissent de petites inflexions de l'ancienne moraine,
tout prés du bord ouest du rio Maiten, et tres probablement il
arrivera un jour oú Térosion minera la séparation glaciaire ac-
tuelle qui existe entre les deux cours; le Maiten versera alors
ses eaux dans TOcéan Pacifique et ce fait transportera le divor-
Hum aquorum interocéanique quelques dizaines de kilométres a
Test de la Cordillére des Andes; car, tres loin au couchant, der-
riére les monts sitúes au nord et á Touest de TEpuyen, on dis-
tingue ses cimes neigeuses. Ces terrains doivent étre étudiés avec
soin, car ils pourront servir á l'élevage, mais il est douteux
que Tagriculture y offre des chances de succés, parce que les
moraines doivent étre froides, ouvertes qu'elles sont a Touest.
 
Le 16, Lange revint de Cabeza de Epuyen au sud ouesl,
traversant une vaste plaine qui divise les systémes hydrogra-
phiques d'Epuyen et de Cholila, et parvint á la seconde la-
gune, sans dénomination encoré, se dé versa nt par un ruisseau,
qui se trouvait alors desséché, dans la riviére du Cañadon
Largo, affluent septentrional du Fta-Leufu, ainsi qu'il a été
 
 
 
- 122 —
 
reconnu plus tard; il s'agit de lagunes indubitablement gla-
ciaires. Le jour suivant, il rencontra des traces fraiches de
chevaux, qui indiquaient que Frey avait déjá visité ce lac; il
passa la nuit aux bords du Fta-Leufu dans le méme campe-
ment qu'avait quitté celui-ci en revenant de Touest á son
champ d'opérations.
 
Les indigénes appellent le fleuve, dont la largeur est en
cet endroit de cinquante métres, le Carrenleufu ou «fleuve vert»
a cause de la couleur de ses eaux, particuliére aux cours
d'eau qui naissent des glaciers. Suivant le chemin parcouru
par Frey, Lange établit une station topographique sur une coU
line a Touest de la troisiéme lagune, á laquelle a été donné,
dans notre carte, le nom de lac Cholila, et il parvint á domi-
ner ó Test, á une distance d'environ trente-cinq kilométres, les
monts neigeux (jui paraissent former une chaine. Entre cette
chaine et la station, il ne vit que des montagnes isolées ou
réunies en groupes coupés par de profondes gorges, accidents
orographiques qui ont lous une direction longitudinale du nord
au sud. Les rives du lac Cholila sont couvertes de cyprés et
de ñires (planche XXVI). Du nord-ouest descend un fleuve
volumineux. Au fbnd de la gorge du sud-ouest, qui est égale-
ment assez étendue, se trouve un autre lac encoré entouré
d'un mystére qui sera dévoilé par d'autres explorateurs.
 
Le 19, Lange se dirigea au sud, cótoyant la rive maréca-
geuse qui rendait la marche difficile. La vallée est tres large en
cet endroit et couverte de paturages, de marais et de petits
bois pitloresques. Le jour suivant, il arriva á un site oü la
vallée se resserre, fait qui provient de ce que le fleuve se rap-
proche des montagnes qui avancent á l'est jusqu'á rencontrer
les roches presque perpendiculaires, pour reprendre ensuite
leur direction genérale sud-sud-ouest. Du sommet d'un coteau
elevé, il put jouir d'une belle vue au nord, au sud et á Touest:
au nord, la dépression longitudinale de Cholila et le Fta-Leufu
serpentant au milieu de bois et de marais de couleur vert-clair;
au sud, un lac étendu dans le sens de la longueur, dans lequel
débouche le fleuve, et á Test, une large vallée limitée par des
monts sans aspérilés qui précédent le grand chainon neigeux.
Comme il était possible d'avancer méme avec les mules, les
voyageurs ouvrirent un chemin jusqu'au lac.
 
Toute la vallée de Cholila est tres fertile. Les bois n'v ont
pas, d'aprés Lange, le méme caractére que dans l'Amérique du
Nord ou en Scandinavie; ils forment sur les versants de gran-
des taches alternant avec des clairiéres ou avec devastes zones
 
 
 
— 123 —
 
recouvértes de troncs déjá desséchés. Les cyprés el les mélézes
constituent les espéces les plus communes de ees foréts.
 
Le 22, Lange loissa la plus grande partie de la charge dans
VEstreehura, el, avee deux charges plus légéres, il suivit le
chemin ouvert par les aides les jours preceden ts jusqu'á un
petit cours d'eau qui se jette dans rextrémité nord du nouveau
lac; mais il ne tarda pas á se convaincre qu'il était impossible
de suivre ce chemin avec des bétes de somme, car les eaux du
lac arrivent jusqu'au pied des monts dont les versants sont
tres ra pides, sans laisser de plage. II résolut alors de conti-
nuer la route a pied, en emportant des vivres pour dix jours,
ainsi que les instruments indispensables; et se partagea cette
charge avec un de ses aides.
 
Ce fut le 23, á midi, qu'ils commencérent cette marche péni-
ble; le mont surplombait á pie le lac, et les explorateurs se
trouvérent souvent dans la nécessité de s'aider des pieds et
des mains pour ne pas étre precipites du haut des rochers. La
marche jusqu'au 25 se fit par monts et vaux prés du lac dont
la longueur approximative est de quinze kilométres, et auquel a
été donné le nom de Tillustre Rivadavia, déjá porté par la chaine
de Test. La marche fut tres pénible au milieu de ce bois touffu;
les jonchaies, les vieux troncs entassés parfois sur une épaisseur
de vingt métres en augmentaient la fatigue et les dangers;
les explorateurs devaient parfois se maintenir en equilibre sur
les troncs tombés; d'autres fois, ils devaient se glisser au-des-
sous et tombaient dans les fossés caches par les broussailles,
pénétrant jusqu'au cou dans les eaux du lac pour grimper de
nouveau sur les rochers isolés, au milieu de roseaux mobiles
€t tranchants.
 
Aprés avoir dépassé le lac, on renconlre, au pied des mon-
tagnes de Test, une plaine marécageuse parcourue par le Fta-
Leufu; la marche devint plus facile jusqu'á la sortie du fleuve;
d'abord tranquille, il présente bientót aprés des rápidos par
suite de la diíférence de niveau existant entre le cours supe
rieur du fleuve et la partie inférieure de la vallée 16 de Octubre;
cette dilTérence est de deux cents métres. Les eaux qui sont
tres limpides, et conservent la méme couleur vert-clair, se dé-
tournent h Touest, en coulant au pied de monts a pie. A sa
sortie, la largeur du fleuve est de trente métres; elle augmente
ensuite et en atteint cinquante. Au milieu de la rive du lac
se jette un grand fleuve qui descend de Touest par une vallée
ouverte et prolongée dans le fond de laquelle on apergoil des
hauteurs neigeuses.
 
 
 
— 124 —
 
Les voyageurs contínuérent leur route vers le sud parmi
les roseaux et les bois épais de la plaine située á Test du fleuve;
ils traversérent deux riviéres qui paraissent élre les bras
d'un fleuve descendant de Test. Au sud et á Test, s'éléve un
pie elevé et abrupt dont Lange fit Tascension; par suite du
manque de vivres, perdus en grande partie dans les accidents
de la marche, il avait abandonné son projet de suivre la rive
du fleuve jusqu'á la vallée 16 de Octubre. Le panorama de la
cime du pie était splendide; de lá, il put établir une station
de boussole et prendre un croquis détaillé. Au sud et á Touest,
il vit deux superbes lacs ; Tun d'eux a une direction genérale de
l'ouest-nord-ouest au sud-sud-est; et au couchant, au pied des
glaciers de la Cordillére, il se divise en deux bras, dont le
moins étendu est celui du sud; entre ees deux bras s' eleve
une ile boisée. On a donné au plus petit lac le nom de Laguna
Chica, et au plus grand celui de lac Menendez, én honneurdu
prétre explorateur auquel doit tant la géographie patagonique.
 
Le Fta-Leufu alimente la Laguna Chica, et reQoit le fleuve
qui nait dans le lac Menendez. Au sud et h Touest, se présenle
une serie de pies neigeux.
 
Le 28, Lange descendit du pie par le versa nt occidental,
dominant le rio Fta-Leufu qui va se jeter dans le lac Fta-Laf-
quen, mais il ne put reconnaitre lequel de ees deux fleuves
est le plus volumineux; dans le fond ouest du lac Menendez,
il distingua des glaciers. Les explorateurs remontérent en sui-
vant Tárete du pie, marche que les charges qu'ils porlaient
rendaient périlleuse, et dont les fatigues étaient augmentées
par Texténuation produite par le manque d'aliments répara-
teurs. De cette créte, il vit au nord et á Test les vallées et les
gorges formant avec leurs riviéres le fleuve qui se jelte dans
le Fta-Leufu; a Test du lac Rivadavia et plus ou moins en face
de Touverture apercue depuis le Peladito, il apercjut une petite
lagune.
 
Le jour suivant, du fond de la vallée oü ils s'étaient éta-
blis pour la nuit, ils firent l'ascension d'un col qu'ils avaient
aperen depuis le Terraplén; ils suivirent ensuite le cours d'une
petite riviére, et, aprés beaucoup de fatigues, ils arrivérent de
nuit sur la rive du lac Fta-Lafquen; Lange y observa que la
ligne de crúe máximum "se trouvait a cinq métres au-dessus
du niveau actuel des eaux.
 
Le l®'*avril, il arriva au Commissariat de la Colonie, et, le
4, il retourna au Fta-Leufu pour y continuer ses travaux de-
puis Tangle sud-ouest de la vallée. Le 6, il traversa le fleuve
 
 
 
- 125 —
 
accompagné du colon Eduardo Jones, emmenant des béLes de
somme pour pouvoir avancer jusqu'au point oü il avait passé
á Test, depuis le nord de Fta-Lafquen.
 
Les indiens racontent qu'autrefois on chassait des vaches
sauvages dans ees contrées, et les traces déjéi anciennes de
grands incendies indiquent qu'elles furent autrefois habitées.
Le bois de ees foréts n'est pas utilisable; la plus grande partie
des arbres étant vermoulus et tombant en pourriture; il con-
viendrait done de les brúler méthodiquement pour former des
champs útiles.
 
