« David Strauss, sectateur et écrivain » : différence entre les versions
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Mais nous nous étions posé une seconde question : Jusqu'où va le courage que la nouvelle religion donne à ses croyants ? Celle-là aussi aurait déjà reçu une réponse si le courage et l'impertinence étaient une seule et même chose. Alors Strauss ne manquerait pas d'un véritable et juste courage de mamelouk, car la modestie qui conviendrait, cette modestie dont parle Strauss à propos de Beethoven dans un passage précité, n'est qu'une tournure de style et nullement une tournure morale. Strauss participe abondamment de l'audace dont tout héros victorieux croit avoir le droit. Toutes les fleurs n'ont poussé que pour lui, le vainqueur, et il loue le soleil d'être venu à temps pour éclairer ''sa'' fenêtre. Il n'épargne même pas au vieil et vénérable univers, sa propre louange comme s'il avait fallu cette louange pour sanctifier l'univers qui, dès lors, aurait le droit de tourner autour de la monade centrale David Strauss. Il se plaît à nous enseigner que l'univers, bien qu'il soit une machine avec des rouages et des dents, avec de pesants maillets et de lourds pilons, « possède non seulement des rouages impitoyables, mais reçoit aussi le flot d'une huile lénitive » (p. 365). L'univers ne sera pas précisément animé de reconnaissance à l'égard de ce magister aux folles métaphores qui, lorsqu'il voulut condescendre à en faire l'éloge, n'a pas su trouver de meilleur symbole. Comment donc appelle-t-on l'huile qui s'égoutte sur les maillets et les pilons d'une machine ? Et combien l'ouvrier serait consolé, s'il savait que cette huile coule sur lui tandis que la machine saisit ses membres ? Admettons simplement que l'image soit malheureuse, et fixons notre attention sur un autre procédé par lequel Strauss cherche à établir quel est en somme son état d'esprit en face de l'Univers. La question de Marguerite erre sur ses lèvres : « Il m'aime — il ne m'aime pas — m'aime-t—il ? » Et si Strauss n'effeuille pas de pétales de fleurs ou ne s'amuse pas à compter les boutons de son habit, ce qu'il fait, bien qu'il y faille peut-être un peu plus de courage, n'en est pas moins innocent. Strauss veut savoir exactement si oui ou non son sentiment à l'égard du « tout » est paralysé et atrophié, et, à cette fin, il se fait une piqûre. Car il sait que l'on peut, sans douleur, piquer un membre d'un coup d'aiguille, quand ce membre est paralysé ou atrophié. À vrai dire, il ne se pique pas véritablement, mais il se sert d'un moyen plus violent encore qu'il décrit ainsi : « Nous ouvrons Schopenhauer qui frappe notre idée au visage à chaque occasion » (p. 143). Or, une idée n'ayant pas de visage — fût-elle même l'idée de Strauss par rapport à l'univers — mais le visage pouvant tout au plus appartenir à celui qui a l'idée, le procédé se décompose en plusieurs actions. Strauss ouvre Schopenhauer lequel le frappe... au visage. Alors Strauss « réagit » dans un sens « religieux », c'est-à-dire qu'il se met à frapper à son tour sur Schopenhauer, il se répand en injures, parle d'absurdités, de blasphèmes, de scélératesses, déclare même que Schopenhauer n'avait pas toute sa raison. Résultat de la bataille : « Nous exigeons pour notre univers la même piété que celle que l'homme pieux d'autrefois exigeait à l'égard de son Dieu ». — Disons la chose plus brièvement : « il m'aime ! » Il se rend la vie dure, notre favori des Grâces, mais il est courageux comme un mamelouk et il ne craint ni le diable ni Schopenhauer. Combien d'« huile lénitive » il userait si de pareilles façons de procéder devaient être fréquentes !
D'autre part, nous comprenons très bien quelle reconnaissance Strauss doit avoir à l'égard de ce Schopenhauer qui chatouille, pique et frappe. C'est pourquoi les marques de faveur qu'il lui prodigue dans la suite ne nous surprennent pas outre mesure. « Il suffit de feuilleter les écrits de Schopenhauer, quoique l'on fasse bien de ne pas se contenter de les feuilleter et que l'on devrait les étudier aussi », etc. (p. 141) À qui le chef des philistins s'adresse-t-il là ? Lui, dont on peut démontrer qu'il n'a jamais étudié Schopenhauer, lui dont Schopenhauer serait forcé de dire tout au contraire : « Voilà un auteur qui ne mérite pas d'être feuilleté et, encore moins d'être lu. » Visiblement, en ouvrant Schopenhauer, il l'a avalé de travers et, en toussant légèrement, il cherche à s'en débarrasser. Mais pour remplir la mesure des éloges naïfs, Strauss se permet encore de recommander le vieux Kant. Il parle de son ''Histoire et
Il y a un passage dans le livre des confessions où cet optimisme incurable s'étale avec une béatitude qui vous a véritablement des airs de fête (pp.142, 143). « Si le monde est une chose, dit Strauss, une chose dont on dit qu'il vaudrait mieux qu'elle ne fût point, et bien alors, l'intellect du philosophe, lequel forme un fragment de ce monde, est un intellect qui ferait mieux de ne pas penser. Le philosophe pessimiste ne s'aperçoit pas qu'il déclare avant
Qui donc ne serait pas exaspéré en lisant, par exemple, l'explication suivante qui sort visiblement de cette scélérate théorie du bien-être : « Jamais, affirme Beethoven, il n'eût été capable de composer une musique comme celle de ''Figaro'' ou de ''Don Juan''. ''La vie ne lui avait pas assez souri pour qu'il puisse la voir avec autant de sérénité, et prendre autant à la
:''Les Perses l'appellent'' bidamag buden,
:''Les Allemands disent : mal aux cheveux.''
C'est là la propre citation de Strauss et il n'a pas honte. Quant à nous, nous nous détournons un instant pour surmonter notre écœurement.
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