« Albertine disparue » : différence entre les versions

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m’étreignait horriblement le cœur ce souvenir de l’après-midi où
Albertine était venue me voir et où je l’avais embrassée pour la
premiè
==[[Page:Albertine disparue.djvu/98]]==
repremière fois : c’est que je venais d’entendre le hoquet du calorifère à
eau qu’on venait de rallumer. Et je jetai avec colère une invitation que
Françoise apporta de Mme Verdurin ; combien l’impression que j’avais eue,
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réalisation de cette paix profonde que j’avais rêvée le soir où
Albertine avait couché sous le même toit que moi, à Balbec. La
conversation que j’avais eue avec Albertine en rentrant du Bois avant
==[[Page:Albertine disparue.djvu/99]]==
cetteBois avantcette dernière soirée Verdurin, je ne me fusse pas consolé qu’elle n’eût
pas eu lieu, cette conversation qui avait un peu mêlé Albertine à la vie
de mon intelligence et en certaines parcelles nous avait faits
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des années, et que j’avais été surpris de voir qu’elle
==[[Page:Albertine disparue.djvu/100]]==
s’était spontanément enrichie de modifications qui ne tenaient pas qu’à la
s’était
spontanément enrichie de modifications qui ne tenaient pas qu’à la
différence des perspectives, de même j’aurais dû chercher à comprendre
son caractère comme celui d’une personne quelconque et peut-être,
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plaisir que nous éprouvons à la voir, comme les enfants quand ils
disent : « Mon cher petit lit, mon cher petit oreiller, mes chères petites
aubépines. » Ce qui expliqué,
==[[Page:Albertine disparue.djvu/101]]==
explique, par ailleurs, que les hommes ne disent
jamais d’une femme qui ne les trompe pas : « Elle est si gentille » et le
disent si souvent d’une femme par qui ils sont trompés. Mme de Cambremer
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voulu me figurer que je le possédais. Je n’avais pas commis seulement
l’imprudence, en regardant Albertine et en la logeant dans mon cœur, de
la faire
==[[Page:Albertine disparue.djvu/103]]==
faire vivre au dedans de moi, ni cette autre imprudence de mêler un
amour familial au plaisir des sens. J’avais voulu aussi me persuader que
nos rapports étaient l’amour, que nous pratiquions mutuellement les
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découvrir, la vie nous donne quelque chose que nous étions bien
==[[Page:Albertine disparue.djvu/106]]==
loin d’imaginer. Qui m’eût dit à Combray, quand j’attendais le bonsoir de ma
loin
d’imaginer. Qui m’eût dit à Combray, quand j’attendais le bonsoir de ma
mère avec tant de tristesse, que ces anxiétés guériraient, puis
renaîtraient un jour, non pour ma mère, mais pour une jeune fille qui ne
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yeux qui l’aiment, irremplaçable pendant très longtemps par une autre.
C’est que cette femme n’a fait que susciter par des sortes d’appels
magiques mille élééléments
==[[Page:Albertine disparue.djvu/109]]==
ments de tendresse existant en nous à l’état
fragmentaire et qu’elle a assemblés ; unis, effaçant toute cassure entre
eux, c’est nous-même qui en lui donnant ses traits avons fourni toute la
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et ses amies. Car ce n’était même pas un amour comme celui pour
Gilberte, mais créé par division entre plusieurs jeunes filles. Que ce
fût à cause d’elle et parce qu’elles me
==[[Page:Albertine disparue.djvu/111]]==
qu’elles me paraissaient quelque chose
d’analogue à elle que je me fusse plu avec ses amies, il était possible.
Toujours est-il que pendant bien longtemps l’hésitation entre toutes fut
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diffère, et elles ne peuvent prendre cette puissance d’attraits et cette
apparente aisance de réalisation que quand, projetées dans le vide idéal
de l’imagination, elles sont soustraites à la submersion alourdissante,
enlaidissante
==[[Page:Albertine disparue.djvu/115]]==
alourdissante, enlaidissante du milieu vital. L’idée qu’on mourra est plus cruelle que
mourir, mais moins que l’idée qu’un autre est mort ; que, redevenue plane
après avoir englouti un être, s’étend, sans même un remous à cette
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l’éternité ressemblait à la vie. Que dis-je à la vie ! J’étais plus
exigeant encore. J’aurais voulu ne pas être à tout jamais privé par la
mort
==[[Page:Albertine disparue.djvu/119]]==
mort des plaisirs que pourtant elle n’est pas seule à nous ôter. Car
sans elle ils auraient fini par s’émousser, ils avaient déjà commencé de
l’être par l’action de l’habitude ancienne, des nouvelles curiosités.
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pouvaient les valoir et dont le hasard aurait tout aussi bien pu me
faire entendre parler, je voulais connaître – puisque c’étaient celles-là
dont Saint-Loup m’avait parlé, celles-
==[[Page:Albertine disparue.djvu/121]]==
celles-là qui existaient individuellement
pour moi – la jeune fille qui allait dans les maisons de passe et la
femme de chambre de Mme Putbus. Les difficultés que ma santé, mon
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« MONSIEUR,
 