Dans cette reconnaissance, Lange étudia le lac Situación;
il vit la prolongation du lac Fta-Leufu, duquel le fleuve du
méme nom sort pour entrer par une vallée profonde dans le
lac Situación; il put établir plusieurs stations topographiques
et obtenir des photographies qui seront utilisées dans le plan
détaillé. Au nord-ouest du lac Situación, on voit une gorge
large et étendue. De la coUine de TAlto del Ciprés, on jouit
d'une vue magnifique, d'une hauteur perpendiculaire de quatre
cents métres et sur une corniche qui surplombe et ressemble
á un enorme balcón. Au nord-est, s'éléve Tabrupt cerro Situa-
ción que les colons appellent poétiquement «Le troné des nua-
ges»; au nord-ouest, s'étend une serie de monts neigeux en
face de la vallée du Fta-Leufu et de son embouchure dans le
lac. Le fleuve ressort au sud-est formant plusieurs rapidcs
et s'élargissant jusqu'á quatre cents métres; dans le grand
coude quMl décrit a Test, il regoit les eaux réunies du Perzey
et du Corintos; au sud de cette confluence s'étend une belle
plage herbeuse.
 
Le 11, Lange élait de retour au Commissariat.
 
Les instructions qu'avait recues Waag étaient les suivan-
tes: Aprés avoir établi un campement á la confluence du rio
Corintos et du Fta-Leufu, il tácherait de naviguer sur ce der-
nier pour observer s'il se jette dans le rio Palena ou s'il des-
cend directement au golfe de Corcovado. Si le Fta-Leufu était
un affluent du Palena, il remonterait alors son cours en fai-
sant le relevé du terrain parcouru depuis le point de départ,
soit en batean, soit á pied, jusqu'á la source du fleuve, oü
devait le rejoindre une expédition de secours qui devait s'orga-
niser parmi le personnel subalterne á ses ordres. Si le Fta-
Leufu et le cours d'eau qui se jette dans le gol le du Corcovado,
et qui porte aussi ce nom, se trouvaient n'étre qu'un seul et
méme fleuve, et qu'il ne se rencontrat pas d'habitants dans
 
 
 
— 126 —
 
cet endroit, il descendroit au sudjusqu'á la Colonie du Palena,
de laquelle il se déciderait, suivant le temps disponible, a re-
monter le fleuve ou á se dirigir á Puerto Montt. S'il réussissait
íi se reunir avec sa station sur le Carrenleufu ou Alto Palena,
il étudierait la zone limitée au sud par ce fleuve; á Test, par
le rio Encuentro, Cordón de las Tobas, confluence des rios
Corintos et Fta-Leufu; au nord, par le paralléle qui passe par
cette jonction; et á Touest, il parviendrait aussi loin que possi-
ble, jusqu'á ce que le mauvais temps l'obligeát á relourner u
la Colonie 16 de Octubre.
 
Ces instruclions étaient sujettes á des modifications suivant
les difficultés d'une exploration dans des régions en grande
partie complétement inconnues; elles furent exécutées de la
maniere suivante:
 
La station météorologique fut établie avec des instruments
fournis par l'Observatoire national de Córdoba, lesquels arri-
vérent á 16 de Octubre en parfait état, et les observations
furent confiées á Mr. J. G. Pritchard, maitre d'école de la co-
lonie, qui continué á les publier, prétant ainsi un inapprécia-
ble service, étant donnée la situation de ce point si rapproché
des Andes patagoniques. Les travaux d'exploration commen-
córent le 1«^ mars au point indiqué (planche XXVII).
 
Malheureusement, le canot amené de Chubut avait été dete-
rioré, et son usage devint bientót incommode et méme périlleux.
 
Le 4, aprés avoir determiné la position géographique du
point de départ, Waag entreprit la navigation du Fta-Leufu,
accompagné d'un seul homme. Le fleuve se dirige á l'ouest
durant une vingtaine de kilométres; son courant est d'abord
peu prononcé jusqu'á ce qu il penetre dans un étroit passage
ou sa forcé augmente et ou le vent contraire soulevait de telles
vagues qu'il devint nécessaire de trainer le canot le long de la
rive. Ce défilé dépassé, ils reprirent la navigation interrompue,
mais le courant ne diminuait pas et de grands bruits annon-
(;aient des rapides voisins; cependant, une reconnaissance par
terre démontra qu'il n\ avait pas de rapides á l'ouest, et que
le bruit provenait du choc des eaux contre les rochers du ri-
vage. Le volume des eaux s'était réduit au tiers de celui qui
avait été observé au départ, telle était la violence du courant.
Parfois les exploraleurs parvenaient á maintenir leur embar-
cation au milieu du fleuve, tandis que d'autres fois ils étaient
contraints de la trainer sur ses rives.
 
Le 6, Waag rencontra une cascade de trois métres de hau-
leur qu'il evita en traínant le bateau sur la rive; le cours d'eau
 
 
 
— 127 —
 
ne mesurait plus que douze ou quinze métres de largeur, mais
les tourbillons étaient tels qu'il fallut suspendre la navigation
pour ne pas périr dans ce dófilé. Waag chercha á gravir un
mont du sud; mais aprés avoir couru un grand danger, il dut
renoncer á son projet pour passer au nord, dans le but de con-
tinúen la marche á pied.
 
Du sommet d'un coteau, il put voir une riviére descendant
au nord-est par une vallée étroite qu'il parvint á distinguer sur
une extensión d'environ vingt kilométres. Gette riviére se jette
dans le Fta-Leufu, lequel, aprés avoir décrit au nord un coude
d'un kilométre, tourne au sud et poursuit son cours á Touest,
selon ce que croit Waag par une vallée prolongée qui s'élargit
en coleaux peu eleves jusqu'au pied des hautes montagnes
neigeuses et éloignées de l'ouest; il court ensuite au sud durant
environ quinze kilométres, et au sud-sud-est pendant vingt cinq
kilométres. Le docteur Steífen décrit le rio Frió, affluent du
Palena, qu'il observa depuis le sud-est, comme descendant du
nord par une large vallée, limitée des deux cótés par des monta-
gnes neigeuses, présentant des pies eleves, parmi lesquels celui
dont l'altitude est la plus considerable parait situé au commen-
cement de la vallée. D'aprés cette description, Waag croit que
ce pie ne peut étre autre que le cerro Nevado qu'on apergoit
depuis la vallée 16 de Octubre, par la gorge au fond de laquelle
coule le Fta-Leufu aprés sa sortie de la vallée et auquel il
donna le nom de Teta de Vaca á cause de sa forme. En outre,
le docteur Steflfen dit qu'á son retour par le Garrenleufu il
observa que le rio Frió était plus considerable que le premier.
En comparant la température des eaux des rios Garrenleufu
et Fta-Leufu, Waag remarqua la méme différence que celle
qu'avait observée le docteur Steífen entre les eaux du premier
et celles du rio Frió. Du point du Fta-Leufu, d'oü revint Waag
aprés avoir vu courir le fleuve dans la direction du sud, limité
a Test par des monts oú prennent leur source les riviéres
Manso et Arisco, le trajet est trop court pour alimenter un
fleuve plus grand que le Garrenleufu, ou tout au moins d'un
volume égal; il croit done que le Fta-Leufu est le méme fleuve
que le Frió.
 
Le Fta-Leufu a son cours dans la direction genérale nord
et sud, entre la Gordillére, l'espace d'un degré et demi de lati-
tude; et le chainon ou les chainons du centre se trouvent á
Toccident, montrant les pies les plus eleves de la región et
d'immenses glaciers.
 
11 n'était pas possible que deux hommes pussent trainer
 
 
 
— 128 —
 
rembarcütion au trnvers du bois et des ravins escarpes. Waag
decida le retour ix la colonie de la vallée 16 de Octubre, des
qu'il se convainquit que ce fleuve n'était pas navigable. II croit
possible et peu coüteux rétablissement d'un chemin commode
au Palena inférieur ; il serait facile de construiré un pont sur
le second endroit resserré du fleuve. Waag et son compagnon
laissérent le canol bien á Tabri, ainsi que les instruments et
les provisions pour une future expédition ; ils commencérent
le retour a pied, en portant les instruments, et en gravissant
les montagnes de Test; mais, le jour suivant, ils durent retour-
ner chercher leur embarcation, car il n'était pas possible de con-
tinuer la marche sur les sommets.
 
Le 11, aprés beaucoup des peines, ils arrivérent á un point
oü il n't5tnit pas nécessaire de traverser de nouveau le fleuve.
Ils laissérent lá le batean, et, le soir, ils arrivérent á rétablis-
sement du colon J. Rus. Waag dit qu'aprés avoir dépassé de
cinq kilométres le coudedécrit par le fleuve, jusqu'á la Cascade,
on ne trouve pas de terrains cultivables, sauf des zones tres
peu étendues. La vallée est resserrée et les versants des mon-
tagnes, surtout dans la parlie sud du fleuve, sont tres inclines
et couverts de bois. Un conifére qui y abonde peut fournir d'ex-
cellents bois de construction. La faune est tres pauvre; il na
vu que deux huemules {Cerviis chilensis) et un huillin {Luirá
chilensis), Dans le fleuve, les truites atteignent une longueur de
trente centimétres.
 
Les journées du 12 et du 13 se passérent íi arranger les
charges. Waag s'occupa á réparer le théodolite qui s'élait dé-
rangé au cours de la pénible excursión sur le fleuve. Le 14, il
commen(ja la marche dans le Valle Frió, s'établissant vers le
soir prés d'un bras de Tarroyo Chileno qui descend du sud-
ouesl. 11 avait employé beaucoup de temps á traverser le bois.
Le 17, aprcs trois jours de marche tres pénible dans les bois et
les collines glaciaires escarpées, il se retrouva dans le Valle Frió.
Les terrains tra verses ne sont pas homogénes; dans les cinq
premiers kilométres, ils ne peuvent étre meilleurs pour le pó-
turage, et Tagriculture doit y prospérer admirablement, si Ton
excepte la culture de la pomme de terre qui souffre des ge-
lées. Sur les versants, Therbe est ahondante; mais, dans le bois
incendié, elle ne repousse pas. Tout le coteau morainique est
couvert de buissons touffus. Ces moraines atteignent une hau-
teur de 800 métres au-dessus de la mer en face du cerro Có-
nico et de Tarroyo Frió ; ce dernier, au point oü les explorateurs
établirent leur campement, coule ix 690 métres au-dessus du
 
 
 
— 129 —
 
niveau de la mer, au sud-ouest, au milieu de la vallée de deux
kilométres de large, couverte d'excellents p&turages; sur les
coteaux qui la limitent, la forét est impenetrable.
 
A Touest du campement, á huit kilométres de distance, s'é-
léve une chaine de montagnes paralléle au Valle Frió et dont les
cimes les plus élevées ont une altitude d'environ 2000 métres. Au
pied du Mont Cónico coule, dans une pampa assez ouverte, Tar-
royo Arisco beaucoup plus volumineux et impétueux que le Frió.
 
Dans ees environs, se trouve un mineral de plomb qui devra
étre examiné avec attention au cours d'une prochaine expédi-
tion. Les colons ont mis á nu le filen dont Tépaisseur varié
entre cinq et vingt centimétres.
 
