« Le fantôme vivant, ou Les Napolitains » : différence entre les versions

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Cette intervention ne pouvait manquer de décider le succès des démarches de Mainfredi, et Lorédo reçut, sans s'y attendre, une lettre qui lui annonçait que le Gouvernement l'avait choisi pour accompagner son ambassadeur à Paris. Jugez qu'elle fut sa surprise ! cette nouvelle troubla toutes ses idées. D'un côté, il n'était pas fâché de l'événement, parce qu'il prouvait une réconciliation sincère entre lui et le Gouvernement ; d'un autre côté, il réfléchissait qu'il allait être forcé de s'éloigner d'Adelina au moment où tout semblait se réunir pour combler ses désirs : le tendre retour d'Adelina, les heureuses dispositions de sa mère et l'arrivée prochaine de Joachain Manssini. Pour comble de malheur, l'ambassade devait partir de Naples sous deux ou trois jours. <br />
Ainsi Lorédo se trouvait, hélas ! dans une cruelle perplexité, lorsqu'il songea à faire part au comte de Mainfredi de ce qu'il lui arrivait. J'ai besoin, se disait-il, plus que jamais, des conseils de l'amitié. Elle m'éclairera dans le trouble où me jette cette circonstance inattendue et peut-être fort importante pour lui. Ainsi l'amour et l'intérêt assiégeaient Lorédo ; et pour savoir auquel de ces deux sentiments il devait céder, il s'empressa d'instruire Mainfredi de sa situation. Il le trouve et l'aborde en lui tenant ce discours. :<br />
— Ah ! mon ami, la fortune fait trop pour moi.<br />
— La plainte est nouvelle, repartit Mainfredi. <br />
— Vous ignorez sans doute ce qui m'arrive ?<br />
Ici Mainfredi, qui avait ses raisons, feignit tout ignorer.<br />
— Eh bien ! qu'est-ce donc mon cher Lorédo ? <br />
— Je reçois à l’instant une lettre du ministre, par laquelle il m'apprend que l'on a jetté les yeux sur moi pour accompagner le comte de Dolini, qui part pour la France en qualité d'ambassadeur. Se pourrait-il !<br />
— Comment ! s'écrie aussitôt Mainfredi avec l'air de la plus grande surprise ; comment ! vous seriez assez heureux ? <br />
— Tenez, voilà sa lettre, lisez : Lorédo lui donna la lettres.<br />
— Donnez, donnez, mon cher ; ah ! que je suis ravi d'une pareille aventure ! <br />
Mainfredi parcourut la lettre en laissant éclater les marques d'une joie qui n'était nullement feinte, car cette lettre était le présage de la réussite de ses projets sur l'alliance de Joachim Manssini, qu'il regardait comme très facile par le départ de son rival.<br />
— Ah ! parbleu ! ce n'est point un rêve, dit-il, vous voilà lancé dans la diplomatie. Le chemin des honneurs et de la fortune vous est ouvert. Je suis charmé que le gouvernement ait réparé ses injustices envers M. votre père, en vous appelant à une place qui vous présente incontestablement des avantages réels. Ce qui met le comble à mon ravissement, c'est que vous allez vous trouver avec l'homme le plus aimable de la cour de Naples. C'est moi qui depuis longtemps l'avais désigné au ministre pour l'ambassade de France. Il a senti comme moi qu'il fallait pour nous représenter à Paris, un homme aimable et spirituel. Le comte de Dolini vous rendra, j'en suis certain, l'étude de la diplomatie infiniment agréable. Ajoutez à cela la nouveauté piquante dont vous allez jouir en arrivant dans la capitale de la France : vous y trouverez le nec plus ultra de cette urbanité, de cette politesse qui semblent particulières, aux Français. Vous verrez qu'ils possèdent l'art d'empêcher que l'ennui ne trouve l'instant de s'emparer de vous. Oh ! mon cher Lorédo, je ne puis ici vous donner qu'une légère esquisse des plaisirs qui vont naître sous vos pas. Vous allez connaître le peuple le plus charmant du monde policé. Je suis persuadé d'avance que vous l'aimerez à la folie. D'abord il a pour les étrangers des prévenances, des égards, des procédés qui le distinguent des autres peuples. Et lorsqu'on a vécu seulement un mois avec les Français on voudrait y vivre toujours. Les Français semblent s'entendre pour ajouter encore aux charmes qu'offre le pays dont elles font l'ornement.<br />
— Le tableau, répondit Lorédo, que vous venez de me tracer, devrait, sans contredit, me séduire : mais hélas ! vous n'avez pas pressenti qu'il s'y trouvait un vide cruel. Je n'y vois point mon Adelina ; Je me vois au contraire forcé de m'en séparer. Vous devez sentir combien m'afflige l'idée de cette séparation, et je serais presque tenté de remercier le Ministre...<br />
— Ciel ! que dites-vous , Lorédo ? reprit vivement Mainfredi, n'allez pas commettre une semblable sottise. Refuser l'honneur que l'on vous fait, c'est indisposer le Gouvernement contre vous ? C'est lui donner à croire que vous conservez le ressentiment des persécutions qu'essuya de sa part l'auteur de vos jours. Qui sait même si après le refus des faveurs qu'il vous offre, il ne se porterait pas à se venger de votre indifférence : acceptez, croyez en votre ami, acceptez la place que l'on vous donne. Songez que vous ne vous éloignez pas pour toujours de l'aimable Adelina, qui, je le vois bien, tourmente votre esprit. Après quelques mois de séjour en France, si le même amour vous enflâme vous demanderez un congé à l'ambassadeur, qui se fera un plaisir de vous l'accorder. Vous reviendrez à Naples ; vous vous expliquerez avec M. Joachim Manssini ; vous lui ferez connaître vos intentions. Il les approuvera : vous épouserez la charmante Adelina, et vous repartirez avec elle pour la France. <br />
— Vous avez un langage qui me persuade, dit Lorédo ; je cède à vos conseils ; ils sont dictés par l'intérêt que vous me portez, et dès lors je ne dois pas hésiter à les suivre. Je vais écrire à l'instant au ministre, que je reçois avec reconnaissance le témoignage de ses bontés, et que je consens à occuper le poste auquel il a bien voulu m'appeler. <br />
— A merveille ! mon cher Lorédo : je suis enchanté que vous soyez raisonnable : ne perdez pas de temps : vite, de l'encre, une plume et du papier.<br />
Mainfredi ouvre son secrétaire, et prépare à la hâte tout ce qu'il faut pour faire au ministre une réponse qui l'intéressait bien plus encore que ne le pensait le confiant Lorédo : ce dernier s'assied auprès du sécrétaire, et écrit sous la dictée de Mainfredi,
qui voulait, disait-il, lui donner un échantillon du style auquel il allait être obligé de se familiariser dans la nouvelle carrière qu'il était sur le point de parcourir. Mainfredi dicta, et Lorédo écrivit. La lettre finie, elle fut envoyée de suite au ministre.