« L’Avare (Goldoni) » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Nouvelle page : Catégorie:Théâtre Catégorie:XVIIIe siècle Catégorie:1756 <div style="width:10em;display:block;float:right;align:right;">__TOC__</div> {{Titre|[[Auteur:Carlo Goldoni...
(Aucune différence)

Version du 4 novembre 2009 à 20:28


L’Avare
1862



L’AVARE,


COMÉDIE


EN UN ACTE ET EN PROSE.

N. B. Moliere a tracé de main de maître les travers et le ridicule de l’Avarice : Goldoni en a esquissé l’odieux dans la petite pièce que l’on va lire. Nous ne nous permettrons qu’une réflexion sur ce dernier ouvrage : placer à la suite du Moliere, l’Avare de Goldoni, c’est rendre peut-être à ces deux grands hommes l’hommage le plus flatteur, et en même temps le plus digne d’eux.




PERSONNAGES


Don AMBROISE, vieil avare.

Donna EUGÉNIE, veuve et belle fille d’Ambroise.

Le Comte de l’ISLE.

Le Chevalier des ARBRES.

Don FERNAND, jeune homme de Mantoue.

JASMIN, valet.

Un Procureur, personnage muet.


La Scène est à Pavie, dans une gallerie, chez Don Ambroise.




SCÈNE PREMIÈRE.



DON AMBROISE (seul.)

Ce que c’est pourtant qu’un peu de règle et de conduite ! Il n’y a qu’un an que mon fils est mort, et je me trouve déjà en avance de deux mille écus ! Le Ciel sait combien j’ai été sensible à la mort de l’unique fils que j’eusse au monde : mais s’il eût vécu encore un pareil nombre d’années, c’en était fait ; mes revenus n’y suffisaient pas, et il eût fallu attaquer les capitaux. L’amour paternel a ses droits, sans doute ; mais l’argent ! l’argent est une si belle chose ! Je dépense plus encore que je ne devrais, parce que j’ai ma belle-fille chez moi. – Je voudrais bien m’en débarrasser : mais la seule pensée de la dot qu’il lui faudrait restituer, suffit pour me mettre en fureur. Je me trouve entre l’enclume et le marteau. Qu’elle demeure avec moi, elle me ronge jusqu’aux os : qu’elle s’en aille, elle arrache et emporte mon cœur. Si je pouvais imaginer… Bon, voici un autre fléau qui me poursuit malgré moi jusqu’ici ; un autre présent de mon cher fils. Il me semble pourtant qu’il serait bien temps qu’il s’en allât.




SCÈNE II.

Le Même, DON FERNAND.


DON FERNAND.

Bonjour, seigneur don Ambroise.


DON AMBROISE.

Il n’y a plus ni bonjour ni bonne nuit pour moi.


DON FERNAND.

Je partage la douleur d’un père. Vous perdez, dans le pauvre don Fabrice, le plus aimable cavalier du monde.


DON AMBROISE.

Don Fabrice était un cavalier qui aurait trouvé le fond des mines de l’Inde. Depuis son mariage, il a dissipé, en deux ans, plus que je n’eusse dépensé en dix. Je suis ruiné, mon cher Monsieur ; et pour rétablir un peu mes affaires, il me faudra vivre dorénavant avec la plus sévère économie, et peser jusqu’à mon pain.


DON FERNAND.

Pardon : mais vous me persuaderez difficilement que vous en soyez réduit à cette extrémité.


DON AMBROISE.

Vous ne connaissez pas mes affaires.


DON FERNAND.

Votre fils m’avait dit cependant…


DON AMBROISE.

Mon fils était un fou, gonflé de morgue et de vanité, l’esclave de sa femme, et la dupe des amis qui le grugeaient.


DON FERNAND.

Je ne sais si vous parlez pour moi, Monsieur ; mais il me semble que, depuis un an que j’habite chez vous pour prendre dans cette université le grade de docteur, mon père a suffisamment pourvu à ma dépense.


DON AMBROISE.

Je ne parle point pour vous. Mon fils vous aimait, et je vous ai gardé chez moi pour l’amour de lui : mais maintenant que vous voilà Docteur, pourquoi perdre ici votre temps ?


DON FERNAND.

J’attends aujourd’hui des lettres de mon père, et je compte vous débarrasser au premier jour.