Le 19, Waag requí de nouvelles instructions qui correspon-
daient au plan qu'il s'était tracé. Puisqu'il était impossible de
réaliser Texploration du cours inférieur du Fta-Leufu, aprés
les observations de latitude et d'azimut, il continua á descendre
ó l'ouest-sud-ouest par le val du Rio Frió, dans lequel il éta-
blit un campement á la confluence avec un cours d'eau plus
important, au point oü leurs eaux réunies se jettent dans le
Carrenleufu. Dans cette contrée, on rencontre souvent des bes-
tiaux sauvages.
 
Le 20, il chercha á atteindre le sommet du pie, mais il ne
put en eífectuer l'aseension par la forét, et il résolut de conti-
nuer sa route par Tarroyo Arisco, en le remontant sur un es-
pace de quinze kilométres. Le 22, il escalada les coteaux pour
vérifier s'il était possible d'arriver avec des bétes de somme
au Cordón de las Tobas; la chose était possible, mais aurait
exige une semaine de travaux pénibles, et la saison était trop
avancée. De la cime d'un mont, il put voir qu'á trois kilomé-
tres plus á Touest, la vallée prenait une direction genérale d'est
ó ouest, laissant le Cordón de las Tobas isolé des montagnes
qui commencent au sud-ouest de la Colonie, et suivent cette
direction jusqu'á la vallée. Obligé par le mauvais temps á re-
tourner au campement de l'arroyo Frió, le 25, il se dirigea vers
la vallée du Carrenleufu. Le jour suivant, il rencontra trois in-
diens de la Tolderia de Foyel qui lui vendirent de la vianda
provenant d'une vache sauvage qu'ils venaient de chasser et qui
lui dirent que le nom de Carren-leufu (riviére verte) correspond
au Fta-Leufu, auquel ils donnent Tune ou l'autre de ees déno-
minations, et que les anciens indigénes appelaient Pibmque Tac-
tuel Carrenleufu ou Corcovado de los Colonos. Pilun signifie
•serpent en araucan, et la riviére qui serpente dans la vallée mé-
rite ce nom par son cours capricieux.
 
9
 
 
 
— 130 —
 
Le colon Gérard Steinkamp est établi dans cette vallée avec
sa nombreuse famille, ainsi que quelques vaches, jumen ts et
brebis; et c'ost chez lui que Waag s'arréta le 26. La journée
du 27 fut employée á des observations astronomiques. Waag
laissa la plus grande partie des animaux reposer dans cet
excellent pálurage. Le Garrenleufu a, en cet endroit, un vo-
lume d'eau bien moindre que le Fta-Leufu et il est guéable en
plusieurs points. Le 31, aprés une marche fatigante, Texplora-
teur arriva au rio Encuentro, et put reconnaitre la región sur
dix kilométres environ á Touest, mais il n*était pas possible de
continuer la reconnaissance dans de pareilles conditions. Du
reste, il se trouvait déjá dans des terrains visites par Steffen et
Fischerdont les données permettront de tracer plus tard le pro-
gramme des travaux pour Texploration détaillée que le Musée
projette pour la suite et dont ees reconnaissances n'étaient que
les préliminaires. Le 2 avril, au soir, Waag revint ó Tétablis-
sement de Steinkamp, et ses tentatives pour atteindre le Cor-
don de las Tobas Toccupérent jusqu'au 6; pendant ce temps,
il avait examiné une conche de charbon dont il ne peut cal-
culer rimportance, ayant manqué du temps nécessaire pour
Tapprécier avec exactitude. Cette conche a une inclinaison de
trente degrés á Test et deux métres et demi d'épaisseur; elle
est recouverte d'une conche d'argile, imprégnée de fer, d'une
épaisseur de quatre métres. Les gres compacts, gris et rouges
se présentenl sur les coteaux.
 
Du coteau, h cóté du campement, il observa qu'á Test du
Cerro Central, le fleuve Carrenleufu descend du sud et se di-
rige de plus en plus á Touest, prés de la base de la montagne,
point oü il décrit íi peu prés une demi-circonférence. La vallée
se resserre en cet endroit, mais á Test et au nord-est elle atteint
presque deux kilométres de largeur. Les coteaux du nord se
rapprochent du fleuve, et arrivent jusqu'á sa rive au point de
jonction avec l'arroyo Frió. Les coteaux du nord-est offrent de
bons páturages et dans une gorge prés de la riviére de Las
Casas, on rencontre quelques pins. Le sol de la vallée consiste
principalement en terre végétale tres fertile et apte pour Tagri-
culture. Quelques petites élévations de la partie nord de la val-
lée la mettent á Tabri des vents et des orages qui viennent de
l'ouest. II n'y a pas de doute que cette vallée est tres propice
á une colonie agricole. Depuis Tecka, on peut y parvenir en
char. Plus bas, la vallée est boisée et moins accessible, mais
quand on aura systématiquement brülé la forét, le terrain sera
cultivable.
 
 
 
— 131 —
 
Le 8, Waag, accompagné d'un aide, commenga son excur-
sión á pied au Cordón de las Tobas, et, le 14, il arriva á un
point dont il calcule la situation á dix kilométres du Fla-Leufu;
mais la neige l'empéclia de conlinuer l'ascension de la mon-
tagne. II avait Iraversé des foréts d'arbres enormes qui avaient
jusqu'á huit métres de circón férence, et dont la hauteur attei-
gnait íi quarante métres.
 
Le 20 avril, il retourna au Commissariat du 16 de Octubre,
aprés cinquante jours de travaux et de priva tions (pl. XXVIII).
 
Tandis que Waag explorait le Fta-Leufu et le Carrenleufu,
et Kastrupp les environs du lac General Paz, Von Platten vi-
sitait les rios Pico et Frias; il partit en suivant la direction du
nord-ouest par la charriére de la colonie 16 de Octubre, en
traversant ensuite la vallée humide et fertile de Gennua, limi-
tée au nord par des collines de trois cents métres de hauteur,
séparées des montagnes de Potrachoique par le large Cañadon
de Lemsañeu. Les coteaux du sud ont á peu prés la méme
hauteur. Suivant le cours d'un arroyo, il passa au sud du pe-
tit mont Gesketomaiken; et entrant dans une large vallée qui
s'étend á Touest et qui est traversée par les rios Quersuncon et
Cherque, il continua sa route á Test de ce dernier jusqu'á une
hauteur de 790 métres oü le Cherque se rétrécit, et regoit en-
suite un affluent provenant des coteaux de Test. Avantde rece-
voir son affluent de Touest, le Cherque s'encaisse dans un étroit
cañadon dont les bords á Test sont eleves et escarpes, tandis
que ceux de Touest s'étendent en vaste platean formant la divi-
sión des eaux du Cherque et du Pico.
 
Les montagnes au sud-est de la dépression transversale
s'élévent rapidement jusqu'ü une hauteur de 1300 á 1400 métres.
 
L'arroyo a sa source dans les grands marais et les petites
lagunes de la colline de Los Baguales (1300 m.) oü nait aussi
Tarroyo Omckel que Von Platten suivit au sud jusqu'ó la vallée
du Rio Frias, lequel a aussi son origine dans les mémes co-
teaux. II traversa cette vallée en suivant la direction du sud
jusqu'á rencontrer la lagune, origine de Tarroyo Apeleg, et
tourna ensuite á l'ouest jusqu'ü la premiére riviére du sud qui
nait dans les montagnes neigeuses.
 
En arrivant en face du Cerro Caceres, il monta au sommet
d'un platean situé á cinquante métres au-dessus du niveau du
rio Frias et vit que les chaines de montagnes étaient entrecou-
pées au nord comme au sud. L'épaisse forét l'empéchant d'ar-
river jusqu'á elles, il suivit le cours du fleuve au nord jusqu'á
 
 
 
— 132 —
 
ses deux sources qu'il traversa, et arriva á une petite lagune qui
s'étend du nord-est au sud-ouest; de lá, il s'aperQut que le fleuve,
infranchissable sur ses deux cotes, coulait á Touest- sud-ouest
par une gorge derriére laquelle on distinguait des montagnes
élevées. II essaya d'eífectuer une exursion ü Touest pour re-
connaitre les sources de la riviére qui débordait par suite des
pluies continuelles; mais ne pouvant réussir á exécuter son
projet, il fit Tascension d'un mont de 1274 métres au nord-
ouest, oü, malgré les averses et les brouillards, il put observer
que les cimes neigeuses se trouvaient plus ó Touest.
 
Puis il se mit en marche vers le nord-ouest en suivant le
versant des montagnes neigeuses du nord-ouest et arriva á un
plateau stérile de deux lieues carrees, limité au nord et á l'est
par des hauteurs peu élevées, et á l'ouest par des montagnes
recouvertes de neige, dont l'altitude était considerable. Au sud,
se trouve une large vallée au fond de laquelle coule Farroyo
Caceres. S'avangant á l'est, Von Platten se dirigea vers un
mont de 1630 métres, d'oü il aper^ut les trois lacs sitúes au
sud de TarroYO Pico, dont il reconnut diverses sources qui
s'unissent au rio Frias. II trouva une lagune située prés du
versant nord du mont Caceres, se dirigea á Test vers les Ba-
guales en traversant de petits coteaux, et distingua parfaite-
ment la Cordillera de Touest entiérement recouverte de neige.
Au nord, se trouve une lagune située au sud du lac Pico; il y
arriva en traversant le quatriéme bras de la riviére du méme
nom, et au nord-ouest il traversa trois courants qui descen-
dent des montagnes neigeuses á l'ouest jusqu'á rencontrer un
quatriéme cours d'eau qu'il ne put traverser, par suite de Tes-
carpement de ses bords.
 
Dans la direction nord-ouest, il rencontra une belle vallée
arrosée par un bras du Pico qui se réunit au bras de Touest;
et, suivant la méme direction, il traversa les divers'bras du
sud jusqu'á la pampa de Temenhuau, cherchant en vain le lac
Henno. II continua sa route au sud vers la riviére de TOmckel,
en traversant les póturages d'une pampa un peu plus élevée
que les environs de la riviére Pico; il passa á Touest de la
fertile pampa Chirick jusqu'á Omckelaiken oü les montagnes
s'ouvrent dans une vallée étroite qui s'élargit íi Shama jusqu'au
point oü la riviére est plus resserrée. Les montagnes altei-
gnent en ce point une hauteur de 1300 h 1400 métres. et sont
moins accidentées au nord qu'au sud; dans cette derniére par-
tie, elles présentent des pies caractéristiques comme celui de
Haiosh.
 
 
 
— 133 —
 
Suivant la riviére jusqu'á Tequerr, il traversa un grand ma-
récage qui s'étend du sud-esl au nord-ouest, etdont les terrains,
uu diré de M. Von Platten, sont les meilleurs qu'il ait traver-
sés. Dans la carte dressée par M. Ezcurra, cette riviére suit
la direction de Test pour s'unir au Gennua, mais Von Platten
put constater que son cours y a été mal representé, puisqu'il
se dirige ou sud pour se reunir á rarroyo Apeleg.
 
