« Albertine disparue » : différence entre les versions

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faire entrer en ligne de compte de ce total qui est notre être. Mais ils
ont des chemins secrets pour rentrer en nous. Et certains soirs m’étant
endormi sans presque plus regretter Albertine--onAlbertine–on ne peut regretter que
ce qu’on se rappelle--aurappelle–au réveil je trouvais toute une flotte de
souvenirs qui étaient venus croiser en moi dans ma plus claire
conscience, et que je distinguais à merveille. Alors je pleurais ce que
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la revoyais. Et les moments du passé ne sont pas immobiles ; ils gardent
dans notre mémoire le mouvement qui les entraînait vers l’avenir, vers
un avenir devenu lui-même le passé,--nous–nous y entraînant nous-même. Jamais
je n’avais caressé l’Albertine encaoutchoutée des jours de pluie, je
voulais lui demander d’ôter cette armure, ce serait connaître avec elle
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donnés, je pouvais courir le monde sans la rencontrer puisque Albertine
était morte. Il semblait que je dusse choisir entre deux faits, décider
quel était le vrai, tant celui de la mort d’Albertine--venud’Albertine–venu pour moi
d’une réalité que je n’avais pas connue : sa vie en Touraine--étaitTouraine–était en
contradiction avec toutes mes pensées relatives à Albertine, mes désirs,
mes regrets, mon attendrissement, ma fureur, ma jalousie. Une telle
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tantôt une fureur jalouse. Je n’étais pas un seul homme, mais le défilé
heure par heure d’une armée compacte où il y avait, selon le moment, des
passionnés, des indifférents, des jaloux--desjaloux–des jaloux dont pas un n’était
jaloux de la même femme. Et sans doute ce serait de là qu’un jour
viendrait la guérison que je ne souhaiterais pas. Dans une foule, ces
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l’avenir incertain qui était déployé devant nous, j’essayais d’y lire.
Et maintenant ce qui était en avant de moi, comme un double de
l’avenir--aussil’avenir–aussi préoccupant qu’un avenir puisqu’il était aussi
incertain, aussi difficile à déchiffrer, aussi mystérieux ; plus cruel
encore parce que je n’avais pas comme pour l’avenir la possibilité ou
l’illusion d’agir sur lui, et aussi parce qu’il se déroulait aussi loin
que ma vie elle-même, sans que ma compagne fût là pour calmer les
souffrances qu’il me causait,--ce–ce n’était plus l’Avenir d’Albertine,
c’était son Passé. Son Passé ? C’est mal dire puisque pour la jalousie il
n’est ni passé ni avenir et que ce qu’elle imagine est toujours le
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Tout d’un coup c’était un souvenir que je n’avais, pas revu depuis bien
longtemps--carlongtemps–car il était resté dissous dans la fluide et invisible
étendue de ma mémoire--quimémoire–qui se cristallisait. Ainsi il y avait plusieurs
années, comme on parlait de son peignoir de douche, Albertine avait
rougi. À cette époque-là je n’étais pas jaloux d’elle. Mais depuis,
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ce que mon cœur désireux de participer aux émotions les plus générales
de l’amour m’avait peu à peu persuadé qu’elle était ; alors je me rendais
compte que cette vie qui m’avait tant ennuyé--duennuyé–du moins je le
croyais--avaitcroyais–avait été au contraire délicieuse ; aux moindres moments passés
à parler avec elle de choses même insignifiantes, je sentais maintenant
qu’était ajoutée, amalgamée une volupté qui alors n’avait, il est vrai,
pas été perçue par moi, mais qui était déjà cause que ces moments--làmoments–là je
les avais toujours si persévéramment recherchés à l’exclusion de tout le
reste ; les moindres incidents que je me rappelais, un mouvement qu’elle
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hésitations du début, comme dans certaines nouvelles de Balzac ou
quelques ballades de Schumann, le dénouement précipité ! C’est dans le
cours de cette dernière année, longue pour moi comme un siècle--tantsiècle–tant
Albertine avait changé de positions par rapport à ma pensée depuis
Balbec jusqu’à son départ de Paris, et aussi, indépendamment de moi et
