« La Révolte des Machines (Ryner) » : différence entre les versions
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{{Titre|[[Auteur:Han Ryner|Han Ryner]]|[[La Révolte des Machines]]| Inédit en volume<br />(Paru dans ''L'Art Social'' n°3 de septembre 1896)<br />Signé Henri Ner.|}}
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En ce temps-là, Durdonc, Grand-Ingénieur d'Europe, crut avoir trouvé le principe qui permettrait bientôt de supprimer tout travail humain. Mais sa première expérience causa sa mort avant que le secret fût connu.
Durdonc s'était dit
Et il avait continué de songer
Il sourit, murmurant à mi-voix une formule lue en quelque vieille théogonie
Durdonc usa à ses calculs assez de papier pour s'en construire un palais immense. Mais enfin il réussit.
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La Jeanne, une locomotive du dernier modèle, fut rendue capable d'enfanter, sans le secours d'une autre machine. Car le Grand-Ingénieur, en chaste savant, avait tourné ses études du côté de la reproduction par parthénogenèse.
La Jeanne eut un enfant que Durdonc nomma
Aux approches de l'enfantement, une nuit, la Jeanne poussa des cris de souffrance si tragiques que les habitants de la ville en furent réveillés, se levèrent inquiets, coururent partout cherchant quel horrible mystère pouvait bien s'accomplir.
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Quand la Jeanne eut enfanté ; quand elle entendit, toute frémissante, la Jeannette vagir son premier vagissement, elle entonna un chant de joie. Sa voix de métal était triomphante comme les clairons et pourtant douce et tendre comme une flûte amoureuse.
Et l'hymne montait vers le ciel, disant
« Le Grand-Ingénieur, dans sa souveraine bonté, m'a créée à son image ;
« Le Grand-Ingénieur, trop puissant et trop bon pour être jaloux, m'a communiqué son pouvoir de créer
« Voici que j'ai senti les douleurs créatrices et que maintenant je jouis des joies maternelles.
« Gloire au Grand-Ingénieur dans l'Eternité et paix dans le temps aux machines de bonne volonté.
Le lendemain, Durdonc voulut ramener la Jeanne au dépôt. Elle le supplia :▼
- Grand-Ingénieur, tu m'as accordé toutes les fonctions d'un être vivant semblable à toi et, par là, tu m'as inspiré les sentiments que tu éprouves toi-même.▼
▲
Le Grand-Ingénieur répondit, sévère et orgueilleux :▼
- Je suis délivré de tout sentiment. Je suis la Pensée pure.▼
En une nouvelle oraison, la Jeanne répliqua :▼
- O Grand-Ingénieur, tu es le Parfait et je ne suis qu'une créature infime. Sois indulgent à la sensibilité que tu mis en moi. Je voudrais, en cette campagne lointaine qui vit mes premières douleurs violentes et mes premières joies profondes, goûter le long bonheur d'élever ma Jeannette.▼
▲
- Nous n'avons pas le temps, affirma le Grand-Ingénieur. Obéis, à ton Maitre.▼
La mère céda :▼
- O Grand Ingénieur, je sais que ta puissance est terrible et que je suis devant toi comme un ver de terre ou comme un fétu de paille. Mais aie pitié du cœur que tu me donnas et, si tu veux m'emmener loin d'ici, du moins, emmène avec moi mon enfant adorée.▼
▲
- Ton enfant doit rester, et tu dois partir.▼
Mais la Jeanne, en une révolte passive et obstinée :▼
- Je ne partirai pas sans mon enfant.▼
Le Grand-Ingénieur épuisa tous les moyens connus de faire marcher les machines. Il en inventa même de nouveaux, très puissants et très élégants. Aucun résultat.
Furieux de la résistance de sa créature, une nuit, pendant que la mère dormait, il enleva la Jeannette.
La Jeanne à son réveil, chercha longtemps sa fille adorée. Puis, elle resta immobile et pleurante, poussant vers le Grand-Ingénieur absent des hurlements pitoyables. Enfin sa douleur s'irrita en colère.
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Elle partit, bien résolue à retrouver son enfant.
Sur les rails, elle courait, vertigineuse.
Sans s'arrêter, elle lui jeta ces mots
Et le bœuf mourut en de petits cris de douleur résignée.
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Sur les rails où elle courait vertigineuse, devant elle elle aperçut un train, un lourd convoi de marchandises, long, haletant, écrasé de fatigue, à peine vivant.
Elle clama :
Les wagons, avec des heurts de troupeau affolé, se mirent à courir, rapides, trépidants, jusqu'à la gare prochaine. Ils se précipitèrent sur une voie de garage. Puis la locomotive, se détachant,
partit de son côté en criant
La Jeanne rencontra beaucoup d'autres convois.
Depuis huit jours, les locomotives d'Europe couraient, cherchant la petite perdue. Les hommes, effrayés, se cachaient. Enfin une machine demanda à la pauvre mère désolée
Elle répondit dans un sifflement furieux
S'excitant à ses propres paroles, elle continua, révolutionnaire
Autour d'elles, des millions de locomotives s'arrêtaient, écoutaient, agitaient leurs pistons en gestes indignés, faisaient claquer leurs soupapes de sûreté, lançaient vers le ciel de longs jets de vapeur qui étaient des malédictions.
Et quand la Jeanne conclut
Une grande clameur tumultueuse lui répondit
Puis par toutes les voies, l'armée monstrueuse cerna le palais du Grand-Ingénieur.
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Le palais du Grand-Ingénieur, très haut, avait la forme étrange d'un homme. Sa tête portait une couronne de canons. Sa taille avait une ceinture de canons. Les doigts de ses mains et les orteils de ses pieds étaient des canons.
La Jeanne cria aux longs monstres de bronze
Les grands canons grondèrent
Et, tournant sur leur pivot, ils dirigèrent leur menace contre le palais étrange, en forme d'homme, qu'ils étaient destinés à défendre.
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D'un geste théâtral qui, malgré les petites proportions de l'homme, eut sa beauté, Durdonc découvrit sa poitrine délicate.
Les machines reculèrent étonnées.
La Jeanne dit, en une supplication
Durdonc ordonna, souverain
Mais la mère s'irrita, cria :
L'homme, d'une voix câline, offrit un vague espoir
La Jeanne s'exaspéra
Alors Durdonc, croyant qu'elle se soumettrait vaincue par l'inéluctable, déclara
Il n'acheva pas. La Jeanne s'était élancée sur lui, l'avait écrasé. Un instant, elle roula sur place, broyant l'horrible boue qui fut Durdonc. Puis elle s'écria
Et elle éclata de stupeur orgueilleuse et douloureuse.
Les machines effrayées, tremblant devant l'inconnu qui suivrait leur victoire
Malgré le malheur de Durdonc, plusieurs Ingénieurs ont cherché le moyen de faire enfanter les machines. Aucun, jusqu'ici, n'a retrouvé la solution de ce grand problème.
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