« La Conquête de Plassans/16 » : différence entre les versions

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Cependant, Marthe avait descendu le perron. Quand elle entendit Désirée rire, elle se fâcha.
 
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Cette enfant me fera mourir, dit-elle ; elle ne sait qu’inventer pour me donner des secousses. Je suis sûre qu’elle s’est jetée par terre exprès. Ce n’est plus tenable. Je m’enfermerai dans ma chambre, je partirai le matin pour ne rentrer que le soir… Oui, ris donc, grande bête ! Est-ce possible d’avoir mis au monde une pareille bête ! Va, tu me coûteras cher.
 
« Cette enfant me fera mourir, dit-elle ; elle ne sait qu’inventer pour me donner des secousses. Je suis sûre qu’elle s’est jetée par terre exprès. Ce n’est plus tenable. Je m’enfermerai dans ma chambre, je partirai le matin pour ne rentrer que le soir… Oui, ris donc, grande bête ! Est-ce possible d’avoir mis au monde une pareille bête ! Va, tu me coûteras cher.
 
— Ça, c’est sûr, ajouta Rose qui était accourue de la cuisine, c’est un gros embarras, et il n’y a pas de danger qu’on puisse jamais la marier. » Mouret, frappé au cœur, les écoutait, les regardait. Il ne répondit rien, il resta au fond du jardin avec la jeune fille. Jusqu’à la tombée de la nuit, ils parurent causer doucement ensemble. Le lendemain, Marthe et Rose devaient s’absenter toute la matinée ; elles allaient, à une lieue de Plassans, entendre la messe dans une chapelle dédiée à saint Janvier, où toutes les dévotes de la ville se rendaient ce jour-là en pèlerinage. Lorsqu’elles rentrèrent, la cuisinière se hâta de servir un déjeuner froid. Marthe mangeait depuis quelques minutes, lorsqu’elle s’aperçut que sa fille n’était pas à table.
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Et, comme elle restait muette, il ajouta :
 
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Si la maison ne te semble pas assez tranquille, tu me le diras, et je m’en irai. »
 
« Si la maison ne te semble pas assez tranquille, tu me le diras, et je m’en irai. »
 
Elle se leva à demi, une lueur passa dans ses yeux. Il venait de la frapper si cruellement, qu’elle avança la main, comme pour lui jeter la bouteille à la tête. Dans cette nature si longtemps soumise, des colères inconnues soufflaient ; une haine grandissait contre cet homme qui rôdait sans cesse autour d’elle, pareil à un remords. Elle se remit à manger avec affectation, sans parler davantage de sa fille. Mouret avait plié sa serviette ; il restait assis devant elle, écoutant le bruit de sa fourchette, jetant de lents regards autour de cette salle à manger, si joyeuse autrefois du tapage des enfants, si vide et si triste aujourd’hui. La pièce lui semblait glacée. Des larmes lui montaient aux yeux, lorsque Marthe appela Rose pour le dessert.
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A partir de ce jour, les repas de Marthe et de Mouret furent silencieux. L’automne était très humide ; la salle à manger restait mélancolique, avec les deux couverts isolés, séparés par toute la largeur de la grande table. L’ombre emplissait les coins, le froid tombait du plafond. On aurait dit un enterrement, selon l’expression de Rose.
 
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Ah bien ! disait-elle souvent en apportant les plats, il ne faut pas faire tant de bruit… De ce train-là, il n’y a pas de danger que vous vous écorchiez la langue… Soyez donc plus gai, monsieur ; vous avez l’air de suivre un mort. Vous finirez par mettre madame au lit. Ce n’est pas bon pour la santé, de manger sans parler. »
 
« Ah bien ! disait-elle souvent en apportant les plats, il ne faut pas faire tant de bruit… De ce train-là, il n’y a pas de danger que vous vous écorchiez la langue… Soyez donc plus gai, monsieur ; vous avez l’air de suivre un mort. Vous finirez par mettre madame au lit. Ce n’est pas bon pour la santé, de manger sans parler. »
 
