« Après la pluie, le beau temps/30 » : différence entre les versions
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{{chapitre|[[Après la pluie le beau temps]]|[[Auteur:Comtesse de Ségur|Comtesse de Ségur]]|XXX - Retour de Jacques|}}
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Quelques jours après son retour à Paris, Geneviève se trouva plus calme qu’elle ne l’avait été depuis sa maladie. Un matin, Mlle Primerose entra chez elle de bonne heure ; elle la trouva levée et disposée à reprendre son ancienne habitude d’aller tous les jours à la messe ; mais Mlle Primerose s’y opposa, la trouvant encore trop faible. Geneviève obéit avec sa docilité accoutumée ; elle fit sa toilette et passa au salon.
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Oubliant dans sa joie son âge et celui de Jacques, elle se jeta à son cou en l’embrassant tendrement.
{{sc|Geneviève}}. —
Jacques, cher Jacques, que je suis heureuse de te revoir !
{{sc|Jacques}}. —
Et moi donc, ma bonne, ma chère Geneviève ! voici près d’un an que je ne t’ai vue. J’ai fait, comme tu sais, un long et intéressant voyage en Orient, et m’en voici revenu depuis deux mois, que j’ai passés chez mes parents à la campagne ; tu étais absente. Mais comme tu es maigre et pâle, ma pauvre Geneviève ; es-tu malade ?
{{sc|Geneviève}}. —
Je l’ai été, Jacques ; j’ai manqué mourir.
{{sc|Jacques}}. —
Mourir ! Oh ! mon Dieu ! et moi qui n’en ai rien su. Que t’est-il donc arrivé ? »
Geneviève voulut répondre, mais les larmes lui coupèrent la parole ; elle dit en sanglotant :
« J’ai été bien malheureuse,
Elle ne put continuer ; les sanglots l’étouffaient. Jacques était désolé et cherchait à la consoler en lui prodiguant les plus affectueux témoignages de son amitié.
{{sc|Jacques}}. —
Ma Geneviève ! mon amie ! si tu savais combien je suis désolé de te voir ainsi ! C’est donc bien affreux, pour que le souvenir seul te mette dans un pareil état ?
{{sc|Geneviève}}. —
Affreux, horrible ; appelle ma cousine Primerose, elle te dira ce que je n’ai pas encore la force de te raconter. »
Jacques, très ému du chagrin de Geneviève, courut frapper à la porte de Mlle Primerose, qui répondit : « Entrez » ; et qui, reconnaissant Jacques, se jeta à son cou, comme Geneviève, et l’embrassa à plusieurs reprises. Sans lui donner le temps de parler, Jacques la supplia d’entrer au salon pour calmer Geneviève qui ne cessait de pleurer.
{{sc|Mademoiselle Primerose}}. —
Pauvre petite ! c’est qu’elle est encore bien faible et mal remise de la terrible secousse que lui ont donnée son abominable oncle et ce scélérat de Georges.
{{sc|Jacques}}. —
Encore ce Georges ! Toujours Georges dans les chagrins de ma pauvre Geneviève.
{{sc|Mademoiselle Primerose}}. —
Mais c’est bien la dernière fois, par exemple, car nous ne remettrons jamais les pieds chez ces gens-là, et jamais nous ne reverrons ce monstre de Georges.
{{sc|Jacques}}. —
Mais qu’a-t-il fait ? De grâce, chère mademoiselle, ne me laissez pas en suspens ; et comment mon oncle, qui est bon homme, a-t-il pu contribuer au chagrin de Geneviève ?
{{sc|Mademoiselle Primerose}}. —
Bon homme ! Un sot, un imbécile, un animal, dont Georges ferait un meurtrier au besoin. »
Jacques ne put s’empêcher de sourire à cette explosion de colère de Mlle Primerose.
{{sc|Mademoiselle Primerose}}. —
Écoute, Jacques, je ne veux pas te raconter cette scène horrible devant elle ; je lui ferai un mal affreux en lui rappelant une abomination dont elle a failli mourir ; tu vas déjeuner avec nous ; après déjeuner, Geneviève se reposera, tu viendras dans ma chambre et tu sauras tout. »
Jacques n’osa pas insister, malgré sa vive inquiétude, car il savait Georges capable de tout. Pour ne pas déranger Geneviève, Mlle Primerose voulut qu’on déjeunât dans le salon. Lorsque Rame entra et qu’il vit Jacques, il courut à lui au risque de tout briser, et, posant rudement son plateau par terre, il prit les mains de Jacques, les serra et les baisa sans que Jacques pût l’en empêcher.
{{sc|Rame}}. —
Moussu Jacques ! Bon moussu Jacques ! Rame content voir moussu Jacques. — Jeune maîtresse heureuse voir moussu Jacques. — Jeune maîtresse aimer moussu Jacques. — Elle plus triste, plus pleurer.
{{sc|Jacques}}. —
Merci, mon bon Rame, de ce que vous me dites d’affectueux. Moi aussi, je suis heureux de vous retrouver avec ma chère Geneviève.
{{sc|Rame}}. —
Oui, moi sais bien ; pas comme coquin, scélérat, moussu…, moi pas dire nom ; petite maîtresse pas vouloir, mais moussu Jacques savoir qui scélérat, coquin. »
Jacques sourit, Mlle Primerose éclata de rire, Geneviève elle-même sourit.