« Monsieur voudra bien me pardonner si je n’ai pas plus tôt écrit à
Monsieur. La personne que Monsieur m’avait chargé de voir s’était
absentée pour deux jours et, désireux de répondre à la confiance que
Monsieur avait mise en moi, je ne voulais pas revenir les mains vides.
==[[Page:Albertine disparue.djvu/123]]==
vides. Je viens de causer avec cette personne qui se rappelle très bien (Mlle
A.). » Aimé, qui avait un certain commencement de culture, voulait mettre
« Mlle A. » en italique et entre guillemets. Mais quand il voulait mettre
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petite apparition.
 
« Je ne vois plus rien d’intéressant à dire à Monsieur », etc…etc.
 
* * * * *
 
Pour comprendre à quelle profondeur ces mots entraient en moi, il faut
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moi, les profondeurs.
 
Enfin je
==[[Page:Albertine disparue.djvu/125]]==
 
Enfin je voyais devant moi, dans cette arrivée d’Albertine à la douche
par la petite rue avec la dame en gris, un fragment de ce passé qui ne
me semblait pas moins mystérieux, moins effroyable que je ne le
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les voyais pas dans la lumière qui éclaire les spectacles de la terre,
c’était le fragment d’un autre monde, d’une planète inconnue et maudite,
une vue de l’Enfer. L’Enfer c’était tout ce Balbec, tous ces pays
==[[Page:Albertine disparue.djvu/127]]==
ces pays avoisinants d’où, d’après la lettre d’Aimé, elle faisait venir souvent
les filles plus jeunes qu’elle amenait à la douche. Ce mystère que
j’avais jadis imaginé dans le pays de Balbec et qui s’y était dissipé
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c’est pour n’être pas plus longtemps privée d’eux qu’elle m’avait
quitté, elle avait dû, aussitôt libre, essayer de s’y livrer et y
réussir, dans un pays
==[[Page:Albertine disparue.djvu/133]]==
un pays qu’elle connaissait et où elle n’aurait pas choisi
de se retirer si elle n’avait pas pensé y trouver plus de facilités que
chez moi. Sans doute, il n’y avait rien d’extraordinaire à ce que la
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Albertine lui tendait. La blanchisseuse se déshabillait aussi, et elles
jouaient à se pousser dans l’eau ; là elle ne m’a rien dit de plus, mais,
tout dévoué à vos ordres
==[[Page:Albertine disparue.djvu/135]]==
à vos ordres et voulant faire n’importe quoi pour vous faire
plaisir, j’ai emmené coucher avec moi la petite blanchisseuse. Elle m’a
demandé si je voulais qu’elle me fît ce qu’elle faisait à Mlle Albertine
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d’enfer, tandis que je voyais Albertine ressuscitée par ma jalousie,
vraiment vivante, se raidir sous les caresses de la petite blanchisseuse
à qui elle disait « Tu
==[[Page:Albertine disparue.djvu/139]]==
disait « Tu me mets aux anges. » Comme elle était vivante au
moment où elle commettait ses fautes, c’est-à-dire au moment où moi-même
je me trouvais, il ne suffisait pas de connaître cette faute, j’aurais
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yeux un vent froid soufflant, comme à Balbec, sur les pommiers déjà
roses, j’en arrivais à me demander si la renaissance de ma douleur
n’était pas due à des
==[[Page:Albertine disparue.djvu/145]]==
des causes toutes pathologiques et si ce que je
prenais pour la reviviscence d’un souvenir et la dernière période d’un
amour n’était pas plutôt le début d’une maladie de cœur.
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Si encore ce retrait en moi des différents souvenirs d’Albertine s’était
au moins fait, non pas par échelons, mais simultané
==[[Page:Albertine disparue.djvu/147]]==