Quand vinrent les premiers froids, Rose, qui cherchait à obliger Mme Faujas, lui offrit son fourneau pour faire la cuisine. Cela commença par des bouillottes d’eau que la vieille dame descendit faire chauffer ; elle n’avait pas de feu, et l’abbé était pressé de se raser. Elle emprunta ensuite des fers à repasser, se servit de quelques casseroles, demanda la rôtissoire pour mettre un gigot à la broche ; puis, comme elle n’avait pas, en haut, une cheminée disposée d’une façon convenable, elle finit par accepter les offres de Rose, qui alluma un feu de sarments, à rôtir un mouton tout entier.
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Ce fut le jour de la Toussaint que l’abbé Faujas déjeuna pour la première fois dans la salle à manger des Mouret. Il était très pressé, il devait retourner à Saint-Saturnin. Marthe, pour qu’il perdît moins de temps, le fit asseoir devant la table, en lui disant que sa mère n’aurait pas deux étages à monter. Une semaine plus tard, l’habitude était prise, les Faujas descendaient à chaque repas, s’attablaient, allaient jusqu’au café. Les premiers jours, les deux cuisines restèrent différentes ; puis, Rose trouva ça « très bête », disant qu’elle pouvait bien faire de la cuisine pour quatre personnes, et qu’elle s’entendrait avec Mme Faujas.
 
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Ne me remerciez pas, ajouta-t-elle. C’est vous qui êtes bien gentils de descendre tenir compagnie à madame ; vous allez apporter un peu de gaieté… Je n’osais plus entrer dans la salle à manger ; il me semblait que j’entrais chez un mort. C’était vide à faire peur… Si monsieur boude à présent, tant pis pour lui ! Il boudera tout seul. »
 
« Ne me remerciez pas, ajouta-t-elle. C’est vous qui êtes bien gentils de descendre tenir compagnie à madame ; vous allez apporter un peu de gaieté… Je n’osais plus entrer dans la salle à manger ; il me semblait que j’entrais chez un mort. C’était vide à faire peur… Si monsieur boude à présent, tant pis pour lui ! Il boudera tout seul. »
 
Le poêle ronflait, la pièce était toute tiède. Ce fut un hiver charmant. Jamais Rose n’avait mis le couvert avec du linge plus net ; elle plaçait la chaise de monsieur le curé près du poêle, de façon qu’il eût le dos au feu. Elle soignait particulièrement son verre, son couteau, sa fourchette ; elle veillait, dès que la nappe avait la moindre tache, à ce que la tache ne fût pas de son côté. Puis, c’étaient mille attentions délicates.
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Puis c’étaient des taquineries. Elle lui passait les assiettes fêlées, lui mettait un pied de la table entre les jambes, laissait à son verre les peluches du torchon, posait le pain, le vin, le sel, à l’autre bout de la table. Mouret seul aimait la moutarde ; il allait lui-même chez l’épicier en acheter des pots, que la cuisinière faisait régulièrement disparaître, sous prétexte que « ça puait ». La privation de moutarde suffisait à lui gâter ses repas. Ce qui le désespérait plus encore, ce qui lui coupait absolument l’appétit, c’était d’avoir été chassé de sa place, de la place qu’il avait occupée de tout temps, devant la fenêtre, et qu’on donnait au prêtre comme étant la plus agréable. Maintenant, il faisait face à la porte ; il lui semblait manger chez des étrangers, depuis qu’à chaque bouchée il ne pouvait jeter un coup d’œil sur ses arbres fruitiers.
 
Marthe n’avait pas les aigreurs de Rose ; elle le traitait en parent pauvre, qu’on tolère ; elle finissait par ignorer qu’il
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tfût là, ne lui adressant presque jamais la parole, agissant comme si l’abbé Faujas eût seul donné des ordres dans la maison. D’ailleurs, Mouret ne se révoltait pas ; il échangeait quelques mots de politesse avec le prêtre, mangeait en silence, répondait par de lents regards aux attaques de la cuisinière. Puis, comme il avait toujours fini le premier, il pliait sa serviette méthodiquement, et se retirait, souvent avant le dessert.
 
