« Aurore (Nietzsche)/Livre deuxième » : différence entre les versions

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''La prétendue lutte des motifs''. – On parle de la « lutte des motifs », mais on désigne ainsi une lutte qui n’est pas la lutte des motifs. Je veux dire que, dans notre conscience délibérative, avant une action, se présentent les conséquences d’actions différentes que nous croyons pouvoir exécuter toutes, et nous comparons ces conséquences. Nous croyons être décidés à une action lorsque nous avons établi que les conséquences de celles-ci seront les plus favorables ; avant d’être arrivé à cette conclusion de notre examen, nous nous tourmentons souvent loyalement à cause des grandes difficultés qu’il y a à deviner les conséquences, à les apercevoir dans toute leur force, toutes, sans exception : après quoi il faudrait d’ailleurs encore faire la part du hasard. Mais c’est alors que vient le plus difficile : toutes les conséquences que nous avons déterminées séparément, avec tant de difficulté, doivent être pesées les unes contre les autres sur la même balance ; et trop souvent nous manquons, pour cette casuistique de l’avantage, de balance, tout autant que de poids, à cause des différences de qualité de toutes ces conséquences imaginables. En admettant cependant que nous nous tirions de cette opération comme des autres, et que le hasard ait mis sur notre chemin des conséquences réciproquement pesables : il nous restera alors effectivement, dans l’image des conséquences d’une action déterminée, un motif d’accomplir cette action – oui! Un motif ! Mais au moment où nous nous décidons à agir, nous sommes souvent déterminés par une catégorie de motifs différente de celle de la catégorie décrite ici, celle qui fait partie de l’« image des conséquences ». Alors intervient la façon dont nos forces ont l’habitude de jouer, ou bien la légère poussée d’une personne que nous craignons, vénérons ou aimons, ou bien encore la nonchalance qui préfère exécuter ce qui est sous la main, ou bien enfin l’éveil de l’imagination provoqué au moment décisif par un petit événement quelconque – alors agit aussi l’élément corporel qui se présente sans que l’on puisse le déterminer, ou encore l’humeur du moment, l’irruption d’une passion quelconque qui est, par hasard, prête à sauter : en un mot, des motifs agissent que nous connaissons mal ou que nous ne connaissons point, et que nous ne pouvons jamais faire entrer d’avance dans notre calcul. Il est propable qu’entre eux aussi il y ait lutte, chassé-croisé, soulèvement et répression – ce serait là la véritable « lutte des motifs » : – quelque chose qui, pour nous, est tout à fait invisible et inconscient. J’ai calculé les conséquences et les résultats et j’ai rangé ainsi un instinct très important dans l’ordre de bataille des motifs, – mais cet ordre de bataille je l’établis tout aussi peu que je le vois : la lutte elle-même est cachée et la victoire, en tant que victoire, également ; car j’apprends bien ce que je finis par faire, mais je n’apprends pas quel est le motif qui finalement a été victorieux. Nous sommes, en effet, habitués à ne pas faire entrer en ligne de compte tous ces phénomènes inconscients et à ne nous imaginer la préparation d’un acte que dans la mesure où elle est consciente : et c’est pourquoi nous confondons la lutte des motifs avec la comparaison des conséquences possibles de différentes actions, – une des confusions les plus riches en conséquences et les plus néfastes pour le développement de la morale !
''Devenir plus tendre''. – Lorsque nous aimons, vénérons et admirons quelqu’un et que nous nous apercevons après coup qu’il souffre, – et c’est toujours avec beaucoup d’étonnement, car nous ne pouvons douter que le bonheur qui jaillit de lui sur nous n’ait sa source dans un inépuisable bonheur personnel – notre sentiment d’amour, de vénération et d’admiration se transforme dans son essence : il devient plus tendre, c’est-à-dire que le gouffre qui nous sépare semble se combler, un rapprochement d’égal à égal semble avoir lieu. Maintenant il nous semble possible de lui donner en retour, tandis que nous nous le figurions autrefois supérieur à notre reconnaissance. Cette faculté de donner en retour nous émeut et nous cause un grand plaisir. Nous cherchons à deviner ce qui peut calmer la douleur de notre ami et nous le lui donnons ; s’il veut des paroles, des regards, des attentions, des services, des présents consolants, – nous les lui donnons; mais avant tout, s’il nous veut souffrants à l’aspect de sa souffrance, nous nous donnons pour souffrants, car tout cela nous procure avant tout les délices de la reconnaissance active : ce qui n’est, en un mot, qu’une bonne vengeance. S’il ne veut rien accepter et n’accepte rien de nous, nous nous en allons refroidis et tristes, presque blessés : c’est comme si l’on rejetait notre reconnaissance, – et, sur ce point d’honneur, le meilleur homme est chatouilleux. – De tout cela il faut conclure que, même au meilleur cas, il y a quelque chose d’abaissant dans la souffrance et, dans la compassion, quelque chose qui élève et donne de la supériorité ; ce qui sépare éternellement ces deux sentiments.
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