DON AMBROISE.

Je suis surpris de ne pas vous voir plus d’empressement à retourner dans votre patrie, pour vous y entendre appeler Monsieur le Docteur ! Votre mère brûle sans doute de l’impatience d’embrasser monsieur le Docteur son fils.


DON FERNAND.

Ma maison, Monsieur, peut, à la rigueur, se passer de ce nouveau titre. Je crois que ma famille vous est connue.


DON AMBROISE.

Je sais que votre noblesse ne le cède à qui que ce soit : mais la noblesse sans biens, ce n’est pas l’habit sans la doublure, c’est la doublure sans l’habit.


DON FERNAND.

Je ne suis cependant pas des plus maltraités de la fortune.


DON AMBROISE.

Raison de plus pour aller jouir bien vîte de votre noblesse et de votre fortune. Vous n’êtes point à votre place dans la maison d’un homme aussi pauvre que moi.


DON FERNAND.

Seigneur don Ambroise, vous me feriez vraiment rire !


DON AMBROISE.

Dites donc pleurer, si vous connaissiez tout mon malheur. J’ai à peine de quoi vivre et ma très-chère belle-fille, cette tête sans cervelle, veut avoir de la société, un équipage, de la toilette, chocolat café… Malheureux que je suis ! vous me voyez au désespoir.


DON FERNAND.

Mais je ne vois pas la nécessité de la garder chez vous.


DON AMBROISE.

Elle n’a ni père ni mère, ni proches parens. Voulez-vous que je la laisse seule ? Une veuve, à son âge ! Eh ! ne me faites point parler.


DON FERNAND.

Engagez-la à se marier.


DON AMBROISE.

Oui, s’il se présentait une bonne occasion.


DON FERNAND.

Rien de plus facile. Donna Eugénie a du mérite, ajoutez à cela une dot considérable…


DON AMBROISE.

Quelle dot ? que parlez-vous, s’il vous plaît, d’une dot considérable ? Elle n’a presque rien apporté ici, et nous a coûté des sommes énormes. Voilà la note des dépenses faites pour l’illustrissime épouse : la voilà ! le jour elle ne quitte pas ma poche, et la nuit mon oreiller. La longue suite de mes disgraces n’est rien à mes yeux, en comparaison de toutes ses gentillesses. Oh ! mode ! maudite mode ! puisses-tu être une bonne fois à tous les diables ! Je veux être un coquin, si, en supposant qu’elle se remariât, toutes ses extravagances n’entrent pas pour la moitié, au moins, dans la restitution que j’ai à lui faire.


DON FERNAND.

Dites pour un tiers.


DON AMBROISE.

Bien obligé, monsieur le Docteur. (Il va pour sortir, et revient sur ses pas. ) À propos ; j’oubliais de vous dire une chose.


DON FERNAND.

Parlez.


DON AMBROISE.

Afin de savoir à quoi m’en tenir, dites-moi un peu quand vous comptez partir.


DON FERNAND.

J’attends, je vous le répète, aujourd’hui des lettres de mon père.


DON AMBROISE.

Et si elles n’arrivent pas ?


DON FERNAND.

Si elles n’arrivent pas… il faudra bien que je reste.


DON AMBROISE.

Mon ami, suivez mon conseil. Procurez à votre père une surprise agréable ; allez à Mantoue, et paraissez à l’improviste. Dieu ! avec quel plaisir ils vont embrasser monsieur le Docteur !


DON FERNAND.

Il y a quelques lieues d’ici à Mantoue.


DON AMBROISE.

Vous êtes sans argent ?


DON FERNAND.

À dire vrai, je n’en ai pas beaucoup.


DON AMBROISE.

Je vais vous donner un expédient. On va au Tézin, on s’embarque, et l’on arrive, à peu de frais, à l’embouchure du Mincio.


DON FERNAND.

Et de là à Mantoue ?


DON AMBROISE.

À pied, mon ami.


DON FERNAND.

Les jeunes gentilshommes de mon rang ne voyagent point ainsi.


DON AMBROISE.

Et les gens de ma classe déclarent à ceux de la vôtre, que la maison d’un pauvre homme, comme moi, n’est point un séjour digne d’un Docteur comme vous. (Il sort.)