L'explorateur se dirigea au sud-ouest á la recherche de
cette derniére riviére qui cótoie les coUines du nord, dans une
vallée qui se resserre toujours davantage, se refermant presque
h Touest entre les montagnes du sud appelées Payahuehuen,
plus élevées que celles du nord. II suivit le cours de la riviére
depuis ses sources, qui proviennent de Touest de montagnes
de 1300 íi 1400 métres d'altitude, jusqu'á la confluence de
rOmckel; et, au travers la pampa fertile au nord, stérile dans
son prolongement du sud, il arriva á Choiquenilahué, le 30
avril, oü il rejoignit plus tard M. Arneberg.
 
 
 
X
 
 
 
DE i6 DE OCTUBRE A PUERTO MONTT
 
 
 
Quand fut arrangé le retour des expéditionnaires de la
section australe, je résolus de retourner, le 12 avril, au Nahuel-
Huapi. Cette nuit-lá, nous campámes á Pichileufu, et le len-
demain je pris le chemin de Fofocahuallo pour passer par
Cushamen ou Flatemen. En continuant ma route dans la di-
reclion de Touest par les sources des arroyos Chacaihueruca,
Chenqueg-geyu et du rio Curruleufu, j'arrivai, le 16, a la pro-
priété de Tauschek, prés du lac. Le lendemain, Wolíf me rejoi-
gnit et me rendit compte des travaux qu'il avait exécutés.
 
II commenga son exploration en suivant la vallée du Caleufu,
et chercha un passage au travers des bois et des coteaux jus-
qu'au bassin du Traful qu'il dut reconnaitre au sud. Dans la
vallée se trouve une habitation dont le propriétaire lui assura
qu'il se rencontre des vaches sauvages dans les environs du
lac. Pour reconnaitre Tarroyo Cuyé-Manzana, il traversa les
hauts coteaux qui le séparent du Traful dont il est un affluent.
Cette riviére coule dans une vallée assez étendue et riche en
páturages; il la suivit en partie;puis il fit Fascension des mon-
tagnes offrant le plus de facilité pour la marche. Le lac Man-
zana representé dans la carte du colonel Rhode, representa tion
qui a été copiée par toutes les autres cartes de cette región
qui ont paru dans la suite, n'existe pas, comme Tont également
constaté Soot et Hauthal. De la cime d'une montagne, Wolff
 
 
 
— 135 —
 
put effectiier des observations de latitude et d'azimut, de grande
importance pour relier les points lopographiques avec le La-
nin, centre de toutes les observations de la section. Le 14, en
traversant la chaine de montagnes, il arriva k TEstancia Jones
au Nahuel-Huapi, oü ¡1 rencontra Roth avec lequel, le 16, il se
dirigea au Potrero Huber, ix Textrémité nord-ouest du lac; mais,
avant d'y arriver, Roth dut retourner en arriére á cause des
difficultés du chemin, qui entravaient les études qu'il avait ordre
d'effectuer (planche XXIX).
 
Le rio Correntoso, si Ton peut appeler fleuve ce petit canal
profond, n'a guére que deux cents métres, et met le lac de
ce nom en communication avec le Nahuel-Huapi; cependant la
carte de M. Fischer donne á son cours une longueur de presque
vingt kilométres. Le sentier passe par les lagunes de Las
Chorguas et Pichilaguna et la lagune du Totoral ; cette derniére
est tres pittoresque avec trois ilots au centre, et est située au
pied des monts neigeux de Touesl. Potrero Huber, ainsi ap-
pelé d'aprés le nom d'un propriétaire résidant á Osorno, qui
avait choisi ce parage pour Thivernage de ses bestiaux, oc-
cupe la vallée entre la lagune Totoral et le lac Nahuel-Huapi,
vallée dont la forét a été détruite par des incendies et qui a été
remplacée par d'excellents prés naturels.
 
Le 25, Wolff fit Tascension du cerro Mirador, superbe point
d'observations, d'oü Pon voit les monts Lanin, Chapelco, Tro-
nador, Pantoja, Puntiagudo et les volcans de Osorno, de Pu-
yuhué et de Villarica. Le 26, il examina la lagune Constancia
dont les eaux se déversent dans le lac de Puyehué, et, le lende-
main, il recommenca Fascension du Mirador (planche XXX,
fig. 1) du sommet duquel il parvint á effectuer des observations
de latitude et d'azimut, et exécuta des visees de tous les prin-
cipaux points en méme temps que le panorama photographique.
Le 28, il se dirigea de nouveau á la lagune Constancia, et, le 30,
il était de retour au Potrero Huber. Le 31, il partit dans la
direction du nord-est pour étudier le systéme du lac Correntoso,
et arriva, le soir, au lac Espejo, prés des rives duquel croissent
de vigoureux mélézes. Le lac baigne la base des montagnes
neigeuses de la Cordillére, et sa plus grande extensión se trouve
du nord au sud. II est étrange que ce lac ne se déverse pas
dans le Nahuel-Huapi, car il n'en est separé que par une plaine
de deux kilométres. Son écoulement se fait plus au nord, dans
le lac Correntoso, en coupant des monts assez eleves sur un
espace de cinq kilométres. Un autre petit lac, celui de TEn-
canto, se déverse dans le lac Espejo.
 
 
 
— 136 —
 
Le 6 avril, Wolff retourna au Potrero Huber, aprés un tra-
vail tres pénible, rendu plus difficile encoré par la pluie conti-
nuelle. Dans cette región, il n'est pas rare de trouver des vesti-
ges d'établissements indigénes tres anciens et il put obtenir de
curieuses piéces de céramique. II retourna á TEstancia Jones
dans le canot du brave indigéne Millaqueo (planches XXXI
et XXXII).
 
Le 23, il arriva á Junin de los Andes, et malgré la saison
avancée, il se dirigea vers le lac Huechu-Lafquen, aprés avoir
determiné la longitude de Junin. II continua ees travaux avec
la coopération de Zwilgmeyer et Soot, malgré les pluies et les
neiges, jusqu'au 8 mai. Le 13, il arriva á Quillen, et, de lá, il
se rendit á Chosmalal et á San Rafael, en prenant á -l'est du
massif du Nevado. Le 15 juin, son voyage était terminé.
 
M. Schiórbeck était revenu de son excursión aux lacs Gu-
tiérrez, Mascardi et Todos los Santos; je lui laissai de nouvelles
instructions ainsi qu'á Frey qui avait ordre de se rendre a Roca
par le Nahuel-Huapi.
 
En arrivant au lac Nahuel-Huapi, le 25 février, Schiórbeck
commenga ses opérations par Tascension du cerro del Carmen,
de la cime duquel il apergut le lac jusqu'á Tile Victoria, le cerro
Puntiagudo, au Chili, et le Tronador, dont l'observateur ne
pouvait apercevoir, de la position qu'il occupait, que deux pies,
dont le plus elevé avait une altitude de 3400 métres (moyenne
de quatre observations trigonométriques), c'est-á-dire presque
400 métres de plus que la hauteur calculée par MM. Fischer
et Steffen. Le cerro Puntiagudo mesure, d'aprés Schiórbeck,
2430 métres, soit 130 métres de moins que ce qu'indiquent les
mémes explorateurs.
 
Du haut du cerro del Carmen, on parvenait á voir le lac
jusqu'au Puerto Blest, ce qui demontre Tinexactitude du bras
dessiné sur la carte de M. Fischer. Du méme point de vue,
Schiórbeck put constater aussi Terreur de la position assignée
par M. Krüger(')au cerro Tronador qui, selon lui, se voit de
Tembouchure du lac de l'ouest au nord.
 
L'explorateur remarque deux dépressions du lac, celle de
Puerto Blest et celle qui forme un bras au sud; la partie com-
prise entre les deux dépressions est occupée par une petite
chaine dans laquelle le cerro Capilla est le sommet le plus
elevé. Au sud s'étendait la vallée du lac Gutiérrez, oü Schiór-
 
 
 
(*) Expedición exploradora del Rio Palena. Santiago, 1895.
 
 
 
— 137 —
 
beck se dirigea d'aprés mes instructions. A grand' peine, il
put passer au travers de l'épaisse forét, sur la rive nord du
lac, oü il se trouva entouré de montagnes qui suivent la direc-
tion de Test á Touest; tandis qu'au sud, on distinguait une
chaine continué dont la cime la plus remarquable est appelée
La Ventana; cette chaine se dirige á Touest, cótoyant la rive
sud du lac, ainsi que celle d'un autre lac situé plus á Test,
jusqu'á ce qu'elle soit coupée par la grande vallée longitudi-
nale. Cest un chainon de cinquante kilométres de long, qui
se dirige parallélement au massif de la Torre de la Catedral
dont la base escarpée surplombe le bord nord-ouest du lac si-
tuó á Touest du lac Gutiérrez, et auquel on a donné le nom
de lac Mascardi, en honneur du missionnaire assassiné en 1672
par les indiens. A Touest de ce lac s'ouvre une plaine de dix
kilométres d'extension. Cette dépression tectonique, occupée par
les deux lacs et la vallée, formait autrefois un des fjords du
lac Nahuel-Huapi. C'est au prix de grandes difficultés que
Schiórbeck réussit á faire Tascension d'un des pies de cette
derniére montagne, el, d'une hauteur de 2300 métres, il observa
á l'ouest et au nord-ouest un massif dont les pies et les som-
mets neigeux sont domines par le Tronador et le mont Pun-
tiagudo. De l'autre cóté du lac, on voyait une vallée longitudinale
tout á fait dépourvue de cours d'eau, limitée par une imposante
chaine de pies eleves et neigeux, se prolongeant du nord au
sud. Au nord-ouest, il distingua les nombreuses cimes qui se
trouvent á Touest du Nahuel-Huapi et a u nord et á Test le vol-
can Pillan, les chaínons du Traful, des Cipreses, le Carmen,
et le Trenque-Malal jusqu'au fleuve Limay.
 
De retour au lac Gutiérrez, il traversa en radeau le lac
Nahuel-Huapi, et débarqua á Puerto Blest, dont il rectifia la
position géographique donnée par M. Fischer, et qui est situé
quatre minutes plus au sud. S'avan^ant davantage dans la Cor-
dillera, il passa par la laguna de Los Clavos, á une hauteur de
1190 métres, tandis que le Nahuel-Huapi est á 740 métres au-
dessus de la mer. II arriva au défilé appelé Cuesta de los Rau-
lies (1290 m.), formant la séparation des eaux qui alimentent
la laguna de Los Clavos, dont Tembouchure se trouve dans le
Nahúel-Huapi, de celles qui donnent naissance aux affluents du
rio Peulla. La pente des versants est tres rapide, puisque de
cette hauteur on descend á Casa Pangue qui n'est qu'á 320 mé-
tres au-dessus de la mer.
 