souvent à mon insu, changé en elle-même--qu’ilmême–qu’il fallait placer toute
cette bonne vie de tendresse qui avait si peu duré et qui pourtant
m’apparaissait avec une plénitude, presque une immensité, à jamais
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Cela eût pu suffire aussi à me la faire aimer, si ensuite je l’avais
revue à temps. Aussitôt que j’avais su qu’elle ne viendrait pas,
envisageant l’hypothèse invraisemblable--etinvraisemblable–et qui s’était réalisée--queréalisée–que
peut-être quelqu’un était jaloux d’elle et l’éloignait des autres, que
je ne la reverrais jamais, j’avais tant souffert que j’aurais tout donné
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calme, c’est l’autre que j’aimerais si elle restait brouillée, ce qui ne
veut pas dire que ce n’est pas avec la première que je me lierais
définitivement, car elle me consolerait--bienconsolerait–bien qu’inefficacement--dequ’inefficacement–de la
dureté de la seconde, de la seconde que je finirais par oublier si elle
ne revenait plus. Or il arrivait que, persuadé que l’une ou l’autre au
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« Dire que je ne verrai plus cette chambre, ces livres, ce pianola, toute
cette maison, je ne peux pas le croire, et pourtant c’est vrai. » Dans
ses dernières lettres enfin, quand elle avait écrit--probablementécrit–probablement en se
disant « Je fais du chiqué » : --« Je vous laisse le meilleur de moi-même »
(et n’était-ce pas en effet maintenant à la fidélité, aux forces,
fragiles hélas aussi, de ma mémoire qu’étaient confiées son
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une foi, comme les athées deviennent chrétiens sur le champ de bataille,
elle avait peut-être appelé au secours l’ami si souvent maudit mais si
respecté par elle, qui lui-même--carmême–car toutes les religions se
ressemblent--avaitressemblent–avait la cruauté de souhaiter qu’elle eût eu aussi le temps
de se reconnaître, de lui donner sa dernière pensée, de se confesser
enfin à lui, de mourir en lui. Mais à quoi bon, puisque si même, alors,
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qu’elle allait entrer, une même force de désir, ne s’embarrassant pas
plus des lois physiques qui le contrariaient que, la première fois, au
sujet de Gilberte--oùGilberte–où, en somme, il n’avait pas eu tort puisqu’il avait
eu le dernier mot--memot–me faisait penser maintenant que j’allais recevoir un
mot d’Albertine, m’apprenant qu’elle avait bien eu un accident de
cheval, mais que pour des raisons romanesques (et comme, en somme, il
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avait un grand nombre de jeunes filles et de femmes de chambre qui
pouvaient les valoir et dont le hasard aurait tout aussi bien pu me
faire entendre parler, je voulais connaître--puisqueconnaître–puisque c’étaient celles-là
dont Saint-Loup m’avait parlé, celles-là qui existaient individuellement
pour moi--lamoi–la jeune fille qui allait dans les maisons de passe et la
femme de chambre de Mme Putbus. Les difficultés que ma santé, mon
indécision, ma « procrastination », comme disait Saint-Loup, mettaient à
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qu’il y demeurait, et qu’on pouvait ''demeurer'' deux minutes pour rester,
les fautes des gens du peuple consistant seulement très souvent à
interchanger--commeinterchanger–comme a fait d’ailleurs la langue française--desfrançaise–des termes
qui au cours des siècles ont pris réciproquement la place l’un de
l’autre. « D’après elle la chose que supposait Monsieur est absolument
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souvent venir d’assez loin. Elles n’entraient jamais ensemble, mais
(Mlle A.) entrait, en disant de laisser la porte de la cabine
ouverte--qu’elleouverte–qu’elle attendait une amie, et la personne avec qui j’ai parlé
savait ce que cela voulait dire. Cette personne n’a pu me donner
d’autres détails ne se rappelant pas très bien, « ce qui est facile à
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lamentable que celle de Swann avec Odette ? Aussi ce qu’atteignait la
réponse d’Aimé, bien qu’elle ne fût pas une réponse générale, mais
particulière--etparticulière–et justement à cause de cela--c’étaitcela–c’était bien Albertine, en
moi, les profondeurs.
