« Ainsi parlait Zarathoustra/Troisième partie/De la vision et de l’énigme » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
YannBot (discussion | contributions)
m Marc : replace
YannBot (discussion | contributions)
m Marc : replace
Ligne 11 :
Lorsque, parmi les matelots, il fut notoire que Zarathoustra se trouvait sur le vaisseau — car en même temps que lui un homme des Iles Bienheureuses était venu à bord, — il y eut une grande curiosité et une grande attente. Mais Zarathoustra se tut pendant deux jours et il fut glacé et sourd de tristesse, en sorte qu'il ne répondit ni aux regards ni aux questions. Le soir du second jour, cependant, ses oreilles s'ouvrirent de nouveau bien qu'il se tût encore : car on pouvait entendre bien des choses étranges et dangereuses sur ce vaisseau qui venait de loin et qui voulait aller plus loin encore. Mais Zarathoustra était l'ami de tous ceux qui font de longs voyages et qui ne daignent pas vivre sans danger. Et voici ! tout en écoutant, sa propre langue finit par être déliée et la glace de son cœur se brisa : — alors il commença à parler ainsi :
 
A vous, chercheurs hardis et aventureux, qui que vous soyez, vous qui vous êtes embarqués avec des voiles pleines d'astuce, sur les mers épouvantables, -
 
à vous qui êtes ivres d'énigmes, heureux du demi-jour, vous dont l'âme se laisse attirer par le son des flûtes dans tous les remous trompeurs :
 
car vous ne voulez pas tâtonner d'une main peureuse le long du fil conducteur ; et partout où vous pouvez deviner, vous détestez de conclure -
 
c'est à vous seuls que je raconte l'énigme que j'ai vue, — la vision du plus solitaire. -
 
Le visage obscurci, j'ai traversé dernièrement le blême crépuscule, — le visage obscurci et dur, et les lèvres serrées. Plus d'un soleil s'était couché pour moi.
Ligne 35 :
Alors le nain se tut ; et son silence dura longtemps, en sorte que j'en fus oppressé ; ainsi lorsqu'on est deux, on est en vérité plus solitaire que lorsque l'on est seul !
 
Je montai, je montai davantage, en rêvant et en pensant, — mais tout m'oppressait. Je ressemblais à un malade que fatigue l'âpreté de sa souffrance, et qu'un cauchemar réveille de son premier sommeil. -
 
Mais il y a quelque chose en moi que j'appelle courage : c'est ce qui a fait faire jusqu'à présent en moi tout mouvement d'humeur. Ce courage me fit enfin m'arrêter et dire : "Nain ! L'un de nous deux doit disparaître, toi, ou bien moi !" -
 
Car le courage est le meilleur meurtrier, — le courage qui attaque : car dans toute attaque il y a une fanfare.
Ligne 49 :
Le courage cependant est le meilleur des meurtriers, le courage qui attaque : il finira par tuer la mort, car il dit : "Comment ? était-ce là la vie ? Allons ! Recommençons encore une fois !"
 
Dans une telle maxime, il y a beaucoup de fanfare. Que celui qui a des oreilles entende. -
 
 
Ligne 57 :
 
 
"Arrête-toi ! nain ! dis-je. Moi ou bien toi ! Mais moi je suis le plus fort de nous deux — : tu ne connais pas ma pensée la plus profonde ! Celle-là tu ne saurais la porter !" -
 
Alors arriva ce qui me rendit plus léger : le nain sauta de mes épaules, l'indiscret ! Il s'accroupit sur une pierre devant moi. Mais à l'endroit où nous nous arrêtions se trouvait comme par hasard un portique.
Ligne 67 :
Ces chemins se contredisent, ils se butent l'un contre l'autre : — et c'est ici, à ce portique, qu'ils se rencontrent. Le nom du portique se trouve inscrit à un fronton, il s'appelle "instant".
 
Mais si quelqu'un suivait l'un de ces chemins — en allant toujours plus loin : crois-tu nain, que ces chemins seraient en contradiction !" -
 
"Tout ce qui est droit ment, murmura le nain avec mépris. Toute vérité est courbée, te temps lui-même est un cercle."
Ligne 81 :
Et toutes choses ne sont-elles pas enchevêtrées de telle sorte que cet instant tire après lui toutes les choses de l'avenir ? Donc — aussi lui-même ?
 
Car toute chose qui sait courir ne doit-elle pas suivre une seconde fois cette longue route qui monte ! -
 
Et cette lente araignée qui rampe au clair de lune, et ce clair de lune lui-même, et moi et toi, réunis sous ce portique, chuchotant des choses éternelles, ne faut-il pas que nous ayons tous déjà été ici ?
Ligne 91 :
Ai-je jamais entendu un chien hurler ainsi ? Mes pensées essayaient de se souvenir en retournant en arrière. Oui ! Lorsque j'étais enfant, dans ma plus lointaine enfance :
 
c'est alors que j'entendis un chien hurler ainsi. Et je le vis aussi, le poil hérissé, le cour tendu, tremblant, au milieu de la nuit la plus silencieuse, où les chiens eux-mêmes croient aux fantômes : -
 
en sorte que j'eus pitié de lui. Car, tout à l'heure, la pleine lune s'est levée au-dessus de la maison, avec un silence de mort ; tout à l'heure elle s'est arrêtée, disque enflammé, — sur le toit plat, comme sur un bien étranger :
Ligne 107 :
Ma main se mit à tirer le serpent, mais je tirais en vain ! elle n'arrivait pas à arracher le serpent du gosier. Alors quelque chose se mit à crier en moi : "Mords ! Mords toujours !"
 
Arrache-lui la tête ! Mords toujours !" — C'est ainsi que quelque chose se mit à crier en moi ; mon épouvante, ma haine, mon dégoût, ma pitié, tout mon bien et mon mal, se mirent à crier en moi d'un seul cri. -
 
Braves, qui m'entourez, chercheurs hardis et aventureux, et qui que vous soyez, vous qui vous êtes embarqués avec des voiles astucieuses sur les mers inexplorées ! vous qui êtes heureux des énigmes !
Ligne 117 :
Qui est le berger à qui le serpent est entré dans le gosier ? Quel est l'homme dont le gosier subira ainsi l'atteinte de ce qu'il y a de plus noir et de terrible ?
 
Le berger cependant se mit à mordre comme mon cri le lui conseillait, il mordit d'un bon coup de dent ! Il cracha loin de lui la tête du serpent — : et il bondit sur ses jambes. -
 
Il n'était plus ni homme, ni berger, — il était transformé, rayonnant, il riait ! Jamais encore je ne vis quelqu'un rire comme lui !
Ligne 123 :
O mes frères, j'ai entendu un rire qui n'était pas le rire d'un homme, — - et maintenant une soif me ronge, un désir qui sera toujours insatiable.
 
Le désir de ce rire me ronge : oh ! comment supporterais-je de mourir maintenant ! -