« Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/284 » : différence entre les versions

72ALI (discussion | contributions)
État de la page (Qualité des pages)État de la page (Qualité des pages)
-
Page corrigée
+
Page validée
En-tête (noinclude) :En-tête (noinclude) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{numérotation|RÉSURRECTION||280}}
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
<br/>
<br/>


Derrière le puits commençait le village. La journée était claire et chaude, trop chaude même pour la saison ; les nuages s’amassaient et, par moments, couvraient le soleil. La longue rue montante qui formait le village était toute remplie d’une aigre, piquante, mais non déplaisante odeur de fumier, se dégageant à la fois et des chariots qui grimpaient le long de la rue, et des tas de fumier amassés dans les cours, dont les portes étaient grandes ouvertes. Les paysans qui marchaient derrière les chariots, pieds nus, avec des taches de fumier sur leurs chemises et leurs pantalons, considéraient d’un œil curieux le grand et robuste ''barine'', en costume de drap gris doublé de soie, se promenant dans le village avec sa belle canne au pommeau d’argent. Les femmes, pour le regarder, sortaient de leurs maisons ; se le désignant l’une à l’autre, elles le suivaient des yeux. Devant une des portes, Nekhludov fut arrêté, au passage, par un grand chariot qui sortait d’une cour, chargé jusqu’en haut de fumier entassé. Un jeune paysan chaussé de ''laptis'', et très haut sur jambes, s’occupait de faire sortir les chevaux dans la rue. Un poulain gris bleu, déjà, franchissait la porte, lorsque, s’effrayant de Nekhludov, il se rejeta sur sa mère, qui fit un mouvement d’inquiétude et hennit un instant. Tout cela sous les yeux d’un vieux paysan maigre et sec, nu-pieds lui aussi, vêtu d’un pantalon à raies et d’une longue blouse où se dessinaient, par derrière, les os pointus de son épine dorsale. Quand enfin le chariot se trouva dans la rue, le vieillard s’avança sur la porte et s’inclina devant Nekhludov.
Derrière le puits commençait le village. La journée
était claire et chaude, trop chaude même pour la saison ;
les nuages s’amassaient et, par moments, couvraient
le soleil. La longue rue montante qui formait le village
était toute remplie d’une aigre, piquante, mais non
déplaisante odeur de fumier, se dégageant à la fois et
des chariots qui grimpaient le long de la rue, et des tas
de fumier amassés dans les cours, dont les portes étaient
grandes ouvertes. Les paysans qui marchaient derrière
les chariots, pieds nus, avec des taches de fumier sur
leurs chemises et leurs pantalons, considéraient d’un
œil curieux le grand et robuste ''barine'', en costume de
drap gris doublé de soie, se promenant dans le village
avec sa belle canne au pommeau d’argent. Les femmes,
pour le regarder, sortaient de leurs maisons ; se le désignant
l’une à l’autre, elles le suivaient des yeux. Devant
une des portes, Nekhludov fut arrêté, au passage, par
un grand chariot qui sortait d’une cour, chargé jusqu’en
haut de fumier entassé. Un jeune paysan chaussé de
''laptis'', et très haut sur jambes, s’occupait de faire sortir
les chevaux dans la rue. Un poulain gris bleu, déjà,
franchissait la porte, lorsque, s’effrayant de Nekhludov,
il se rejeta sur sa mère, qui fit un mouvement d’inquiétude
et hennit un instant. Tout cela sous les yeux d’un
vieux paysan maigre et sec, nu-pieds lui aussi, vêtu
d’un pantalon à raies et d’une longue blouse où se dessinaient,
par derrière, les os pointus de son épine dorsale.
Quand enfin le chariot se trouva dans la rue, le vieillard
s’avança sur la porte et s’inclina devant Nekhludov.


— Le parent de nos deux dames défuntes, peut-être ?
— Le parent de nos deux dames défuntes, peut-être ?
Ligne 35 : Ligne 7 :
— Oui, parfaitement.
— Oui, parfaitement.


— Heureuse arrivée ! Eh bien ! on est venu nous
— Heureuse arrivée ! Eh bien ! on est venu nous voir ? — poursuivit le paysan, qui aimait à parler.
voir ? — poursuivit le paysan, qui aimait à parler.


— Oui… Et vous, comment vivez-vous ? — demanda
— Oui… Et vous, comment vivez-vous ? — demanda Nekhludov, ne sachant que dire.
Nekhludov, ne sachant que dire.


— Comment nous vivons ? Hélas ! tout à fait misérable,
— Comment nous vivons ? Hélas ! tout à fait misérable, notre vie ! — répondit le vieux, visiblement enchanté de cette occasion de causer.
notre vie ! — répondit le vieux, visiblement enchanté
de cette occasion de causer.