« Aurore (Nietzsche)/Livre troisième » : différence entre les versions

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''Autres perspectives du sentiment''. – Que signifie notre bavardage sur les Grecs ! Qu'entendons-nous donc à leur art, dont l'âme est la passion pour la beauté virile nue ! – Ce n'est qu'en partant de là qu'ils avaient le sentiment de la beauté féminine. Ils avaient donc, pour celle-ci, une tout autre perspective que nous. Et il en était de même de leur amour de la femme : ils vénéraient autrement, ils méprisaient autrement.
Du peuple d'Israël. - Parmi les spectacles à quoi nous invite le prochain siècle, il faut compter le règlement définitif de la destinée des juifs européens. Il est de toute évidence maintenant qu'ils ont jeté leurs dés, qu'ils ont passé leur Rubicon : il ne leur reste plus qu'à devenir les maîtres de l'Europe ou à perdre l'Europe, comme au temps jadis ils ont perdu l'Égypte, où ils s'étaient placés devant une semblable alternative. En Europe, cependant, ils ont suivi une école de dix-huit siècles, comme il n'a été donné à aucun autre peuple de la subir, et cela de telle sorte que ce n'est non pas tant la communauté, mais surtout les individus qui ont profité des expériences de cet épouvantable temps d'épreuves. La conséquence de cela c'est que chez les juifs actuels les ressources de l'âme et de l'esprit sont extraordinaires; parmi tous les habitants de l'Europe ce sont eux qui, dans la détresse, ont le plus rarement recours à la boisson et au suicide pour se tirer d'un embarras profond, - ce qui est tellement à la portée des gens de moindre capacité. Tout juif trouve dans l'histoire de ses pères et de ses ancêtres une source d'exemples de froid raisonnement et de persévérance dans des situations terribles, de la plus subtile utilisation du malheur et du hasard par la ruse; leur bravoure sous le couvert d'une soumission pitoyable, leur héroïsme dans le spernere se sperni ' dépassent les vertus de tous les saints. On a voulu les rendre méprisables en les traitant avec mépris pendant deux mille ans, en leur interdisant l'accès à tous les honneurs, à tout ce qui est honorable, en les poussant par contre d'autant plus profondément dans les métiers malpropres, - à dire vrai, ce procédé ne les a pas rendus moins sales. Méprisables peut-être? Ils n'ont jamais cessé eux-mêmes de se croire appelés aux plus grandes choses et les vertus de tous ceux qui souffrent n'ont pas cessé de les parer. La façon dont ils honorent leurs pères et leurs enfants, la raison qui préside à leurs mariages et à leurs mœurs conjugales les distinguent parmi tous les Européens. Et encore s'entendaient-ils à tirer un sentiment de puissance et de vengeance éternelle avec les professions qu'on leur abandonnait (ou à quoi on les abandonnait); il faut le dire à l'honneur même de leur usure, que sans cette torture de leurs contempteurs, agréable et utile à l'occasion, ils seraient difficilement parvenus à s'estimer eux-mêmes si longtemps. Car notre estime de nous-mêmes est liée à la possibilité de rendre le bien et le mal. Avec cela les juifs ne se sont pas laissés pousser trop loin par leur vengeance : car ils ont tous la liberté de l'esprit, et aussi celle de l'âme, que produisent chez l'homme le changement fréquent de lieu, de climat, le contact des mœurs des voisins et des oppresseurs; ils possèdent la plus grande expérience de toutes les relations avec les hommes et, même dans la passion, ils conservent la circonspection née de cette expérience. Ils sont si sûrs de leur souplesse intellectuelle et de leur savoir-faire que jamais, même dans les situations les plus pénibles, ils n'ont besoin de gagner leur pain avec la force physique, comme travailleurs grossiers, portefaix, esclaves agricoles. On voit encore à leurs manières qu'on ne leur a jamais mis dans l'âme des sentiments chevaleresques et nobles, et de belles armures autour du corps : quelque chose d'indiscret alterne avec une obséquiosité souvent tendre, presque toujours pénible. Mais maintenant qu'ils s'apparentent nécessairement, d'année en année davantage, avec la meilleure noblesse de l'Europe, ils auront bientôt fait un héritage considérable dans les bonnes manières de l'esprit et du corps : en sorte que dans cent ans ils auront un aspect assez noble pour ne pas provoquer la honte, en tant que maîtres, chez ceux qui leur seront soumis. Et c'est là ce qui importe! C'est pourquoi un règlement de leur cause est maintenant encore prématuré! Ils sont les premiers à savoir qu'il n'est pas question pour eux d'une conquête de l'Europe ni d'une quelconque violence : mais ils savent bien aussi que, comme un fruit mûr, l'Europe pourrait, un jour, tomber dans leur main qui n'aurait qu'à se tendre. En attendant il leur faut, pour cela, se distinguer dans tous les domaines de la distinction européenne, il leur faut partout être parmi les premiers, jusqu'à ce qu'ils en arrivent eux-mêmes à déterminer ce qui distingue. Alors ils seront les inventeurs et les guides des Européens et ils n'offenseront plus la pudeur de ceux-ci. Et où donc s'écoulerait cette abondance de grandes impressions accumulées que l'histoire juive laisse dans chaque famille juive, cette abondance de passions, de décisions, de renoncements, de luttes, de victoires de toute espèce, - si ce n'est, en fin de compte, dans de grandes œuvres et de grands hommes intellectuels! C'est alors, quand les juifs pourront montrer comme leur eeuvre des joyaux et vases dorés, tels que les peuples européens d'expérience plus courte et moins profonde ne peuvent ni ne purent jamais cri produire -, quand Israël aura changé sa vengeance éternelle en bénédiction éternelle pour l'Europe : alors sera revenu de nouveau ce septième jour où le Dieu ancien des juifs pourra se réjouir de lui-même, de sa création et de son peuple élu, - et nous tous, tous, nous voulons nous réjouir avec lui!
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