 
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le signe moins au lieu du signe plus. Pour Albertine, autant que je
pouvais en juger par moi-même, ses fautes, quelque volonté qu’elle eût
de me les cacher--cecacher–ce qui me faisait supposer qu’elle se jugeait coupable
ou avait peur de me chagriner--seschagriner–ses fautes, parce qu’elle les avait
préparées à sa guise dans la claire lumière de l’imagination où se joue
le désir, lui paraissaient tout de même des choses de même nature que le
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différent de ce que peuvent être pour toute autre personne une dame en
gris, un pourboire, une douche, la rue où avait lieu l’arrivée délibérée
d’Albertine avec la dame en gris. Toutes ces images--échappéesimages–échappées sur une
vie de mensonges et de fautes telle que je ne l’avais jamais conçue--maconçue–ma
souffrance les avait immédiatement altérées en leur matière même, je ne
les voyais pas dans la lumière qui éclaire les spectacles de la terre,
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Je me voyais perdu dans la vie comme sur une plage illimitée où j’étais
seul et où, dans quelque sens que j’allasse, je ne la rencontrerais
jamais. Heureusement je trouvai fort à propos dans ma mémoire--commemémoire–comme il
y a toujours toutes espèces de choses, les unes dangereuses, les autres
salutaires dans ce fouillis où les souvenirs ne s’éclairent qu’un à
un--jeun–je découvris, comme un ouvrier l’objet qui pourra servir à ce qu’il
veut faire, une parole de ma grand’mère. Elle m’avait dit à propos d’une
histoire invraisemblable que la doucheuse avait racontée à Mme de
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tante Léonie donner à Eulalie quatre billets de mille francs, alors
qu’un billet de cinquante francs plié en quatre me paraissait déjà peu
vraisemblable. Et ainsi je cherchais--etcherchais–et je réussis peu à peu--àpeu–à me
défaire de la douloureuse certitude que je m’étais donné tant de mal à
acquérir, ballotté que j’étais toujours entre le désir de savoir, et la
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battait, un instant je me disais : « Si tout de même cela n’était qu’un
rêve ! C’est peut-être elle, elle va sonner, elle revient, Françoise va
entrer me dire avec plus d’effroi que de colère--carcolère–car elle est plus
superstitieuse encore que vindicative et craindrait moins la vivante que
ce qu’elle croira peut-être un revenant : --« Monsieur ne devinera jamais
qui est là. » J’essayais de ne penser à rien, de prendre un journal. Mais
la lecture m’était insupportable de ces articles écrits par des gens qui
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que je m’étais trouvé seul, j’avais souffert davantage. Mais du moins
l’Albertine que j’avais aimée restait dans mon cœur. Maintenant, à sa
place--pourplace–pour me punir d’avoir poussé plus loin une curiosité à laquelle,
contrairement à ce que j’avais supposé, la mort n’avait pas mis fin--cefin–ce
que je trouvais c’était une jeune fille différente, multipliant les
mensonges et les tromperies là où l’autre m’avait si doucement rassuré
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profondeur de la douleur, on atteint au mystère, à l’essence. Je
souffrais jusqu’au fond de moi-même, jusque dans mon corps, dans mon
cœur--biencœur–bien plus que ne m’eût fait souffrir la peur de perdre la vie--devie–de
cette curiosité à laquelle collaboraient toutes les forces de mon
intelligence et de mon inconscient ; et ainsi c’est dans les profondeurs
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l’aurais souhaité que pour lui répéter : « Je sais pour la blanchisseuse.
