« Aurore (Nietzsche)/Livre premier » : différence entre les versions

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''Origine de la vie contemplative''. — Pendant les époques barbares, lorsque règnent les jugements pessimistes à l’égard des hommes et du monde, l’individu s’applique toujours, confiant dans la plénitude de sa force, à agir conformément à ces jugements, c’est-à-dire à mettre les idées en action, par la chasse, le pillage, la surprise, la brutalité et le meurtre, y compris les formes affaiblies de ces actes, seules tolérées dans le sein de la communauté. Mais si la vigueur de l’individu se relâche, s’il se sent fatigué ou malade, mélancolique ou rassasié, et, par conséquent, d’une façon temporaire, sans désirs et sans appétits, il devient un homme relativement meilleur, c’est-à-dire moins dangereux, et ses idées pessimistes ne se formulent à présent que par des paroles et des réflexions, par exemple sur ses compagnons, sa femme, sa vie ou ses dieux, — et les jugements qu’il émettra alors seront des jugements défavorables. Dans cet état d’esprit il deviendra penseur et annonciateur, ou bien son imagination développera ses superstitions, inventera des usages nouveaux, raillera ses ennemis – : mais quoi qu’il puisse imaginer, toutes les productions de son esprit refléteront nécessairement son état, donc un accroissement de sa crainte et de sa fatigue, une diminution de son estime pour l’action et la jouissance ; il faudra que la teneur de pareilles productions corresponde aux éléments de l’état d’âme poétique, imaginatif et sacerdotal : le jugement défavorable doit y régner. Plus tard, tous ceux qui faisaient d’une façon continue ce qu’autrefois l’individu faisait en cette disposition, ceux donc qui portaient des jugements défavorables, vivaient mélancoliquement et demeuraient pauvres en actions, furent appelés poètes ou penseurs, prêtres ou « médecins » – : parce qu’ils n’agissaient pas suffisamment, on eût volontiers méprisé de pareils hommes ou bien on les eût chassés de la commune ; mais il y avait à cela un danger, — ils s’étaient mis sur la piste de la superstition et sur les traces de la puissance divine, on ne doutait pas qu’ils ne disposassent de moyens appartenant à des puissances inconnues. C’est en cette estime qu’étaient tenues les plus anciennes générations de natures contemplatives, — méprisées dans la mesure où elles n’éveillaient pas la crainte. C’est sous cette forme masquée, en ce respect douteux, avec un mauvais cœur et un esprit souvent tourmenté, que la contemplation a fait sa première apparition sur la terre, faible en même temps que terrible, méprisée en secret et couverte publiquement des marques d’un respect superstitieux ! Il faut dire ici comme toujours : pudenda origo !
''Le doute comme péché''. — Le christianisme a fait tout ce qui lui était possible pour fermer un cercle autour de lui : il a déclaré que le doute, à lui seul, constituait un péché. On doit être précipité dans la foi sans l’aide de la raison, par un miracle, et y nager dès lors comme dans l’élément le plus clair et le moins équivoque : un regard jeté vers la terre ferme, la pensée seule que l’on pourrait peut-être ne pas exister que pour nager, le moindre mouvement de notre nature d’amphibie — suffisent pour nous faire commettre un péché ! Il faut remarquer que, de la sorte, les preuves de la foi et toute réflexion sur l’origine de la foi sont condamnables. On exige l’aveuglement et l’ivresse, et un chant éternel au-dessus des vagues où s’est noyée la raison !
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