De ce parage, par Touverture du rio Peulla, on domine le
Tronador avec ses cimes immaculées, encadré á Test par le
 
 
 
— 138 —
 
cerro du Boquete Pérez Rosales, et á l'ouest par le Monte
Celoso.
 
Schiórbeck se dirigea á la lagune Frias par le Boquete Pérez
Rosales. Au nord du passage, il gravit la Cuesta de los Rau-
lies, dotninée par le mont Pérez Rosales (2850 m.) situé au sud.
 
Pour arriver au Tronador, il suivit le cours du rio Peulla
jusqu'á la confluence de ses trois bras, dont l'un vient de la
gorge du Boquete Pérez Rosales, et les deux autres naissent
des glaciers du Tronador. II penetra par le revers d'une mo-
raine encoré active du glacier actuel. Puis, il atteignit le lac
Todos los Santos, et, de lá, il revint á Nahuel-Huapi.
 
Le 3 avril, suivant les instructions que je lui avais laissées,
il se dirigea au sud du lac, sur les hauts coteaux, á l'ouest
du chemin general qui abouit á la vallée 16 de Octubre, prés
de la región du Corral de Foyel. Par un ancien sentier, il tra-
versa de nouveau le rio Curruleufu qu'il remonta jusqu'á ses
deux principaux affluents (1260 ra.), en suivant celui de Touest
qui nait dans une vallée de deux kilométres de largeur. Le
Curruleufu regoit un affluent du mont au nord, et sur le cóté
ouest, le rio Manso prend ses sources íi 1280 métres de hauteur.
 
D'un sommet voisin du rio Manso, au sud, et á une hauteur
de 1500 métres, l'explorateur reconnut que ce fleuve va de Test
ó l'ouest, en s'inclinant un peu au sud; son principal affluent
nait du mont Tristeza. A l'ouest, h une distance de cinquante
á soixante-quinze kilométres, on distinguait des cordilléres éle-
vées et couvertes de neige, continuation du chainon neigeux
situé á l'ouest de la grande vallée et qu'on aper^oit du mont
Catedral. II reconnut ensuite l'affluent est du rio Curruleufu,
et il fit Tascension d'une cime (1840 m.), d'oü il prit des visees,
á Paide desquelles il rattacha ix ses observations le mont Car-
men, visible au nord; mais il ne put rien distinguer á l'ouest,
car l'horizon était fermé par les montagnes qui donnent nais-
sance au rio Curruleufu.
 
Au sud, il remarqua une grande dépression qu'il jugea étre
le lit d'un affluent du Manso.
 
Les tourmenles d'eau et de neige ayant redoublé par suite
de la saison avancée (7 mai), Schiórbeck entreprit son voyage
de retour á Roca, en suivant la charriére qui, de Nahuel-Huapi,
passe par le Cañadon Cumayen, et monte á celui de Pilcan-
geyu. II passa le défilé entre les deux cañadones; il suivit le pre-
mier dans tous ses détours, d'abord dans la direction de Test,
puis au nord-est, et enfin au nord -nord -est, jusqu'á arriver,
aprés 55 kilométres de parcours, au rio Limay; il traversa plu-
 
 
 
— 139 —
 
sieurs autres dépressions, entre autres celles de Cuy, laquelle,
d'aprés les indiens, ne se termine qu'á TAtlantique.
Le 12 juin, il arriva au forl General Roca.
 
Le 29 février, Frey quitta le campement de la colonie et
suivit le chemin general de Lelej; en recherchant ensuile á Touest
les monts de Cholila, il traversa le parage appelé «La Puerta»
par oü court un ruisseau qui, avant de s'unir au Lelej, forme
une petite lagune jusqu'au point oú les eaux du rio Chubut se
séparent de celles du Fta-Leufu. De lá, s'étendait au nord la
grande plaine; au sud-sud-est, on apercevait une vallée en
partie marécageuse, limitée á Test par les monts de Lelej et
Esguel, et circonscrite au couchant par des coteaux de 200 á
400 métres de hauteur; arrivé au sommet de ees derniers, Frey
apercjut h Touest un des lacs de Cholila et au sud-ouest un
autre lac de plus grande dimensión, et plus loin encoré, h la
ligne occidentale de Thorizon, les monts de Cholila couverts
d'une faible couche de neige.
 
Pour arriver á ees lacs, dont il n'a pu observer Tembouchure,
il passa par la confluence de deux riviéres qui naissent dans
les monts de Cholila et qui coulent au Fta-Leufu par un ca-
ñadon s'ouvrant au sud. Ne pouvant atteindre la rive sud du
lac le pluséloigné par suite de Tépaisseur de la forét, il arriva
au Fta-Leufu qui, h ce point, a environ quarante métres de
largeur el coule tranquille et profond.
 
En remontant son cours dans la direction de Touest, il trouva
un troisiéme lac de plus de quinze kilométres de long sur
trois environ de large, qui va de Touest á Test, et d'oü sort le
Fta-Leufu: c'est le lac Cholila. Dans le fond, une chaine, dont
les sommets présentent une couche de neige d'une certaine
épaisseur, se dirige au sud oü elle parait liée au mont Tres
Picos et terminée par le Puntiagudo, tandis que les monts de
Cholila la limitent au nord. Le fleuve est guéable un peu avant
sa confluence avec Tarroyo Cholila, son tributaire, qui reQoit
á son tour un cours d'eau de Test, donnant issue aux eaux
d'un quatriéme lac, le Misterioso, alimenté par Teau que con-
densent des sommets neigeux.
 
Frey nrriva ainsi au plus considerable des cinq lacs ob-
serves, et dont Taxe principal va du nord au sud. De lá, en
suivant les monts de Cholila, et s'élevant toujours davantage
jusqu'au point oü ceux-ci prennent la direction de Touest, il
atteignit l'arroyo Epuyen. Ce cours d'eau a sa source dans un
sixiéme lac de dix kilométres de long, alimenté par les eaux
 
 
 
— 140 —
 
qui descendent des monts de Cholila et de Pirque. S'ouvrant
un chemin par le versant des monts, Frey penetra dans la val-
lée formée par cette riviére, s"étendant dans la direction de
Touest, et oü il se trouve un établissement.
 
En suivant cette riviére, il arriva á son embouchure dans
le lac Puelo. II ne put, h cause des foréts impenetrables et des
marécages, parcourir les cotes du lac, et se contenta de les
observer depuis une hauteur. II nota au sud les sommets nei-
geux de Tres Picos que le docteur Stefifen, dans sa carte, appelle
«Cerro de los Castillos». Cette montagne est séparée de la chaine
neigeuse qui se prolonge au nord par une riviére qui vient
du sud et qui s'incorpore au lac Puelo. Cette chaine est aussi
coupée par le Rio Puelo, déversoir du lac du méme nom, le-
quel, dans la partie aper^ue par Frey, s'étend d'en virón quinze
kilométres du nord au sud, formant au nord deux échancrures
entre lesquelles s'éléve la colline Curamahuida; dans celle de
Test, se déverse l'Epuyen, et, dans celle de Touest, une autre
riviére qui descend du nord. Au nord s'éléve le Cerro Pilqui-
tron, continuation des hauteurs qui se prolongent depuis le Na-
huel-Huapi; du Pilquitron au sud continué une chaine jusquá
la montagne située en face de Testancia Maiten.
 
En suivant la vallée, entre les deux mon tagnes, Frey se
dirigea au nord afin de rattacher le Tronador á la zone de ses
observations. Dans la vallée, il traversa des cours d'eau qui
descendaient des deux montagnes, et qui, réunis en deux ri-
viéres, se déversent dans le second bras du lac Puelo. La ri-
viére formée par les eaux de la chaine de Test arrose des terres
fértiles et propres d Télevage. Celle de l'ouest, alimentée de
méme par les eaux de cette direction, prend sa source dans un
glacier de la Cordillére neigeuse.
 
Gravissant une haute colline qu'il appella «Los Baguales»,
il aperQut le panorama qui se déroulait au nord: en face, une
montagne á forme pyramidale; á gauche et un peu plus au
nord, les divers pies du cerro Valverde; entre celui-lá et la
Cordillére neigeuse de Foccident, une riviére qui coule a Touest,
formée de deux affluents principaux qui descendent, l'un entre
le cerro Pirámide et Los Baguales, en longeant la chaine de
Test, et Tautre, plus considerable, qui court au nord-ouest entre
les pies du Pirámide et du Valverde. La premiére des deux ri-
viéres re^oit toutes ses eaux de Touest, lesquelles en partie
procédent d'un nouveau bassin lacustre, le lac Escondido, qui
s'étend apparemment de Test ó Touest, sur un axe de dix ki-
lométres et á Textrémité duquel s'éléve une montagne caracté-
 
 
 
— 141 —
 
ristique avec deux pies. Ce lac paraissait avoir en cet endroit
un bras dirige vers le sud.
 
La vallée entre le cerro Valverde et la Cordillére de Touest
est assez large, mais couverte de bois épais; elle s'ouvre h
l'ouest et il est probable qu'on puisse arrivor par elle au Na-
huel-Huapi. Dix kilométres plus au nord, Frey découvrit les
vestiges d'une localité indigéne, connue sous le nom de Corral
de Foyel, oü le cacique réalisait autrefois ses fameuses chasses
aux exemplaires de Tespéce bovine dénommés baguales. II re-
vint ensuite á son campement general d'oü il se rendit au
gué de Maiten, au nord du Piltriquitron, par le cours d'eau
qui descend de la montagne de Test. Ses sources sont situées
quelque peu au nord dans le versant oriental de la méme mon-
tagne. II alia reconnaitre ensuite l'origine du rio Chubut á
soixante kilométres de Testancia Maiten.
 
Du haut d'une élévation, il vit que ce fleuve est formé de
deux cours d'eau qui descendent de la montagne, en recueillant
Tapport liquide de divers tributaires, parmi lesquels un de
Touest qui parcourl toute la pampa de Maiten, et nait dans les
montagnes au nord de Testancia. II visita au sud la pampa,
en passant par le promontoire de Caquel-Huincul, et revenant
6 Testancia Lelej, il traversa des affluents occidentaux du Chu-
but jusqu'au cerro Urahué ix Fofocahuallo, oü le fleuve tourne
au sud et recoit le Pichileufu et le Mayuleufu. II suivit au nord
jusqu'au lac Nahuel-Huapi par le chemin occidental le plus
court. De la, il se dirigea lentement h Machinchau et á Roca
oü il arriva le 10 juin.
 
Considérant nécessaire ma présence á Buenos Aires, et sa-
tisfait de la maniere dont s'eflfectuaient les reconnaissances que
j'avais confiées h mes infatigables coUaborateurs, je résolus
de m'embarquer sur le lac dans la barque de MM. Wiederhollz
pour me diriger h Puerto Montt et de lá á Buenos Aires.
 