Rose prétendait qu’il enrageait. Quand elle causait avec Mme Faujas dans la cuisine, elle lui expliquait son maître tout au long.
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Depuis que les Faujas mangeaient au rez-de-chaussée, le second étage appartenait aux Trouche. Ils y devenaient bruyants ; des bruits de meubles roulés, des piétinements, des éclats de voix, descendaient par les portes ouvertes et violemment refermées. Mme Faujas, en train de causer dans la cuisine, levait la tête d’un air inquiet. Rose, pour arranger les choses, disait que cette pauvre Mme Trouche avait bien du mal. Une nuit, l’abbé, qui n’était point encore couché, entendit dans l’escalier un tapage étrange. Étant sorti avec son bougeoir, il aperçut Trouche abominablement gris, qui montait les marches sur les genoux. Il le souleva de son bras robuste, le jeta chez lui. Olympe, couchée, lisait tranquillement un roman, en buvant à petits coups un grog posé sur la table de nuit.
 
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Quand l’été vint, la maison s’anima encore. L’abbé Faujas recevait les sociétés du sous-préfet et du président, au fond du jardin, sous la tonnelle. Rose, sur l’ordre de Marthe, avait acheté une douzaine de chaises rustiques, afin qu’on pût prendre le frais, sans toujours déménager les sièges de la salle à manger. L’habitude était prise. Chaque mardi, dans l’après-midi, les portes de l’impasse restaient ouvertes ; ces messieurs et ces dames venaient saluer monsieur le curé, en voisins, coiffés de chapeaux de paille, chaussés de pantoufles, les redingotes déboutonnées, les jupes relevées par des épingles. Les visiteurs arrivaient un à un ; puis, les deux sociétés finissaient par se trouver au complet, mêlées, confondues, s’égayant, commérant dans la plus grande intimité.
 
« Vous ne craignez pas, dit un jour M. de Bourdeu à M. Rastoil, que ces rencontres avec la bande de la sous-préfecture
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préfecture ne soient mal jugées ?… Voici les élections générales qui approchent.
 
— Pourquoi seraient-elles mal jugées ? répondit M. Rastoil. Nous n’allons pas à la sous-préfecture, nous sommes sur un terrain neutre… Puis, mon cher ami, il n’y a aucune cérémonie là-dedans. Je garde ma veste de toile. C’est de la vie privée. Personne n’a le droit de juger ce que je fais sur le derrière de ma maison… Sur le devant, c’est autre chose ; nous appartenons au public, sur le devant…
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M. Péqueur des Saulaies causait avec M. Rastoil ; ils feignirent tous deux de n’avoir rien entendu. Mme de Condamin eut un sourire. Elle continua, en interpellant l’abbé Surin :
 
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— Ah ! je comprends ça. Vous devez être bien fière !… Ce n’est pas comme monsieur Mouret, qui avait cloué la porte pour que personne n’entrât. Jamais une visite, pas un dîner à faire, le jardin vide à donner peur le soir. Nous vivions en loups. Il est vrai que monsieur Mouret n’aurait pas su recevoir ; il avait une mine, quand il venait quelqu’un, par hasard !… Je vous demande un peu s’il ne devrait pas prendre exemple sur monsieur le curé. Au lieu de m’enfermer, je descendrais au jardin, je m’amuserais avec les autres ; je tiendrais mon rang, enfin… Non, il est là-haut, caché comme s’il craignait qu’on lui donnât la gale… A propos, voulez-vous que nous montions voir ce qu’il fait, là-haut ? »
 
Un mardi, elles montèrent. Ce jour-là, les deux sociétés é
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taientétaient très bruyantes ; les rires montaient dans la maison par les fenêtres ouvertes, pendant qu’un fournisseur, qui apportait aux Trouche un panier de vin, faisait au second étage un bruit de vaisselle cassée, en reprenant les bouteilles vides. Mouret était enfermé à double tour dans son bureau.
 
« La clef m’empêche de voir, dit Rose, après avoir mis un œil à la serrure.