« La Conquête de Plassans/22 » : différence entre les versions

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Il était dans le jardin. Ayant levé la tête, apercevant, au premier étage, la chambre à coucher vivement éclairée, il crut que sa femme se mettait au lit. Cela lui causa un grand étonnement. Sans doute il avait dormi sous le pont en attendant la fin de l’averse. Il devait être très tard. En effet, les fenêtres voisines, celles de M. Rastoil aussi bien que celles de la sous-préfecture, étaient noires. Et il ramenait les yeux, lorsqu’il vit une lueur de lampe, au second étage, derrière les rideaux épais de l’abbé Faujas. Ce fut comme un œil flamboyant, allumé au front de la façade, qui le brûlait. Il se serra les tempes entre ses mains brûlantes, la tête perdue, roulant dans un souvenir abominable, dans un cauchemar évanoui, où rien de net ne se formulait, où s’agitait, pour lui et les siens, la menace d’un péril ancien, grandi lentement, devenu terrible, au fond duquel la maison allait s’engloutir, s’il ne la sauvait.
 
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« Marthe ! Marthe ! reprit-il en revenant dans le vestibule, la lampe à la main ; réponds-moi, dis-moi où ils t’ont enfermée ? Il faut partir, partir tout de suite. »
 
Il
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la chercha dans la salle à manger. Les deux armoires à droite et à gauche du poêle étaient ouvertes ; au bord d’une planche, un sac de papier gris, crevé, laissait couler des morceaux de sucre jusque sur le plancher. Plus haut, il aperçut une bouteille de cognac sans goulot bouchée avec un tampon de linge. Et il monta sur une chaise pour visiter les armoires. Elles étaient à moitié vides : les bocaux de fruits à l’eau-de-vie tous entamés à la fois, les pots de confiture ouverts et sucés, les fruits mordus, les provisions de toutes sortes rongées, salies comme par le passage d’une armée de rats. Ne trouvant pas Marthe dans les armoires, il regarda partout, derrière les rideaux, sous la table ; des os y roulaient, parmi des mies de pain gâchées ; sur la toile cirée, les culs des verres avaient laissé des ronds de sirop. Alors, il traversa le corridor, il la chercha dans le salon. Mais, dès le seuil, il s’arrêta : il n’était plus chez lui. Le papier mauve clair du salon, le tapis à fleurs rouges, les nouveaux fauteuils recouverts de damas cerise, l’étonnèrent profondément. Il craignit d’entrer chez un autre, il referma la porte.
 
Il la chercha dans la salle à manger. Les deux armoires à droite et à gauche du poêle étaient ouvertes ; au bord d’une planche, un sac de papier gris, crevé, laissait couler des morceaux de sucre jusque sur le plancher. Plus haut, il aperçut une bouteille de cognac sans goulot bouchée avec un tampon de linge. Et il monta sur une chaise pour visiter les armoires. Elles étaient à moitié vides : les bocaux de fruits à l’eau-de-vie tous entamés à la fois, les pots de confiture ouverts et sucés, les fruits mordus, les provisions de toutes sortes rongées, salies comme par le passage d’une armée de rats. Ne trouvant pas Marthe dans les armoires, il regarda partout, derrière les rideaux, sous la table ; des os y roulaient, parmi des mies de pain gâchées ; sur la toile cirée, les culs des verres avaient laissé des ronds de sirop. Alors, il traversa le corridor, il la chercha dans le salon. Mais, dès le seuil, il s’arrêta : il n’était plus chez lui. Le papier mauve clair du salon, le tapis à fleurs rouges, les nouveaux fauteuils recouverts de damas cerise, l’étonnèrent profondément. Il craignit d’entrer chez un autre, il referma la porte.
 
« Marthe ! Marthe ! » bégaya-t-il encore avec désespoir.
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« Mets donc cela, dit-il en jetant une chemise de nuit à Olympe ; c’est plein de dentelles. J’ai toujours rêvé de coucher avec une femme qui aurait de la dentelle… Moi, je vais prendre ce foulard rouge… Est-ce que tu as changé les draps ?
 
