« Aurore (Nietzsche)/Livre deuxième » : différence entre les versions

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''Pourquoi doubler le « moi »''. – Regarder les événements de notre propre vie avec les mêmes yeux dont nous regardons les événements de la vie d’un autre, – cela tranquillise beaucoup et est une médecine convenable. Regarder et accueillir par contre les événements de la vie des autres, comme s’ils étaient les nôtres – exigence d’une philosophie de la pitié –, cela nous ruinerait à fond, en très peu de temps ; que l’on en fasse donc l’expérience sans divaguer plus longtemps. La première maxime est en outre, certainement, plus conforme à la raison et à une bonne volonté raisonnable, car nous jugeons plus objectivement de la valeur et du sens d’un événement lorsqu’il se présente chez les autres et non pas chez nous : par exemple de la valeur d’un décès, d’une perte d’argent, d’une calomnie. La pitié comme principe de l’action avec ce commandement : « souffre du mal de l’autre autant qu’il en souffre lui-même », amènerait par contre forcément le point de vue du moi, avec son exagération et ses déviations, à devenir aussi le point de vue de l’autre, du compatissant : en sorte que nous aurions à souffrir en même temps de notre moi et du moi de l’autre, et que nous nous accablerions ainsi volontairement d’une double déraison, au lieu de rendre le poids de la nôtre aussi léger que possible.
''Regarder au-delà du prochain''. – Comment ? L’essence de ce qui est véritablement moral consisterait, pour nous, à envisager les conséquences prochaines et immédiates que peuvent avoir nos actions pour les autres, et à nous décider d’après ces conséquences ? Ceci n’est qu’une morale étroite de petits bourgeois, bien que cela soit encore une morale : mais il me semble que ce serait d’une pensée supérieure et plus subtile de regarder au-delà de ces conséquences immédiates pour le prochain, afin d’encourager des desseins plus lointains, au risque de faire souffrir les autres, – par exemple d’encourager la connaissance, malgré la certitude que notre liberté d’esprit commencera d’abord par jeter les autres dans le doute, le chagrin et quelque chose de pire encore. N’avons-nous pas le droit de traiter notre prochain au moins de la même façon dont nous nous traitons nous-mêmes ? Et, si nous ne pensons pas pour nous-mêmes, d’une façon aussi étroite et petite-bourgeoise, aux conséquences et aux souffrances immédiates, pourquoi serions-nous forcés d’agir ainsi pour notre prochain ? En admettant que nous ayons pour nous-mêmes le sens du sacrifice : qu’est-ce qui nous interdirait de sacrifier le prochain avec nous ? – comme firent jusqu’à présent l’État et les souverains, en sacrifiant un citoyen aux autres citoyens, « pour l’intérêt général ! » comme l’on disait. Mais nous aussi, nous avons des intérêts généraux et peut-être sont-ce des intérêts plus généraux encore : pourquoi n’aurait-on pas le droit de sacrifier quelques individus de la génération actuelle en faveur des générations futures ? en sorte que leurs peines, leurs inquiétudes, leurs désespoirs, leurs méprises et leurs hésitations fussent jugés nécessaires, parce qu’un nouveau soc de charrue doit fouiller le sol et le rendre fécond pour tous ? – Et finalement nous communiquons au prochain un sentiment qui le fait se considérer comme victime, nous le persuadons d’accepter la tâche à quoi nous l’employons. Sommes-nous donc sans pitié ? Si pourtant, par-delà notre pitié, nous voulions remporter une victoire sur nous-mêmes, ne serait-ce pas là une attitude morale plus haute et plus libre que celle où l’on se sent à l’abri lorsqu’on a découvert si une action fait du bien ou du mal au prochain ? Car, par le sacrifice – où nous sommes compris, nous et notre prochain – nous fortifierions et nous élèverions le sentiment général de la puissance humaine, en admettant que nous n’atteignions pas davantage. Mais cela serait déjà une augmentation positive du bonheur. – Et en fin de compte, si cela était même... mais pas un mot de plus ! Un regard suffit, vous m’avez compris.
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