Le 17, á l'aube, nous commeuQámes notre navigation qui
ne prit fin qu'á Puerto Blest, oü nous n'arrivámes qu'á 10
heures du soir, heures sereines inoubliables, de méme que le
spectacle des grandes échancrures boisées, des iles pittoresques
et du fjórd imposant aux parois granitiques presqu'á pie do
mille métres de haut, á Textrémité duquel est situé ce port
qui, dans un avenir prochain, sera mis á contribution par le
commerce qui utilisera la nouvelle voie de communication entre
Puerto Montt et Puerto San Antonio, et sera fréquenté par les
touristes qui jouiront des panoramas merveilleux et variés de
 
 
 
~ 142 —
 
cetle región. Aprés avoir possé le petit défilé qui separe le lac
de la vallée du PeuUa, qui est boisée, marécageuse el escarpée
au couchant, je me trouvai sur territoire chilien. Dans la vallée,
M. Wiederholtz a construit des dépóts pour faciliter le trans-
port des marchandises á Casa Pangue, d'oü Ton peut visiter
avec commodité les superbes glaciers du Tronador qui arrivent
jusqu'au lit du PeuUa. Je fis cette excursión avec un véritable
plaisir.
 
Le 20, je dormis sur la rive du lac Todos los Santos (plan-
che XXX, fig. 2), et j'eus la chance d'obtenir une erabarcation
pour le traverser le jour suivant, passant pendant la nuit et
malgré la pluie torrentielle, au milieu des laves et des cen-
dres de rOsorno et du Calbuco, les deux magnifiques volcans
qui dominent le chemin, jusqu'á cequ'enfin je trouvai une cou-
che abritée sur les bords du lac Llanquihué. Par des sentiers
pittoresques. puis par une belle charriére qui dessert les colo-
nies allemandes établies sur la rive sud du lac, j'arrivai ix
Puerto Varas d'oü, dans une voiture commode, je me rendis á
la ville de Puerto Montt, oü prenait fin, le 22 á minuit, ma
marche ininterrompue depuis San Rafael.
 
Je revenáis satisdominante est toujours le granit; le gneiss reparait
dans la región du lac Lacar, d'oü le voyageur poursuivit sa
route au sud. Accompagné par Soot, il examina le lac Meti-
quina, dans les environs duquel il trouva de nouveau le granit
comme roche predominante et du porphyre dans le voisinage
de la rive du lac.
 
La lac Metiquina est situé á une altitude plus considerable
que le Lacar, et il est Bussi plus large; il est entouré de mon-
tagnes moins esearpées et moins élevées que le preceden t, et
la región environnante est plus gaie el plus ouverle; on y re-
connait aisément sur tous les rochers de la cote occidentale les
marques laissées par les glaeiers: stries, roches disloquées, etc.,
tandis que du eóté oriental de grandes moraines constituent
les vestiges actuéis de ees phénoménes antérieurs.
 
De lá, il poursuivit son voyage vers le lac Filohuehuen,
aprés m'avoir rencontré sur le Caleufu.
 
II remarqua que la vallée du Caleufu, tres fertile dans sa
partie inférieure, est pierreuse dans la section supérieure, oü
la riviére coule parfois profondément encaissée.
 
Entre le lac Filohuehuen et le Caleufu, il trouva de gran.
 
 
 
^<
 
 
 
— 149 —
 
des moraines semblables á celles qu'il avait observées entre ce
cours d'eau et le lac Metiquina.
 
Le lac Filohuehuen est situé dans une dépression tres allon-
gée, occupée par trois réceptacles lacustres (y compris le Filo-
huehuen), qui constituent une ligne interrompue par des champs
fértiles et recouverts d'herbages. Entre le Filohuehuen et le troi-
siéme lac, égal en dimensión au premier, s'étendent quinze
kilométres de plaine, ondulée seulement sur quelques points
par des moraines, et oú Tagriculture obtiendrait des résultats
plus satisfaisants que dans la vallée de Malleu, par exemple,
plus élevée et moins abritée. Le lac intermédiaire entre les deux
mentionnés est plus petit, arrondi et tres rapprochó du troi-
siéme en amont. En longeant ce dernier jusqu'á son extrémité,
il trouva, deux kilométres plus loin, un quatriéme lac de forme
oblongue, médiocrement large, et entouró par des montagnes
élevées, mais non neigeuses: les cimes blanchies sont situées
plus á Touest de ce point. On trouve également, entre ce qua-
triéme et le troisiéme lac, une plaine herbeuse, et, ¿ gauche,
une coupure large, fertile et peu boisée; en revanche, les ver-
sants des montagnes sont recouverts d'épaisse forét.
 
Le terrain relativement si déboisé donne á supposer, d'aprés
Hauthal, que cette coupure ou vallée a été occupée antérieure-
ment par des colons qui mirent le feu aux arbres et semérent
des cereales; il ne saurait expliquer autrement la pauvreté
d'essences forestiéres, ainsi que les vestiges de chemin qui se
dirige probablement au nord; néanmoins, un chilien qui habite
sur les bords du lac Filohuehuen lui affirma que «jamáis un
chrétien n'avait penetré lá».
 
II visita ensuite le lac Traful, joyau enchássé au milieu des
bois touffus et semé d'ilots qui lui communiquent un aspect
enchanteur (planche XL). La vallée du cours supérieur du rio
Traful est infiniment plus fertile que la vallée du Caleufu.
 
Les hauteurs qui entourent ce systéme lacustre sont formées
de granit blanc avec de Thomblende, soit le méme granit que
Ton trouve plus au sud.
 
Ces hauteurs granitiques ont une altitude assez considerable
surtout la montagne située immédiatement á Touest du bras
nord du lac Traful, bras qu'il navigua en compagnie de Soot.
Elles sont en partie recouvertes de tuf et de lapillé, ce qui
donne au géologue l'impression que cette región a subi, h une
époque récente, Taction de grandes éruptions volcaniques.
 
 
 
XI
 
 
 
RÉSULTATS GÉNÉRAUX
 
 
 
Bien que Tensemble des travaux exécutés par la section d'ex-
plorations du Musée, dont j'achéve de donner un léger aperan,
sera publié dans les rapports partiaux détaillés des divers
expéditionnaires, il est nécessaire de présenter ici un resume
general afin de compléter ees notes abrégées.
 
Pendant le cours des opérations, les diverses sections ont re-
connu et relevé, entre les 36^ et 46<»30' de latitude, et ó Touest
du 70^30' de longitude ouest de Greenwich, 7155 kilométres
de terrain; 3 longitudes, 328 latitudes et 201 azimuts ont été
obtenus. On a établi 360 stations avec le théodolite et 180 avec
la boussole prismatique, 271 observations trigonométriques d'al-
titude, 1072 barométriques, et Ton a pris 960 clichés photogra-
phiques. Nos collections se sont enrichies de 6250 échantillons
de roches et de fossiles, sans compter un bon nombre de re-
présentants de la faune et de la flore patagonique, ainsi que
des objets anthropologiques (planche XLI).
 
Des erreurs importantes ont été rectifiées dans la géographie
mal connue de ees régions, et Ton a pu étudier avec soin l'oro-
graphie de la zone adjacente ó la Cordillére des Andes, ainsi
qu'une section de celle-ci, étude qui modifie presque compléte-
ment les idees émises par MM. Serrano-Montaner, Steffen, Fis-
cher et Stange, dans leurs diverses publications concernant la
topographie de ees régions, et principalement dans la brochure
 
 
 
— 151 —
 
publiée par le premier, intitulée Lhnites con la República Argeyí-
tina (Santiago du Chili, 1895), ainsi que dans Memoria é Informe
relativo á la Expedición Exploradora del Rio Palena. Décembre J893
a Mars 1894 (Santiago du Chili, 1895), qui contient la descrip-
tion des travaux effeclués par les deuxiémes au cours de cette
intéressante expédition.
 
On a relevé, pour une carte á Téchelle de 1 : 400 000, la re-
gión comprise entre le Rio Limay et les lacs Lacar et Nahuel-
Huapi, antérieurement complétement inconnue des géographes,
et qui sera certainement colonisée aussitót que la Nation se de-
cidera á la fractionner en lots et á la confiar au véritable colon.
 
Les vallées arrosées par les affluents du Galeufu, abritant
les lacs Metiquina, Hermoso, Machonico, Filohuehuen, Falkner
et Villarino, peuvent étre utilisées immédiatement pour l'éta-
blissement de colonies agricoles et Télevage, sur une étendue
comprise entre le lac Lolog et les montagnes qui séparent lo
bassin hydrographique du Caleufu de celui du Traful, ainsi que
le bassin de ce dernier, qui renferme un si grand noml3re
de vallées abritées recouvertes d'herbages, sur les rives du lac
Traful et de ses affluents; tandis que Ton pourrait formar, avec
les terrains de la rive nord du lac Nahuel-Huapi, et ceux des
lacs Correntoso, Espejo, Totoral, etc., un autre centre d'agri-
culture et d'élevage de grande importance.
 
Nous possédons pour la premiare fois une carte prélimi-
naire exacta du lac Nahuel-Huapi, qui offre des contours bien
distincts de ceux qu'on lui attribuait jusqu'ici, et Ton a pu étu-
dier la zone du sud jusqu'au Palena, les vallées fértiles du
Manso, les affluents du Puelo, le Maiten, et le beau réseau
lacustre formé par les lacs Cholila, Rivadavia, Menendez, Fta-
Lafquen et Situación, lesquels étaient ou inconnus, ou sans
emplacement fixe dans la géographie patagonique. L'identité
du Fta-Leufu et du rio Frió, tributaire du Palena, a été éta-
blie; on a levé la carte genérale de la Vallée 16 de Octubre,
et étudié le Carrenleufu, depuis le point extreme atteint par les
explorateurs chiliens, jusqu'á ses sources dans le lac General
Paz, au pied des collines et dans les dépressions de Test, et
Ton a pu démontrer qu'il n'existe en cet endroit aucun cordón
de la Cordillera des Andes.
 
Les plaines oü les affluents du rio Claro qui s'incorpore
aussi au Palena, prennent leur source, ont été également étu-
diées avec soin; ce sont de véritables plaines, dans lesquelles
s'effectue la división interocéanique des eaux, á une centaine
de kilométres au moins a l'orient de la Cordillera des Andes.
 