Tu lui disais : tu me mets aux anges ; j’ai vu la morsure. » Ce qui vint à
mon secours contre cette image de la blanchisseuse, ce fut--certesfut–certes quand
elle eut un peu duré--cetteduré–cette image elle-même parce que nous ne
connaissons vraiment que ce qui est nouveau, ce qui introduit
brusquement dans notre sensibilité un changement de ton qui nous frappe,
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parfois une tendresse me remontait au cœur pour Albertine, et alors,
pensant à mes amours pour d’autres femmes, je me disais qu’elle les
aurait comprises, partagées--etpartagées–et son vice devenait comme une cause
d’amour. Parfois ma jalousie renaissait dans des moments où je ne me
souvenais plus d’Albertine, bien que ce fût d’elle alors que j’étais
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malade est trop porté à confondre avec la maladie elle-même. Quand ils
cessent, il est étonné de se trouver moins éloigné de la guérison qu’il
n’avait cru. Telle avait été la souffrance causée--lacausée–la complication
amenée--paramenée–par les lettres d’Aimé relativement à l’établissement de douches
et à la petite blanchisseuse. Mais un médecin de l’âme qui m’eût visité
eût trouvé que, pour le reste, mon chagrin lui-même allait mieux. Sans
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incessants, avait fini par conquérir en moi la place qu’y occupait
récemment encore l’idée de sa vie. Sans que je m’en rendisse compte,
c’était maintenant cette idée de la mort d’Albertine--nond’Albertine–non plus le
souvenir présent de sa vie--quivie–qui faisait pour la plus grande partie le
fond de mes inconscientes songeries, de sorte que, si je les
interrompais tout à coup pour réfléchir sur moi-même, ce qui me causait
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c’était l’idée qu’elle était coupable. Quand je croyais douter d’elle,
je croyais au contraire en elle ; de même je pris pour point de départ de
mes autres idées la certitude--souventcertitude–souvent démentie comme l’avait été l’idée
contraire--lacontraire–la certitude de sa culpabilité tout en m’imaginant que je
doutais encore. Je dus souffrir beaucoup pendant cette période-là, mais
je me rends compte qu’il fallait que ce fût ainsi. On ne guérit d’une
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Je n’en étais pas encore là. Tantôt c’était ma mémoire rendue plus
claire par une excitation intellectuelle--telleintellectuelle–telle une lecture--quilecture–qui
renouvelait mon chagrin, d’autres fois c’était au contraire mon chagrin
qui était soulevé, par exemple par l’angoisse d’un temps orageux qui
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Guermantes, d’Andrée, de Mlle de Stermaria ; il avait repris quand
j’avais recommencé à la voir souvent. Or, même maintenant, des
préoccupations différentes pouvaient réaliser une séparation--d’avecséparation–d’avec une
morte, cette fois--oùfois–où elle me devenait plus indifférente. Et même plus
tard, quand je l’aimai moins, cela resta pourtant pour moi un de ces
désirs dont on se fatigue vite, mais qui reprennent quand on les a
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mêmes causes qui du vivant d’Albertine eussent augmenté mon amour pour
elle et au premier rang desquelles avaient toujours figuré la jalousie
et la douleur. Mais le plus souvent ces occasions--caroccasions–car une maladie, une
guerre, peuvent durer bien au delà de ce que la sagesse la plus
prévoyante avait supputé--naissaientsupputé–naissaient à mon insu et me causaient des
chocs si violents que je songeais bien plus à me protéger contre la
souffrance qu’à leur demander un souvenir.