{{sc|Mademoiselle Primerose}}. —
Voyons, mon cher, mettez-nous le couvert et servez-nous un bon déjeuner : nous avons tous faim, car nous sommes tous heureux. »
Geneviève soupira, Jacques la regarda tristement et
{{sc|Mademoiselle Primerose}}. —
Hé bien ! qu’est-ce que c’est ? Est-ce pour soupirer que nous sommes réunis ici, hors de cet horrible château de Plaisance ? Il porte joliment son nom ! c’est Déplaisance qu’on aurait dû le nommer. Et les habitants ! ils sont gentils. Je les ferais fourrer en prison si j’étais gendarme ou préfet.
{{sc|Rame}}, ''gravement''. —
Mam’selle Primerose, vous pas raison ; domestiques bons. Julien bon, Pierre bon, cocher bon, cuisinière très bon ; elle donner bonnes choses à Rame ; Fanchette, la fille, très bon ; toujours rire et donner sucre et café à Rame.
Mettez votre couvert, mon ami, et tenez votre langue ; vous êtes comme Azéma, qui parle comme une pie.
Moi pas pie, moi pas Azéma, moi Ramoramor, grand chef avec habit rouge plein d’or. »
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« Petite maîtresse rire, petite maîtresse contente! Moussu Jacques, petite maîtresse rire ! Première fois, bon moussu Jacques. Moi heureux ! Hourra, moussu Jacques !
Tais-toi donc, mon bon Rame ; tu vas faire monter les sergents de ville. »
Et Geneviève continua son bon rire frais et gai.
{{sc|Rame}}. —
Chère, chère, jolie maîtresse ! Vous toujours rire ; moi apporter bouillon et poulet. »
Mlle Primerose se pâmait.
Le déjeuner s’était annoncé triste d’abord ; il fut gai et agréable à tous. Rame ne quittait pas des yeux sa maîtresse, qui mangeait de bon appétit, qui causait et qui souriait souvent. De temps en temps Rame se frottait les mains, riait tout bas et marmottait :
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« Jacques, lui dit-elle affectueusement, tu reviendras me voir avant de t’en aller ?
{{sc|Jacques}}. —
Certainement, ma bonne chère Geneviève, je ne partirai pas sans t’avoir revue. »
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Mlle Primerose, touchée des sentiments que lui manifestait Jacques, y répondit très amicalement. Elle avait ramassé la lettre foulée aux pieds de Jacques et la remit soigneusement dans sa cachette.
{{sc|Jacques}}. —
Comment gardez-vous une pareille monstruosité, chère mademoiselle ?
{{sc|Mademoiselle Primerose}}. —
Mon ami, c’est une pièce très importante à conserver. Geneviève est encore sous la coupe du père jusqu’à vingt et un ans. On ne sait pas ce que peuvent inventer des êtres pareils ; c’est la seule arme que nous ayons. Il faut la garder, le bon Dieu l’a fait tomber dans mes mains. Geneviève ne s’en doute pas, heureusement. »
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Il replaça doucement la main de Geneviève sur le canapé et voulut sortir ; Geneviève s’éveilla.
{{sc|Geneviève}}. —
C’est toi, Jacques ? comme tu es pâle ! C’est ma cousine, n’est-ce pas, qui t’a ainsi troublé ? Pauvre Jacques ! C’est terrible, n’est-ce pas ? Assieds-toi près de moi et causons.
{{sc|Jacques}}. —
Ô Geneviève ! ma Geneviève chérie ! Comme tu as souffert ! Et quelle héroïque, admirable générosité tu as montrée ! — Quel courage ! — Et ce scélérat, ce monstre qui se tait, qui entend son père te torturer par ses questions, osant accuser ton ami, ton plus dévoué serviteur, et il ne dit rien. Il vole, et il te laisse la lourde charge de le défendre par ton généreux silence !
— Jacques, Jacques ! s’écria Geneviève effrayée, pourquoi penses-tu que ce soit lui ? Qui te l’a dit ?
{{sc|Jacques}}. —
Mais, mon amie, tout le monde l’aurait deviné ; il faut être absurdement et sottement aveugle comme son père pour ne pas deviner que c’était lui.
{{sc|Geneviève}}. —
Jacques, ne le dis pas à mon oncle, promets-le-moi.
{{sc|Jacques}}. —
Il suffit que tu le désires, ma Geneviève, pour que j’aie la bouche close là-dessus. Mais c’est cruel : cruel pour toi, cruel pour ceux qui t’aiment. »
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« Il faut que je m’en aille ; j’ai tant à faire pour moi, pour mon père.
{{sc|Geneviève}}. —
Avec qui es-tu ici ? où loges-tu ?
{{sc|Jacques}}. —
Je suis seul ; à l’hôtel.
{{sc|Geneviève}}. —
Alors viens dîner avec nous.
{{sc|Jacques}}. —
Très volontiers, si je ne te fatigue pas.
{{sc|Geneviève}}. —
Me fatiguer ! quelle folie ! Au contraire, je me sens si bien quand tu es là ! »
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