« Aurore (Nietzsche)/Livre deuxième » : différence entre les versions

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''Quelques thèses''. – À l’individu, dans la mesure où il recherche son bonheur, il ne faut donner aucun précepte sur le chemin qui mène au bonheur : car le bonheur individuel jaillit selon ses lois propres, inconnues de tous, il ne peut être qu’entravé et arrêté par des préceptes qui viennent du dehors. – Les préceptes que l’on appelle « moraux » sont en vérité dirigés contre les individus et ne veulent absolument pas leur bonheur. Ces préceptes se rapportent tout aussi peu « au bonheur et au bien de l’humanité » – car il est absolument impossible de donner à ces mots une signification précise et moins encore de s’en servir comme d’un fanal sur l’obscur océan des aspirations morales. – C’est un préjugé de croire que la moralité soit plus favorable au développement de la raison que l’immoralité. – C’est une erreur de croire que le but inconscient dans l’évolution de chaque être conscient (animal, homme, humanité, etc.) soit son « plus grand bonheur » : il y a, au contraire, sur toutes les échelles de l’évolution, un bonheur particulier et incomparable à atteindre, ni supérieur ni inférieur, mais précisément individuel. L’évolution ne veut pas le bonheur, elle veut l’évolution et rien de plus. – Ce n’est que si l’humanité avait un but universellement reconnu que l’on pourrait proposer des « impératifs », dans la façon d’agir : provisoirement un pareil but n’existe pas. Donc il ne faut pas mettre les prétentions de la morale en rapport avec l’humanité, c’est là de la déraison et de l’enfantillage. – Tout autre chose serait de recommander un but à l’humanité : ce but serait alors quelque chose qui dépend de notre gré ; en admettant qu’il convienne à l’humanité, elle pourrait alors se donner aussi une loi morale qui lui conviendrait. Mais jusqu’à présent la loi morale devait être placée au-dessus de notre gré : proprement on ne voulait pas se donner cette loi, on voulait la prendre quelque part, la découvrir, se laisser commander par elle de quelque part.
''L’empire sur soi-même, la modération et leurs derniers motifs''. – Je ne trouve pas moins de six méthodes profondément différentes pour combattre la violence d’un instinct. Premièrement, on peut se dérober aux motifs de satisfaire un instinct, affaiblir et dessécher cet instinct en s’abstenant de le satisfaire pendant des périodes de plus en plus longues. Deuxièmement, on peut se faire une loi d’un ordre sévère et régulier dans l’assouvissement de ses appétits : on les soumet ainsi à une règle, on enferme leur flux et leur reflux dans des limites stables, pour gagner les intervalles où ils ne gênent plus ; – en partant de là on pourra peut-être passer à la première méthode. Troisièmement, on peut s’abandonner, avec intention, à la satisfaction d’un instinct sauvage et effréné, jusqu’à en avoir le dégoût pour obtenir, par ce dégoût, une puissance sur l’instinct : en admettant toutefois que l’on ne fasse pas comme le cavalier qui, voulant éreinter son cheval, se casse le cou – ce qui est malheureusement la règle en de pareilles tentatives. Quatrièmement, il existe une pratique intellectuelle qui consiste à associer à l’idée de satisfaction une pensée pénible et cela avec tant d’intensité qu’avec un peu d’habitude l’idée de satisfaction devient chaque fois pénible elle aussi. (Par exemple lorsque le chrétien s’habitue à songer pendant la jouissance sexuelle, à la présence et au ricanement du diable, ou à l’enfer éternel pour un crime par vengeance, ou bien encore au mépris qu’il encourrait aux yeux des hommes qu’il vénère le plus, s’il commettait un vol ; de même quelqu’un peut réprimer un violent désir de suicide qui lui est venu cent fois lorsqu’il songe à la désolation de ses parents et de ses amis et aux reproches qu’ils se feront, et c’est ainsi qu’il arrive à se maintenir du côté de la vie : – car dès lors ces représentations se succèdent dans son esprit comme la cause et l’effet.) Il faut encore mentionner ici la fierté de l’homme qui se révolte, comme firent par exemple Byron et Napoléon, qui ressentirent comme une offense la prépondérance d’une passion sur la tenue et la règle générale de la raison : de là provient alors l’habitude et la joie de tyranniser l’instinct et de le broyer en quelque sorte. (« Je ne veux pas être l’esclave d’un appétit quelconque », – écrivait Byron dans son journal.) Cinquièmement : on entreprend une dislocation de ses forces accumulées en se contraignant à un travail quelconque, difficile et fatigant, ou bien en se soumettant avec intention à des attraits et des plaisirs nouveaux, afin de diriger ainsi, dans des voies nouvelles, les pensées et le jeu des forces physiques. Il en est de même lorsque l’on favorise temporairement un autre instinct, en lui donnant de nombreuses occasions de se satisfaire, pour le rendre dispensateur de cette force que dominerait, dans l’autre cas, l’instinct qui importune, par sa violence, et que l’on veut réfréner. Tel autre saura peut-être aussi contenir la passion qui voudrait agir en maître, en accordant à tous les autres instincts, qu’il connaît, un encouragement et une licence momentanée, pour qu’ils dévorent la nourriture que le tyran voudrait accaparer. Et enfin, sixièmement, celui qui supporte et trouve raisonnable d’affaiblir et de déprimer toute son organisation physique et psychique parvient naturellement du même coup à affaiblir un instinct particulier trop violent : comme fait par exemple celui qui affame sa sensualité et qui détruit, il est vrai, en même temps sa vigueur et souvent aussi sa raison, à la manière de l’ascète. – Donc : éviter les occasions, implanter la règle dans l’instinct, provoquer la satiété et le dégoût de l’instinct, amener l’association d’une idée martyrisante (comme celle de la honte, des suites néfastes ou de la fierté offensée), ensuite la dislocation des forces et enfin l’affaiblissement et l’épuisement général, – ce sont là les six méthodes. Mais la volonté de combattre la violence d’un instinct, elle n’est pas en notre pouvoir, pas plus que la méthode sur laquelle on tombe et le succès que l’on peut avoir en l’appliquant. Dans tout ce procès notre intellect n’est au contraire qu’instrument aveugle d’un autre instinct qui est le rival de l’instinct dont la violence nous tourmente, que ce soit le besoin de repos, ou la crainte de la honte et d’autres suites néfastes, ou bien encore l’amour. Donc, tandis que nous croyons nous plaindre de la violence d’un instinct, c’est au fond un instinct qui se plaint d’un autre instinct ; ce qui veut dire que la perception de la souffrance que nous cause une telle violence a pour condition un autre instinct tout aussi violent, ou plus violent encore et qu’une lutte se prépare où notre intellect est forcé de prendre parti.
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