 
 
- 152 —
 
Les lacs Fontana et La Plata ont été explores jusqu'aux
abords de l'Océan Pacifique, oü ils sont limites par le chainon
andin proprement dit, ainsi que les régions oü naissent les
affluents de TAysen qui se déverse dans le Pacifique et les
affluents du Senguerr, Mayo, Chalia et Quenguel, dans les con-
ditions identiques á celles des affluents du rio Claro; ce qui
confirme ainsi ce que j'ai toujours soutenu, á savoir que la
división interocéanique des eaux se produit, a Textrémité de
ce continent, á Torient de la Cordillére des Andes, et que des
cours d'eau qui auparavant se versaient dans l'Atlantique, se
jettent aujourd'hui dans le Pacifique. II a été demontre de la
méme maniere qu'aujourd'hui encoré ees cours d'eau prennent,
á certaines époques, ees deux directions opposées, phénoménequi
reconnait comme cause les crues du printemps. L'anse orién-
tale du lac Buenos Aires a été explorée ainsi que le rio Fénix.
 
On a étudié la maniere d'exploiter pour la colonisation toutes
ees régions, indubitablement argentines, ce a quoi elles se pré-
tent admirablement, des territoires qui peuvent se métamorpho-
ser en peu de temps en centres de production de premier ordre,
á condition qu'on change le mode actuel de distribution des Ier-
res publiques et que les lots ne soient concedes qu'á ceux qui
peuvent les faire valoir par le travail personnel. Enfin, pour com-
pléter ce cadre d'investigations, on a étudié les meilleures voies
de communication possibles entre les Andes et TAtlantique.
 
Ces voies ont deux principaux points de départ: Puerto Son
Antonio et Telly Road (planche XLII).
 
Les renseignements que j'ai réunis depuis 1879 montrent
que des navires qui calent vingt et un pieds peuvent entrer
dans le Port San Antonio; les parties les moins profundes au
sud-est de Punta Villarino en ont vingt et un, et cette profon-
deur minimum ne se trouve que sur des espaces réduits; le
fond est mou et le dragage n'y offrirait pas de difficultés; par
conséquent, des navires calant vingt- cinq pieds, et méme da-
vantage, pourraient y entrer. La Punta Villarino est un point
tres important pour y construiré des fortifications qui ferment
complétement le port. L'eau potable s'obtient au moyen de puits
de quatre a cinq metres de profondeur, et si Ton y fondait un
port, il serait facile d'amener par un canal l'eau de Tarroyo
Balcheta, en attendant qu'on en construise un autre depuis le
Rio Negro, ainsi que le projet en existe déjá.
 
Si Ton décidait la construction de chemins de fer depuis
San Antonio, ils devraient se diriger:
 
 
 
— 153 —
 
í^ A Viedma sur le Rio Negro (150 kilométres). La cons-
truction de cette ligne ne serait pas coúteuse. Les étendues qu'elle
traverserait sont, en general, des terrains oü l'herbe est ahon-
dante. L'eau est obtenue au moyen de puits. Prés de la cote,
le terrain est bon, et l'eau s'y trouve en plus grande quantité.
Le bois des arbustes ne manque nulle part. Ce chemin de fer
transporterait au port les produits de la vallée du Rio Negro á
moins de frais que n'importe quel autre qui pourrait se cons-
truiré. On sait que le port de San Blas n'offre pas la sécurité
de celui de San Antonio et que la barre du Rio Negro n'en per-
met pas Tentrée aux navires qui calent plus de douze pieds,
et seulement lorsque le temps est beau.
 
2^ A Choelechoel par la rive sud du Rio Negro. La ligne
aménerait les produits de cette longue vallée et des plateaux
voisins jusqu'á la mer á moins de frais que par la voie de
Choelechoel á Bahia Blanca. Les renseignements recueillis indi-
quent des facilites pour la construction d'un canal qui relierait
les environs de Choelechoel avec San Antonio, et il serait égale-
ment avantageux de faire passer la ligne du chemin de fer par le
méme bas-fond (170 kilométres) pour amener jusqu'a la cote
les produits de Touest et du nord-ouest du Rio Negro, sur un
parcours bien inférieur á la moitié de celui qui separe Choele-
choel et Bahiu Blanca (500 kilométres).
 
3^ Un embranchement & Nahuel-Huapi (560 kilométres).
Les terrains que traverserait cette ligne, bien quMls ne puis-
sent étre compares á ceux de la province de Buenos Aires,
permettent pourtant l'élevage avec des résultats satisfaisants;
sur tout le trajet existent déjá des ótablissements d'éleveurs.
Ces champs sont plus uniformes au nord qu'au sud, oü le
terrain est elevé, coupé par de profonds cañadones, oü l'on trouve
de Teau et des herbages. La vallée de Tarroyo Balcheta a de
bons páturages et peut étre arrosée partiellement; elle se peu-
plera le jour oü elle sera traversée par un chemin de fer.
D'autres vallées existent au sud de celle-lá, également riches
en eau et en herbages, et oü commence á s'exercer Tindustrie
de l'élevage, principalement sur le cours supérieur de l'arroyo
de la Sierra de San Antonio, prés de Tarroyo de Los Berros,
et de Tarroyo Verde, parages qui communiquent avec Balcheta
et San Antonio par des charriéres.
 
L'année derniére se sont vendues aux enchéres une centaine
de lieues de terres fiscales appartenant á la zone que traversera
la ligne, et le prix moyen obtenu fut de trois mille cinq cents
piastres la lieue. A mesure que le chemin de fer avancera á
 
 
 
— 154 —
 
Touest, il traversera de meilleurs terrains, avant d'arriver á
Maquinchau oü s'est établie la Compagnie anglaise des terres
du Sud. Au sud de cette exploitation, il existe des champs fér-
tiles, dans les vallées et les cañadones d'un massif de montagnes
situé en cet endroit. Comme il y a une voie traficable jusqu'au
Chubut, le transport des produits jusqu'á la ligne serait facile.
 
De Maquinchau au Nahuel-Huapi, les terrains sont meilleurs
qu'á Torient et dans les gorges et les cañadofies; on peut instal-
ler des établissements destines á Télevage, en y réservant pen-
dant Telé les fourrages, tandis que les troupeaux iraient paitre
sur les collines presque toujours herbeuses. Au Nahuel-Huapi,
les terrains se divisent en foréts et prairies; les animaux appar-
tenant aux espéces ovine, bovine et chevaline s'y développent
bien; on y trouvedéjá quelques estancias. L'aire utilisable pour
Télevage de Tespéce bovine est plus considerable que celle des-
tinée aux espéces ovine et chevaline. Les troupeaux peuvent
vivre en tout temps dans ees régions, depuis Junin au sud. A
Textrémité ouest du Nahuel-Huapi, il y a déjá un établissement
avec cinq cents bétes h comes (Potrero Huber), et on y cultive
le bié, Torge, les pommes de terre, les oignons, les féves, etc.
Les montagnes y forment un grand nombre de belles vallées,
oü le bétail prospere admirablement, surtout au sud du Nahuel-
Huapi, dans les vallées arrosées par les affluents du rio Puelo.
Dans Tune de celles-ci s'élévent des estancias avec deux mille
tetes bovines amenées lá par des éleveurs de Valdivia.
 
Les environs de Nahuel-Huapi se prétent admirablement á
rétablissement de colonies agricoles et d'élevage, et ils sont deja
habites par quelques colons allemands qui ont emigré de la
province de Valdivia pour s'établir au bord du lac argentin.
 
En passant par les colonies du lac Llanquihué, j'ai été con-
sulté par un grand nombre de colons qui désiraient obtenir des
terres dans ees régions ü Torient des Andes pour s'y transportar
avec leurs familles. Les produits du Nahuel-Huapi causent de
Tadmiration dans ees colonies, et leurs habitants qui ont visité
le lac ne cessent de se lamenter de ne savoir comment faire
pour s'y établir. Les travaux de ees colons dans le sud du
Chili sont pénibles et coüteux, le résultat presque nul: j'ai
conversé avec quelques-uns d'entre eux ayant vécu quarante
années dans ees parages sans parvenir á progresser, malgré
le labeur continu. Chacun d'eux avait droit á cent cuadras car-
rees de terrain; mais le coút du défrichement, sans compter
Tabaltage et Textraction des troncs, est de cent piastres la cuadra;
les concessions actuelles sont de cinquante cuadras. Les chacras
 
 
 
— 155 —
 
labourables sont petites et humides au Llanquihué, ce qui ne
permet pas de développer toute l'énergie. En outre, le climat
tres pluvieux fait que les récoltes sont toujours pauvres, tandis
que de ce cóté-c¡ des Andes, c'est le contraire qui arrive: le la-
bourage est plus facile, et les pluies n'offrent pas ce caractére
excessif.
 
Je suis certain que le jour oü on destiñera á la colonisation
la terre fiscale comprise entre le lac Lacar et le lac Buenos
Aires, sur une extensión de huit cents kilométres, elle sera
peuplée rapidement, comme le cas s'est produit á Tégard des
colons de la vallée 16 de Octubre, qui considérent cette región
comme bien supérieure á la vallée du Chubut tout prés de TAt-
lantique. L'exploitation des foréts avoisinant le Nahuel-Huapi,
et de celles qui croissent épaisses aux sources du Caleufu et
du Traful, fournira du travail aux colons pendant de longues
années. L'exploitation des bois sur les rives du lac et des lacs
voisins qui s'y déversent peut se faire tres facilement. Les iles
du lac elles-mémes abondent en cyprés et en coihuésy essences
qui prédominent dans la región boisée, tandis que les mélézes
ne se trouvent que dans les encaissements á Pouest du lac,
mais en proportion suffisante pour que leur exploitation soit
rómunératrice.
 
Au sud du Chili, dans les parages oü l'exploitation était ai-
sée, le méléze a complétement disparu et il ne s'y trouve plus
aujourd'hui un seul arbre. II faut les chercher vers le golfe de
Reloncavi et sur les bords des fjords du sud. Ce bois facile
á travailler et de méme couleur que le cédre du Paraguay,
s'emploie pour les constructions au Chili oü le cyprés est rare.
Le coihué est transformé en poutres, usage auquel le destine la
résistence de ses fibres, qui lui fait obtenir á cet égard la
préférence sur tous les autres, au Chili. II y a d'autres bois de
construction, tels que le cannelier, le ?wamw, etc., mais leur
développement n'est pas aussi considerable.
 
L'exportation des bois de Nahuel-Huapi devra se faire par
le chemin de fer de San Antonio. Si le fleuve Limay peut étre
consideré comme navigable, quand toutefois on en aura enlevé
les roches formant ses rapides, il ne le sera pourtant pas toute
l'année, et il ne sera pas possible d'y faire descendre de grands
radeaux par suite des nombreux bañes mobiles qui se trouvent
dans sa partie inférieure et dans le Rio Negro. Le bois jeté
libre dans le courant pour étre flotté par le fleuve, échouera
sur les rives, et il faudra un nombreux personnel pour le re-
mettre a flot. En outre, le trajet est tres long; et le remorquage
 
 
 
- 156 —
 
á vapeur sera toujours périlleux h cause de ees bañes. Ce bois
flottant devrait étre embarqué h la tete de ligne du chemin de
fer située á la confluence ou h Carmen de Patagones; et j'ai
déjá signalé les difficultés que présente la barre du Rio Negro
pour les navires de quelque calaison. Le transport par le che-
min de fer & San Antonio sera toujours le mode le plus écono-
mique. La coupe pourrait étre commencée immédiatement dans
les iles du lac dont les cyprés donneront des milliers de poteaux
de télégraphes, tundís que les coihuales de ees mémes lies four-
niront les dormants pour la ligne. Les foréts sont tres vastes,
et il n'est pas á craindre que le bois s'y épuise.
 