mentmais simultanément, également, de
front, sur toute la ligne de ma mémoire, les souvenirs de ses trahisons
s’éloignant en même temps que ceux de sa douceur, l’oubli m’eût apporté
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parce que cette idée de culpabilité d’Albertine deviendrait pour moi une
idée plus probable, plus habituelle, qu’elle deviendrait moins
douloureuse. Mais, d’
==[[Page:Albertine disparue.djvu/149]]==
autred’autre part, parce qu’elle serait moins douloureuse,
les objections faites à la certitude de cette culpabilité et qui
n’étaient inspirées à mon intelligence que par mon désir de ne pas trop
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devenus par elle si différents des autres, comment en restant plus près
de moi, en me bornant à Albertine elle-même, pouvais-je m’étonner,
qu’émanant d’une fille probablement pareille à toute autre, cette force
==[[Page:Albertine disparue.djvu/155]]==
cette force irrésistible sur moi, et pour la production de laquelle n’importe quelle
autre femme eût pu servir, eût été le résultat d’un enchevêtrement et de
la mise en contact de rêves, de désirs, d’habitudes, de tendresses, avec
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elle. Quelquefois, à Balbec, Françoise était allée la chercher, m’avait
dit l’avoir trouvée penchée à sa fenêtre, l’air inquiet, chercheur,
comme si elle attendait quelqu’un. Mettons que j’apprisse que la jeune
fille
==[[Page:Albertine disparue.djvu/159]]==
jeune fille attendue était Andrée, quel était l’état d’esprit dans lequel
Albertine l’attendait, cet état d’esprit caché derrière le regard
inquiet et chercheur ? Ce goût, quelle importance avait-il pour
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celles que vous dites ait ces goûts. » Me rapprochant malgré moi du
monstre qui m’attirait, je répondis : « Comment ! vous n’allez pas me faire
croire que de
==[[Page:Albertine disparue.djvu/163]]==
que de toute votre bande il n’y avait qu’Albertine avec qui vous
fissiez cela ! –Mais je ne l’ai jamais fait avec Albertine. – Voyons, ma
petite Andrée, pourquoi nier des choses que je sais depuis au moins
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amour d’Albertine (comme le fait d’aller au Louvre voir un Titien qui y
fut jadis console de ne pouvoir aller à Venise), de ces plaisirs qui,
séparés les uns des autres par
==[[Page:Albertine disparue.djvu/167]]==
par des nuances indiscernables, font de notre
vie comme une suite de zones concentriques, contiguës, harmoniques et
dégradées, autour d’un désir premier qui a donné le ton, éliminé ce qui
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autrefois, mon temps était divisé par périodes où je désirais telle
femme, ou telle autre. Quand les plaisirs violents donnés par l’une
é
==[[Page:Albertine disparue.djvu/169]]==
taientétaient apaisés, je souhaitais celle qui donnait une tendresse presque
pure, jusqu’à ce que le besoin de caresses plus savantes ramenât le
désir de la première. Maintenant ces alternances avaient pris fin, ou du
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crayon. Comme je lui reprochais de ne pas m’avoir laissé l’embrasser, je
lui avais dit que je trouvais cela aussi naturel que je trouvais ignoble
qu’une femme eût des relations
==[[Page:Albertine disparue.djvu/171]]==
relations avec une autre femme. Hélas, peut-être
Albertine s’était-elle toujours rappelé cette phrase imprudente.
 
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première venue la chambre d’Albertine, comme j’avais sans aucun chagrin
donné à Albertine la bille d’agate ou d’autres présents de Gilberte.
 
 
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