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D’ailleurs un mot n’avait même pas besoin, comme Chaumont, de se
rapporter à un soupçon (même une syllabe commune à deux noms différents
suffisait à ma mémoire--commemémoire–comme à un électricien qui se contente du
moindre corps bon conducteur--pourconducteur–pour rétablir le contact entre Albertine
et mon cœur) pour qu’il réveillât ce soupçon, pour être le mot de passe,
le magique sésame entr’ouvrant la porte d’un passé dont on ne tenait
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incapable de marcher vers elle, de proférer les mots que je voulais lui
dire, de rallumer pour la voir le flambeau qui s’était
éteint--impossibilitéséteint–impossibilités qui étaient simplement, dans mon rêve,
l’immobilité, le mutisme, la cécité du dormeur--commedormeur–comme brusquement on
voit dans la projection manquée d’une lanterne magique une grande ombre,
qui devrait être cachée, effacer la silhouette des personnages, et qui
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temps et que rien ne pressait plus. Elle me promettait qu’elle ne
faisait rien de mal et qu’elle avait seulement, la veille, embrassé sur
les lèvres Mlle Vinteuil. « Comment ? elle est ici ? --Oui–Oui, il est même
temps que je vous quitte, car je dois aller la voir tout à l’heure. » Et
comme, depuis qu’Albertine était morte, je ne la tenais plus prisonnière
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que dès lors je ne pensais plus qu’à me garer contre la douleur.
Quelques instants après le choc, l’intelligence qui, comme le bruit du
tonnerre, ne voyage pas aussi vite m’en apportait la raison--Chaumontraison–Chaumont
m’avait fait penser aux Buttes-Chaumont où Mme Bontemps m’avait dit
qu’Andrée allait souvent avec Albertine, tandis qu’Albertine m’avait dit
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monstre qui m’attirait, je répondis : « Comment ! vous n’allez pas me faire
croire que de toute votre bande il n’y avait qu’Albertine avec qui vous
fissiez cela ! --Mais–Mais je ne l’ai jamais fait avec Albertine.--Voyons–Voyons, ma
petite Andrée, pourquoi nier des choses que je sais depuis au moins
trois ans ; je n’y trouve rien de mal, au contraire. Justement, à propos
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l’atmosphère des ateliers, une conversation de comptoir, l’âme des
taudis, quand j’embrassais une ouvrière. Andrée, ces autres femmes, tout
cela par rapport à Albertine--commeAlbertine–comme Albertine avait été elle-même par
rapport à Balbec--étaientBalbec–étaient de ces substituts de plaisirs se remplaçant
l’un l’autre en dégradations successives, qui nous permettent de nous
passer de celui que nous ne pouvons plus atteindre, voyage à Balbec ou
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voulu, c’est que la nouvelle venue vînt habiter chez moi et me donnât le
soir avant de me quitter un baiser familial de sœur. De sorte que
j’aurais pu croire--sicroire–si je n’avais fait l’expérience de la présence
insupportable d’une autre--queautre–que je regrettais plus un baiser que
certaines lèvres, un plaisir qu’un amour, une habitude qu’une personne.
J’aurais voulu aussi que les nouvelles venues pussent me jouer du
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qu’un piano ; soit que, plus profondément, mon besoin du même genre de
tendresse que me donnait Albertine, la tendresse d’une fille assez
cultivée et qui fût en même temps une sœur, ne fût--commefût–comme le besoin de
femmes du même milieu qu’Albertine--qu’unequ’Albertine–qu’une reviviscence du souvenir
d’Albertine, du souvenir de mon amour pour elle. Et une fois de plus
j’éprouvais d’abord que le souvenir n’est pas inventif, qu’il est
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fausser que de chercher à l’assouvir avec un autre objet. Mais la vie,
en me découvrant peu à peu la permanence de nos besoins, m’avait appris
que faute d’un être il faut se contenter d’un autre,--et–et je sentais que
ce que j’avais demandé à Albertine, une autre, Mlle de Stermaria, eût pu
me le donner. Mais ç’avait été Albertine ; et entre la satisfaction de