4® De Cumallo se détacherait un embranchement sur Val-
divia, en traversant le Limay par un des endroits oü son cours
se trouve resserré, au sud de Collon-Cura; il arriverait a Junin
de los Andes par les rives du Collon-Cura, jusqu'á Tarroyo
Quemquemtreu, puis par les gorges du platean, jusqu'a la val-
lée du Chimehuin. Cet embranchement desservirait toute la
fertile región du sud du Territoire du Neuquen dont les vallées
spacieuses pourronl étre destinées á Tagriculture, des canaux
d'irrigation pouvant y étre facilement établis. Ainsi le bassin
du Caleufu jusqu'aux lacs de Metiquina et Filohuehuen, et le
bassin du Traful, la belle campagne de Junin et la vallée de
Maipu se peupleraient immédiatement, et leurs produits abon-
dants fourniraient au chemin de fer des transports assurés.
Aujourd'hui, sans moyens de communication, il s'est formé un
centre de commerce important a Junin de los Andes, et, a mon
passage, j'y ai rencontré des commer(jants de Valdivia qui com-
mengaient déjá Tinstallation d'une distillerie. Toutes ees élen-
dues de terrain se prétent parfaitement á Télevage du bétail
d'espéces bovine et ovine.
 
Cet embranchement continuerait de Junin au Chili, sur les
rives du lac Huechu-Lafquen, ou par le Malleco, par Trancura,
Quetropillan et Villarica, s'embranchant sur la ligne longitu-
dinale de Santiago h Valdivia, dans les environs de Villarica;
il mettrait ainsi, durant toute Tannée, le sud du Chili en com-
munication avec TAtlantique.
 
Entre Valdivia et San Antonio, la distance est moins grande
qu'entre Valdivia et Santiago du Chili. Ce chemin de fer n'exi-
gera pas de travaux considerables, ni de tunnels importants,
car Taltilude du passage le plus elevé ne dépasse pas mille
mélres. II servirait de plus, du cóté argentin, 6 transporter á
TAtlontique les produits de tout le versant depuis le Bio-Bio
jusqu'au Maiten. Le prix de transport sera moindre pour les
 
 
 
— 157 —
 
centres producteurs du nord jusqu'á Codihué que celui que
fixera le chemin de fer du Sud, si la ligne de Bahia Blanca
á la confluence des fleuves Limay et Neuquen est prolongée
jusqu'aux Andes.
 
La longueur de la ligne entre le port de San Antonio et la
ville de Valdivia n'atteindra pas neuf cents kilométres; c'est
une distance moindre que celle que parcourrait le chemin de fer
Bahia Blanca-Confluencia, s'il était prolongé jusqu'á Codihué.
 
La ligne de Nahuel-Huapi servirait aussi aux colonias qui
se forment entre ce lac et la vallée du Maiten. Aujourd'hui, les
véhicules du 16 de Octubre mettent au moins dix-huit jours
pour arriver jusqu'á Rawson, capí tale du Territoire, en tra-
versant des étendues en grande partie stériles. II existe une
charriére entre Nahuel-Huapí et 16 de Octubre.
 
II ne serait pas possible sans frais excessifs de prolonger
un chemin de fer jusqu'au Pacifique par Nahuel-Huapi; mais
la navigation de ce lac est commode, et le gouvernement chi-
lien fait construiré une charriére entre le lac Todos los Santos
et le Boquete Pérez Rosales, situé non loin du Nahuel-Huapi.
Ce chemin pourra rester ouvert á la circulation toute Tannée.
La navigation du lac Todos los Santos est facile; a son extré-
mité occidentale, commence la charriére qui arrivera íi Puerto
Montt, en cótoyant en partie le lac Llanquihué. Ce lac est
maintenant desservi par des vapeurs qui relient les colonies
allemandes de ses rives. La distance entre Nahuel-Huapi et
Puerto Varas, dans le lac Llanquihué, est de 170 kilométres,
de moins de 200 jusqu'á Puerto Montt, et de 260 kilométres
jusqu'á la ville La Union, en communicotion par chemin de
fer avec Valdivia. Une fois la partie andina des territoires du
Neuquen, du Rio Negro et du Chubut reliée au port de San
Antonio, celui-ci sera dans Ta venir pour ees régions ce qu'est
aujourd'hui le port du Rosario pour le nord de la République.
Si Ton ajoute a cela la facilité des Communications avec la moi-
tié du Chili, qui pourront étre immédiatement utilisées, on peut
admettre que le chemin de fer de Puerto San Antonio au Chili
offre de grands avantages au commerce international. La ligne
entre Buenos Aires et Santiago du Chili a 1424 kilométres d'ex-
tension; celle de la ligne de San Antonio á Valdivia ne dépas-
sera pas 900 kilométres.
 
Mais le chemin de fer de San Antonio, avec ses embranche-
ments, ne pourra desservir économiquement les colonies andi-
nas situées dans le bassin du Chubut et dans la vallée 16 de
 
 
 
— 158 —
 
Octubre. II ne serait pas non plus avantageux d'établir une
voie ferrée de Rawson jusqu'aux Andes, parce que les deux
tiers des terrains que traverserait cette ligne ne sont pas ap-
plicables a Tagriculture, ou tout au moins ne produiraient que
d'infimes resultáis.
 
Uunique voie possible entre l'Atlantique et la región andine
comprise entre le 42^ et le 47°, est celle qui aurait pour point de
départ un port dans le golfe de San Jorge. II y a dans ce golfe
divers ports qui n'exigeraient que des Iravaux peu considera-
bles pour devenir de véritables ports de commerce. La rade de
Tilly (Tilly Road) exigera davantage de travaux, mais en revan-
che sa proximité des bassins des lacs Musters et Coluhuapi et
de leurs vallées fértiles, et les facilites qu'offre une gorge trans-
versale qui conduit presque depuis TAtlantique jusqu'au Rio
Chico du Ghubut, indiquent ce point comme le plus convena-
ble pour y établir la tete de ligne d'un chemin de fer h la
vallée 16 de Octubre. II ne se présente pas une seule difficulté
sur tout ce trajet. Les seuls travaux de quelque importance
consisteraient en deux petits ponts construits sur le Senguerr;
la pente est insignifiante; et, dans aucun cas, sur la ligne
principale et ses embranchements que jMndique plus loin, on
ne voit de dififérences de niveau comme il s'en rencontre sur
la ligne Gran Oeste, entre Villa Mercedes et Mendoza.
 
Les terrains que traverserait cette voie sont tous exploita-
bles; elle passerait en grande partie par de belles vallées qui
peuvent renfermer des millions de tetes de bélail d'espéces
bovine et ovine. La ligne principale passerait par la vallée du
Rio Chico et par celle des lacs Coluhuapi et Musters; elle sui-
vrait le Senguerr jusqu'á la belle pampa de Choiquenilahué, et
continuerait au nord, en suivant le cours du rio Gennua jusqu'á
ses sources, et pourrait arriver a 16 de Octubre soit par le
Carrenleufu, soit par le rio Tecka y la gorge d'Esguel. Depuis
Esguel, il serait facile de construiré un embranchement jusqu'á
la vallée du Maiten; et des environs du lac Musters, par la
vallée du Rio Mayo, on pourrait établir un embranchement au
lac Buenos Aires et aux vallées de TAysen supérieur, tandis
qu'un autre se détacherait de Choiquenilahué par la vallée du
Senguerr jusqu'au lac Fontana.
 
Je ne crois pas qu'on puisse penser pour le moment á Té-
toblissement d'une voie longitudinale qui réunirait le Neuquen
au détroit de Magellan, car elle serait tres coúteuse; le prix
des transports, pour Timmense parcours de 16 de Octubre á
 
 
 
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Bahia Blanca, serait beaucoup plus elevé que la valeur méme
des produits; mais les ligues que j'indique, partant de San
Antonio et de Tilly Road, peuvent étre construites sans diffi-
cultés et á peu de frais.
 
Si ees ligues pouvaient étre établies de la méme maniere
que celles qui étendirent leur réseau aux États-Unis, lors de
la conquéte du Far West, en bien peu d'années le capital em-
ployé á leur construction aurait rapporté un intérét elevé.
 
Le peuplement de la Patagonie établira Tharmonie entre les
éléments qui constituent la Nation, et, par conséquent, contri-
buera á sa grandeur. Et comme pour peupler ees territoires
aussi riches qu'abandonnés, il ne faut aujourd'hui qu'un peu
de bonne volonté et d'attention de la part des pouvoirs publics,
afin de faire connaitre les richesses qu'ils renferment, ainsi que
les facilites d'exploitation qu'ils offrent, je ne doute pas un
seul instant que cette aspiration de tous les argentins ne se
réalise dans un avenir prochain.
 
 
 
J
 
 
 
Liste de quelques termes employés dans cet ouvrage
 
avec leur signiflcation
 
 
 
Abra: Ouverture, coupure, breche, vallée.
 
Aguada: Source.
 
Angostura: Déíilé, étrécissure.
 
Arroyo: Riviére, petit cours d'eaii.
 
Boquete: Col.
 
Cajón: Vallée ou vallon encaissé.
 
Cañadon: Vallée, vallon ou gorge étroite.
 
Casa: Maison.
 
Cerro; cerrito: Mont, montagne; petite montagne.
 
Cuadra: Ancienne mesure de longueur encoré en usage dans le langage
 
courant, équivalant á 129 ra. 99, Une cuadra carree = 16 897 m. 40.
Estancia: Ferme, exploitation agricole.
Laguna: Lac, petit lac, lagune.
Loma: CoUine, coteau.
Paradero: Station indigéne.
Portezuelo: Passage, défilé.
Potrero: Enclos destiné au bétail.
Pulpería: Maison de négoce spéciale á la campagne argentine oü Ton debite
 
spécialernent des boissons et divers objets les plus usuels.
Quebrada: Ravin, vallée étroite.
Rancho: Habitation champétre, chaumiére.
Toldo f tolderías: Hiitte, enseñable de huttes indiennes.
Totora: Genre de plante aquatile (Typha domingensís).
Tucu-tucales: Galeries souterraines creusées par le rongeur designé sous
 
le nom de tucu tuco [estenomis).
Yega: Prairie, champ bas, uni, humide et fertile.