« Diloy le chemineau » : différence entre les versions

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Félicie et ses deux amis triomphaient. La mère Robillard attacha au service de leur table un des jeunes Moutonet (car ils étaient cinq frères, tous de la pure race des {{sc|Mouton}} ; le langage incorrect des villageois, et un peu de malice peut-être avaient fait dégénérer les ''Mouton'' en ''Moutonet''). Ce jeune Moutonet, le plus jeune des frères et l’aîné de cinq sœurs, avait quinze ans, c’est-à-dire qu’il avait sept ans de moins que son frère Simplice-Parfait-Fortuné, le nouveau marié. Il n’avait pas osé refuser l’honneur de servir les seigneurs de Castelsot, mais son attitude témoignait de ses regrets ; sans cesse il tournait la tête et souriait d’un air d’envie en regardant les malices innocentes des jeunes gens qui servaient sous les ordres de Moutonet (Simplice-Parfait-Fortuné) ; les vengeances des jeunes convives, les poussades, les rires, les tours, les maladresses, tout enfin ce qui compose la gaieté d’une noce.
 
{{TextQuality|100%}}===XII - Le Chemineauchemineau et le général en présence===
 
Tout en mangeant, Félicie et ses amis continuaient leurs plaisanteries moqueuses, leurs observations méchantes sur les personnes présentes, sans même épargner le marié et sa famille.
 
{{sc|Clodoald}}. —
CLODOALD<BR>
Savez-vous, jeune Moutonet, de quelle race était votre ancêtre, le premier Mouton établi dans le pays ?
 
MOUTONET{{sc|Moutonet JEUNEjeune}}, ''d’un air naïf''<BR>. —
Non, monsieur, je ne l’ai jamais demandé.
 
{{sc|Clodoald}}. —
CLODOALD<BR>
Est-ce de père en fils que vous avez cette chevelure si frisée qui rappelle votre nom ?
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
Je pense que oui, monsieur ; tous les Moutonet vivants sont frisés comme moi ; il y a bien des gens qui nous l’envient ; on n’a pas besoin de passer par les mains du coiffeur, avec des cheveux tout frisés comme ça.
 
{{sc|Félicie}}. —
FÉLICIE<BR>
Je n’ai pas de fourchette pour manger mon poulet.
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
Pardon, mam’selle ; vous en avez une près de vous.
 
{{sc|Félicie}}. —
FÉLICIE<BR>
Mais c’est une fourchette sale !
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
Pardon, mam’selle. La mère Robillard l’a mise toute propre tout à l’heure.
 
{{sc|Félicie}}. —
FÉLICIE<BR>
Mais je viens de manger avec.
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
Eh bien, mam’selle, ce n’est pas ça qui l’a salie ! Mam’selle ne me fera pas croire qu’une demoiselle propre comme mam’selle salisse les couverts en mangeant avec.
 
{{sc|Félicie}}. —
FÉLICIE<BR>
Ce n’est certainement pas moi, mais la sauce, la graisse.
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
Oh, mam’selle ! tout ça n’est pas de la saleté ! C’est bien bon au contraire.
 
FÉLICIE{{sc|Félicie}}, ''avec impatience''<BR>. —
Que ce paysan est bête ! Donnez-moi une fourchette propre.
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
Oui, mam’selle. »
 
Le Moutonet jeune prit la fourchette sale, l’essuya avec un bout de chiffon qui était dans un coin et la rendit à Félicie.
 
FÉLICIE{{sc|Félicie}}, ''en colère''<BR>. —
Sale paysan ! Faut-il être dégoûtant pour faire des choses comme cela !
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
Dame ! mam’selle, nous autres c’est comme ça que nous faisons.
 
{{sc|Cunégonde}}. —
CUNÉGONDE<BR>
Il n’y a pas moyen de manger avec des couverts si dégoûtants.
 
{{sc|Moutonet jeune}}. —
MOUTONET JEUNE<BR>
J’en suis bien désolé, mam’selle, mais je ne sais qu’y faire. Je vais demander à la mère Robillard. »
 
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La mère Robillard ne tarda pas à revenir, rouge et essoufflée, pour savoir ce qu’il y avait et pourquoi Moutonet jeune était tout triste.
 
{{sc|La baronne}}. —
LA BARONNE<BR>
Votre Moutonet est un imbécile, madame ; il n’entend rien au service.
 
{{sc|Mère Robillard}}. —
MÈRE ROBILLARD<BR>
Quant à imbécile, il ne l’est pas, sauf votre respect, madame la baronne. Et quant au service, il ne connaît peut-être pas celui de vos châteaux, mais il est bien futé pour celui qu’on doit faire chez lui ; il vous égorge et vous apprête un mouton ou un veau, comme un homme.
 
{{sc|Le baron}}. —
LE BARON<BR>
Je ne vous ai pas demandée, madame, pour faire l’éloge de ce petit sot, mais pour nous faire servir notre dîner par quelqu’un de capable.
 
{{sc|Mère Robillard}}. —
MÈRE ROBILLARD<BR>
Ah bien ! monsieur le baron, je ne saurais trouver mieux. Un autre ne se serait peut-être pas accommodé si longtemps des moqueries de ces demoiselles et de votre petit monsieur. J’ai beaucoup à faire, voyez-vous ; c’est moi qui donne le dîner ; tout retombe sur moi. »
 
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Tout en parlant, il examinait attentivement M. d’Alban.
 
{{sc|Le chemineau}}. —
LE CHEMINEAU<BR>
Pardon, monsieur, si je vous fais une question, comme on dit, saugrenue. Monsieur est-il militaire ?
 
{{sc|Le général}}. —
LE GÉNÉRAL<BR>
Certainement, depuis vingt-trois ans.
 
{{sc|Le chemineau}}. —
LE CHEMINEAU<BR>
Monsieur n’a-t-il pas été colonel au 40<small><sup>e</sup></small> de ligne, en Afrique ?
 
{{sc|Le général}}. —
LE GÉNÉRAL<BR>
Pendant dix ans, mon ami.
 
{{sc|Le chemineau}}. —
LE CHEMINEAU<BR>
Monsieur est donc M. le comte d’Alban ?
 
{{sc|Le général}}. —
LE GÉNÉRAL<BR>
Tout juste, mon cher ; comment me connaissez-vous ?
 
{{sc|Le chemineau}}. —
LE CHEMINEAU<BR>
Monsieur se souvient-il d’un colon qui a aidé, un jour, monsieur le comte à se débarrasser de trois Arabes qui l’avaient attaqué un peu rudement ?
 
{{sc|Le général}}. —
LE GÉNÉRAL<BR>
Si je m’en souviens ! Je me vois encore aux prises avec ces coquins qui me labouraient les côtes avec leurs sabres. Sans ce brave colon qui est venu à mon secours en se jetant sur eux comme un lion, et qui les a travaillés à son tour avec une serpe, j’étais un homme mort. Et vous étiez donc là ? Vous avez assisté au combat ?
 
{{sc|Le chemineau}}. —
LE CHEMINEAU<BR>
C’était moi le colon, monsieur.
 
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Au commencement, le chemineau fut un peu confus de l’honneur qu’on lui faisait, mais il ne tarda pas à se remettre et il se mit à manger de bon appétit et à boire en homme altéré.
 
 
===XIII - Impertinence de Félicie===