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Ma foi ! non, répondit-elle ; je n’y ai pas pensé ; ils sont encore propres… Elle est très soigneuse de sa personne, elle ne me dégoûte pas. »
 
Et, comme Trouche se couchait enfin, elle lui cria :
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Il but de nouveau.
 
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Mouret, de son allure souple, quitta la porte où il était resté blotti. Il monta au second étage, s’agenouiller devant la chambre de l’abbé Faujas, se haussant jusqu’au trou de la serrure. Il étouffait le nom de Marthe dans sa gorge, l’œil ardent, fouillant les coins de la chambre, s’assurant qu’on ne la cachait point là. La grande pièce nue était pleine d’ombre, une petite lampe posée au bord de la table laissait tomber sur le carreau un rond étroit de clarté ; le prêtre, qui écrivait, ne faisait lui-même qu’une tache noire, au milieu de cette lueur jaune. Après avoir cherché derrière la commode, derrière les rideaux, Mouret s’était arrêté au lit de fer, sur lequel le chapeau du prêtre étalait comme une chevelure de femme. Marthe sans doute était dans le lit. Les Trouche l’avaient dit, elle couchait là, maintenant. Mais il vit le lit froid, aux draps bien tirés, qui ressemblait à une pierre tombale ; il s’habituait à l’ombre. L’abbé Faujas dut entendre quelque bruit, car il regarda la porte. Lorsque le fou aperçut le visage calme du prêtre, ses yeux rougirent, une légère écume parut aux coins de ses lèvres ; il retint un hurlement, il s’en alla à quatre pattes par l’escalier, par les corridors, répétant à voix basse :
 
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Mouret s’assit sur une marche de l’escalier, entre le premier et le second étage. Il étouffait ce souffle puissant qui, malgré lui, gonflait sa poitrine. Il attendait, les mains croisées, le dos appuyé à la rampe, les yeux ouverts dans la nuit, tout à l’idée fixe qu’il mûrissait patiemment. Ses sens prenaient une finesse telle, qu’il surprenait les plus petits bruits de la maison. En bas, Trouche ronflait ; Olympe tournait les pages de son roman, avec le léger froissement du doigt contre le papier. Au second étage, la plume de l’abbé Faujas avait un bruissement de pattes d’insecte ; tandis que, dans la chambre voisine, Mme Faujas endormie semblait accompagner cette aigre musique de sa respiration forte. Mouret passa une heure, les oreilles aux aguets. Ce fut Olympe qui succomba la première au sommeil ; il entendit le roman tomber sur le tapis. Puis l’abbé Faujas posa sa plume, se déshabilla avec des frôlements discrets de pantoufles ; les vêtements glissaient mollement, le lit ne craqua même pas. Toute la maison était couchée. Mais le fou sentait, à l’haleine trop grêle de l’abbé, qu’il ne dormait pas. Peu à peu, cette haleine grossit. Toute la maison dormait.
 
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Au fond du corridor, la porte de Mme Faujas s’étant brusquement ouverte, la flamme s’engouffra dans la chambre avec le roulement d’une tempête. La vieille femme parut au milieu du feu. Les mains en avant, elle écarta les fascines qui flambaient, sauta dans le corridor, rejeta à coups de pied, à coups de poing, les tisons qui masquaient la porte de son fils, qu’elle continuait à appeler désespérément. Le fou s’était aplati davantage, les yeux ardents, se plaignant toujours.
 
«
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Attends-moi, ne descends pas par la fenêtre », criait-elle, en frappant à la porte.
 
« Attends-moi, ne descends pas par la fenêtre », criait-elle, en frappant à la porte.
 
Elle dut l’enfoncer ; la porte, qui brûlait, céda facilement. Elle reparut, tenant son fils entre les bras. Il avait pris le temps de mettre sa soutane ; il étouffait, suffoqué par la fumée.