« Le fantôme vivant, ou Les Napolitains » : différence entre les versions

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::Le comte de Mainfredi était un des seigneurs de Naples les plus distingués à la cour. Il joignait à l'éclat d'une haute naissance une fortune considérable. A l'ombre de la gloire de ses nobles aïeux, il jouissait de tous les plaisirs que procurent la distinction et l'opulence. A la cour, à la ville, le nom de Mainfredi était cité : chacun tirait vanité d'être connu de lui et même de le connaître. Il était inscrit sur les tablettes de toutes 1es jolies femmes qui lui savaient infiniment de gré d'un voyage qu'il avait fait en France pour erfectionner ses principes de galanterie et en assurer le triomphe auprès du beau sexe. En effet, il l'avait mis à profit. Observateur attentif de nos aimables Céladons, ou plutôt de nos adorables roués, il avait eu le talent d'en saisir le ton , les manières et les maximes ; on le donnait pour modèle à tous les jeunes seigneurs Napolitains. Les cercles retentissaient de son éloge ; on voulait l'avoir partout, et cela n'était pas difficile, car le comte de
Mainfredi savait se multiplier lorsqu'il s'agissait des plaisirs.
 
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Madame de Corvero fut instruite par une de ses amies de la tactique du Lovelace Napolitain. Elle connaissait le caractère de son époux qui n'était pas homme à endurer longtemps les railleries du comte de Mainfredi ; elle
craignit qu'il n'en vînt à une explication sérieuse que suivrait selon toute apparence un combat singulier. L'amour, que lui inspirait son époux lui fit envisager le danger, peut-être plus imminent qu'il n'était ; et dès lors, elle ne songea plus qu'à le détourner. Fermer la porte au comte de Mainfredi, fut d'abord la première idée qu'elle conçut à cet égard ; cependant elle faisait réflexion que cette mesure ne l'empêcherait pas d'être le sujet de la médisance d'un homme qui voudrait sûrement se venger du parti que l’on prendrait envers lui, si ce parti, blessait son orgueil, et sa vanité.
 
M. de Corvero était dans cette pénible alternative, lorsqu’on lui rapporta que Mainfredi se vantait hautement de son triomphe.
Ce n'était plus de la médisance, c'était de la calomnie. Cette circonstance mit un terme à son irrésolution ; la fierté de son caractère ne put supporter la conduite de Mainfredi. Elle se crut humiliée ; et dès lors la vengeance entra dans son cœur. Elle résolut d'infliger à son calomniateur une punition terrible ; le plus grand secret déroba ses desseins à tous ceux qui l'approchaient, même à son mari. Le moyen qu'elle employait pour se venger était violent ; mais elle n'en voyait point d'autre. Son valet-de-chambre fut chargé de l'exécution ; il choisit six spadassins déterminés, qui ne demandèrent pas mieux que de profiter de l'aubaine qui se présentait : on ne ménagea point l'argent avec eux, et ils promirent des merveilles.
 
Madame de Corvero, pour favoriser ses projets, donna une fête brillante, à laquelle elle ne manqua point d'inviter Mainfredi : c'était à une maison de campagne qu'elle possédait à deux lieues de Naples ; chacun se félicitait de s'y trouver : le site charmant, les délicieux alentours, tout contribuait aux plaisirs de la fête : elle se prolongea jusqu'au milieu de la nuit ; et c'était ce qu'on désirait. Enfin l'heure de se séparer arriva. Mainfredi fut un des derniers à s'éloigner d'auprès de celle qu'il faisait passer pour la dame de ses pensées. Madame de Corvero ne demandait pas mieux ; elle savait que Mainfredi en faisant tout pour persuader ce qu'il avait avancé, ne faisait qu'assurer sa vengeance. Enfin le moment arriva où il fallut quitter la jolie maison de campagne de madame de Corvero et reprendre la route de Naples. Comme la saison était très belle, Mainfredi était à cheval, suivi d'un simple Jokey. A peine eût il fait une demi-lieue, qu'il fut attaqué par les gens apostés par le valet-de-chambre de madame de Corvero. Il soutint l'attaque avec fermeté ; mais bientôt il fut obligé de céder au nombre ; les spadassins s'étaient emparés de lui, et le menaçaient de le transporter jusqu'à la rivière voisine, pour l'y plonger enfermé dans un sac. Le pauvre diable de Mainfredi n'avait d'autre parti à prendre que de se résigner au sort qui l'attendait : enfin on préparait tout pour réaliser la menace, lorsqu'un jeune militaire survient et s'apperçoit de la mésaventure de Mainfredi. Il était armé de manière à pouvoir entreprendre sa défense. Il fond à l'instant sur les spadassins qui veulent faire quelque résistance, mais un coup de pistolet qu'il tire sur l'un d'eux , jette l'épouvante et les disperse. Il ne reste sur le terrein que le comte de Mainfredi qu'ils avaient déjà mis dans un large sac, pour le porter à la rivière : aussitôt il s'empresse de le rendre à la liberté. Le premier usage qu'en fit Mainfredi, fut de témoigner toute sa reconnaissance au généreux inconnu qui venait, disait-il, de l'arracher des mains des infidèles. Il ne put s'empêcher de rire de l'aventure : le danger était passé.
Que je puisse connaître, ajoutât-il ensuite, mon libérateur ?
— Lorédo est mon nom, répondit le jeune militaire.
— Eh bien ! repartit Mainfredi, Lorédo doit être désormais mon ami intime : dès ce moment, il peut disposer de ma fortune, de mon crédit et de ma personne.
— Je suis trop heureux, Monsieur, d'avoir sauvé les jours d'un galant homme. Je n'exige pour récompense d'une action, qui eût été la vôtre en pareil cas, je n'exige, dit Lorédo, que votre amitié.
— Elle vous est acquise sans retour ; le comte de Mainfredi vous la doit. — Le comte de Mainfredi ! ce nom ne m'est point inconnu.
— Je le crois aisément, car c'est ma réputation trop brillante qui me vaut l'aventure dont, sans vous, mon cher Lorédo, j'étais infailliblement victime ; on envie le crédit dont je jouis à la cour, et l'on est jaloux de l'empire que j'ai sur les belles : c'est
quelqu'ambitieux politique, ou quelque mari jaloux qui voulait me donner la funeste conviction que la rivière coule pour tout le monde. Ils vont être bien surpris de me revoir. J'espère que Lorédo ne me refusera pas le plaisir d'être le témoin de mon triomphe. Je veux qu'à compter de ce moment nous soyons inséparables. Vous êtes jeune, brave ; vous servir auprès des ministres et auprès des jolies femmes, voilà ce que j'entreprends, mon cher Lorédo… et ce ne sera pas en vain. Les bureaux et les boudoirs me sont ouverts : et je ne m'y présente jamais sans succès.<br />
Lorédo jugea par le langage de Mainfredi, que le hazard l'avait bien servi en lui procurant l'occasion d'être utile à un seigneur qui pouvait à son tour réparer les torts de la fortune, dont il avait à se plaindre.